» J’ai fait du chemin quand même ! « 

L’enfant de Dakar évoque son ascension rapide sans oublier les embuches de ses débuts sur le sol belge. Entretien avec un homme pressé mais réfléchi.

L’homme n’a toujours pas pris la grosse tête. Et pourtant cet été, Cheikhou Kouyaté était au centre de toutes les attentions. Des JO plus que réussis suivis d’appels du pied de la crème du foot anglais ne l’ont pas changé d’un iota : le grand Sénégalais balade toujours son big smile et cette même décontraction. Meilleur défenseur des Mauves la saison dernière, Cheikh a appris très vite alors que beaucoup le destinaient à ses débuts dans un rôle de récupérateur où son gabarit rappelait Patrick Vieira. Désormais bien calé en défense centrale, Kouyaté n’a pratiquement pas levé le pied depuis douze mois tant son importance devient grandissante en club comme en sélection.

 » Je n’ai pas eu de vacances. Après le titre, j’ai disputé des rencontres de qualification pour la Coupe du Monde puis j’ai enchaîné quasiment dans la foulée avec un stage de la sélection sénégalaise qui allait participer aux JO. Et dès la fin des Jeux, je suis directement revenu ici. Je n’ai pas encore eu l’occasion de souffler.

Crains-tu le contrecoup physique durant la saison ?

C’est clair. Et il y a de grandes chances que cela arrive… C’est pourquoi je me repose davantage, je reste à la maison, je récupère.

Et donc pas de fête après la qualification en Ligue des Champions ?

Non, d’autant qu’on a un match important face à Genk (ndlr, l’interview avait lieu vendredi dernier). Et quand je fais la fête, il me faut trois jours pour récupérer…

Tu gardes tout de même l’étiquette de fêtard dans le noyau ?

Bien sûr ! Mes équipiers savent que si je ne suis pas là, il n’y a pas d’ambiance (il rit). Malheureusement pour eux, ils ne me voient pas depuis quelques mois. Mais je dois préserver mon énergie car je joue dorénavant tous les matches, même en équipe nationale.

Ce n’est donc plus possible de mêler sortie et foot ?

Non, ce n’est plus possible. Sauf si on a une semaine de libre. Là, je peux dire : – Les gars je suis là !Le Carré, je suis là (il rit). D’ailleurs, je ne connais aucun autre endroit.

Il y a un mois tu vivais encore l’expérience olympique. Après coup, quels souvenirs en gardes-tu ?

Ça a été une expérience unique. Tout joueur rêve d’un jour y participer. Même Beckham en rêvait alors qu’il a tout connu. C’est, jusqu’à aujourd’hui, le plus beau moment de ma carrière. J’ai adoré.

Qu’est-ce qui t’a profondément marqué durant ces Jeux ?

La manière dont les sportifs sont mis en valeur. Et puis les installations, les stades, l’ambiance, c’était un truc de fou ! Tous nos matches se sont joués dans des stades pleins. Tu n’as qu’une envie dans de telles conditions : jouer, te montrer, prendre du plaisir.

Le Sénégal a d’ailleurs été une bonne surprise puisqu’il n’a été éliminé qu’après prolongations face au futur vainqueur, le Mexique, en quarts de finale.

Et on aurait même pu aller plus loin sans ces deux buts cadeaux qu’on a offert au Mexique. Mais c’est une équipe jeune, c’est compréhensible. Le Sénégal a trouvé un groupe qui avait envie. Il était temps car le foot n’était plus vécu intensément au pays ces dernières années. Cette fois, toute la nation était derrière nous, comme en 2002 où les Lions avaient atteint les quarts de finale de la Coupe du Monde. Le pays était à nouveau fier durant ces Jeux.

Cette Olympiade t’a-t-elle conféré un autre statut au Sénégal ?

Oui, c’est clair. Avant les JO, je n’étais connu que dans mon quartier, aujourd’hui c’est dans tout le pays. Je suis dans les journaux tous les deux jours, tout le monde sait où je joue et contre qui je joue. Pour la famille, c’est une grande fierté… Surtout qu’on parle de Kouyaté, comme l’enfant de Khar Yalla (quartier de la banlieue de Dakar) dans la presse.

Les larmes au Brussels

C’est aussi une belle revanche sur tes débuts difficiles au Brussels.

J’aime parfois me retrouver tout seul chez moi et me rappeler le chemin parcouru. La dernière fois, c’était hier soir ( lisez jeudi dernier) : je regardais la télé et j’ai eu une absence, je me suis mis à retracer mon parcours. J’ai fait du chemin quand même ! Je suis fier mais ce n’est que le début. Il faut que je continue sur cette voie… Ma motivation n’est pas qu’individuelle. Il y a aussi la famille qui comptait et qui compte toujours beaucoup sur moi. Je sais d’où je viens.

C’est aussi une pression supplémentaire pour un sportif professionnel…

Oui, tout à fait. Il y a mes parents mais aussi mes cousins, mes cousines. J’ai une grande famille. Je joue pour moi mais aussi pour la famille. Il faut tout donner et alors : Gathié Dou Ame ( » il n’y aura jamais de déception  » en sénégalais). Il y a même un fan club en équipe nationale qui a inscrit ce slogan sur mon T-shirt.

Est-ce que tu as pensé un jour baisser les bras à l’époque du Brussels ?

En tout cas, j’ai pas mal pleuré durant cette période. C’était très dur. Heureusement que j’ai pu compter sur mon agent qui m’a hébergé chez son beau-frère. Mais malgré le fait d’être soutenu, je craquais. Je pensais enfin pouvoir envoyer de l’argent à la famille mais je n’ai jamais été payé. On m’appelait pour que je leur envoie 100-200 euros mais je ne les avais même pas. Je ne comprenais pas ce que je faisais en Belgique. Au Sénégal, j’avais la famille, mon équipe de quartier, j’étais bien. Le plus dur, c’était quand ma mère me téléphonait et que je devais essayer de garder la face alors que j’étais au plus bas… De plus, elle n’était pas trop favorable à ce que je quitte le pays. Mais quand je lui ai dit que j’avais signé un contrat, elle pleurait de joie au téléphone. Heureusement que j’ai cette mentalité de gagneur, de guerrier qui m’a permis de surmonter cet obstacle.

Après avoir été acheté par Anderlecht, tu es prêté à Courtrai. Est-ce que ce passage fut libérateur pour toi ?

Je n’avais pas envie de quitter Anderlecht. Quitte à ne pas jouer, je me disais que j’allais progresser au contact de joueurs comme Jan Polak ou Lucas Biglia. J’étais même déçu de me retrouver à Courtrai jusqu’à ce qu’Ariel Jacobs m’appelle et m’explique qu’il était préférable pour moi d’engranger du temps de jeu. Sauf que les premiers mois, j’ai été mis sur le côté. Le coach, Hein Vanhaezebrouck avait son équipe type et moi je patientais sur le côté. Bon, je touchais enfin un salaire mais pas les primes. Je disais à mon agent que je voulais partir car je ne recevais pas ma chance. Mon quotidien se résumait à la réserve. Un jour, je me suis même retrouvé à prendre le train pour un match à Mons puis un autre pour Courtrai avant de prendre le dernier train pour Bruxelles où je logeais ! J’ai alors parlé de ma situation au staff d’Anderlecht qui a appelé Courtrai pour dire que si mon cas n’évoluait pas, je serais rapatrié. J’ai finalement reçu ma chance en D1. Le déclic a eu lieu le 11 novembre dans le derby face à Zulte Waregem. J’ai tout donné, j’ai joué comme un guerrier et les supporters m’ont directement adopté. Et tu sais bien que quand les supporters t’aiment, c’est gagné.

Comment expliques-tu ce rapport aux fans ?

J’essaie d’être généreux. Un petit geste, un sourire, cinq minutes de mon temps, c’est rien du tout. C’est normal même. Et sur le terrain, je ne calcule pas. J’ai joué avec un nez cassé, avec un masque, sur un terrain je donne tout. Je suis un lion….

On t’a même retrouvé parmi les ultras d’Anderlecht après la qualification en Ligue des Champions…

Après notre titre de champion face à Bruges, ils m’avaient déjà appelé pour que je chante avec eux. Ici, j’y suis retourné. C’est marrant comme expérience et puis il faut savoir les remercier car ils ont une importance dans nos résultats, en nous poussant vers la victoire comme mercredi dernier. On ne peut pas les oublier. Quand on a évoqué mon départ, j’ai reçu plein de messages sur mon Facebook où l’on m’implorait de rester. Il y a aussi eu quelques messages que je n’ai pas aimés, mais soit…

Objectif Angleterre

Une élimination par Limassol aurait-elle signifié ton départ ?

Oui, je pense. Et je me serais surement retrouvé en Angleterre car c’est là où je veux un jour évoluer. J’ai aussi reçu des offres de France et de Russie mais elles ne m’intéressaient pas.

On a évoqué l’intérêt d’Arsenal, de Manchester City, de Newcastle. Tu confirmes ?

Oui, c’est vrai. Certains m’ont dit de ne pas partir car je n’allais pas jouer. Moi, je me suis fixé un objectif et je vais l’atteindre, je ne sais pas comment mais je vais l’atteindre. Il y aura encore des complications sur la route mais j’y arriverai. Ma force, c’est de croire en moi.

As-tu eu des contacts avec Arsène Wenger ?

Non pas directement, mais mon agent bien puisqu’il s’est même rendu à Londres. C’était très sérieux. Moi, je ne voulais être au courant de rien. Je voulais simplement me concentrer sur Anderlecht. Et je voulais que la décision vienne de moi, que si je devais un jour regretter quelque chose, je ne devrais en vouloir qu’à moi-même. Mais je ne regrette rien, j’évolue dans le meilleur club de Belgique. Je sais que d’autres clubs belges n’aiment pas l’entendre mais c’est la vérité. Anderlecht, on connaît !

Ce sont tes performances aux JO qui ont attiré le regard des grands clubs anglais…

Pour les scouts anglais, c’était l’occasion de scruter des joueurs du monde entier. Et pourtant, lors du premier match, le coach ne comptait pas sur moi. Il préférait miser sur ceux qui avaient décroché la qualif’. Il est même venu me voir pour m’expliquer son choix. Je lui ai répondu qu’il n’y avait pas de souci, que je comprenais parfaitement. Il était fier de cet état d’esprit, il m’a dit qu’il n’avait jamais connu un joueur comme moi. J’étais déçu mais mon heure est venue après seulement 35 minutes lors du premier match face aux Anglais où j’ai profité de la blessure d’un  » ami « . Je suis monté comme milieu de terrain et lors du deuxième match, j’ai glissé au poste d’arrière central après l’exclusion d’un de nos défenseurs.

Aujourd’hui, quel poste préfères-tu ?

On m’a critiqué comme récupérateur il y a deux ans alors qu’un an avant je m’étais révélé à cette position avec Van Damme et Lucky (Biglia) à mes côtés. Les gens oublient vite en foot. On me préfère à l’arrière car j’apporte de la vitesse et je suis dur sur l’homme. De plus, je suis capable de monter ballon au pied. Aujourd’hui, ce poste, je l’adore. Je suis à l’aise, je ne suis plus obligé de faire 50 km sur un match comme au milieu. On n’est pas en Angleterre, les défenseurs sont moins mis à contribution.

Que ce soit en Coupe d’Europe ou en championnat, la défense des Mauves est loin de rassurer. Comment expliques-tu une telle fébrilité ?

C’est vrai que c’est loin d’être parfait. Et ça risque même d’être juste pour la Ligue des Champions si ça ne change pas. Mais on va récupérer Roland Juhasz et découvrir notre nouveau défenseur hollandais. On doit se réveiller.

