« J’ai failli TOUT CLAQUER »

Le dribbleur marocain de Bruges revient pour la première fois sur son été orageux. Parole à la défense.

Même s’il n’est encore question que de phase de réhabilitation, Nabil Dirar a retrouvé ses équipiers depuis une dizaine de jours après un séjour de deux semaines dans le noyau B. Retards répétés, certificat médical  » refusé « , des déboires qui l’ont à l’intersaison écarté des plans d’Adrie Koster. Et pourtant, la veille du derby face au Cercle, le sourire ne l’a pas quitté. A la sortie de l’entraînement, le Bruxellois reste toujours aussi populaire auprès de la jeune garde Blauw en Zwart. Drôle de paradoxe pour quelqu’un dont le nom fut ces derniers temps davantage associé à des frasques extra-sportives qu’à ses arabesques parmi les plus déroutantes de la Jupiler League.

La presse a soulevé des retards répétés, certains conflits, etc. Quelle est la véritable cause de ton renvoi chez les Espoirs ?

Nabil Dirar : Le 21 juillet, on a disputé la Coppa Sterchele. Le lendemain, je me réveille avec des crampes au ventre ; ce que j’avais mangé la veille en rentrant du match était d’évidence mal passé. J’ai donc demandé à un ami de me conduire chez le docteur qui me délivre un certificat. Je préviens dans la foulée la direction que je ne pourrai pas être présent pour le fanday. Le Club comprend parfaitement et m’excuse. Le lendemain, rebelote, je suis toujours aussi mal en point, mais je fais la route jusqu’au stade et montre mon certificat. Le coach me voit, me demande pourquoi je n’étais pas là la veille. Je lui montre logiquement mon certif’ et il me répond : – Je n’ai pas besoin de joueurs comme ça… Tu retournes chez toi et on va prendre une décision avec le club. J’apprends que je me retrouve deux semaines avec la réserve. Sur le coup, j’en ai rigolé. J’avais mon certificat, j’étais en règle. L’an dernier, d’autres envoyaient un simple sms et étaient excusés.

Le hic, c’est que tu avais quelques retards au compteur…

C’est vrai. Je suis arrivé trois fois en retard durant la préparation. J’ai reçu des amendes et je les ai payées. La dernière m’a même coûté 400 euros. Tout ça, c’était pour moi de l’histoire ancienne. J’avais fauté et j’ai payé. Par contre la sanction du renvoi en Espoirs, je ne l’ai jamais comprise.

Ça fait un peu penser au mauvais élève qui brosse les cours régulièrement et que le prof ne croit plus le jour où il a une excuse valable…

Oui c’est un peu ça. Mes retards étaient dus au trafic. Je pars deux heures à l’avance de Bruxelles, alors qu’en temps normal je mets 45 minutes pour me rendre à Bruges, et je tombe dans des bouchons d’une heure et demie pour cause de travaux et des vacanciers. En fin de compte, je n’arrive pas en retard à l’entraînement, mais au petit dej’. Ce qui est quand même différent.

 » Je n’ai jamais travaillé la ponctualité sur un terrain « 

Mais la discipline de groupe n’est pas respectée…

Cette année, le coach a mis en place des nouvelles règles et très honnêtement j’avais un peu du mal à les suivre d’autant que les règles m’avaient été envoyées en flamand ( il rit). Ton Gsm ne peut pas sonner, les chaussures doivent être maintenant rangées dans une salle spécifique, toute une série de choses qui peuvent paraître insignifiantes.

Tu as le sentiment de te comporter comme un vrai professionnel ?

Oui. Un pro pour moi, c’est celui qui travaille à l’entraînement, qui fait le boulot en match. C’est pas celui qui déjeune, qui nettoie ses chaussures. C’est vrai que ces à-côtés, j’ai un peu du mal, mais je me soigne ( il rit). Toutes ces exigences, je ne me suis jamais rendu compte de l’importance que cela pouvait avoir. Je n’ai jamais travaillé la ponctualité sur un terrain ( il rit).

Quand on t’annonce que tu vas séjourner en réserve, comment tu réagis ?

Très mal. J’ai failli tout claquer. Je voulais changer d’air. Je m’en voulais et j’en voulais à quelques personnes du club. Ces deux semaines, je ne souhaitais pas les faire. Ce sont mes amis, ma famille qui m’ont remis sur la voie, qui m’ont parlé. Et qui m’ont dit de ne pas gâcher ce que j’avais construit.

L’an passé aussi tu avais connu un passage chez les Espoirs.

Il faut croire que c’est un passage obligé. Et il ne faut surtout pas imaginer qu’on y chôme. Les entraînements étaient longs, intenses, avec notamment une séance d’ 1 h 40 dans les bois.

Avec le recul, ça a pu être bénéfique puisque tu sembles plus affûté, non ?

J’ai perdu 4 kg par rapport à mon poids de l’an passé.

Ces  » nouvelles  » règles ont-elles été dictées suite aux tensions de l’an dernier ?

