» J’ai immortalisé le football belge « 

Jurgen Vantomme, qui met chaque semaine votre magazine préféré en page, est également un photographe talentueux. Chaque week-end, il parcourt le pays et prend des clichés originaux pour la rubrique  » A domicile « . Son travail a été salué par la presse internationale.

L’histoire se passe en Flandre-Occidentale, en plein milieu d’un match de troisième provinciale. Peu importe lequel. Le ciel est bleu et seuls quelques spectateurs sont présents. Un joueur va botter un coup de coin. Il se penche pour déposer le ballon et le public découvre alors qu’il porte de la publicité sur son postérieur. Clic ! Cela n’échappe pas à Jurgen Vantomme. Pratiquement personne ne l’a remarqué mais depuis le début de la rencontre, il est là, au point de corner, à attendre patiemment un moment comme celui-ci. Un footballeur de P3 avec de la publicité sur le short ! C’est exactement le genre de cliché qu’il recherchait lorsqu’il est monté dans sa voiture le matin même.

Voici peu, cette photo a été reprise par le site anglais In Bed With Maradona, un des plus grands sites alternatifs de football. Elle faisait partie d’une sélection de l’oeuvre de Jurgen Vantomme (40), un photographe de la région gantoise qui, depuis plusieurs années, parcourt les terrains les plus improbables de Belgique. Au cours de la même semaine, le journal anglais The Guardian louait également un travail dans lequel on pouvait admirer trois vieillards faisant la fête dans une tribune vide ou la buvette abandonnée du VG Ostende.

A la recherche de l’âme du foot

Pas mal pour un gars qui, voici quelques années, se considérait encore comme un photographe amateur au hobby atypique. Jurgen Vantomme avait douze ans lorsque ses parents lui offrirent un appareil photo. Il dirigea immédiatement l’objectif sur ce qui le fascinait alors : la tribune du modeste Stade des Eperons d’Or.

 » Mon père était fan de Courtrai et moi aussi. Avant de recevoir mon appareil photo, je dessinais ce qui m’avait marqué pendant le match. Mais jamais les joueurs, toujours les tribunes. Depuis tout jeune, ce qui m’amuse, c’est ce qui se passe en dehors du terrain.  »

Aujourd’hui encore, c’est le cas. Il remarque le clocher de l’église dans l’axe du point de penalty ou la colline sur laquelle ont pris place de rares spectateurs. A la recherche du meilleur point de vue, il escalade, sonne aux portes, risque sa vie sur les voies du chemin de fer. Il dirige son objectif vers des dug-outs en ruine, des panneaux publicitaires oubliés, des vendeurs de hamburger à moustaches, des joueurs à lunettes, des boucles d’oreille, des bandages, des tatouages, des pylônes sous la pluie, des avions, des nuages, des animaux, des tribunes vides, etc.

Pour des gens comme lui, les régions de Bruxelles et de Liège sont des paradis. On les appelle groundhoppers, ce sont des hommes (rarement des femmes) fascinés par le football d’antan, lorsque l’aspect commercial n’avait pas encore pris le dessus. Ils placent leurs photos sur des sites internet particuliers et se renseignent mutuellement les endroits où, selon eux, se cache l’âme du football. La Ligue des Champions les intéresse moins qu’un drapeau de corner déchiré au coeur du Hainaut. Ils visitent les ruines du stade de Winterslag comme on se rend en pèlerinage.

La plupart d’entre eux adorent le FC St. Pauli mais celui-ci est tellement populaire qu’il en a presque perdu son côté culte. Le regard qu’ils portent sur le développement du jeu se résume en trois mots inscrits sur des banderoles un peu partout en Europe : Against Modern Football. En résumé, ils sont opposés aux cheikhs, aux stades multifonctionnels, aux terrains amovibles, aux mascottes, aux pelouses synthétiques, aux fusions, aux business seats, aux fan shops, à la bière sans alcool, aux places assises…

Hans van der Meer, le pionnier

Pendant des années, Jurgen Vantomme a voyagé seul. Au début, il partait au petit bonheur la chance, avec le nom d’un club pour seul repaire. Il s’est ainsi rendu à Ouwe God Sport et au Daring Club Ruddervoorde. L’avènement d’internet a changé son approche. Il prépare désormais ses excursions sur son ordinateur.

 » Je cherche les stades qui me manquent sur Google Streetview. Ça me permet de voir les environs et de savoir si le déplacement vaut la peine.  » Souvent, c’est le cas. Il suffit d’une usine au bord du terrain ou d’une buvette prête à s’écrouler pour qu’il se mette en route. Le résultat est parfois exceptionnel. Comme à Zonhoven, où le terrain est si proche du cimetière qu’un joueur prenant un peu trop de recul pour botter un coup de coin s’est retrouvé entre les tombes. Des situations qui mettent Vantomme de bonne humeur.

