» J’AI VÉCU PAS MAL DE CHOSES FOLLES AU STANDARD « 

Passé en quelques semaines du statut de titulaire au Standard à celui de pestiféré, Eiji Kawashima a ensuite vécu une période de plus d’un an sans jouer. Transféré à Dundee United, il se livre sur sa terrible année 2015, de sa disparition à sa résurrection…

Mi-novembre dernier, l’annonce fait grand bruit en Belgique, Eiji Kawashima a enfin retrouvé un club : Dundee United. Suite à des complications liées à son permis de travail, le gardien japonais n’a pu faire ses premiers pas en Ecosse que début janvier. Et après une boulette, une qualification en Coupe et une casquette reçue contre le Celtic, Kawashima a accepté de faire le point sur ses premières semaines en Caledonia. Mais il ne s’est pas arrêté là : bien installé dans l’Apex Hotel de Dundee qui lui sert actuellement de logement, le gardien a évoqué le chapitre Standard, sa remise en forme en solitaire et les sushis évidemment.

Tout au long de votre période belge, c’est avec Guy Luzon que vous semblez avoir eu la meilleure relation coach-joueur…

EIJI KAWASHIMA : Ça s’est très bien passé, en effet. Lors de la saison 2012-2013, l’équipe ne tournait pas, et même si je n’avais aucun problème avec Ron Jans et Mircea Rednic, c’était vraiment différent avec Guy Luzon. Quand il est arrivé, il avait certainement plusieurs arguments pour me mettre sur le banc, mais il ne l’a pas fait. Ça a boosté ma confiance alors que si je m’étais retrouvé sur le côté à ce moment-là, je ne pense pas que j’aurais pu revenir dans le coup. Et puis au niveau tactique, il a fait de nombreux changements défensifs qui ont rendu ma tâche plus facile…

La saison 2013-2014 est-elle la meilleure de votre carrière ?

KAWASHIMA : Dans les performances, ma deuxième saison au Lierse était assez bonne également, mais si on regarde les chiffres, je pense que c’était en effet la meilleure.

Comment avez-vous vécu la perte du titre ?

KAWASHIMA : À la fin de la saison, le Standard m’a offert un nouveau contrat que j’ai refusé parce que j’ai réalisé que je voulais quelque chose de différent. En plus, mes performances commençaient à être moins bonnes après la Coupe du Monde. Il faut dire que le schéma du football belge, couplé aux matchs de l’équipe nationale, ne donne pas beaucoup de repos. C’était donc difficile pour moi de rester tout le temps au même niveau.

Avant même de commencer la saison 2014-2015, vous saviez donc que vous ne seriez plus Standardman en fin d’exercice… Ce n’est pas difficile de se remotiver dans ces cas-là ?

KAWASHIMA : Non, non, il y a une mentalité différente entre les Européens et notamment les Japonais. Tant que je suis sous contrat, je garde une totale loyauté envers mon club. Je donnais tout à l’entraînement, je parlais avec les coachs… le fait de ne pas avoir rempilé n’a pas influencé ma motivation.

 » JE COMPRENDS POURQUOI JE FAISAIS DES ERREURS  »

Comment expliquer ce début de saison 2014-15 catastrophique du Standard alors que, pour vous, tout avait bien commencé avec des arrêts déterminants en championnat puis en préliminaires de Champions League ?

KAWASHIMA : C’était une période vraiment étrange pour moi. Après la Coupe du Monde, j’étais vraiment exténué et je n’ai pas eu beaucoup de congé. À mon retour au Standard, le début s’est bien passé, mais c’était trop difficile de garder ma force mentale, physique et ma motivation au top en enchaînant deux matchs par semaine. Si je faisais parfois de beaux arrêts, je comprends tout à fait pourquoi je faisais également des erreurs. Il aurait fallu que je prenne une pause pour me rafraîchir, mais je ne voulais pas non plus m’arrêter alors que l’équipe ne tournait pas.

