« J’ai un vécu, je suis différent »

Le gaucher rouche de 20 ans a connu des trucs fabuleux en coupe d’Europe et s’est mis à aider les jeunes de Bressoux-Droixhe.

Il a l’Andalousie de son père dans les yeux et le Maroc de sa mère dans le c£ur. Footballeur pétri de talent, à 20 ans, Mehdi Carcela peut entrevoir l’avenir avec confiance. Son équipe n’a pas décollé en championnat mais cela ne l’a pas empêché de s’installer sur une orbite intéressante. Cet artiste a collectionné les satisfactions : des galons de titulaire, une bonne campagne nationale, son entrée dans l’effectif des Diables Rouges, ses dribbles sur les scènes européennes, etc. Mais il y a l’envers du décor avec cet énervement de coq qui l’opposa à Cesc Fabregas d’Arsenal et l’absence de la moindre récompense collective dans la besace du Standard…

Les joies et les problèmes de la saison qui s’achève réclament déjà une campagne 2010-2011 sans faille. Il le sait, c’est un des défis qui peupleront le proche avenir de ce surdoué du football qui signe souvent ses sms par RPS4020… représentant de Bressoux-Droixhe. Cela en dit beaucoup sur ce bonhomme qui est parti de loin avant de connaître le succès.

Avez-vous atteint vos objectifs en 2009-2010 ?

Carcela : Oui et non. Personnellement, je voulais surtout m’installer plus solidement dans l’effectif. J’avais montré le bout du nez la saison précédente et je devais avancer, prouver que je pouvais y arriver. Sur ce plan, je suis satisfait. Ma progression est plus rapide et profonde que je l’avais espéré. J’ai véritablement découvert l’ambiance européenne et l’équipe nationale a fait appel à moi. C’était vraiment très intéressant à vivre et j’ai forcément haussé mon niveau de jeu. A côté de cela, il y a une autre réalité : le Standard ne sera pas européen la saison prochaine. Cela s’explique mais cela me reste en travers de la gorge. Quand on a vécu pas mal de grands moments, on ne peut que le regretter…

En somme, le bilan individuel est positif, le résultat collectif pas ?

Non, c’est plus nuancé que cela. Sans les blessures et autres suspensions, le Standard aurait décroché une qualification européenne, j’en suis certain. Un effectif tel que le nôtre ne peut pas se passer de Steven Defour et Axel Witsel tout en misant sur deux ou trois tableaux. Ils sont irremplaçables. Je songe à la charge de travail mais surtout à l’influx nerveux que certains y ont laissé. Moi, honnêtement, cela ne me pose aucun problème d’enchaîner les matches. Le foot, c’est du plaisir, que je joue dans la rue, devant les immeubles de ma jeunesse, à Droixhe, ou à Arsenal. Je ne me soucie de rien. Je joue, c’est tout mais je sais aussi que c’est le privilège de la jeunesse. On m’a dit que Hatem Ben Arfa est comme cela aussi. Cette insouciance constitue un atout mais je n’ignore pas que l’avenir m’apportera vite d’autres responsabilités…

 » D’abord confirmer « 

Dès la saison prochaine ?

Il faudra d’abord que je confirme. Si c’est le cas, je porterai plus de poids sur les épaules, je le sais.

Les pépins qui gênèrent l’effectif n’ont-ils pas accéléré votre éclosion ?

Certainement. On a fait appel à moi à droite, à gauche et au centre de la ligne médiane. J’ai essayé de rendre service où le Standard avait besoin de moi…

Mais c’est à gauche que vous préférez jouer ?

Pas du tout…

Ah, non ? Jovanovic est parti, on ne vous appellera jamais  » Carcelic  » ou  » Milan II  » ?

J’aime bien Jova mais être Carcela suffit à mon bonheur. Je préfère m’exprimer au départ du flanc droit car cela me permet de mettre mon opposant sur son mauvais pied et de rentrer dans le jeu. C’est plus difficile en partant de la gauche…

Est-ce que cela signifie que vous êtes plus un joueur d’axe que de débordement ?