Jurgen Vantomme n’est pas le premier à s’être professionnalisé dans ce domaine. Le Hollandais Hans van der Meer fait figure de pionnier. Depuis les années 90, déjà, il a fait de cette passion son métier. Alors qu’avec l’arrivée des téléobjectifs, la plupart des photographes se sont focalisés sur les joueurs, il a fait tout le contraire. De façon à saisir non seulement les deux équipes mais aussi les collines, les églises, le curé au bord du terrain ou la mère du gardien seule derrière le but.

Et il a fait des émules. La plupart échouent cependant. Ils ont beau photographier des tribunes sous la pluie et des piquets de corner usés, ils manquent de technique et de finesse. L’Anglais Stuart RoyClarke, un des disciples de van der Meer, constitue une exception. Comme Vantomme, il a un style bien à lui. Mais pas question de se comparer à van der Meer.

 » Lui, c’est le sommet  » observe Jurgen Vantomme.  » Son oeuvre m’a beaucoup inspiré. En 2006, j’ai visité une exposition de ses photos à Rotterdam. Un moment inoubliable ! Des photos de foot dans un musée ! Et beaucoup de monde pour les regarder ! Pour moi, c’était presque inconcevable. Je ne connaissais rien de Hans van der Meer mais j’étais admiratif. Soudain, je découvrais que quelqu’un faisait la même chose que moi, en cent mille fois mieux. Pour lui aussi, le décor comptait davantage que le match. Une rencontre de provinciale l’intéressait plus que la Ligue des Champions. Jusque-là, je pensais être le seul à être fasciné par ce genre d’images. Je ne connaissais personne d’autre qui soit assez fou pour se lever à l’aube et prendre la route du Borinage pour y photographier un match entre deux équipes inconnues. Il m’a beaucoup influencé.  »

Se fondre dans l’environnement

Cela se voit à son travail. Il nous montre des albums de van der Meer et ses photos, qu’il compile sur un Ipad. Avant, il photographiait beaucoup de stades vides. Il prenait ses photos en semaine et seules quelques mouettes picorant l’herbe apportaient un peu de vie. Cela changea lorsqu’il découvrit les oeuvres de Hans van der Meer et Stuart Roy Clarke. Lentement mais sûrement, on vit apparaître plus de gens. Il prit de plus en plus souvent pour cible des supporters isolés, des gardiens battus ou le noyau dur d’un club de provinciale composé de sept personnes.

Son approche est toujours la même. Vantomme veut se fondre le plus vite possible dans l’environnement qu’il photographie. S’il le pouvait, il serait invisible.  » J’arrive le plus tôt possible pour sentir l’ambiance monter. Pendant le match, je suis le plus discret possible. Je ne fais pas de mise en scène et je ne veux pas influencer les événements autour de moi. J’aime passer inaperçu, photographier les gens sans qu’ils s’en rendent compte.  » Il s’est entraîné à focaliser son attention sur des choses auxquelles personne n’attache d’importance. Un autocollant sur la porte du stade où il est écrit : -Interdit de jouer au football, par exemple. Ou un footballeur urinant dans le bosquet à la mi-temps.

Vantomme a de l’humour et cela se voit à ses photos. Peu de gens sont capables de faire rire le public sans ajouter de texte à l’image. Il photographie ainsi le joueur qui pique un sprint pour rejoindre ses équipiers sur la photo d’avant-match. Alors que, pour des questions financières, le football est devenu tellement sérieux qu’on en parle avec autant de gravité qu’à une réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU, les photos de Vantomme mettent en valeur le côté le plus léger du jeu. C’est du football dans sa forme la plus pure et il a l’art de mettre en image le fossé qui sépare le rêve de ces joueurs moins doués, de la réalité.

Vu de l’extérieur, ce travail a sans doute quelque chose d’obsessif. Ses archives débordent de photos de spectateurs abattus, de tribunes désolées, de buvettes vides, de mauvais joueurs, d’arbitres bizarres. Et pourtant, son oeuvre est loin d’être achevée.  » J’ai parfois l’impression d’être un documentaliste  » dit-il.  » Je pense qu’en Flandre, je me suis rendu dans tous les endroits photogéniques possibles. Mais certains de ces stades sont sur le point d’être démolis. D’autres ont déjà disparu, comme celui d’Ostende. Il a été remplacé par un hôpital qui ne rappelle en rien les joueurs passés par là. J’ai de plus en plus le sentiment que, sans le vouloir, j’ai immortalisé le football belge. Le manque d’argent provoque de plus en plus de fusions. De vieux clubs disparaissent, leurs stades sont abandonnés puis démolis. Je veux les photographier avant qu’il ne soit trop tard. Parce que je les trouve beaux. Et pour qu’il en reste une trace  »

Dès la semaine prochaine, la rubrique « A Domicile » reprend. Retrouvez plus de photos de Jurgen Vantomme sur www.groundhopping.be

PAR MICHEL VAN EGMOND – PHOTOS: JURGEN VANTOMME

 » Je ne mets rien en scène et je ne veux pas influencer les événements autour de moi. Je préfère passer inaperçu.  » Jurgen Vantomme

 » Je pense qu’en Flandre, je me suis rendu dans tous les endroits photogéniques possibles.  » Jurgen Vantomme

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire