» J’ai eu très peur pour ma carrière « 

L’attitude a beau être restée décontractée, l’ex-gaucher virevoltant du Standard revient en exclusivité sur les douze derniers mois compliqués. Entre transfert, revalidation, Maroc et Daghestan…

C’était il y a quasiment un an, le 17 mai 2012. Mehdi Carcela débordait sur son flanc droit avant de se prendre en pleine face un high-kick du joueur de Genk, Chris Mavinga. Les images du choc, le joueur totalement K-O, gisant sur le terrain, quasiment sans vie, éclipsèrent en partie le sacre des Limbourgeois. Depuis lors, la vie du petit gars de Droixhe a été fortement chamboulée. Son visage n’est plus le même, son environnement non plus.

Désormais, c’est Moscou son quotidien, son faste, son immensité et ses nouvelles rencontres. Comme il y a deux semaines, attablé au resto avec Roberto Carlos et… Zinédine Zidane. Carcela ne renie pas ses racines pour autant, elles lui sont indispensables. Sa ville, Liège, où a lieu cet entretien, ses amis et surtout sa famille qui a vécu l’enfer il y a un an :  » D’après les médecins, je suis passé à deux millimètres de la mort. Mais cet accident ne m’a jamais traumatisé. J’en rigolais même quand je me voyais sur Youtube… Mavinga ? Il s’est excusé directement à travers un message mais je ne l’ai jamais rencontré. Je ne pense pas que son geste était volontaire. L’excitation du match l’a amené à être trop impulsif, trop violent. Il voulait me montrer qu’il était là et bien là, sauf que c’est ma tête et pas le ballon qu’il a attrapée. « 

Standard et ses nouveaux dirigeants

Aujourd’hui, es-tu content de ton choix de carrière ?

Ce départ pour Anzhi, c’est la meilleure décision que j’ai prise de ma petite carrière. C’est la première fois où je me suis affirmé sportivement. Partir du Standard devenait une évidence depuis le changement de direction. Et apparemment, j’ai bien fait de ne pas y poursuivre ma route.

Si Luciano D’Onofrio était resté, cela aurait pu changer la donne ?

Oui, je crois que je serais toujours au Standard. Avec lui, j’aurais eu de bons conseils et l’assurance d’avoir une bonne équipe autour de moi. Lui, il connaît le foot.

Es-tu souvent retourné au Standard cette saison ?

J’y suis retourné mais en me procurant des places par mes propres moyens. La direction actuelle n’a jamais eu de respect pour moi, un ancien joueur du cru, qui leur a quand même rapporté un paquet d’argent.

Le Standard te manque-t-il encore ?

Surtout ses supporters. Sclessin, c’est un truc de fou ! Quand tu es dans le couloir quelques secondes avant de monter sur le terrain face à Anderlecht, tu ne t’entends même plus parler, tu en as des frissons. J’ai joué la Ligue des Champions, je connais les stades russes mais je n’ai jamais vu un public aussi bouillant que celui du Standard. Ça doit être l’un des plus chauds d’Europe même si celui d’Anzhi se débrouille pas mal au niveau de l’ambiance.

Pourquoi avoir choisi Anzhi alors que d’autres formations semblaient intéressées ?

Surtout parce que ce club ne me mettait pas la pression pour revenir dans le coup après ma blessure. Et je crois avoir fait le bon choix car j’ai eu énormément de mal à retrouver mon niveau physique et technique. En vacances, quelques jours après le choc, je ne savais même plus jongler. J’avais l’impression d’avoir désappris à jouer. Au début, j’ai eu très peur pour la suite de ma carrière. Mon premier entraînement avec Anzhi fut terrible. Toutes mes frappes partaient dans les nuages. Il a fallu environ deux mois pour que je retrouve mes sensations de footballeur. Aujourd’hui, par contre, je me sens parfaitement bien, je n’ai jamais été aussi fort physiquement. J’ai repris du poids grâce notamment à un gros travail en salle au club. Je suis plus puissant, plus rapide sur les longues courses. Au Standard, je n’utilisais pas assez la profondeur et donc je ne me rendais pas compte de ma vitesse. Même dans les duels, je me sens bien plus fort.

Comment s’est déroulée ta convalescence ?

J’avais des maux de tête, des pertes de mémoire les premières semaines. Je dormais énormément, environ douze heures par jour. J’étais tout le temps fatigué. Vu la violence du choc, cela n’avait rien d’étonnant. La semaine dernière ( lisez il y a dix jours), j’ai passé un scanner à Liège et je n’ai plus d’inquiétudes à avoir. Mes os sont consolidés, les examens neurologiques sont ok. Le médecin m’avait prévenu que cela allait prendre entre six mois et un an pour récupérer. Aujourd’hui, c’est derrière moi.

Comment as-tu occupé la longue trêve du championnat russe ?

J’en ai profité pour rattraper mon retard de condition d’autant que je pressentais que j’allais être sélectionné pour la CAN. Du 10 au 25 décembre, je suis parti à Cannes où j’ai travaillé sous les ordres du médecin qui avait retapé Didier Drogba (blessé au cubitus) avant la Coupe du Monde 2010. J’avais trois entraînements par jour au programme dont la plupart sur la plage avec des exercices très spécifiques et des soins le soir. Quinze jours non-stop, sans rien faire d’autre que de la remise en condition. Au final, j’ai été très content du résultat.

Gerets et le Maroc

Vu ton faible temps de jeu, ta participation à la CAN était une surprise, non ?

En partie, même si j’y ai toujours cru. Je savais que Gerets comptait sur moi.

Comment expliquer l’échec du Maroc durant cette CAN alors qu’il faisait figure de favori ? On a notamment parlé d’une préparation à Malaga qui n’avait pas été optimale…

Ça n’a rien à voir avec la préparation. Si on revoit les trois matches de poule, à chaque fois on était meilleurs, mais la pièce n’est jamais tombée du bon côté. Face au Gabon, on revient à 2-2 et dans la foulée on se prend un coup franc que le joueur ne remarquera plus jamais de sa vie. Ce soir-là, je n’ai rien compris. On avait tout contre nous.

La presse marocaine a été très dure envers Gerets dont le statut a basculé de messie en paria en très peu de temps.

Les joueurs n’ont rien à lui reprocher. Je le considère toujours comme un excellent coach et les derniers événement n’y ont rien changé. Tout le monde au Maroc était frustré par les résultats : que ce soit les joueurs, la presse, le peuple. Et quand ça ne va pas, c’est toujours l’entraîneur qui trinque. D’autant que Gerets a pris beaucoup sur lui, il a toujours voulu protéger ses joueurs des critiques.

Penses-tu qu’il va continuer à la tête de la sélection marocaine ?

Je n’ai plus eu de nouvelles de lui depuis un petit temps mais j’espère qu’il va tenir ses promesses et qu’il restera. Ses entraînements sont pointus et psychologiquement, il est très fort, il connaît tous ses joueurs par c£ur. C’est sa grande force.

Le fait de ne pas être titulaire dans ton club mais tout de même repris en sélection pour la CAN, cela a pu créer des jalousies ?

Non, pas du tout. Tout le monde connait mes qualités, sait de quoi je suis capable. Mes partenaires ont vu que je me suis relevé très vite de ma blessure alors que je suis passé tout près de la faucheuse.

Est-ce que la présence de ton partenaire en sélection, Mbark Boussoufa, a joué un rôle dans ta venue à Anzhi ?

En quelque sorte oui puisque je le connaissais de la Belgique. Je m’étais dit que si j’allais en Russie, je signerais à Anzhi et non au Spartak Moscou car le club compte davantage de francophones, ce qui devait faciliter mon intégration. D’autres clubs étaient aussi intéressés : Udinese, le Sporting Lisbonne et plusieurs clubs français. Mais à Anzhi, je pouvais retrouver mon niveau à mon rythme sans pression. Si j’avais signé à Udinese, le risque existait d’être prêté dans la foulée et de me retrouver dans un club bien moins prestigieux.

Moscou et l’argent

Ça ressemble à quoi la vie d’un footballeur d’Anzhi vivant à Moscou ?

Moscou, c’est un autre monde. De prime abord, les Russes paraissent froids. Mais quand tu les connais, ils se dérident. Et puis, les gens ne font pas attention à toi, il y a tellement d’argent pour certains qu’ils ne se préoccupent pas du fait que tu es footballeur. A Moscou, si tu oublies d’où tu viens et que tu ne restes pas toi-même, tu peux vite monter dans les tours et péter un câble.

Et tu arrives à rester les pieds sur terre ?

Bien sûr. Mon environnement, ça a toujours été ma famille, que l’argent soit là ou pas. Ma nouvelle vie ne m’a pas changé, je reste le même à Moscou ou à Pierreuse. Et si demain, je devais ne plus avoir les mêmes moyens financiers, je n’en aurais rien à foutre.

Quand tu reviens en Belgique, tu la joues Moscovite ?