Quitter le Standard après la Coupe du Monde aurait été une solution ?

KAWASHIMA : Non, je voulais rester pour honorer mon contrat, mais aussi pour jouer la Champions League, même si on a été éliminé au dernier tour des préliminaires…

Comment était l’atmosphère dans le vestiaire du Standard à la fin de l’ère Luzon ? On se souvient d’une engueulade entre vous et Laurent Ciman…

KAWASHIMA : C’était juste un fait de match, cela arrive quand il y a des erreurs : lui voulait remettre la faute sur moi, et ça ne me plaisait pas (rires). Mais le lendemain, c’était réglé. Il n’y a jamais eu de problème dans le vestiaire du Standard, j’ai toujours des amis à Liège.

Ce fameux match contre Zulte Waregem, c’est l’événement le plus fou que vous ayez vécu ?

KAWASHIMA : Oui, mais j’avais déjà vu pas mal d’autres choses folles au Standard auparavant…

Et comment avez-vous vécu ce moment ?

KAWASHIMA : Je ne pense pas que la violence est le meilleur moyen d’exprimer ses émotions. Je savais que les supporters étaient frustrés donc je n’ai pas vraiment été surpris de leur réaction. Mais je retiens surtout mon erreur qui a contribué à notre défaite et à la fin de la carrière de Guy Luzon au Standard. J’ai toujours donné le maximum pour l’équipe et le club, mais des choses étranges comme on en a vécues face à Zulte, ça ne s’anticipe pas…

Vous vous êtes dit à ce moment-là que ce serait peut-être votre dernier match pour le Standard ?

KAWASHIMA : Non, j’en ai encore joué en Coupe de Belgique et en Europa League. Dès l’entraînement suivant le match, j’ai donné tout ce que j’avais pour garder ma place dans les buts, j’étais à 100 % à l’entraînement. Je ne suis pas le genre de gars qui abandonne.

 » JE NE PEUX PAS DIRE QUE J’AVAIS UNE BONNE RELATION AVEC VUKO  »

Le déclic pour vous au Standard, c’est donc le départ de Luzon et l’arrivée de Vukomanovic ?

KAWASHIMA : (Il réfléchit) Parfois, le coach doit prendre des décisions, et parfois, ce ne sont pas ses propres décisions… (sic) Le Standard est un club difficile pour tout entraîneur, les critiques que recevait Guy Luzon alors que son équipe était en tête en sont la preuve. Pour les joueurs, c’est toujours mieux de savoir dans quelle direction on va pour avancer, ce qui était le cas avec Luzon. Maintenant, les clubs doivent aussi prendre des décisions quand les résultats ne suivent pas. Pourtant, regardez la Juventus : en début de saison ils n’étaient nulle part, là il sont presque en tête.

Quelle était votre relation avec Ivan Vukomanovic ?

KAWASHIMA : Il préférait… (Il hésite) Au début, il me parlait, mais par la suite, on n’a pas vraiment eu de contacts. Et je ne peux pas dire qu’on avait une bonne relation.

Vous avez le sentiment d’avoir été mis de côté ?

KAWASHIMA : C’est une décision du club et je la respectais parce que j’étais sous contrat. C’était un moment difficile à vivre, mais je n’ai jamais laissé tomber les bras, même lors de mon dernier entraînement à Liège. Et je ne faisais pas ça pour me faire aimer des supporters ou des membres du club, c’est ma mentalité.

Quand vous quittez le Standard l’été dernier, c’est en de bons termes ?

KAWASHIMA : Avec le club, oui, j’ai toujours eu une bonne relation…

Pas de regrets ?

KAWASHIMA : Non, pas du tout, je n’ai rien fait de mal.

Et le Standard ?

KAWASHIMA : (Il réfléchit) Il y a beaucoup de choses qui me sont arrivées, et pas toujours des choses justes. Je savais que de nombreuses choses spéciales se passaient au Standard, mais qu’est-ce que je peux changer en les expliquant ? Ce n’est pas que je veux éviter les problèmes, c’est plutôt que ce ne sont pas mes affaires…

Juin 2015, vous voilà libre, vous recevez des offres belges ?

