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 » J’AI TOUJOURS LES MAINS AUSSI MOITES AVANT UNE RENCONTRE DE COUPE DAVIS « 

À 33 ans, Steve Darcis vit peut-être ses plus belles années sur le circuit. Porté par la Coupe Davis, le Shark n’a jamais semblé aussi mordant. Symbole ultime de la réussite actuelle du team Belgique au côté de David Goffin, l’homme s’explique pour la première fois dans Sport/Foot Magazine. Interview garantie sans filtre.

Après un début de saison canon marqué par un troisième tour à l’Australian Open et une victoire au panache contre l’Allemagne en Coupe Davis, Steve Darcis aurait pu viser son meilleur classement, une 44e place à l’ATP datant de

2008, il y a près de dix ans.

Une autre époque pour celui qui, entre-temps, est devenu Mister Coupe Davis malgré une carrière parsemée de blessures et de contretemps. Le dernier en date ? L’opération au coeur subie par sa fille et qui l’a tenu éloigné des terrains pendant plus d’un mois.

Du coup, il a renoncé à la tournée américaine qui devait l’emmener à Indian Wells puis Miami. Parce qu’avant d’être un joueur de tennis comme les autres, Steve Darcis est un bon père de famille qui se double d’un chouette gars. Un gentleman perdu dans un monde de requins. Le monde à l’envers.

Steve, tu as déclaré forfait en quart de finale à Delray Beach pour revenir en Belgique suite à l’opération de ta fille. Un geste qui t’honore, pas sûr que tout le monde aurait agi de la sorte dans le milieu ?

Steve Darcis : J’espère bien que oui, mais j’ai toujours été clair : j’aime bien le tennis, plus qu’un métier c’est une passion, mais ma famille passera toujours en premier. Que je doive annuler un tournoi, 2 tournois, 10 tournois, cela ne changera rien. En fait, je ne considère même pas ça comme un sacrifice. D’ailleurs, la perspective d’égaler mon meilleur classement n’est jamais entrée en ligne de compte. Pour dire vrai, j’avais même peur que mon vol soit annulé et d’arriver à la bourre. Donc, j’ai arrêté un tour plus tôt que ce que j’avais prévu, histoire d’assurer le coup.

Tu es né en 1984, à une époque où on retrouvait des mecs comme Noah, McEnroe, Connors, Lendl, Wilander ou Pat Cash dans le top 10. Pas de regret de ne pas avoir connu ce tennis-là ?

Darcis : C’est vrai que maintenant, c’est devenu un peu l’usine. Il y a moins de folies sur le terrain. Aujourd’hui, un  » merde  » ou un  » putain « , c’est tout de suite 1500 ? d’amende. On ne peut plus rien dire et forcément, il y a moins de spectacle, moins de show. Je pense que les gens qui viennent au tennis, ils sont contents de voir des mecs comme Kyrgios, qui balance sa raquette. OK, ce ne sont pas toujours des super attitudes, mais les machines qui sont dans le contrôle permanent, ce n’est pas gai non plus. Et puis, je n’ai pas toujours l’impression que les sanctions sont les mêmes pour tout le monde. Ce sera toujours plus facile de me mettre un point de pénalité à moi sur le 17 qu’à Djoko sur le central…

 » C’EST SAMPRAS QUI M’A DONNÉ ENVIE  »

Qui est-ce qui te faisait vibrer gamin ?

Darcis : Sampras, pour son jeu, son charisme, le mystère qui l’accompagnait. C’est lui qui m’a donné envie de jouer. Maintenant, quand tu vois les jeunes qui ont des gros niveaux, ils ont tous des boulards de fou et ça me rend complètement malade. Des mecs comme Zverev, qui à 19 ans te prend de haut, tu te dis quand même qu’il y a un souci dans l’éducation. Il n’a pas tort sur le fond, il est jeune, il est mieux classé, c’est une mégastar et il a des gros contrats. Sauf que c’est moi qui le bats en Coupe Davis parce que le mec se prend pour je ne sais qui. Je ne sais pas si je le rebattrai un jour, mais ça dit tout de l’importance de rester humble en toutes circonstances.

Tu en sais quelques chose : tu as dû attendre 2007 pour sortir de l’ombre pour la première fois, à 23 ans, grâce à ton épopée incroyable à l’Open d’Amersfoort. En une semaine, tu étais passé de la 300e place mondiale à la 146e après avoir remporté le tournoi et sorti 4 joueurs du top 70. Tu penses que tu aurais fait la même carrière sans cette semaine folle ?

