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 » J’AI GÂCHÉ MA VIE PARCE QUE J’AI FAIT LE CON « 

Gille Van Binst est parti à Budapest à la rencontre de son ex-coéquipier à Anderlecht et à Toulouse pour retracer avec lui cette vie un peu folle qui l’a emmené en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en France et au Portugal mais qui l’a surtout plongé dans pas mal de galères.

Voici quelques semaines, je suis allé boire une bière avec mon fils Sven au Hoekske, un petit café sympa de Zaventem. A la terrasse, je suis tombé sur Michel Alliance, un entrepreneur belge établi en Hongrie et qui emploie une cinquantaine de personnes. Michel est un ami de mon fils et il nous a invités à sa table. Nous avons parlé de tout et de rien mais, comme d’habitude, la conversation a fini par dériver sur le football. Michel Alliance me demandait si j’avais connu Attila Ladinsky, un joueur hongrois qui a évolué à Anderlecht.

Bien sûr que je le connais, j’ai même joué plusieurs années avec lui au Sporting mais aussi à Toulouse. Il était venu à Anderlecht pour y remplacer Jan Mulder, parti à l’Ajax, au poste d’avant-centre. Selon moi, il était aussi fort que Jan mais c’est peu de dire qu’ il vivait moins pour le sport que le Hollandais. J’ai vu passer quelques oiseaux rares à Anderlecht mais Attila Ladinsky fait à coup sûr partie du top 3. J’ai dit à Michel que j’aimerais le revoir. Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd et Michel m’a dit que, s’il était en Hongrie, il le retrouverait certainement. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, l’affaire était réglée.

Le dimanche 11 septembre, à 13 heures, j’avais rendez-vous avec Le Gitan à l’hôtel Marriot de Budapest. Et quand j’ai voulu lui offrir un verre, je suis presque tombé à la renverse.

« Depuis deux ans, je ne bois plus que de l’eau et de la limonade », me répondit-il. « J’ai aussi arrêté de fumer. J’ai un peu présumé de mes forces par le passé. Je n’avais plus le choix. Mon coeur ne fonctionnait plus qu’à 24 %, je ne pouvais plus rester couché sur le dos sous peine de ne plus pouvoir respirer. Aujourd’hui, j’en suis à 56 % mais c’est encore largement insuffisant. Cela n’ira plus jamais, je dois faire attention et croiser les doigts. »

Tu as entamé ta carrière à Tatabanya à l’âge de 18 ans.

ATTILA LADINSKY : « Oui, c’était une équipe de mineurs, dans un trou perdu. La seule chose qu’on pouvait y faire, c’était courir après les filles. J’étais assez fort dans ce domaine car je gagnais deux fois plus d’argent que les mineurs. Mais bon, le double de zéro, ça ne fait pas grand-chose tout de même (il rit). Pendant trois ans, on m’a fait jouer sur le flanc. Je suis alors passé à Vasas Budapest et c’était pareil : on m’alignait à gauche. Ces entraîneurs étaient aveugles, ils ne comprenaient pas que ma meilleure place était devant. Ce n’est que plus tard que Happel, qui entraînait Feyenoord, a fait de moi un attaquant de pointe. »

La Belgique a joué un rôle important dans ta vie puisque tu y es arrivé en tant que réfugié politique, en 1971.

LADINSKY : « Je devais jouer un match amical à Liège contre la Belgique avec les espoirs hongrois. J’en avais ras-le-bol du communisme, je voulais à tout prix passer à l’Ouest. Alors, j’ai décidé de rester en Belgique. Après le match, je me suis enfui de l’hôtel et je me suis planqué pendant dix jours chez un ami à Bruxelles. Je ne sortais pas car des hommes des services secrets hongrois me recherchaient. Ils ne m’ont jamais trouvé. Heureusement, d’ailleurs, car cela m’aurait valu trois ans de taule. J’ai alors pris contact avec Bekeffy, un agent hongrois qui s’était enfui en 1956, et je lui ai demandé de me chercher un club. »

LES FEMMES ET LA NUIT

Où as-tu débarqué ?

