« J’ai refusé les Diables »

Rencontre avec le capitaine du Borussia Mönchengladbach, un Belge qui facture quasi 100 % de temps de jeu depuis deux ans en Bundesliga et qui n’y a jamais raté un penalty.

Il y a dix jours, un petit événement s’est produit à Fribourg : Filip Daems est resté dans la tribune. Une légère blessure, contractée à l’échauffement, l’a empêché de défendre les chances du Borussia Mönchengladbach. La première fois que cela arrive en deux ans. Et le  » Vfl  » a perdu, alors qu’il avait entamé la Bundesliga sur les chapeaux de roue, avec un succès d’entrée au Bayern Munich confirmé par la suite, ce qui a valu à l’équipe entraînée par le Suisse Lucien Favre d’occuper un moment la tête du classement… alors qu’elle avait frôlé la relégation au printemps dernier.

Daems, arrivé en janvier 2005, entame sa 7e saison à Gladbach, dont il est capitaine. Il a quasi 100 % de temps de jeu depuis deux ans et n’a jamais raté un penalty en Bundesliga (dix sur dix jusqu’à présent). Pourtant, on parle très peu de lui.

Avez-vous une explication à cette discrétion médiatique ?

FilipDaems : D’abord, je suis un défenseur. Et puis, j’ai quitté la Belgique depuis un certain temps, on m’a oublié.

C’est votre 7e saison à Mönchengladbach, où vous êtes le joueur le plus ancien. Comment expliquez-vous cette longévité ?

Un respect réciproque, je pense. Je me plais beaucoup dans ce club, et je pense qu’on m’y apprécie également. Parallèlement, je connais mes limites. Je sais que je ne peux sans doute pas prétendre à beaucoup mieux. Le Borussia est un très beau club historique qui compte 600 clubs de supporters et a emmagasiné cinq titres de champion d’Allemagne, même si le dernier date de 1977. On joue dans un beau stade de 52.000 places, on dispute l’une des compétitions les plus attractives d’Europe. Et je suis à 135 kilomètres de ma maison en Belgique. J’ai aussi un pied-à-terre à Mönchengladbach.

Vous souvenez-vous de votre premier match en Bundesliga ?

C’était à Dortmund, j’étais directement plongé dans l’enfer. 82.000 spectateurs en folie. Au niveau de l’ambiance, j’avais déjà eu un aperçu de ce que cela pouvait donner en Turquie, où les supporters sont très fanatiques, mais ce véritable mur jaune et noir du Westfalenstadion, c’est impressionnant. Je suis resté une bonne heure sur la pelouse. C’était la période de l’éclosion de Marcell Jansen, un produit du cru qui est ensuite parti au Bayern Munich. Je n’étais pas encore titulaire indiscutable.

Quand l’êtes-vous devenu ?

Il y a trois ans. Mais, durant l’été 2009, j’ai été victime d’une grave blessure au genou, lors du stage en Autriche. Un coéquipier m’est tombé dessus. J’ai loupé tout le premier tour. Au second, j’ai tout joué. Et je n’ai pas perdu une minute de la saison 2010-2011, ni des premiers matches de cette saison-ci, jusqu’au déplacement à Fribourg.

Vous êtes, cette saison, confronté à la concurrence de l’international suédois Oscar Wendt…

C’est normal que le club ait cherché un back-up. J’aurai 33 ans à la fin du mois. Wendt est un sérieux concurrent, mais en dehors du terrain, on s’entend très bien.

Vous n’avez jamais loupé un penalty en Bundesliga. Celui converti contre Nuremberg et qui a donné la victoire à votre équipe, voici deux semaines, était le dixième d’affilée. Avez-vous un secret ?

Non. J’essaie de rester calme, concentré et je varie ma manière de tirer. Contre Nuremberg, mon envoi était relativement centré. Le gardien l’a d’ailleurs effleuré mais pas suffisamment pour le dévier. Je tirais déjà les penalties en Turquie. Mais à mon arrivée ici, il y avait d’autres tireurs désignés, et je n’ai commencé à les botter qu’il y a trois ans. Je pense qu’il faut surtout être sûr de soi tout en évitant de tomber dans l’excès inverse et d’être… trop sûr de soi.

Avez-vous été contacté par Anderlecht ?

( Ilrit) Non.

Mais par d’autres équipes ?

Pas cet été, mais précédemment, oui. J’ai été contacté par deux autres clubs de Bundesliga, dont l’un est devenu une valeur sûre. Je ne vois pas l’utilité de les citer. Entre-temps, j’ai déjà prolongé à deux reprises mon contrat à Mönchengladbach. Je suis désormais lié jusqu’en juin 2013, j’aurai alors 34 ans.

Georges Leekens vous a convoqué, la saison dernière, pour les matches au Kazakhstan et contre l’Autriche, mais vous avez refusé. Pourquoi, alors que votre poste pose problème en sélection ?

Je ne regrette pas ma décision. J’ai 32 ans et de nombreux jeunes joueurs de talent pointent le bout du nez. Si j’avais eu l’impression que je pouvais jouer un rôle important, j’aurais évidemment accepter de prêter main forte, comme le fait Timmy Simons. Mais si c’est pour jouer les dépanneurs, lorsqu’il y a des forfaits, et risquer de me retrouver en tribune à Astana, je préfère laisser ma place. Ce n’est pas avec moi que l’on va construire l’avenir. Ma blessure au genou, en été 2009, a sans doute aussi brisé mon élan chez les Diables. Et puis, il y a suffisamment de solutions pour le poste d’arrière gauche. « 

 » Dante et De Camargo étaient taillés pour la Bundesliga « 

Le Borussia rejoue les premiers rôles alors qu’il a fallu un barrage contre Bochum pour éviter la relégation, l’an passé. Comment expliquez-vous cette métamorphose ?

En Bundesliga, les années se suivent mais il est rare qu’elles se ressemblent. La saison dernière, des clubs comme Wolfsburg, Schalke 04 et le Werder Brême ont aussi dû lutter contre la relégation et n’ont assuré leur maintien qu’à quelques journées de la fin, alors que des équipes plus modestes comme Fribourg et Hanovre ont joué les premiers rôles. Les équipes se tiennent de très près et une bonne ou une mauvaise série de matches vous envoie vers le haut ou le bas du classement. Notre redressement s’est opéré fin février, début mars. On se trouvait avec un pied et demi en D2 et on a entamé une remontée spectaculaire. Cette saison, on a tout simplement continué sur notre lancée. L’effectif a peu changé et l’entraîneur est resté. Cette stabilité, qui nous a manquée les saisons précédentes, fait aujourd’hui notre force. Le club a fourni les efforts nécessaires pour conserver ses meilleurs joueurs, dont Marco Reus, très convoité.

Quels sont les mérites de Favre ?

Il a remis une organisation en place, a donné beaucoup de tactique et augmenté la charge de travail. L’an passé, au premier tour, on avait encaissé beaucoup trop de buts. On a resserré les boulons, et ce qui était notre point faible est devenu notre point fort. Lors des barrages contre Bochum, on a tenu le zéro à domicile (1-0) et on a partagé (1-1) là-bas. Et, cette saison, en huit matches, on n’a encaissé que quatre buts. Si on encaisse peu, ce n’est pas uniquement grâce au gardien ou aux défenseurs : chacun connaît son rôle. On forme un véritable bloc, sans pour autant attendre notre adversaire dans nos 16 mètres, car l’entraîneur insiste pour que l’on joue assez haut. Et devant, on parvient toujours à se créer l’une ou l’autre occasion…

Les nombreux buts encaissés, au premier tour de la saison dernière, ont coûté la place et entamé le crédit de Logan Bailly…

Il ne faut pas oublier que les six premiers mois de Bailly à Gladbach avaient été très bons. Il était très apprécié des supporters. Après, le vent a tourné, mais il ne peut pas avoir perdu toutes ses qualités. Sa défense ne l’a pas toujours aidé. C’est trop facile de mettre toute la responsabilité des buts encaissés sur le dos du gardien, même s’il a aussi commis des erreurs, dont celle contre Kaiserslautern qui lui a porté le coup fatal. Je ne comprends toujours pas ce qui lui est réellement arrivé. S’est-il laissé aller ? On a parlé de ses problèmes privés, aussi, mais je ne veux pas me mêler de cela. Je trouve que c’est un bon garçon, je lui ai d’ailleurs téléphoné pour lui souhaiter bonne chance lorsqu’il a signé à Neuchâtel Xamax. Ce serait très dommage de perdre un gardien avec un tel talent.

Comment se débrouille Dante ?

