» J’AI PLUS VU LE STANDARD QUE MA FAMILLE « 

Il est de plus en plus rare de tomber à la fois sur un joueur, supporter et historien d’un club. Avant la venue d’Anderlecht, Réginal Goreux évoque une flamme qu’il est impossible d’éteindre.

« Un enfant ne perd jamais le chemin de la maison.  » Ce tweet, illustré par le temple des Rouches, Réginal Goreux l’avait envoyé le 31 juillet dernier. Il faudra attendre un peu plus d’un mois pour que ce mariage de raison se concrétise sous forme d’un contrat jusqu’en juin prochain. L’international haïtien n’a jamais véritablement quitté le Standard, même son exil quelque peu forcé mais rémunérateur en Russie, n’avait réussi à l’écarter de ses couleurs rouge et blanc.

Car Réginal Goreux est l’un des derniers représentants de ces footballeurs à l’ancienne pour qui un club, son histoire et son identité, représentent encore quelque chose. Un joueur qui connaît aussi bien ses patrons que les petites mains du club ou ses supporters les plus chauds. Une interview qui a bien été réalisée en 2015 à l’heure où embrasser le blason ne veut plus dire grand-chose…

A partir de quand as-tu imaginé revenir au Standard ?

RÉGINALGOREUX : Dès la fin du mois de juin, lors du changement de direction, j’ai alors pris contact avec Bruno Venanzi. Revenir au Standard sous Duchâtelet, ça n’aurait pas été possible. Quoiqu’on ne sait jamais avec lui…

Tu considérais la prise de pouvoir de Bruno Venanzi comme une bonne chose pour le club ?

GOREUX : Oui. C’est en tout cas quelqu’un qui aime ce club et qui aime ceux qui comme lui ont un lien très fort avec le Standard. Ce n’est peut-être pas indispensable dans le foot mais ça peut être un plus.

Lucien D’Onofrio n’était pas supporter du Standard et ça a quand même bien fonctionné…

GOREUX : Il en est tombé amoureux avec le temps. Mais être attaché à un club, c’est une arme à double tranchant. Mais on peut être sûr d’une chose : Venanzi va se battre pour ses couleurs.

Ce qui expliquerait pourquoi les supporters sont restés calmes après la défaite face à Westerlo, synonyme de lanterne rouge.

GOREUX : Oui, sûrement. Je remarque que les supporters sont aujourd’hui plus patients. Et même si leur patience a des limites (il rit)… Il y a peut-être eu trop d’enthousiasme chez notre président mais il sait ce qu’il fait, et c’est tout sauf un idiot. Quand j’ai discuté une première fois avec lui en juin, on a parlé de beaucoup de choses, du sportif comme de l’extra-sportif, il était déjà intéressé par mon profil. Si ma signature a pris du temps, c’est parce qu’il fallait attendre le départ de plusieurs joueurs et aussi à cause de la concurrence au poste de back droit.

 » ON EST TOUJOURS EN PHASE DE GUÉRISON  »

Quelle a été la nature de ta discussion avec Yannick Ferrera ?

GOREUX : Ce fut très bref et très clair ; il connaissait mes qualités sur le terrain et dans un vestiaire. On s’est vite compris.

Tu as débarqué dans un club et une équipe malades. Quel fut ton premier diagnostic ?

GOREUX : J’ai surtout joué un rôle d’observateur quand j’ai rejoint l’équipe. Et je ne peux pas parler de ce qui s’est passé plus tôt cette saison sous Slavo Muslin mais j’ai pu rapidement m’apercevoir que l’équipe était dans le trou. Toutes les équipes connaissent des périodes de méforme, même le Barça qui ne gagne alors plus que 1-0. Au Standard, par contre, quand ça ne va pas, cela prend des proportions énormes. C’est la première fois depuis très longtemps que le club connaît des résultats aussi difficiles. Mais on voit qu’on est en train de remonter la pente même si dimanche à Saint-Trond, le marquoir fut une nouvelle fois décevant. On est toujours en phase de guérison.

Pourquoi es-tu autant attaché à ce club ?

GOREUX : J’ai plus vu le Standard que ma famille. Et la ferveur qu’il y a dans ce club est unique. C’est le club le plus important de Wallonie et son plus grand club de supporters est basé en Flandre. J’ai grandi dans un club historique, qui a plus de 100 ans, qui a un passé riche, qui est revenu au premier plan à l’époque de Robert Louis-Dreyfus et qui était dirigé aussi par un ancien agent mondialement connu. C’est un tout. Il m’est difficile de définir cet esprit Standard mais je reconnais très vite ceux qui collent à la mentalité du club. Benjamin Nicaise, par exemple, la personnifiait dès son arrivée : une personne abordable, sincère, et un salopard sur le terrain. Quand Mohamed Sarr a débarqué en provenance d’Italie, le Standard était totalement inconnu pour lui. En trois mois, son attitude avait changé, il était complètement imprégné par ce club. Un joueur qui bosse et qui se donne à chaque fois à 100 %, peu importe le club, il sera toujours bien vu. Mais au Standard il sera encore mieux vu.

