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 » J’ai Marseille dans le sang « 

Après un parcours atypique et chaotique, Faïz Selemani (26 ans) se voit offrir une nouvelle opportunité en D1, à Courtrai. L’international Comorien vise une place en finale de la Coupe de Belgique. Monologue d’un mec en quête de revanche.

Faïz Selemani:  » Jouer la finale de la Coupe, ce serait super. Mais on n’en est pas encore là, car l’Antwerp est un adversaire difficile. Avec un match retour sur notre terrain, tout est possible, mais la qualification dépendra du résultat du match aller. Pour moi, ce serait un rêve, en tout cas.

Je suis né à Marseille, dans une famille originaire des Comores. On était quatre enfants et ma mère était femme au foyer. Mon père était chauffeur poids lourds. Il veillait aussi à la sécurité au stade de l’Olympique de Marseille. On était tous supporters de l’OM. La famille et les amis venaient voir les matches chez nous à la télévision. On habitait à Saint-Marcel, un petit quartier. C’est là que j’ai commencé à jouer au football. J’ai longtemps joué à un niveau inférieur, mais j’ai toujours cru qu’un jour, je deviendrais pro. À l’âge de 18 ans, alors que je jouais à l’AS Mazargues, le club d’un quartier voisin, j’ai été repéré par l’OM. J’y ai fait des tests en défense centrale et j’ai été transféré en U19. Porter le maillot de l’OM, c’était un rêve d’enfance. Mais un an plus tard, je devais partir. J’étais très déçu.

Lorsque le tribunal a donné raison à la fédération, je voulais rentrer chez moi, je n’en pouvais plus.  » Faïz Selemani

Grâce à un ami, je me suis retrouvé en équipe première du FC Côte Bleue, un petit club amateur de Marseille. La première saison fut difficile, car j’étais blessé mais la deuxième s’est très bien passée. J’étais arrière central et parfois arrière droit, en 3-5-2. C’est ainsi que j’ai pu signer un contrat semi-professionnel à Marseille Consolat, un club de troisième division. Là aussi, les débuts ont été difficiles, car je ne jouais pas beaucoup. Mais le directeur sportif, d’origine comorienne lui aussi, m’a beaucoup soutenu. Et après un certain temps, j’ai commencé à bien jouer, comme milieu droit. À la fin, j’ai signé mon premier vrai contrat pro avec Niort, un club de D2. J’y suis vite devenu titulaire et après une saison, j’ai signé un contrat de quatre ans à Lorient, en Ligue 1. Mes rêves se réalisaient les uns après les autres.

C’est alors que les ennuis ont commencé. À Lorient, je ne suis monté que trois fois au jeu, au poste d’arrière droit. Dont une fois au Stade Vélodrome, devant toute ma famille et mes amis. C’est mon plus beau souvenir à Lorient. La première saison, après le Nouvel An, j’ai été prêté à Tours, un club de Ligue 2. La deuxième saison, alors que les Merlus étaient descendus, j’ai été prêté à Ajaccio, qui évoluait aussi en Ligue 2. Nous avons terminé troisièmes, devant Lorient, mais quand j’y suis retourné, on m’a mis dans le noyau B. Je ne m’entendais pas avec l’entraîneur, Mickaël Landreau. Il estimait que tactiquement, je n’étais pas suffisamment fort pour jouer au back droit, car je ne sortais pas d’un centre de formation. Mais personne ne travaillait mes points faibles. »

CARACTÈRE

 » En France, plus personne ne s’intéressait à moi. On m’avais collé une étiquette de mauvais garçon. J’ai compris les erreurs que j’avais commises à Lorient, les bêtises que je faisais quand les choses ne tournaient pas comme je le souhaitais. En fait, je suis quelqu’un de très calme, j’aime m’amuser et j’ai bon fond, mais quand quelque chose me contrarie, je suis nerveux. Je pense que j’ai Marseille dans le sang (il rit). Quand ma nervosité prend le dessus, il est difficile de me calmer. Si je pense être victime d’une injustice, je monte rapidement dans les tours.

À Lorient, je ne comprenais pas pourquoi on ne me donnait pratiquement pas ma chance, pourquoi je me retrouvais sur le banc, même après avoir bien joué. Pour moi, c’était une forme d’injustice. Le football est ma passion et quand je me sens coincé, je fais parfois des choses que je ne devrais pas faire, comme dégager le ballon. C’est plus fort que moi.

Finalement, c’est Alex Hayes qui m’a amené à l’Union. Il me connaissait de Lorient, il connaissait mon caractère et il ne voulait pas que je répète les mêmes erreurs. Sans quoi selon lui, j’aurais éprouvé des difficultés à retrouver un club. C’est quelque chose que j’ai travaillé avec l’aide d’un coach mental, Gilles Sero. Je lui ai raconté mon histoire et j’ai beaucoup parlé avec lui. Il m’a aidé à canaliser mon énergie négative et à la transformer en énergie positive plutôt que de me mettre en colère. Je suis mauvais perdant, même à l’entraînement. Si un arbitre ne siffle pas une faute commise sur moi, je peux m’énerver très fort. Gilles Sero m’a aidé à me concentrer sur mes objectifs, à préparer mes matches et à ne pas me laisser sortir de la partie.

Faïz Selemani:
Faïz Selemani:  » Je ne suis plus le Faïz d’avant. « © BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

Il est aussi important que, quand je sens que quelque chose ne va pas, on puisse en parler. Luka Elsner et son adjoint ont joué un rôle crucial. Quand quelque chose n’allait pas, j’allais les voir et on en parlait. Cela m’a permis d’évoluer, d’éviter de commettre les mêmes erreurs que par le passé et de livrer ma meilleure saison. J’ai aussi compris que ce n’était pas toujours la faute des autres mais souvent la mienne.

Le problème, c’est que je voulais prouver le plus vite possible que j’étais suffisamment fort pour jouer en D1. Le prouver aux autres, mais aussi à moi-même. Alors au moindre incident, je m’énervais. Mais pas la saison dernière : j’ai atteint tous mes objectifs. J’ai fait preuve d’une bien meilleure mentalité et mon jeu a évolué. J’ai inscrit 17 buts et délivré dix assists. Ce fut une très bonne saison pour moi et pour le club, grâce au staff et aux joueurs. Mon succès, je le dois à la confiance des autres. À l’Union, personne ne m’a jamais dit que je n’étais pas issu d’un centre de formation et que ça posait problème. On a bien travaillé avec moi et ça m’a aidé à progresser. »

Mon objectif, c’est de démontrer que je peux jouer plus haut. Ce que j’ai vécu m’a fait évoluer. Je ne suis plus le Faïz d’avant.  » Faïz Selemani

BUSINESS

 » Quand il m’a amené à l’Union il y a un an et demi, Alex Hayes m’a promis que si je livrais une bonne saison, je pourrais partir en D1. Il a été licencié en janvier mais le président m’a rassuré : si je donnais tout jusqu’au bout, il ne me retiendrait pas. Ça me motivait : je voulais faire mes preuves en D1B pendant un an puis jouer en D1A. J’avais 26 ans et plus de temps à perdre. Rester une saison de plus, c’était freiner mon évolution.

Mais l’Union n’a pas tenu parole et m’a bloqué. Courtrai et Caen étaient intéressés, mais Philippe Bormans ( le CEO, ndlr) réclamait deux millions d’euros. J’ai coûté 250.000 euros, on m’avait promis que je pourrais partir si je donnais tout, j’ai contribué à la saison fantastique de l’Union en marquant 17 fois et en délivrant dix passes décisives et c’est comme ça qu’on me remerciait ? Je n’en revenais pas. Je trouvais ça injuste. L’Union ne pensait qu’à ses intérêts. Ça m’a dégoûté et démotivé. Je suis devenu incontrôlable, je m’entraînais mal et je me suis disputé avec l’entraîneur, qui estimait que je perturbais la préparation du match contre Lokeren. Le lendemain, quatre hommes d’une firme de sécurité sont venus m’empêcher de m’entraîner. La police m’a obligé à vider mon armoire et à partir. On m’a dit que si je tentais de revenir au centre d’entraînement, on me mettrait les menottes. Pour moi, c’était fini. Qui traite encore son personnel de la sorte ? C’est du jamais vu !

J’ai donc rompu unilatéralement mon contrat. Avec un peu d’humanité, on aurait trouvé une autre solution mais le problème, c’est que certains considèrent le football comme du business, qu’ils oublient l’aspect humain.

Quand la fédération a dit que je n’étais pas qualifié, je me suis demandé comment il était possible qu’elle accepte qu’un club traite un joueur de la sorte. Je trouvais ça très bizarre. C’était très difficile à vivre, pour moi comme pour ma famille. De plus, on me faisait à nouveau passer pour un mauvais gars, alors que grâce à mes prestations et à mon comportement, j’avais réussi à me débarrasser de cette étiquette pendant la saison. Lorsque le tribunal a donné raison à la fédération, je me suis senti impuissant, au point d’appeler mon agent et de lui dire que je ne jouerais plus cette saison. Je voulais rentrer chez moi, je n’en pouvais plus. C’en était trop. Mais mon entourage, ma famille et mes amis m’ont aidé à me reprendre.

En appel, j’ai obtenu gain de cause. Une excellente nouvelle. Je l’ai apprise au lendemain d’un séjour en équipe nationale où j’avais repris confiance. On avait gagné au Togo et j’avais marqué, puis on a fait match nul contre l’Égypte. J’y pense encore souvent.

Pendant quatre mois, je me suis entraîné sans jouer et sans être payé. Certains jours, ça n’allait pas, mais avec le soutien du coach et de mes équipiers, j’arrivais à laisser mes problèmes de côté, à tenir le coup et à faire mes preuves à l’entraînement. Après avoir inscrit le but de la victoire à Eupen juste avant le Nouvel An, j’étais soulagé.

Mon objectif, à présent, c’est de démontrer que je peux jouer encore plus haut. Je suis prêt. Ce que j’ai vécu m’a fait évoluer. Je ne suis plus le Faïz d’avant. Et je suis content de l’homme que je suis devenu. »

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