LADINSKY : « En Allemagne, au Rot-Weiss Essen. Pendant six mois, je n’ai fait que m’y entraîner car je n’avais pas de licence de l’UEFA et je ne pouvais pas jouer en match officiel. J’y ai rencontré une femme, Karin, que j’ai épousée. Elle m’a encore suivi à Anderlecht pendant un an mais notre mariage battait déjà de l’aile. »

En rentrant d’un match de Coupe d’Europe à Zürich, tu as eu une mauvaise surprise.

LADINSKY : « Tu peux le dire ! Quand je suis arrivé à la maison, l’appartement était vide, tous les meubles avaient disparu et mes vêtements aussi. De plus, mon compte en banque avait été vidé. J’ai dû demander une avance sur salaire à Anderlecht pour pouvoir vivre. A l’époque, la nuit, je ne dormais pas. Le matin, avant d’aller à l’entraînement, j’allais vite m’acheter une chemise pour ne pas éveiller la suspicion au sein du vestiaire. Parfois, je dormais une heure puis je m’entraînais dur. Je dois remercier Dieu de m’avoir fait aussi solide. Ce que je ne supportais pas, c’était la solitude. Je partais donc à la  » chasse  » chaque nuit. Heureusement, j’ai rencontré Chantal, mon grand amour. Elle exploitait un café à Bruxelles avec sa mère. Avec elle, ma vie est devenue plus régulière et en 73-74, j’ai été sacré meilleur buteur du championnat de Belgique avec 28 buts. »

Tu as joué ton premier match à Anderlecht en 1973, c’était la finale de la Coupe de Belgique face au Standard.

LADINSKY : « Là, j’ai pris un risque. Si Anderlecht avait perdu la finale et que je n’avais pas touché un ballon, on m’aurait peut-être catalogué comme transfert manqué avant même que la saison suivante ne commence. Mais tout s’est bien passé, nous avons gagné 2-1 et j’ai inscrit les deux buts. C’était incroyable ! Plus moyen de sortir en rue. Partout, les gens chantaient : Un, deux, trois… Attila est là. On aurait dit que j’étais le Divin Enfant. »

Pourtant, la saison où tu as été meilleur buteur s’est moins bien terminée.

LADINSKY : « A ma grande surprise, Urbain Braems ne m’a pas sélectionné pour le match décisif, à Beveren. Je n’étais même pas sur le banc. Ne me demande pas pourquoi, je n’en sais rien. Braems ne m’a jamais donné d’explication et je ne lui en ai d’ailleurs jamais demandé. »

 » LA CHANCE DE NE PAS ME TUER  »

Mais moi je lui ai demandé. Il m’a dit qu’il ne t’avait pas sélectionné parce que tu picolais et qu’il y avait trop de rumeurs qui couraient.

LADINSKY : « Nous étions partis au vert la veille du match, je n’avais donc rien bu. Pour le reste, je ne sais pas ce qu’il insinue, je le jure sur la tête de ma fille. »

Après le match à Beveren, nous avons fêté le titre à l’hôtel Hilton de Bruxelles.

LADINSKY : « J’étais très déçu et je n’avais pas du tout envie de faire la fête mais j’y suis quand même allé pour mes équipiers. Tout le monde avait bien bu. J’ai décidé de poursuivre la fête en ville et j’ai eu beaucoup de chance de ne pas me tuer car j’ai embouti une autre voiture à 150 km/h et je suis passé par le pare-brise. De plus, l’autre conducteur n’avait rien de grave, juste un bras et quelques côte cassés. Troisièmement, le médecin urgentiste a interdit à la police de me faire une prise de sang car mes jours étaient en danger. Quatrièmement, la victime, un supporter d’Anderlecht, a retiré sa plainte. Et enfin, ma copine, Chantal, n’était pas dans la voiture, sans quoi elle aurait vraisemblablement été tuée. Ce jour-là, Dieu a veillé sur moi. Mon visage était sérieusement amoché. Quand je suis revenu dans le vestiaire, certains joueurs ont pensé qu’on avait transféré quelqu’un d’autre à ma place, ils ne m’avaient pas reconnu. » (il rit)

Pour ta deuxième saison, tu n’as inscrit que cinq buts.