Quelle est la différence avec un club comme Anderlecht ?

GOREUX : Anderlecht est une machine de guerre : au niveau infrastructures, culture de la victoire, l’équipe, tu vois qu’ils sont en place, c’est plus froid. Et le Standard, c’est le reflet opposé, c’est un club latin. Le fait que des coaches roumains comme Boloni ou Rednic collaient parfaitement à l’esprit du club, ce n’est pas anodin. Même chose avec Yannick Ferrera qui est aussi un coach à l’image de ce club. Ce sont tous des types qui ont faim de foot, qui te rentrent dedans.

Yannick Ferrera entre dans cette catégorie ?

GOREUX : Bien sûr. C’est un dingue de foot, on le remarque rien qu’à ses préparations d’entraînements, qui sont méthodiques, tout est orienté en fonction d’un objectif bien précis. Les observateurs extérieurs ne le voient peut-être pas mais il y a une évolution au fil des semaines, même si c’est loin d’être parfait.

 » ON NE DEVIENT PAS UN LEADER, ON A ÇA EN SOI  »

Sa sortie sur  » les gamins de merde  » ne l’a- t-elle pas fragilisé au sein du groupe ?

GOREUX : Non. Ça choque les médias mais il y a des choses bien pires qui se racontent dans un vestiaire. Et apparemment, puisque je n’avais pas encore intégré l’équipe première, ce qu’il a balancé à la presse, il l’avait dit en face aux joueurs.

Le Standard va-t-il connaître une saison de transition ?

GOREUX : C’est un terme qui devrait être proscrit dans un club comme le Standard. C’est une saison difficile au niveau de la mise en place mais il y a moyen de limiter la casse et de se retrouver dans le top 6. Et on doit arriver à démarrer la saison suivante avec l’ambition de jouer le titre. Quand on se rappelle la saison 2010-2011, on s’est qualifié de justesse pour les play-offs et, au final, on gagne la coupe et on est à deux doigts d’être champion. Sur la fin, les joueurs ont su mettre leurs objectifs individuels, comme celui de décrocher un transfert, au service du collectif, et ça a donné un retour en trombe. Il peut se passer encore beaucoup de choses.

C’est aussi une époque où le vestiaire était explosif.

GOREUX : C’était chaud, souvent tendu. En période de stage, particulièrement, ça s’attrapait quasiment tous les jours sur le terrain. Et aujourd’hui, je sens que les mentalités changent, il y a à nouveau plus d’agressivité à l’entraînement. De toute façon balancer que c’était mieux avant, ça n’a pas de sens.

Ta venue est motivée notamment par le fait que tu connais le club et que tu peux être le leader d’un vestiaire qui en manque. Tu as toujours été un meneur d’hommes ?

GOREUX : Oui, c’était le cas déjà en jeunes. On ne devient pas un leader, on a ça en soi. Mon seul but a toujours été de gagner.

C’est le but de tout le monde…

GOREUX : Bien sûr. Mais j’essaie de transmettre cette envie aux autres. Il m’arrivait de sortir des articles de presse pour motiver les joueurs ou de tenir un discours parfois dur pour les booster. Être un leader, ce n’est pas uniquement gueuler mais aussi essayer d’arranger les choses, tenter de crever l’abcès quand il y a des tensions dans un vestiaire. Bruno Venanzi attend de moi que j’apporte un plus sur le terrain comme en dehors. Il faut un peu d’ordre, mais je ne débarque pas non plus en gendarme.

Une bonne attitude à l’entraînement, ça rapporte souvent plus qu’une gueulante. Dans mon discours en avant-match, je ne la ramène pas avec ce qui s’est passé avant au Standard. Après, en privé, par contre, il est possible que j’évoque mon vécu, ce que je connais de ce club. C’est une forme de transmission. Quand on l’a emporté à Charleroi, pas mal de joueurs se sont rendu compte de ce que ça représentait, le Standard.

 » LES ULTRAS ONT CONTRIBUÉ À L’AURA DU CLUB À L’ÉTRANGER  »

Voir les ultras qui débarquent la veille à l’entraînement, ça a dû les conscientiser.

GOREUX : On en revient à cette image de club latin. Ce sont des pratiques que l’on connaît dans les clubs italiens, grecs, etc. Ce n’est pas dans tous les clubs que tu vois 40 gars débarquer et te rentrer dedans à l’entraînement.

Tu as joué ce jour-là le rôle d’interface avec les supporters ?

GOREUX : Non je les ai laissé discuter avec les joueurs car je n’avais pas encore disputé une minute.

Mais tu restes très proche des supporters et notamment des plus chauds.

GOREUX : J’ai toujours communiqué avec plusieurs membres des ultras mais ils ne représentent qu’une partie du stade. Et d’ailleurs j’ai été pris en grippe à l’époque par une autre partie. Je ne peux pas plaire à tout le monde. Tant mieux d’ailleurs. Je suis content de ne m’être jamais prostitué pour me faire bien voir aux yeux de tout le monde. C’est impossible pour moi. Et je ne vais jamais embrasser le maillot. Je n’ai pas besoin d’embrasser le maillot pour montrer que j’aime ce club.

Par contre tu t’empares du drapeau à la fin du match.

GOREUX : C’était Charleroi, ça avait une valeur spéciale pour les supporters. Je crois qu’aujourd’hui cette rivalité est aussi forte que celle envers Anderlecht.

Tu es touché d’être supporté par un public aussi passionné ?

GOREUX : Ça touche tout le monde. Celui qui dit le contraire, il ment. Leurs tifos, l’ambiance qu’ils mettent dans le stade, cela contribue à l’aura du club à l’étranger. Quand on a disputé la Ligue des Champions en 2009, de nombreux observateurs étrangers avaient souligné cette ferveur.

Lors du deuxième titre du Standard, du balcon de l’hôtel de ville, tu avais chanté un chant  » anti-Anderlecht « . Plus de six ans plus tard, tu regrettes cet épisode ?

GOREUX : Regretter, ça ne fait pas partie de mon vocabulaire. C’est un dérapage, rien de plus. Mais est-ce que les supporters d’en face pensent à nous, à nos familles quand ils chantent des chants haineux ? Non. Pourquoi je devrais me soucier d’eux ?

Est-ce que le footballeur n’a pas un rôle d’exemplarité ?

GOREUX : Si. On doit surtout se rendre compte de la chance qu’on a et on doit se montrer exemplaire sur un terrain tout en réalisant que c’est un sport d’hommes et qu’on doit aller au combat.

Yohann Thuram est devenu la tête de turc du public. Comment vit-il ces événements ?

GOREUX : C’est une période difficile pour lui, mais il garde tout en lui. C’est un homme, un guerrier. Si demain je devais aller à la guerre, je le prendrais directement.

 » JE SAIS QUE JE NE PLAIS PAS À TOUT LE MONDE  »

Vu votre situation, vous n’avez pas peur de rencontrer Anderlecht ?

GOREUX : Si tu as peur, tu ne joues pas. On sait qu’ils sont chauds. Mais ils ont deux bras-deux jambes comme nous.

Vous pourriez profiter d’un excès de confiance de leur part ?

GOREUX : C’est aussi leur point fort. Chez les jeunes, c’était déjà comme ça. Quand tu les voyais débarquer, tu voyais que c’était Anderlecht qui arrivait. Ils étaient sûrs d’eux. Nous aussi, on avait notre propre style, plus agressif. Anderlecht, c’est la bourgeoisie, nous c’est plus ouvrier. Des jeunes aux plus grands.

Tu comprends les nombreux ex-joueurs du Standard qui sont passés par Anderlecht ces dernières années ?

GOREUX : C’est le monde du foot. Et les supporters ne sont pas dupes non plus même s’il y a des transferts qui font plus mal que d’autres.

Notamment celui de Defour avec qui tu es resté ami. Comment tu as perçu son passage chez le rival ?

GOREUX : Ça correspond à une période difficile pour lui à Porto, où il ne jouait pas tout le temps. Et il devait retrouver du temps de jeu pour garder ce statut d’international. Le deal au Standard ne s’est pas fait, à Anderlecht oui. C’est peut-être une chance sportivement. Tant mieux pour lui. Ça reste un ami mais si dimanche, je dois lui rentrer dedans, je n’aurai aucun scrupule à le faire. Et je sais que pour lui ce sera la même chose. On va se chauffer avant le match mais sur le terrain, il n’y aura plus d’amis.

Le tifo de l’an dernier, comment l’a-t-il vécu ?

GOREUX : Ça lui a un peu cassé les couilles. Son sourire, c’était sa manière de répondre. De toute façon, je sais que mentalement, il est assez fort pour passer au-dessus de ça.

Ça ne te surprend pas d’entendre Cyriac dire qu’il regrette d’avoir quitté le Standard pour Anderlecht ?

GOREUX : C’est quand tu quittes ce club que tu te rends compte à quel point, tu es bien au Standard. C’est un club chaleureux où tu as des vrais supporters, tu joues dans un vrai stade, tu es payé à temps et en heure, et tu évolues dans de superbes infrastructures.

Tu estimes être chanceux de retrouver ton club ?

GOREUX : Oui. Je m’identifie au Standard mais dans un club même si tu as beaucoup d’alliés, tu as des ennemis. En interne, je sais que je ne plais pas à tout le monde. Avoir de la personnalité, ce n’est pas toujours bien vu. Et même si le club avait ramené un Witsel, certains au club n’auraient pas vu son arrivée d’un bon oeil.

Tu t’imagines terminer ta carrière au Standard ?

GOREUX : Oui. Sauf si je reçois une offre mirobolante de Mars ou de Jupiter…

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Si je devais aller à la guerre, je prendrais Thuram avec moi.  » – RÉGINAL GOREUX

 » Je n’ai pas besoin d’embrasser le maillot pour montrer que j’aime ce club.  » – RÉGINAL GOREUX

 » Defour reste un ami, mais si dimanche je dois lui rentrer dedans, je n’aurai aucun scrupule à le faire.  » – RÉGINAL GOREUX

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