Il est quand même symptomatique de constater que ton retour était tant attendu alors que tu es un des défenseurs les moins expérimentés…

C’est sûr que ce n’est pas normal (il rit). Mais Roland va revenir à son meilleur niveau. C’est quelqu’un de très important pour moi. Il me donne des conseils, me dirige. Même quand ça ne va pas, il pèse dans le jeu. Quand il est monté au jeu en attaque face à Limassol, ça m’a fait plaisir. Après l’ouverture du score, il est revenu en défense, j’ai retrouvé le poste d’arrière central droit et j’étais soulagé. À ses côtés, j’ai moins de pression sur les épaules. Je sais aussi que l’équipe a besoin de moi et que je dois atteindre une autre dimension. Il faut que j’apprenne à diriger une défense. Je suis encore jeune et ce n’est pas évident. Je pourrais crier sur un de mes équipiers et il le prendrait mal. Il pourrait penser que j’ai attrapé la grosse tête. C’est pas facile de devenir un patron quand on est le plus jeune… Mais je sais que je dois le faire pour le bien de l’équipe.

Jamais peur

Tu es large d’épaules mais pas très volumineux. Comment expliques-tu cette morphologie ?

J’ai pris les épaules de mon père mais je dois être le seul dans ma famille à être très mince. Je suis le seul à ne pas être  » costaud-costaud « . Mais pour bien percevoir que je suis quand même dur, il faut aller au contact avec moi. Quand tu vas au duel avec moi, tu te dis : – ah oui, je me suis trompé. En équipe nationale, un ami m’a dit : – La première fois que je t’ai vu, je me suis demandé comment tu faisais pour jouer ? Mais quand il m’a vu aller au contact, il a directement compris. Je n’ai jamais peur. Et si c’est le cas, faut arrêter le foot. Dans mon quartier au Sénégal, si tu veux vraiment te faire respecter, il faut mettre le pied. Être un guerrier avant tout, il n’y a que comme ça que tu gagnes le respect.

En quoi van den Brom est-il différent de Jacobs ?

John van den Brom, c’est la jeunesse. Si Ariel Jacobs avait vécu un but comme notre coach actuel l’a fêté face à Limassol, il aurait eu une crise cardiaque (il rit). Van den Brom vit vraiment le foot et il communique avec tout le monde. Au niveau du jeu, il est plus offensif que Jacobs : c’est la touche hollandaise. Aujourd’hui, on défend en avançant. Il est d’ailleurs apprécié dans le noyau car il veut toujours que l’on joue au foot.

Si je te dis : Silvio, Lucas et Dieu. Tu penses à quoi ?

Ce sont les joueurs les plus importants du noyau. Si on n’avait pas eu Silvio, on ne se serait pas qualifié pour la Ligue des Champions. Et quand Lucky tourne, tout tourne. Et même quand ça va un peu moins bien, sa présence, son coaching aident énormément. Enfin Dieu, tout le monde connaît ses énormes qualités. Je lui ai dit que s’il partait, ça devait être pour le top. Il n’a pas 31 ans, il a encore tout le temps pour y arriver.

C’est le joueur le plus fort avec qui tu aies joué ?

Lui et Suarez. Ce sont des magiciens, ils font des trucs où tu te dis : non c’est pas possible ! ? Même si ce que vit Mati est très dur, je sais qu’il reviendra à son meilleur niveau car on sera tous derrière lui pour l’aider. C’est quelqu’un que j’admire, que je respecte beaucoup. C’est un vrai ami.

Tu penses qu’Anderlecht peut faire quelque chose en Ligue des champions ?

C’est sûr, même si je voulais tomber avec des gros comme le Real ou le Barça. Car c’est ça un match de foot, prendre du plaisir face à des Messi et des Cristiano Ronaldo. Tu n’es pas un footballeur si tu ne rêves pas de jouer face à de tels adversaires. Mais Milan, c’est déjà pas mal…

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Quand je fais la fête, il me faut trois jours pour récupérer… « 

 » Si on avait été éliminé par Limassol, je me serais surement retrouvé en Angleterre. « 

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