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 » J’ai l’impression d’être en plein milieu de ma carrière « 

Une longue parlotte avec l’attaquant gantois juste avant les deux matches contre l’AS Rome.  » Deux bons tests en prévision des play-offs.  » Et le titre, on en parle ?

Gand a rapatrié Laurent Depoitre d’Angleterre l’été dernier pour faire tourner ses compteurs. Alors, le grand le fait. Déjà une petite dizaine de buts en championnat, trois en tours préliminaires de l’Europa League, quatre en phase de groupes. Bref, par rapport à son premier séjour dans ce club (2014-2016), il n’a pas beaucoup changé. Et le club, il a changé ?

LAURENT DEPOITRE : Pas tellement. J’ai l’impression d’avoir retrouvé l’environnement que j’avais quitté, presque dans le même état. Il y avait beaucoup de qualité dans le noyau quand je suis parti, presque tous les joueurs ont été remplacés mais il y a de nouveau plein de talent. Les deux grands changements, finalement, c’est le nouveau complexe d’entraînement et les ambitions. Le titre de 2015 a modifié la mentalité à tous les étages du club. À l’époque, c’était inattendu, c’était arrivé un peu par hasard. Je ne sais pas si les gens s’en souviennent, mais un an avant de jouer le titre, au moment où je suis arrivé, Gand jouait les play-offs 2. Aujourd’hui, le titre, c’est un but, et à court terme. Comme un bon parcours en Coupe d’Europe. Gand veut vraiment s’installer comme un club du top qui vise régulièrement un trophée. Alors, la direction s’en donne les moyens. Les patrons voient plus grand qu’il y a cinq ans.

Je discute parfois avec des gars de 30 ans qui sont devenus pros à 18 et qui ont à la limite envie que ça se finisse. Je ne suis pas du tout dans cette optique.  » Laurent Depoitre

Quand tu parles de rejouer le titre à court terme, tu penses déjà cette saison ?

DEPOITRE : Pft… (Il réfléchit). Si on est réaliste, ça va être difficile. Par contre, la deuxième place est largement à notre portée. On doit être dans l’optique qu’on se satisfera de la deuxième place en se disant que ça vaut la peine de se battre pour espérer faire mieux que ça ! On doit essayer de rêver ! Tu ne sais jamais comment ça peut se passer dans les play-offs. Quand on a été champions, personne n’y croyait au moment où ils ont commencé, personne ne nous citait comme candidats au titre, il n’y en avait que pour Bruges et Anderlecht, ils prenaient toute l’attention. Mais on l’a fait.

 » Je sais que j’ai marqué pour toujours l’histoire de Gand  »

Tu crois que Bruges peut avoir un creux, avec son énorme noyau ?

DEPOITRE : Depuis quelques semaines, on voit que même dans les matches où ils sont moins bien, ils arrivent à prendre des points. Ça confirme que ça va être difficile ! Bruges est le favori, Gand n’est que l’outsider mais on doit y croire. Et puis, c’est plus confortable comme position, je trouve. C’est parfois plus facile de suivre la locomotive que d’être la locomotive… Je vois aussi qu’on produit du beau jeu depuis plusieurs semaines, qu’on continue à progresser, qu’on arrive à gagner des matches à l’extérieur alors que c’était un de nos soucis. Mais bon, Bruges partira avec une certaine marge, on le sait déjà.

Pour avoir une bonne chance, vous devriez être à combien de points, maximum, au début des play-offs ?

DEPOITRE : Trois ou quatre points après la division, ce serait bien. Là, on aurait quelque chose à faire.

Ça t’a aidé d’avoir le crédit d’un ex-champion en revenant ici ?

DEPOITRE : J’avais du crédit, c’est sûr. Parce que les gens de Gand n’ont rien oublié du titre. Je sais qu’avec d’autres joueurs, avec Hein Vanhaezebrouck, j’ai marqué pour toujours l’histoire du club. D’un autre côté, j’avais aussi une belle pression. J’ai été un buteur de la plus belle année de Gand, on attendait que je le redevienne vite. Quand tu reviens dans un club où tu as été champion, il y a du positif et du négatif.

Entre Hein Vanhaezebrouck et Jess Thorup, tu pourrais faire le jeu des sept différences ? Ou alors ils se ressemblent trop pour ça ?

DEPOITRE : Je ne dirais pas qu’ils sont semblables. Maintenant, trouver sept grandes différences, c’est beaucoup… La principale différence, pour moi, c’est leur façon de se comporter face au groupe, leur comportement au quotidien. Thorup est beaucoup plus calme, posé. Il ne réagira jamais à chaud comme Vanhaezebrouck. Lui, il provoquait aussi. Il n’avait pas peur de faire des déclarations qui mettaient le feu. Ils sont aussi différents dans leur management des joueurs. On se sent plus protégés par Thorup. Vanhaezebrouck pouvait être cash quand quelque chose ne lui plaisait pas et, à ce moment-là, tu dois être costaud dans la tête, capable de gérer sans perdre tes moyens et ta confiance. Son but n’était pas de nous casser, il voulait qu’on prenne ses remarques positivement, qu’on les analyse, pour que ça nous aide à devenir meilleurs. Mais pour certains, c’était difficile.

On a l’impression que Thorup est la force tranquille alors que Vanhaezebrouck passait son temps à vous mettre sous pression, tout le temps.

DEPOITRE : Oui, clairement, ce n’est pas la même approche. On sentait plus de pression avec Vanhaezebrouck.

 » Jouer avec un autre attaquant, je ne l’avais jamais fait chez les pros  »

Et au niveau du style de jeu, tu vois quelles grandes différences ?

DEPOITRE : Tous les deux, ils ne pensent qu’à un foot offensif. Mettre la pression constamment, essayer de récupérer des ballons très haut, être dominant, avoir la possession, se créer le plus d’occasions possible. Thorup nous demande rarement de rester derrière et d’attendre l’adversaire, Vanhaezebrouck ne le faisait pas non plus. Pour un attaquant, c’est beaucoup plus agréable quand tout le monde se projette vers l’avant, plutôt qu’une équipe qui passe son match à attendre une erreur de l’adversaire.

La saison du titre, tu étais tout seul devant. Maintenant, tu as quelqu’un près de toi, le plus souvent Yaremchuk. Ça change quelque chose ?

DEPOITRE : Je t’avoue que c’est tout nouveau. Parce que depuis que je suis professionnel, j’avais toujours joué tout seul devant ! À Ostende, à Gand, à Porto, à Huddersfield. Partout, c’était dans un système avec une seule pointe. Je ne sais pas ce que je préfère. En tout cas, je ne suis pas encore tout à fait habitué. J’ai parfois du mal à trouver mes marques, à faire les bons mouvements. Je dois faire des courses différentes, être plus patient aussi. Je touche moins de ballons que quand j’étais seul. Il arrive qu’on se marche un peu sur les pieds. On a le même instinct de numéro 9, donc il arrive qu’on se retrouve tous les deux au même endroit. On travaille là-dessus, ça s’améliore petit à petit.

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Quand on est le seul avant d’une petite équipe comme Huddersfield, ça ne doit pas être simple tous les jours ? Ton entraîneur te disait de te débrouiller ?

DEPOITRE : C’était un peu ça, oui. Huddersfield jouait fort défensif. Le coach ne le disait pas avec ces mots-là mais l’objectif était de ne pas prendre de but. La plupart du temps, on défendait, on attendait l’adversaire, toute l’équipe coulissait, moi je courais dans tous les sens. Dans certains matches, on jouait sans flanc. C’était une pointe, un numéro 10, trois numéros 6. C’est difficile pour un attaquant de s’épanouir et de prendre du plaisir dans un football comme ça. Parfois, je récupérais le ballon dans mon camp, et d’un coup, j’avais devant moi trois défenseurs de Liverpool ou de City… Pas évident.

Un nouveau titre, c’est un but, et à court terme.  » Laurent Depoitre

 » Je n’ai pas encore retrouvé mon niveau de la saison du titre  »

Tu te situes où aujourd’hui par rapport à ton niveau pendant la saison du titre ?

DEPOITRE : Je me suis remis assez vite dedans. Après, je pense que je peux mieux faire, que j’étais meilleur il y a cinq ans. Je me trouve assez emprunté certains jours. J’ai l’impression que j’étais plus important pour l’équipe, plus impliqué, parce que je touchais plus de ballons. Je dois être satisfait, je mets des buts, en championnat, en Europa League, mais les tâches offensives sont plus partagées que l’année du titre.

À la trêve, tu étais à 58 % d’envois cadrés. Personne ne fait mieux en Belgique.

DEPOITRE : Je n’étais pas au courant. Mais bon, moi, les chiffres, les stats, ce n’est pas trop mon truc.

Tu es ingénieur, donc a priori un homme de chiffres…

DEPOITRE : C’est peut-être justement pour ça que je ne m’intéresse pas trop aux statistiques dans le football. Parce que j’ai appris que les chiffres, on peut leur faire dire ce qu’on veut. On peut les interpréter de plein de façons, les tourner dans tous les sens. Pour comprendre au final qu’ils ne veulent pas dire grand-chose. Avec des chiffres, tu peux mentir. Des stats comme les buts et les passes décisives, ça m’intéresse. Le reste, pas trop. Tu peux avoir la possession et perdre le match, par exemple. Il y a plein d’autres facteurs à prendre en compte quand on analyse un joueur ou une équipe.

 » Jonathan David sait où il va et il va monter très haut  »

Tu joues tout près du nouveau phénomène du foot belge, Jonathan David. Comment tu le définirais en quelques mots ?

DEPOITRE : Un talent précoce. Avoir autant de maturité dans le jeu et de sang-froid à son âge, c’est rare. Il a un peu toutes les qualités de l’attaquant moderne. Il défend beaucoup, il fait beaucoup d’efforts, il n’est jamais fatigué, il a une condition d’enfer, il est très rapide, il dribble facilement, il a une très bonne vision du jeu,… Et tu vois qu’il garde les pieds sur terre, ce qu’on ne retrouve pas nécessairement chez tous les jeunes un peu foufous ! Il sait où il va, il va réussir, il va monter très haut, j’en suis sûr.

Tu lui conseillerais de partir à la fin de la saison ou d’attendre encore un peu ?

DEPOITRE : Si on se qualifie pour la Ligue des Champions, ça peut être intéressant pour lui, c’est le théâtre parfait pour se montrer, c’est ce que j’avais fait avec Gand l’année après le titre. Mais bon, après, David devra de toute façon partir, passer à l’étape suivante. Maintenant, je ne lui conseillerais pas d’aller directement dans un club du top. Ce serait mieux pour lui de passer par une étape intermédiaire.

Tu vas aller lui parler, lui expliquer que toi, tu as fait une erreur en passant directement de Gand à un tout grand club comme Porto ? Toi aussi, tu aurais mieux fait de faire une étape intermédiaire ?

DEPOITRE : Peut-être que l’écart entre Gand et Porto était trop grand, mais bon, je n’avais pas non plus 25 possibilités. Et tout devait aller très vite, donc je n’ai pas eu trop le temps de réfléchir, pas le temps de me rendre compte que le style de Porto n’était pas vraiment fait pour moi. Je ne me suis jamais senti totalement bien là-bas. Aussi parce que les gens ne parlent que portugais ou espagnol alors que je croyais que dans un club pareil, on pouvait communiquer en anglais. À choisir, je serais parti à ce moment-là en Angleterre, même dans un petit club de Premier League. Mais il n’y avait pas d’offres. Il y avait seulement une bonne équipe de Championship qui était intéressée. Enfin, quand un grand club comme Porto te veut, c’est aussi difficile de refuser. Ça reste une expérience intéressante, même si ça ne s’est pas passé comme je l’aurais voulu. Je me dis que les moments difficiles font partie d’une carrière. Tu ne peux pas avoir que du positif.

 » Est-ce que je pourrai encore faire un pas en avant à 31 ans ?  »

Qu’est-ce que l’Angleterre t’a apporté ?

DEPOITRE : Pas mal de très bons souvenirs. Je pourrai toujours dire que j’ai joué dans les stades de Manchester, de Liverpool, d’Arsenal, que j’ai marqué contre des grandes équipes, que j’ai mis le but qui a sauvé Huddersfield. Je ne regrette pas du tout d’être allé là-bas, même si la fin a été difficile. J’ai fait beaucoup de belles rencontres et j’ai bien aimé la mentalité anglaise, beaucoup plus faite pour moi que la façon de vivre des Portugais. Avec les joueurs de Huddersfield, on faisait pas mal de choses ensemble en dehors du centre d’entraînement, on sortait. Les joueurs de Porto, dès que l’entraînement était fini, ils rentraient chez eux. Et les supporters anglais ne te mettent pas la pression que les supporters portugais ont l’art de te mettre ! Le bus caillassé, les insultes, les doigts d’honneur… Il y a plus agréable, quand même !

La pression t’a un peu écrasé là-bas ?