KAWASHIMA : Oui, mais je voulais découvrir autre chose après cinq ans en Belgique où j’ai vécu une belle expérience. Certaines équipes japonaises m’ont contacté, mais ce n’était pas le moment de revenir au pays : en tant que gardien, quand tu t’es construit ta confiance en Europe après plusieurs années, il ne faut pas tout dilapider d’un coup. J’ai eu certaines offres de l’étranger, mais elles étaient moins intéressantes sportivement que financièrement, donc je n’ai pas été convaincu.

 » LES FAUTES SUR LE GARDIEN, ÇA N’EXISTE PAS EN ÉCOSSE  »

À Novara (Serie B), par exemple ?

KAWASHIMA : Novara n’a pas pu me transférer à cause de toutes ces règles concernant les joueurs étrangers. Mais pour un gardien de but, le marché des transferts est vraiment difficile ! Tant qu’un club n’a pas vendu son gardien, il ne pourra pas me prendre… Il y a donc eu beaucoup de rebondissements durant mon été, j’ai été à Leicester aussi.

Ce n’était donc pas une rumeur…

KAWASHIMA : Non, j’ai été là-bas pendant deux semaines. Ça aurait pu être une excellente opportunité de signer à Leicester, mais j’ai déjà eu l’occasion de m’entraîner avec eux, ce qui n’est pas rien.

En arrivant au Standard, Yannick Ferrera a évoqué la possibilité de vous rapatrier. Vous avez eu des contacts avec lui ?

KAWASHIMA : Je n’ai pas eu de contact direct avec Yannick Ferrera, mais bien avec le club. Ça aurait été envisageable, mais ça ne s’est pas fait…

Vous avez donc continué à vous entraîner seul avec Patrick Nys. Pourquoi lui ?

KAWASHIMA : On est toujours resté en contact depuis l’époque du Lierse, donc je lui ai demandé si on pouvait collaborer ensemble pour entretenir ma forme. Je travaillais presque chaque jour et bien plus fort que si j’étais en club : gym le matin, entraînement et course l’après-midi, yoga le soir… De toute façon, sans ça, je serais devenu fou (rires).

Pourtant, vous aviez dit qu’il vous fallait un peu de repos, aussi…

KAWASHIMA : C’est vrai, mais pas de trop non plus ! Ce fut de nouveau une période difficile, mais elle m’a permis de réfléchir à ce que je recherchais vraiment pour la suite.

Qu’est-ce qui vous a motivé à venir à Dundee United ?

KAWASHIMA : C’était le bon moment pour moi… En arrivant à Leicester, j’ai senti que l’expérience du Royaume-Uni pouvait m’intéresser. Et comme la Premiership écossaise est similaire à l’anglaise, notamment au niveau de l’engagement, ça m’a motivé à m’engager ici.

Vous parlez d’engagement. Après votre premier match difficile avec United, vous avez déclaré que vous deviez être  » encore plus solide dans les sorties qu’en Belgique « .

KAWASHIMA : En Belgique, les attaquants ne vont pas venir vous « attaquer » dans votre rectangle. Mais ici… (rires). Le problème, c’est qu’il n’existe pas de fautes sur le gardien, en Ecosse.

 » LES FANS M’ONT ENCOURAGÉ À TENIR BON  »

Pourtant, à votre arrivée, votre coach a dit de vous que vous n’étiez pas une  » personne calme « , ça voulait dire quoi ?

KAWASHIMA : Peut-être qu’il a dit ça parce que je crie pendant les matchs ? ! Ici, je ne pense pas que les gardiens parlent autant sur le terrain, mais pour moi c’est normal.

Vous pensez encore à l’équipe nationale ?