Oui, sans aucun doute. Fallait recadrer quelques joueurs, j’en suis conscient. Le coach s’est dit sûrement qu’il ne voulait plus d’une équipe qui s’effondre comme l’an dernier dans les playoffs. Moi, aujourd’hui, j’ai compris. Je n’ai plus envie de payer ces amendes d’autant que je ne jouais pas, que je n’avais plus de primes. Maintenant, j’arrive même une heure à l’avance.

Tu penses que Koster compte encore sur toi ?

En tous les cas, il me parle beaucoup. Tout comme Luc Devroe qui me montre régulièrement son soutien. Et j’aimerais répondre à leurs attentes même si c’est, vrai, c’est plutôt mal parti. Mais je ne doute pas, malgré la concurrence et le fait qu’il y a énormément de qualité dans ce groupe. Quand je vois Ivan Périsic à gauche, ses qualités devant le but, c’est vrai que c’est chaud pour moi. Sur le banc, je ne suis pas seul : Momo Dahmane est un super attaquant, Joseph Akpala est international nigérian, et ne montre pourtant jamais son mécontentement, Ronald Vargas s’est aussi retrouvé sur le côté. Vu l’effectif qu’on a, on va finir par être content d’être sur le banc ( il rit).

 » Quand je m’énerve ça peut être violent « 

Tu joues pour l’argent ou pour le plaisir ?

Pour le plaisir. Si je n’étais obnubilé que par l’argent, je serais beaucoup plus égoïste devant le but. J’en vois qui pensent à frapper, à gonfler leurs stats pour leur carrière. Moi, je songe toujours à donner le bon ballon en priorité même s’il m’arrive de me perdre parfois dans mes dribbles. Cette année, j’espère changer.

Comment expliques-tu que malgré ta mauvaise image médiatique, tu aies été élu par les supporters du Club  » meilleur joueur  » la saison dernière ?

Je crois d’abord que, d’un point de vue sportif, l’an dernier j’ai fait une bonne saison. Et puis, je suis un gars simple, ce que les supporters aiment voir. Quand il faut signer un autographe, faire plaisir à un enfant, jamais je vais me débiner. Moi, j’étais le dernier d’une famille de six frères et quatre s£urs et j’ai toujours gardé un esprit enfantin.

D’où ce refus des règles ?

Petit, c’est moi qui imposait les règles ( il rit). Et c’est vrai que j’ai toujours été protégé, surtout par mes s£urs.

Parfois ça va plus loin que le non-respect du règlement…

Quand je m’énerve, ça peut être violent. Mes mots le sont. Je m’énerve rarement mais c’est vrai que quand ça arrive… Je suis rancunier aussi. Et le pire, c’est que deux minutes après, je regrette, je m’en veux.

Qu’est-ce qui s’est passé réellement avec Vadis, un incident qu’on a retrouvé dans la presse cet été ?

Je revenais de blessure, j’avais passé plusieurs journées à m’entraîner seul au club. Pendant un petit match, je lui passe devant et lui, il me tacle. Sur le coup, j’ai peur de me retrouver de nouveau sur le flanc. En retour, j’ai un mauvais geste et je lui donne un coup quand je suis à terre. Dans le vestiaire, je me suis directement excusé devant lui et devant le coach.

C’est un groupe où les tensions sont perceptibles, non ?

C’est évident qu’il y a des tensions. Quand on fait des petits matches, les duels sont trop durs, trop dangereux, on voit des pieds en avant. Peut-être que certains ont peur de perdre leur place, d’autres veulent la gagner. Mais c’est trop souvent extrême.

Tu n’as pas peur de gâcher ta carrière ?

Je suis conscient de la chance que j’ai. Parfois quand je m’entraîne, je m’arrête et je me dis : -Je suis bien un joueur pro ou c’est un rêve ? Vu d’où je viens, vu les équipes que j’ai connues, jamais je n’aurai pensé pouvoir vivre du foot. Je suis heureux de ma situation mais je n’ai pas peur pour autant qu’elle s’arrête. Plein de gens m’ont dit : – Fais gaffe, Bruges pourrait te laisser tomber, etc. Moi je me suis dit : – Si ça doit s’arrêter là, ça s’arrêtera.Point final. Si demain, je dois travailler à l’usine ou dans un snack pour vivre, je m’y rendrai sans problème. Mais le foot, quoi qu’il arrive, je continuerai toujours à y jouer. C’est en moi. Je sais que jamais je ne gagnerais autant d’argent qu’au foot, je ne suis pas idiot. Mais l’argent n’a jamais été ma priorité. Mon truc, c’est jouer, m’amuser, profiter du don que j’ai reçu.

 » Mon image en a pris un coup « 

Tu n’as pas eu la crainte que les frasques auxquelles tu es associé te brouillent auprès de potentiels recruteurs étrangers ?

C’est clair que mon image en a pris un coup. Les recruteurs ne se braquent pas que sur l’aspect sportif, je le sais très bien. D’une certaine manière, j’ai mis ma carrière en danger. Toutes ces histoires me ralentissent.

Et les coups de sang que tu as eu sur le terrain, tu les imputes à quoi ?

Malheureusement, il y a trop de gens qui ne jouent pas au foot, qui cherchent uniquement à vous sortir du match. Qu’on mette des coups ok, mais je ne supporte pas les provocations verbales.