C’est devenu une pièce maîtresse. Il joue toujours comme défenseur central, même s’il peut aussi évoluer sur le flanc gauche. Dès le début, il s’est imposé. Cela ne m’étonne pas, je savais qu’il avait le profil pour la Bundesliga. Il montre du caractère : c’est un garçon très calme en dehors du terrain mais qui se donne à fond sur la pelouse. Dans les duels aériens, il est très fort. Techniquement aussi, il m’impressionne.

Et Igor de Camargo ?

C’est un joueur très important pour le club. Il a marqué des buts décisifs. La saison dernière, il a joué de malchance avec ses blessures. Cette saison encore, il a loupé l’un ou l’autre match, mais chaque fois qu’il joue, son apport est crucial. En plus de ses buts, il joue aussi un rôle de fixation non négligeable. Malgré les doutes que certains émettaient à son arrivée, j’ai directement su qu’il pouvait nous être très utile. Il est impressionnant physiquement et est capable de conserver un ballon.

 » Le Bayern est au-dessus du lot cette saison « 

La première place que vous avez occupée un moment, en ce début de saison, a dû donner des idées aux supporters : les belles années sont-elles revenues, le Borussia peut-il à nouveau viser le titre ?

C’est sans doute le rêve des supporters, mais ne nous emballons pas. Si l’on pouvait déjà lutter le plus longtemps possible pour une place européenne, ce serait bien. Sur les sept années passées ici, j’ai connu deux relégations et je n’ai jamais terminé plus haut que la 10e place. Même s’il y a chaque année des équipes-révélations en Bundesliga, il faut rester réaliste. Je n’oublie pas, non plus, que l’an passé Francfort avait engrangé 26 points lors du premier tour, puis s’était complètement effondré et avait fini par descendre. Je reste méfiant.

Et pour le titre ?

Le Bayern est trop fort. Il domine toute la concurrence de la tête et des épaules. Il ne faut pas enterrer trop tôt Dortmund et Leverkusen, et il faudra tenir compte d’équipes comme Brême et Stuttgart cette saison, mais les écussons devraient logiquement retourner en Bavière.

On sait que Munich organisera la finale de la Ligue des Champions. Le rêve du Bayern est de l’emporter. En croyez-vous les Bavarois capables ou les grosses écuries anglaises et espagnoles restent-elles hors de portée du meilleur club allemand ?

Les qualités sont là. Mais la longueur du parcours dépendra un peu du tirage au sort. Le Bayern a beau être très fort, s’il tombe sur Barcelone en huitièmes ou en quart de finale, il ne sera pas favori.

Le Bayern doit-il son redressement à Jupp Heynckes ?

Heynckes a sans doute remis le train sur les rails, oui. L’équipe n’a plus encaissé de buts en match officiel depuis huit ou neuf rencontres, c’est la griffe de l’entraîneur. L’apport du gardien Neuer n’est pas négligeable non plus.

Et Daniel Van Buyten ?

J’ai vu tout son match contre Manchester City en Ligue des Champions et je l’ai trouvé bon. Quand on se croise sur un terrain, on se salue. C’est aussi le cas avec Timmy Simons. Mais on ne s’appelle pas.

 » C’est Advocaat qui m’a fait venir « 

Avez-vous constaté une évolution de la Bundesliga en 7 ans ?

Le niveau s’est accru d’année en année. Les jeunes qui percent, allemands mais aussi étrangers, sont de grande qualité et me paraissent déjà très mûrs, beaucoup plus que les joueurs de ma génération l’étaient à 18 ou 19 ans. Le marquage individuel est révolu, la plupart des équipes jouent en zone. Le cliché qui veut qu’un match de Bundesliga se limite à courir durant 90 minutes devient obsolète également. Le niveau technique est désormais très élevé, même si l’intensité reste très présente.

L’apport des joueurs sud-américains et africains, de plus en plus présents, est-il réel ?

Sans doute, oui, même si l’on impose toujours un quota de joueurs formés au club dans l’effectif.

Contre qui avez-vous éprouvé le plus de difficultés ?

Jouer contre Arjen Robben, ce n’est jamais une sinécure. Le Péruvien de Schalke 04, Jefferson Farfan, reste aussi un joueur difficile à tenir.

C’est quoi, aujourd’hui, un match de Bundesliga ?

Il y a des mauvais matches et il arrive qu’une équipe plus faible  » ferme la porte « . Mais c’est rare. Généralement, ce sont des matches d’une grande intensité qui ne se terminent qu’à la 90e minute ou au-delà. Les périodes où l’on peut souffler sont rares. Pour un joueur qui vient du championnat de Belgique, l’adaptation pose cependant peu de problèmes, car l’engagement physique est l’une des marques de fabrique de la Jupiler League.