LADINSKY : « Je n’avais plus confiance en Urbain Braems, il n’arrivait plus à me motiver. Il m’a même invité une fois chez lui, à Zottegem. Il m’a fait tout un sermon. Je devais soi-disant changer de mode de vie et blablabla… Même sa femme s’y est mise. Je ne suis jamais autant sorti qu’après cet entretien. J’avais également des problèmes avec la fille de Hitler. C’est comme ça que j’avais surnommé mon ex-femme, l’Allemande. Elle était parvenue à faire en sorte que je doive lui verser 750 euros par mois de pension alimentaire. C’était énorme pour l’époque. Je voulais donc fuir la Belgique. Si j’avais su que Braems quitterait Anderlecht en fin de saison et que je ne devrais plus rien payer à Karin, je serais certainement resté au Sporting. Les journaux espagnols prétendaient que l’Atlético Madrid s’intéressait à moi. Szusza, un Hongrois que j’avais connu au Vasas Budapest et qui travaillait pour le Betis Séville l’avait lu également et il était venu me voir à Bruxelles pour me faire une proposition. J’allais gagner bien plus d’argent qu’à Anderlecht et, surtout, je ne devais plus rien payer à l’Allemande (il rit). Je suis parti une semaine à Séville, je suis tombé amoureux de la ville et j’ai signé au Betis. »

LÉGENDE VIVANTE DU BETIS

Au Betis, tu étais terriblement populaire. Pourtant, tu n’as inscrit que 17 buts en 59 matches sur trois ans, si je ne me trompe.

LADINSKY : « C’est vrai mais c’étaient des buts importants, comme celui de la victoire sur le Real Madrid à Santiago Bernabeu, où le Betis ne s’étaient plus imposé depuis 50 ans. Je suis aussi le seul joueur de l’histoire du club à avoir inscrit trois buts lors du derby face au FC Séville. Nous avions gagné 3-1. Les supporters espagnols aiment ça, ça m’a permis d’être une légende vivante en Andalousie. Je connais des meilleurs buteurs qui ne marquent qu’à domicile contre de petites équipes. » (il rit).

Pourquoi as-tu quitté le Betis après trois ans ?

LADINSKY : « Je suis parti en 77-78 parce que le club était descendu en D2. J’avais 29 ans et je trouvais que j’étais trop jeune pour jouer à ce niveau. Je craignais aussi que tout le monde parte mais finalement, tous les joueurs sont restés sauf moi. Ce n’était certainement pas la décision la plus intelligente de ma carrière car le Betis est remonté un an plus tard tandis que je me suis retrouvé à Courtrai. » (il rit)

Mais enfin… Qu’es-tu allé faire là ?

LADINSKY : « Georges Heylens y était entraîneur. Je devais passer un test avec le RWDM et signer pour le club bruxellois. Heylens était présent et m’a dit que je devais aller avec lui à Courtrai car il voulait en faire un grand club et il avait besoin de moi. Je l’ai cru et je l’ai suivi mais j’ai tout de suite vu que l’équipe était mauvaise et après 15 matches, Heylens a été viré. Je voulais arrêter aussi mais Georges me l’a déconseillé car j’aurais sûrement pu faire une croix sur mon argent. »

La vraie raison de ton départ du Betis n’est-elle pas que tu étais en fin de contrat et que tu pouvais mettre la somme du transfert dans ta poche ?

LADINSKY : Oui, aussi… (il rit)

Tu as ensuite atterri à Toulouse, via Valenciennes.