Peut-être qu’on te provoque davantage parce qu’il est plus facile de te sortir du match que d’autres ?

C’est vrai que je peux vite monter dans les tours. Et mes adversaires le savent. C’est pourquoi j’entends souvent : -A rrête de tomber, Jeanette, etc. La plupart du temps, je rigole. Mon jeu est un jeu fait de provocation, de dribbles. C’est ma provocation à moi, j’utilise mes pieds, eux utilisent leur bouche. Mais il est arrivé que ça soit payant. A Lokeren, l’an dernier, Koster me remplace à l’heure de jeu parce qu’il avait vu que mes adversaires m’avaient sorti du match. Je faisais n’importe quoi, je répondais à leurs provocations. Sur ce point, aussi, faut que j’apprenne. Je pense toutefois être sur la bonne voie. Les petits croche-pieds que je pouvais faire en retour, c’est derrière moi. En tous les cas je le crois. Faut un peu me faire confiance ( il rit).

Tu as hésité à partir de Bruges au moment de ton renvoi dans le noyau B ?

Oui. J’ai demandé à mon entourage qu’il fasse jouer ses contacts. J’avais vraiment envie de changer d’air. Et j’en ai eu des touches et certaines sérieuses. Que ce soit en France, en Turquie, en Angleterre où un club voulait que je vienne faire un stage. Mais j’ai rapidement eu une discussion avec les dirigeants. Tout est vite rentré dans l’ordre. D’autant que j’ai eu énormément de marques de soutien de supporters. Que ce soit par des lettres ou via Facebook. Rien que pour eux, je me suis dit que je devais relever la tête.

Qu’est-ce qui t’irrite encore ?

A l’entraînement, c’est parfois trop sérieux. Les Flamands ont leur mentalité, c’est toujours à fond. Komaan, komaan ! Y’a jamais de répit, de relâche. Pourtant je suis persuadé qu’il faut pouvoir s’amuser sur un terrain. Les tensions dans l’équipe sont dues aussi à ça. On ne sourit pas assez à l’entraînement.

Qui est celui dans le groupe qui peut remettre de l’ordre quand ça chauffe de trop ?

Il n’y en a pas vraiment. C’est ce qui nous manque. Même les joueurs qui ont de l’expérience, qui sont censés calmer les situations, ils râlent. Quand Stijn encaisse un but à l’entraînement, il lui arrive de dégager le ballon. Il ferait mieux de les arrêter ( il rit). Toutes ces petites choses créent un climat parfois pesant. Que ce soit Carl Hoefkens, Stijn ou Geert De Vlieger, c’est à eux de remettre les choses à leur place, de se faire entendre. Malheureusement ils ne le font pas assez ou d’une mauvaise manière.

Il arrive que ça dégénère dans le vestiaire ?

Non jamais. Ceux qui sont un peu frustrés prennent leur douche et s’en vont, c’est tout. La seule fois où ça a dégénéré, c’est après notre match à Gand où on s’est fait laminer 6-2. Là ça a vraiment gueulé mais je ne peux pas dire ce qui s’est dit, c’était en flamand ( il rit).

 » L’hypocrisie de certains joueurs m’a dégouté « 

T’as de vrais amis dans le groupe ?

Je m’entends avec tout le monde mais, mis à part Dahmane ou Maxime Lestienne, ce ne sont pas des potes. J’ai cru que certains l’étaient mais quand j’ai lu certaines de leurs déclarations dans les journaux, j’ai compris comment ils fonctionnaient. Sur le coup, j’avais envie de m’expliquer avec eux. Leur hypocrisie m’a dégoûté. Un gars comme Lestienne, c’est l’inverse, c’est typiquement le petit gars du quartier. On voit qu’il n’a pas d’arrière-pensées, il est encore naïf et tant mieux. Mais ils sont peu nombreux dans le foot pro.

Tu étais finalement heureux chez les Espoirs ?

J’ai kiffé. Les gars sont honnêtes, ils sont encore jeunes. On voit des sourires, il y a pas de faux semblants. Les gars se défoncent à l’entraînement mais dans le bon sens du terme. Rien que pour ces jeunes là qui travaillent comme des fous pour atteindre la Première, je dois revenir dans le coup. Finalement, ça m’a fait du bien de me retrouver avec eux.

Tu n’es peut-être pas fait pour le foot pro ?

Je ne me suis jamais attendu à en faire partie. Dans ma tête, ça a longtemps été troisième division maximum. Aujourd’hui, je n’ai pas besoin d’aller à l’étranger. Moi je suis bien ici, chez moi en Belgique, à Bruxelles. J’ai construit ma maison, je suis heureux. Il ne me faut rien de plus. Pas besoin de Ferrari ou d’habiter à Waterloo ou de porter des trucs Gucci ou Louis Vitton, qui ne me vont de toute façon pas. Je préfère rester au milieu des gens, rester en contact avec la vraie vie.

par thomas bricmont – photos: belga

« Oui il y a des tensions à Bruges. A l’entraînement, les duels sont trop durs, trop dangereux, on voit des pieds en avant. »

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