L’équipe nationale allemande est-elle le reflet de la Bundesliga ?

Même s’il y a trois joueurs qui évoluent désormais au Real Madrid, je pense qu’on peut répondre par l’affirmative. Il y a une ossature du Bayern Munich : Manuel Neuer, Philip Lahm, Holger Badstuber, Thomas Müller, Bastian Schweinsteiger, Toni Kroos, Mario Gomez. Ces joueurs ont donc l’habitude de jouer ensemble. Ce sont des joueurs de grande qualité qui n’ont pas peur de mouiller le maillot et de courir 90 minutes.

Avez-vous progressé ?

Oui : au niveau du positionnement, dans la manière de défendre. J’ai déjà connu de nombreux entraîneurs à Mönchengladbach, dont certains très réputés, et tous m’ont appris quelque chose.

Qui sont ceux qui vous ont marqué ?

Ce serait trop facile de répondre que Favre est le meilleur parce que c’est mon entraîneur actuel, mais il est à la fois correct et direct : je préfère cela à un entraîneur qui tourne autour du pot. J’ai aussi travaillé avec Dick Advocaat et Jupp Heynckes, par exemple. C’est d’ailleurs Advocaat qui m’a attiré ici, mais il n’est resté que trois mois, car les résultats n’ont pas répondu à l’attente. En peu de temps, je me suis toutefois rendu compte que c’était un entraîneur du top. Heynckes aussi, bien sûr, même si lui non plus n’a pas réussi à Gladbach. C’est un ancien joueur du club mais nul n’est prophète en son pays : on est descendu avec lui !

 » Poco a le profil pour la Bundesliga « 

En quoi correspondez-vous à ce que l’on attend d’un arrière latéral en Bundesliga ?

Au Lierse, j’étais connu pour ma condition physique et mes montées. J’ai conservé ces qualités. J’ai les capacités pour parcourir de longues distances. Je sais aussi montrer du caractère. Pour jouer plus haut qu’une équipe comme Mönchengladbach, il me manque sans doute un peu de technique, de qualité en général.

Un joueur comme Sébastien Pocognoli, qui apprécie aussi les montées, serait-il dans son élément en Bundesliga ?

A mon avis, oui. Il a complètement le profil.

Les entraînements sont-ils aussi éprouvants qu’on le dit ?

Cela dépend des entraîneurs. Avec Favre, la préparation a été plus tactique que physique. On a mis la défense au point, on a beaucoup travaillé les phases arrêtées, et avant chaque week-end on analyse très attentivement la manière de jouer de l’adversaire. La préparation a été très agréable. On a très peu couru au bois, la plupart des entraînements se donnaient avec ballon, et pourtant on était prêts physiquement. L’entraîneur avec lequel j’ai sué le plus, ici, était Michaël Frontzeck : la préparation avait duré neuf semaines, du jamais vu, et je n’ai jamais couru autant. Mais les entraînements les plus durs, c’est sans doute en Turquie que je les ai connus : sous la direction d’Ersun Yenal, que j’ai côtoyé pendant deux ans et qui a été l’entraîneur de l’équipe nationale. La préparation, c’était un mois de stage : d’abord deux semaines dans les montagnes turques, puis deux semaines aux Pays-Bas ou en Autriche. Parfois trois entraînements par jour, incroyable !

Existe-t-il encore des stades vétustes en Allemagne, comme on en trouve en Belgique ?

Non. Sankt-Pauli ? Le club est descendu, mais le stade a été modernisé. Mayence avait aussi encore un petit stade la saison dernière, mais joue désormais dans un stade flambant neuf. Les stades allemands sont modernes partout et leur taux de remplissage est souvent proche de la capacité maximale.

La saison dernière, Mönchengladbach était le moins bien rempli :  » seulement  » 85 % en moyenne…

Cela fait tout de même plus de 40.000 spectateurs. Mais on a connu une saison difficile, il est logique que les supporters étaient moins enthousiastes. Lorsqu’on a entamé notre redressement, le public est revenu. Lorsque le Borussia Park est plein, c’est impressionnant.

PAR DANIEL DEVOS- PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Les jeunes qui percent aujourd’hui en Bundesliga sont déjà mûrs  »  » J’ai joué mon premier match à Dortmund devant 82.000 spectateurs… « 

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