KAWASHIMA : Oui, oui, bien sûr ! L’été dernier a été difficile à vivre parce que j’ai décidé de mettre l’équipe nationale de côté pour trouver un club. Malgré mes sept années avec le Japon, j’estimais que je ne méritais pas d’y figurer à ce moment-là. Mais derrière ça, l’idée était de me renouveler pour revenir encore meilleur par la suite.

Du coup, les médias japonais ne vous trouvaient plus… Vous vous cachiez ?

KAWASHIMA : Non, c’est faux ! Je suis ouvert à tout le monde, mais si quelqu’un veut une interview ou un commentaire, il faut rendre ça officiel. Là, il n’y avait que des contacts personnels avec les journalistes japonais qui m’envoyaient des sms, auxquels je ne peux pas répondre. Et puis j’attendais d’avoir quelque chose à dire pour m’exprimer. Mais je ne me cachais pas : je mettais encore mon blog à jour, par exemple.

C’est difficile d’être une star nationale ?

KAWASHIMA : Je ne pense pas… Avant, il n’y avait que les journalistes qui pouvaient faire passer leur opinion à travers les journaux et chaînes de télévision. Désormais, avec les réseaux sociaux, tout le monde peut le faire.

Vous pourriez refaire votre Kawashima Tour à Dundee ?

KAWASHIMA : Oui parce que pendant ma période de préparation où je n’avais pas de club, beaucoup de fans m’ont encouragé à tenir bon. Je dois donc leur rendre la pareille sur le terrain ou en les accueillant ici.

Au Lierse, vous aviez d’ailleurs déjà passé un repas avec 30 fans… femmes. C’était bizarre ?

KAWASHIMA : Ce fut un chouette moment à passer avec elles. On parlait un peu de foot, mais aussi d’autres choses : l’idée était de créer une relation parce que j’apprécie leur soutien quel que soit mon contexte sportif.

Suite à votre transfert, vous n’allez pas retourner en Belgique tout de suite. Qu’est-ce qui va le plus vous manquer ? Les « sushi » criés par les supporters lors de vos bottés de six mètres ?

KAWASHIMA : (rires) J’aimais bien ça ! On en rigolait beaucoup avec mes coéquipiers… Mais c’est surtout mes amis qui vont me manquer, en Belgique. Après cinq ans sur place, j’ai pu développer pas mal d’amitiés tant au Lierse qu’à Liège. J’aimais bien sortir de chez moi pour rencontrer mes voisins, par exemple. Pour découvrir une culture, il faut s’ouvrir et parler aux gens, sinon on passe à côté… (Il réfléchit) Et puis il y a le chocolat aussi qui va me manquer !

 » J’AIMERAIS TERMINER MA CARRIÈRE À L’ATTAQUE  »

Votre fin de carrière, vous aimeriez la vivre en tant qu’attaquant, c’est vrai ?

KAWASHIMA : Oui, c’est ce que j’aimerais… J’ai un jour joué quatre matchs amicaux avec mon club japonais et j’ai marqué trois goals et offert un assist (rires). Bon, je ne dis pas que je pourrais jouer au niveau pro, mais pourquoi pas en semi-pro ? ! En tout cas, je ne veux pas finir ma carrière en me disant que j’en ai marre du foot, je veux arrêter quand je ne pourrai plus jouer.

Un peu comme Kazuyoshi Miura, ce Japonais qui joue encore à 48 ans ?

KAWASHIMA : C’est une vraie légende, il a écrit l’Histoire du foot japonais ! Et il est celui qui a ouvert les portes de l’Europe à ses compatriotes.

PAR ÉMILIEN HOFMAN À DUNDEE (ÉCOSSE) – PHOTOS BELGAIMAGE – DAVID CHESKIN

 » Mon engueulade avec Ciman, c’était juste un fait de match. Le lendemain, tout était oublié.  » EIJI KAWASHIMA

 » J’aimais bien ça, les « sushis » criés par les supporters. On en rigolait beaucoup avec mes coéquipiers…  » EIJI KAWASHIMA

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