Pas nécessairement. Je suis capable de prononcer un effort le long de la ligne avant d’adresser un centre du poteau de corner. Cela ne pose aucun problème mais je préfère, c’est vrai, construire en me décalant vers le centre du terrain. J’adore y dribbler mais je ne suis pas qu’un soliste comme on peut le croire. J’essaye d’être de plus en plus concret pour moi et pour l’équipe. J’adore servir les autres et le temps me permettra de le faire de mieux en mieux…

On vous a vu dans l’axe aux côtés de Witsel…

Oui, et j’ai trouvé cela très intéressant. Nous avons bien alterné le travail offensif et les obligations défensives.

Comment avez-vous vécu les soucis du groupe comme le remerciement de Laszlo Bölöni ?

Je n’ai que 20 ans. D’autres avaient une vue plus globale de la situation…

Vous bottez en touche ?

Non. Moi, et ce n’est peut-être pas le cas d’autres, je n’oublierai pas Bölöni. C’est quand même le coach qui m’a lancé en D1. Je lui dois les débuts de ma carrière de joueur professionnel. Il m’a fait confiance…

On l’a dit très dur, trop dur ?

Je ne sais pas. Moi, j’avais probablement besoin de fermeté pour ne pas rater mon entrée dans ce milieu. En ce qui concerne ma technique, il ne m’a rien appris. Ma technique, je l’ai. Je la travaille mais c’est quand même un don. Par contre, Bölöni m’a beaucoup parlé de tactique, de placement, du collectif, de la lecture du jeu, etc. Et, dans ce domaine-là, il m’a permis de beaucoup progresser. Momo Sarr m’a beaucoup aidé comme mes échanges avec Igor de Camargo, Jova, Axel et Steven m’ont aidé. Quand Bölöni a quitté notre vestiaire, j’ai apprécié la venue de Dominique D’Onofrio et Jean-François de Sart. Ils me connaissaient. D’Onofrio était le patron des jeunes du Standard. Il me suit depuis des années et de Sart m’a retenu en équipe nationale Espoirs…

 » Le Standard aurait pu sortir Hambourg « 

Que vous ont-ils apporté ?

Le Standard a quand même vécu une grande campagne européenne. Avec un peu plus de fraîcheur mentale, on aurait pu sortir Hambourg et se qualifier pour les demi-finales de l’Europa League. Dominique D’Onofrio et Jean-François de Sart y sont pour beaucoup.

Ne regrettez-vous pas l’incident avec Fabregas ?

Oui, mais je ne l’ai pas frappé. C’était tête contre tête, rien de plus. L’UEFA l’a vu sur les images de la télé. Pierre François m’a bien défendu. Mon appel a été entendu et est passé de trois à deux matches de suspension. C’est dommage, évidemment. Sarr m’a fait réfléchir à tout cela. Je ne veux pas résumer mon bilan européen à cette erreur de jeunesse. C’était un moment d’égarement…

Fabregas vous a-t-il parlé ?

Il a dit quelque chose en anglais, je n’ai pas compris…

Vous auriez dû répondre en espagnol, la langue de Fabregas et de votre papa…

Je n’y ai pas pensé. Mon Europe, c’est plus que cela. J’ai quand même connu des trucs fabuleux en Ligue des Champions et en Europa League. J’ai un vécu, je suis différent. Je ne veux pas me passer de cela durant plus d’un an.

Après le départ de quelques valeurs, ce sera votre défi…

Je sais, je n’ai pas peur.

La jeunesse est au pied du mur, non ?

Elle l’était déjà. Steven et Axel n’ont pas attendu pour se révéler. Ils étaient aussi importants que Jova ou Igor. Mais on ne parle pas assez d’Oguchi Onyewu. Lui, il nous a manqué cette saison. C’est peut-être la fin d’un cycle sous certains aspects mais il y a de la continuité aussi. J’espère monter en grade. Et cela passera d’abord par une confirmation. Le Standard mise sur ses jeunes. Nous avons de longs contrats. La confiance est réciproque.

Pas de Coupe du Monde, pas d’Europe au programme : quelle tristesse…

Ce sera à la jeune garde de montrer ce qu’elle a dans le ventre. Tout le monde a mûri et on pourra se concentrer sur le championnat. Le programme sera plus léger…

Savez-vous que vous êtes un des chouchous de Lucien D’Onofrio ?

Je l’ignore totalement.

Espérez-vous jouer un jour à l’étranger ?

C’est le rêve de tous les footballeurs professionnels. Je suis un grand admirateur de Pep Guardiola. Il prône le jeu que je préfère. Il n’y a rien de plus beau qu’une équipe où tout le monde évolue vers l’avant, dans le camp adverse. C’est ce que le Barça fait sans cesse. Cela fait partie de la culture de ce club. Cette équipe ne veut pas jouer autrement. L’Inter lui a posé des problèmes insolubles mais le Barça a commis l’erreur de vouloir passer avec élégance dans l’axe. Il fallait aérer le jeu sur les ailes, sans renoncer aux grands principes et, surtout, tirer à distance. J’avais la rage après la qualification de l’Inter à Barcelone : j’en ai pleuré de déception.

A ce point-là ?

Oui, à ce point-là. Tant mieux pour l’Inter. Mais quand on passe le plus clair de son temps à neutraliser Lionel Messi, je me dis que c’est le jeu d’une autre époque. Guardiola fait avancer le football, José Mourinho pas. Barcelone pourrait jouer comme l’Inter mais l’inverse n’est pas possible. Pour moi, cela veut tout dire. Et je me demande aussi si Zlatan Ibrahimovic est un joueur qui convient totalement au Barça. Il est fabuleux dans son genre mais le style catalan est surtout fait de passes, de relais, de finesses techniques, etc.

Vous préférez le style Messi ?

Oui.

 » J’espère évoluer un jour dans un club de la Liga « 

L’Espagne est votre destination rêvée ?

Clairement, j’espère évoluer un jour dans un club de la Liga. Mon agent, Jorge Vidal, a raison quand il me conseille la patience. Aller maintenant en Espagne, ce serait trop tôt. Je dois apprendre et il me faut au moins 100 matches de D1 belge avant de découvrir la Liga. A 20 ans, j’ai tout le temps devant moi.

Avez-vous encore de la famille en Espagne ?

Non, du côté de mon papa, ils sont tous en Belgique. Ils sont originaires de la région de Huelva, en Andalousie. Ma maman, elle, a encore des proches au Maroc. Ma grand-mère maternelle vient de passer quelques jours à Liège. Elle est rentrée à Casablanca. Elle habite dans un quartier de Casa…

La ville blanche…

C’est cela et j’y passerai une partie de mes prochaines vacances…

Connaissez-vous le plus grand champion sportif de Casa ?

Non…

Marcel Cerdan, un de plus grands boxeurs de tous les temps décédé dans un accident d’avion en 1949…

Je ne savais pas.

Ce pied-noir était l’idole de sa ville. Vous êtes celle de Bressoux-Droixhe. Qu’est-ce qui vous attache encore au quartier de votre enfance ?

Tout. Je n’oublierai jamais Droixhe. Même si je n’y habite plus, c’est là que j’ai grandi, que je me suis fait, que j’ai des amis. Je m’y rends régulièrement, j’en ai besoin. Je veux prouver que Droixhe a changé et qu’on peut réussir en partant de loin. Et cela dans des tas de domaines. Moi, c’est le foot, comme Christian Benteke, d’autres peuvent progresser via les études. J’envisage de lancer une fondation. En attendant, je participe à des activités dans le quartier. J’écoute et j’essaye de guider vers des responsables de quartier comme Patrice Lempereur qui peut les encadrer, les aider à trouver des solutions à leurs problèmes.

Carcela s’identifie donc totalement à… 4020 ?

Et c’est tout à fait normal. Je veux aider et rendre une partie de ce que j’ai reçu à Droixhe. Non, je ne peux pas oublier et tant mieux si ma réussite constitue une source de motivation. Les jeunes de Droixhe ont besoin de dialogue et ils doivent surtout être compris et encadrés. Les progrès sont à ce prix…

par pierre bilic – photo: belga

« Le foot c’est toujours du plaisir : à Sclessin, à Arsenal ou à Droixhe… »

« Je préfère m’exprimer à droite, pour rentrer dans le terrain et déstabiliser. « 

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