DEPOITRE : C’est clair que j’ai ressenti une pression que je n’avais jamais vécue avant. Déjà, j’avais conscience que j’avais tout à prouver parce que les supporters de Porto ne me connaissaient pas. Et je perdais un peu mes moyens. Je n’arrivais pas à jouer comme je l’avais fait à Gand. Je ne faisais plus d’appels, par exemple, mon jeu était plus hésitant, je ne prenais aucun risque. Il y avait des moments où, à la limite, j’avais un peu peur de toucher le ballon. J’étais un peu paralysé. Quand je me préparais à monter en cours de match, je ressentais une pression énorme. Je n’ai jamais pu vraiment montrer de quoi j’étais capable. Il m’est arrivé d’espérer que le coach ne me fasse pas monter ! Parce que je voyais que c’était un match casse-pipes et je ne savais pas comment j’allais pouvoir gérer. Alors qu’à Gand, je me serais dit : J’espère que je vais monter, et là, je marque un but.

Tu n’as plus jamais ressenti cette panne de confiance à Huddersfield ?

DEPOITRE : Au début, ça a été un peu difficile parce que je n’avais plus joué depuis un certain temps et j’avais des doutes, j’avais perdu ma confiance. Je pense que les Anglais l’ont bien vu quand je suis arrivé. Puis j’ai vite marqué et la confiance est revenue. D’un coup, j’ai pu mettre derrière moi un passage compliqué de mon parcours.

Ça veut dire que si tu repars à l’étranger, tu seras plus attentif dans ton choix ?

DEPOITRE : Ouais, sans doute… Mais j’ai 31 ans. Est-ce que j’aurai encore la possibilité de faire un pas en avant sur le plan sportif ? Je suis ambitieux mais je sais comment ça marche. Les clubs ne cherchent pas en priorité un attaquant de mon âge.

 » Contre la Roma, on va voir où sont nos failles  »

Votre parcours en Europa League, ça vous aide en prévision des play-offs, c’est une raison en plus pour croire que le titre est possible ?

LAURENT DEPOITRE : On a commencé très tôt, on a dû passer trois tours avant de se retrouver en poules de l’Europa League, et pour moi, ça a des avantages. Plus de matches, ça veut dire plus d’occasions et plus de temps pour créer des automatismes. Après ça, en phase de groupes, on a vu qu’on pouvait faire des gros résultats contre des grosses équipes, ça nous a donné encore plus de confiance. On aura des gros adversaires en play-offs mais on a montré en Europe qu’on savait gérer les grands moments.

Maintenant, c’est l’AS Rome en seizièmes de finale. Ce n’est pas le pire tirage imaginable parce qu’ils ne font pas une toute grosse saison.

DEPOITRE : Je suis partagé par rapport à ça. En ayant terminé à la première place du groupe, on tire la Roma. Wolfsburg a fini derrière nous et tire Malmö. Sur le papier, c’est quand même plus simple pour eux. Maintenant, je me souviens d’une époque où on se plaignait quand on ne tirait pas de grands noms. On a notre grand nom avec Rome. C’est une équipe italienne, donc c’est très costaud en théorie, mais on a sûrement nos chances, surtout avec le match retour chez nous. On n’est pas favoris mais on aurait tort de faire un complexe d’infériorité.

Ce sera votre gros test final avant les play-offs ?

DEPOITRE : Quand tu joues contre un gros, ça te permet de voir où sont tes failles, donc ça ne peut être qu’un bon test. Si tu enchaînes les matches en battant des petits en championnat de Belgique, tu ne vois pas où sont tes lacunes, tu ne sais pas quels points tu dois travailler. Rome peut nous aider à améliorer notre fonctionnement en prévision des play-offs, oui.

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 » Je continuerai le plus longtemps possible  »

Le fait d’être devenu pro très tard, ça te donne envie de jouer le plus longtemps possible pour rattraper le temps perdu ?

LAURENT DEPOITRE : Oui, je vois les choses comme ça. Je discute parfois avec des gars de 30 ans qui sont devenus pros à 18 et qui ont à la limite envie que ça se finisse. Moi, je ne suis pas du tout dans cette optique. J’ai l’impression d’être en plein milieu de ma carrière, j’espère qu’elle va encore durer plusieurs années. Il faudra voir comment mon corps va réagir mais je me sens encore jeune physiquement. J’ai été épargné par les blessures. Mes genoux sont intacts, par exemple. Aussi longtemps que je réussirai à enchaîner les efforts, les courses, les matches, sans être mort en rentrant au vestiaire, je continuerai.

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