Darcis : Beaucoup ne vont pas aimer ce que je vais dire, mais il y a une grosse part de chance dans la réussite ou non d’une carrière. Ce tournoi aux Pays-Bas le reflète parfaitement. Je jouais très bien depuis quelques semaines, mais je restais sur deux défaites en trois sets contre deux mecs qui tournaient autour des 100. Après ça, j’avais dit à Reg’ (Réginald Willems, son entraîneur de l’époque, NDLR) que je voulais faire un break. J’étais au bout du rouleau. Lui m’a convaincu d’aller faire les qualif’ à Amersfoot parce que ce n’était pas loin. J’y vais avec des pieds de plombs, j’ai une mauvaise attitude, mais je gagne mon premier tour par miracle. De fil en aiguille, je me suis retrouvé à jouer le meilleur tennis de ma vie. Quelques mois plus tard, je gagne le deuxième et, à ce jour, dernier tournoi de ma carrière et là aussi, c’est l’histoire d’un bol incroyable. J’arrive à Memphis en mars 2008 sans avoir gagné une rencontre de l’année. Je sors un gros match au premier tour contre Spadea, mais je me retrouve breaké à 6-5 dans le 3e set. J’ai déjà la tête dans l’avion, je me dis que je fais vraiment un sport de merde et là, boum, je m’accroche et une semaine après, j’ai la coupe en main.

Quelques semaines plus tard, le 12 mai 2008 exactement, tu es 44e mondial à l’ATP, ton meilleur classement à ce jour. Tu viens alors tout juste d’avoir 24 ans, l’âge où on se dit que tout est permis. Tu ne t’es jamais imaginé dans le top 10 à cette époque ?

Darcis : Sincèrement, non, j’ai toujours su que je n’avais pas le niveau du top 10. Ce n’est pas pour ça que je ne suis pas capable d’en battre un de temps en temps, mais je n’ai pas la régularité nécessaire. Ne pas se blesser, mettre de l’intensité dans chaque balle, faire des résultats dans chaque tournoi, ne jamais perdre contre un mec moins bien classé, c’est une usure mentale au quotidien. Je n’avais pas ce potentiel-là. Moi, je peux battre Zverev, mais je peux aussi perdre contre un gars classé 500. Si je fais un match sérieux, normalement je gagne, mais je peux perdre. C’est la différence entre Dav’ et moi, par exemple.

 » FACE À GOFFIN, TOUT A BASCULÉ DURANT L’ÉTÉ 2014  »

Justement, toi qui connais David Goffin depuis si longtemps, comment juges-tu son évolution actuelle ?

Darcis : Incompréhensible (il éclate de rire). Non, mais dans le sens où je le connais depuis qu’il est tout petit et que pendant des années, on a eu le même niveau. On s’entraînait ensemble, il me battait, je le battais et puis en 2 mois de temps, à l’été 2014, il a évolué de manière incroyable. Ce n’est pas physiquement qu’il m’a impressionné parce que ça n’a jamais été un fragile. Les gens ne s’en rendent pas compte, mais David soulève 100 kilos en développé couché les doigts dans le nez. Il a des petites jambes, mais il est puissant et super endurant. Mais là, c’était vraiment dans sa tête que ça a bougé. Il est devenu imbattable, à l’entraînement comme en match, je ne lui prends plus un set. Il a eu un déclic mental, il a pris de la confiance. Et franchement chapeau parce que personne ne le voyait dans les 10, personne ! Il y en a même très peu qui le voyaient dans les 100 à 17 ans, c’est dire comme c’est un bosseur.

Quand on repense à ta carrière, difficile de ne pas évoquer ce match contre Rafa Nadal au 1er tour de Wimbledon 2013 qui sera suivi de ton abandon à cause d’une blessure à l’épaule. Un match fou et une blessure lancinante, un épisode qui te résume pas si mal, non ?

Darcis : Peut-être pas, dans la mesure où c’est à la fois le meilleur et le pire moment de ma carrière. Je me souviens de la fin de match, de ces 15 minutes d’euphorie où tu réalises la portée de ce que tu viens de réaliser. Sauf que très vite, j’ai compris que ça n’irait pas le lendemain. Je ne savais plus lever mon bras. Le problème, c’est que comme tu viens de battre Nadal, tu as toute la presse qui t’attend. Après 2h30 d’interview, j’en ai plein le cul et je dis au mec qui gère le planning que j’aimerais bien aller me faire soigner. Sauf qu’entre-temps, le kiné était parti… Le lendemain, c’était encore pire, je ne savais plus décoller mon coude de mon corps. J’ai été à l’hosto me faire injecter de la cortisone, mais ça n’a pas suffi. J’étais effondré. Derrière, je fais 5 semaines de rééduc, je dois rejouer les qualifications d’un futur en Hollande et puis je me repète en Coupe Davis contre Israël. Après des semaines on s’est décidé à faire une arthroscopie et on s’est enfin rendu compte que je m’étais déchiré le sus-épineux. Au moment où on m’opère, je n’étais plus sûr de pouvoir rejouer un jour au tennis. J’ai passé trois mois post opératoires horribles où je ne dormais plus, je passais mes nuits dans le canapé à regarder l’Open d’Australie à la télé, c’était horrible, je ne pouvais même plus prendre ma fille dans les bras. Ça a mis un an et demi avant que je puisse rejouer à mon vrai niveau.

 » LE TENNIS RESTE UN SPORT D’ÉGOÏSTES  »

Tu n’as jamais été épargné par la galère. Il y a eu 5 ans entre tes premiers points ATP, pris en 2002, et ton éclosion aux Pays-Bas en 2007. Comment un tennisman classé au-delà de la 100e place mondiale gagne-t-il sa vie ?

Darcis : Tu ne vis pas ! Tu te balades d’interclub en interclub en Belgique, en France, en Allemagne, tu prends 500, 600 ? si tu gagnes le tournoi, mais tu ne mets pas d’argent de côté parce que tu dois payer tes voyages, tes hôtels. En tournoi, tu joues avec des balles que tu ne donnerais même pas à ton chien, tu dors dans des hôtels pourris et il y a des semaines où tu joues à perte… Même si cela, ça peut encore m’arriver aujourd’hui si je fais un challenger, que je pars avec mon entraîneur ou mon kiné et que je ne fais pas de demi-finale. Après, je n’ai jamais été le plus à plaindre. Mes parents m’ont aidé jusque 18 ans et puis, j’ai eu la chance d’avoir de l’aide financière de quelques sponsors à ma majorité grâce à mes bons classements en junior.

N’est-il pas difficile de se faire une place sur un circuit où les différences de gains sont énormes entre le top et les autres ?

Darcis : C’est une ambiance. Évidemment, moi j’ai moins de contact avec les tout bons que Dav’. Ce qui n’empêche pas que si je croise un Nadal, un Federer, ils m’appellent par mon prénom, ils me serrent la main, ils prennent des nouvelles. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Djokovic, Berdych, s’ils te croisent, c’est limite s’ils te disent bonjour. Ce sont des caractères à part, je ne suis pas fan. Djoko, il a une belle image, les gens l’aiment bien, mais c’est beaucoup de fake, malheureusement. Ça ne remet pas en cause tout ce qu’il a apporté de bien au tennis, mais un Federer, un Nadal, ce sont des mecs 15 fois plus charismatiques, 15 fois plus sympas. Je suis aussi toujours content quand je vais manger un bout avec un Gilles Müller, un Benneteau ou un Mahut, même si ça reste quand même principalement un sport d’égoïstes.

C’est de là que te vient ton amour de la Coupe Davis ? De cet esprit de groupe qu’on retrouve dans les sports collectifs ?

Darcis : Certainement. Rien que les Jeux olympiques, pour un tennisman, c’est la panacée. Avoir une vie de groupe, côtoyer des grands champions, c’est super. En 2008, je suis devenu pote avec Maxime Monfort à Pékin ; en 2012, j’ai rencontré Philippe Gilbert, on a suivi le périple de Lionel Cox jusqu’au bout, ce sont des moments rares dans une carrière. Je me souviens, j’étais déjà rentré en Belgique pour la finale du tir de Lionel, mais le fait de l’avoir rencontré, d’avoir partagé des parties de billard avec lui, j’étais comme un dingue devant ma télé, limite les larmes aux yeux quand il a eu sa médaille.

 » TOUT LE MONDE S’ENTEND BIEN AVEC TOUT LE MONDE. C’EST NOTRE FORCE EN COUPE DAVIS  »

Le fait d’être aujourd’hui l’un des symboles forts de la réussite de cette équipe de Coupe Davis, c’est quelque chose qui te rend fier ?

Darcis : C’est vrai que j’ai des bonnes stats’ (20 victoires pour 8 défaites en simple, NDLR), mais c’est vraiment un effort collectif et je ne parle pas que des joueurs ou du capitaine. Moi, je m’entends bien avec tout le monde, le capitaine, l’ostéo, le kiné, le médecin, on est tous hyper liés. C’est ça qui fait notre force. On n’a peut-être pas une équipe de malade, mais on est tous capables de se transcender parce qu’on bosse dans des conditions exceptionnelles grâce à ce staff incroyable qui nous entoure.

Tu peux comprendre du coup l’attitude d’un Goffin qui était en chasse pour le Top 10 et qui a privilégié sa carrière perso au premier tour contre l’Allemagne début février ?

Darcis : (Il réfléchit longtemps). Je l’accepte en tout cas et oui, bien sûr que je peux le comprendre, même si je pense qu’il avait le temps et donc la possibilité de venir. Cela n’a créé aucune animosité entre Dav’ et moi, mais ce n’est pas pour autant qu’on en rigole. D’autant que je sais qu’au fond de lui, ça lui a fait mal de ne pas être là, mais c’est du passé maintenant, il faut avancer.

L’absence de David contre l’Allemagne t’a parachuté de facto comme le leader naturel et sportif du groupe Belgique. Cela t’a mis une pression supplémentaire sur les épaules ?

Darcis : Franchement, c’est l’inverse qui s’est passé dans ma tête. Étant donné son absence, j’estimais qu’on n’avait aucune pression. Vu qu’on n’était déjà pas spécialement favoris avec Dav’, on l’était encore beaucoup moins sans lui. J’aurais pris une branlée le vendredi, une autre le dimanche, personne n’y aurait trouvé à redire, c’eût été logique. Je ne dis pas que moi-même je n’aurais pas été effondré, mais du point de vue de l’opinion, j’estimais personnellement n’avoir rien à prouver contre l’Allemagne.

 » FOREST NATIONAL, JE TROUVAIS ÇA MYTHIQUE  »

Ce n’est pas toujours le cas en Coupe Davis : on se souvient d’un match en 2007 où Vliegen était blanc comme un linge avant de monter sur le court pour un cinquième match contre l’Australie en huitième.

Darcis : J’ai toujours les mains extrêmement moites avant une rencontre de Coupe Davis. Il n’y a pas d’âge pour ça. Je me vois encore commencer contre Stepanek en 2008 pour mon premier match vraiment important. Je me chiais dessus et je n’ai pas réussi à jouer le match que j’aurais voulu. Contre Wawrinka, en 2008 à Lausanne, j’avais carrément été jusqu’à demander à Julien Hoferlin de me remplacer. C’était blindé de monde, il y avait un bruit de fou, je revenais de blessure, bref, je tremblais comme une feuille et j’avais vraiment peur de me prendre une claque. Finalement, je perds en plus de 4 heures et je sors un gros match. Et puis, il y a ce match contre Delbonis en demi-finale en 2015 à Forest National. Un an avant, j’y avais été voir Florence Foresti avec mon meilleur pote et je m’étais déjà dit que je trouverais ça mythique de jouer un jour dans cette salle. Sauf que quand tu te retrouves à disputer un 5e match là-bas avec 2 rencontres dans les jambes, c’est autre chose. J’aurais eu l’air de quoi si j’avais eu des crampes partout après une heure de jeu ? Ce qui est difficile, dans ces moments-là, c’est d’appréhender le fait de ne plus jouer pour soi, mais pour toute une équipe, tout un pays, c’est vraiment différent. Certains y arrivent, d’autres pas, je pense à Xavier Malisse qui a à chaque fois fait des mauvais matchs à cause du stress alors que le mec, c’était un génie.

PAR MARTIN GRIMBERGHS – PHOTOS BELGAIMAGE

 » J’ai toujours su que je n’avais pas le niveau du top 10  » – STEVE DARCIS

 » David Goffin, il n’y a personne qui le voyait dans les 10 et ils étaient même très peu à le voir dans les 100.  » – STEVE DARCIS

 » Xavier Malisse, c’était un génie, mais il n’a jamais su gérer le stress en Coupe Davis.  » – STEVE DARCIS

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