LADINSKY : « Et c’est là que j’ai retrouvé Gille Van Binst (il rit). En début de saison, j’ai eu de la malchance : je me suis blessé au pied droit et j’ai été absent pendant près de trois mois. Par la suite, je n’ai jamais retrouvé ma forme. Je dois être honnête et reconnaître qu’à l’époque, je ne vivais pas à 100 % pour le sport. L’aventure française s’est terminée au cours d’une réception à la mairie de Toulouse. J’ai eu une solide discussion avec un fonctionnaire de la ville, l’adjoint au maire si je me souviens bien. Il s’en est fallu de peu que je lui en colle une. Quelques jours plus tard, la mairie faisait pression pour que mon contrat ne soit pas renouvelé et je devais quitter mon domicile le plus rapidement possible. »

BARS À SÉVILLE ET À BRUXELLES

Tu as terminé ta carrière au FC Amarante, un club de deuxième division portugaise.

LADINSKY : « C’est tout près de Porto, nous jouions sur un terrain de sable (il rit). La région était très jolie, les gens très gentils, la nourriture excellente… Bref, c’était une ville où il faisait bon vivre mais d’un point de vue footballistique, c’était très mauvais ! Pour moi, il était temps d’arrêter : en 1983, j’ai mis un terme à ma carrière et je suis retourné à Séville, où j’ai ouvert un bar. »

Quel genre de bar ?

LADINSKY : « Non Gille, ce n’est pas ce que tu penses. »

N’empêche que ça a mal tourné.

LADINSKY : « C’est le moins qu’on puisse dire. J’ai gâché ma vie parce que j’ai fait le con. Chantal était partie faire des courses en ville. Elle est rentrée plus tôt que prévu et m’a trouvé en train de faire des galipettes avec la baby sitter, dont je ne connaissais même pas le nom. Elle a fait ses valises et est rentrée à Bruxelles avec notre fille, Cindy. Je me suis retrouvé tout seul à Séville. J’ai essayé de recoller les morceaux mais c’était fichu. J’y pense encore presque tous les jours. Je suis devenu le meilleur client de mon bar. Je buvais vingt bières pendant la journée et une bouteille et demie de J&B la nuit. Je fumais aussi trois paquets de cigarettes. Cette misère a duré quatre ans !  »

Par la suite, tu as tenu un restaurant à Bruxelles.

LADINSKY : « Oui, La Maison de Hongrie, chez Attila, Place Fernand Cocq. Après Chantal, j’ai rencontré Judit, une Hongroise. C’est avec elle que j’ai ouvert le restaurant. Ce n’était pas une mine d’or mais nous nous en sortions. Ça a duré cinq ans, nous servions une vingtaine de plats du jour par jour puis le père de Judit est décédé inopinément et sa mère, qui avait 80 ans, s’est retrouvée seule en Hongrie. J’ai proposé que la vieille vienne en Belgique mais elle ne voulait pas et Judit est repartie. Nous avons revendu le restaurant trop bon marché car il fallait aller vite. Avec l’argent qu’il nous restait, nous avons acheté une petite maison à Budapest et ma belle-mère était évidemment comprise dans le prix. Cette vieille folle se mêlait de tout. A un certain moment, j’en ai eu ras-le-bol et j’ai dit à Judit : Si cette vieille tarte ne la ferme pas, je vais acheter un flingue et je lui tire une balle dans la tête. En prison, au moins, j’aurai la paix. » Judit a pris sa mère sous le bras et a disparu de ma vie. »

Et maintenant, que fais-tu ?

LADINSKY : « Rien. Je n’ai aucun revenu, pas de pension. Je vis depuis 17 ans avec Agnes, qui tient une petite boutique de vêtements à Budapest. Nous devons nous débrouiller avec ça, ce n’est pas facile mais je suis heureux. Sans cette femme, je serais déjà mort de faim. » (il rit)

Quelle équipe as-tu supporté lors du match Belgique – Hongrie à l’Euro ?

LADINSKY : « Je suis réaliste. Avant le match, je savais que les Hongrois n’avaient aucune chance contre la Belgique. Mais je suis Magyar, même si j’aime bien les Belges. »

PAR GILLE VAN BINST À BUDAPEST – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je buvais vingt bières pendant la journée et une bouteille et demie de J&B la nuit.  » – ATTILA LADINSKY

 » J’avais également des problèmes avec la fille de Hitler. C’est comme ça que j’avais surnommé mon ex-femme.  » – ATTILA LADINSKY

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