Non je fais le  » Liégeoisvite « . On me voit arriver avec une belle voiture, un plaisir que je me suis offert, mais sinon je suis toujours le même, entouré de mes proches et de mon noyau dur d’amis. A Liège, pas mal de gens ont voulu profiter de ma situation. Aujourd’hui, je sais qui sont mes vrais amis, l’équipe est faite. C’est plus une équipe de mini-foot sans remplaçant ( il rit).

Tout le monde pense que j’ai choisi Anzhi uniquement pour l’argent. Si cela avait été ma seule motivation, j’aurais été en Arabie Saoudite où j’aurais pu gagner le triple. Je le répète, l’important était de pouvoir retrouver la forme à mon rythme. Le noyau d’Anzhi, qui est étoffé, me le permettait. Deuxièmement, la longue trêve en Russie – qui dure de novembre à mars – était également un paramètre important car je pouvais me retaper sans la pression des matches.

Le plus grand rêve de Mehdi Carcela, c’est quoi ?

D’arriver le plus haut possible dans le foot, d’évoluer dans le plus grand club du monde. Real Madrid ou Barça comme ça si j’y arrive un jour, on ne pourra rien me reprocher ( il rit). Man City, j’aime beaucoup aussi. Ce que Vincent Kompany y réalise, c’est costaud. Il est la preuve que tout peut aller très vite en foot : star du foot belge très jeune avant de connaître des problèmes et des blessures à Hambourg, puis à Manchester City qui n’est pas encore détenu par les Qataris pour finir par être un des boss de l’équipe championne d’Angleterre.

L’autre belge qui cartonne, c’est Hazard. T’as une primeur sur sa future destination ?

Alors là… Tu sais moi et le foot… Je le connais parce que j’ai joué avec en équipe nationale belge mais pour le reste….

Roberto Carlos, il évoquait quelque chose pour toi avant de débarquer à Anzhi ?

Oui quand même ( il rit).

Et l’international russe Yuri Zhirkov qui a joué à Chelsea ?

Alors là, je n’en avais jamais entendu parler.

Tu n’es donc pas accro au foot ?

Non. Je crois que c’est une forme de ras-le-bol. Quand j’étais gamin, le foot était ma vie. Dès qu’il y avait un match à la télé, il fallait que je le regarde. Je ne vivais que pour ça. Mais depuis que je suis pro, j’ai besoin de m’évader, de penser à autre chose. Aujourd’hui, je déteste regarder les autres jouer mais sur le terrain par contre, je m’éclate, je donne tout.

Eto’o, Roberto Carlos et Hiddink

Qu’est-ce que cela fait de jouer avec un des meilleurs attaquants du monde, Samuel Eto’o ?

Il est comme un grand frère. Il me donne énormément de conseils. Quand on voit sa carrière, on ne peut que l’écouter et se taire. Et pourtant des équipiers, je n’en ai pas écoutés beaucoup ( il rit). Au-delà de l’aspect humain, de sa grande générosité, il reste au top sportivement, c’est de loin le meilleur joueur avec qui j’ai joué. Exemple : la dernière passe que je lui ai adressée ressemblait davantage à une frappe, eh bien lui, il a contrôlé le ballon tranquillement. Samuel marque encore comme il respire. Son démarrage est toujours aussi impressionnant et il a un sens du placement incroyable. Il arrive à se faire oublier, à se mettre hors-jeu avant de surgir de sa boîte et prendre toute la défense par surprise. Je n’ai malheureusement pas pu jouer avec Roberto Carlos (NDLR : il a mis fin à sa carrière et fait partie du staff d’Anzhi). Tout ce que je peux dire, c’est qu’il a toujours sa frappe…

Comment se déroule ta relation avec Guus Hiddink ?

C’est un grand entraîneur, il suffit de voir les clubs qu’il a entraînés (Real Madrid, Chelsea, etc.) En fait, je ne suis pas intimidé par le personnage. Je ne suis d’ailleurs jamais intimidé, encore moins qu’à mes débuts au Standard. Cette forme de décontraction, c’est une de mes forces. Mais j’ai beaucoup de respect pour lui et je sens qu’il m’aime bien. A la fin de la saison, il m’a pris dans ses bras et m’a dit qu’il voulait que je sois encore au club l’an prochain, qu’il comptait beaucoup sur moi. Ça fait évidemment chaud au c£ur.

Te revoir en Belgique est donc improbable. Des rumeurs t’ont pourtant annoncé du côté d’Anderlecht et même de Bruges ?

Je peux affirmer qu’il n’y a pas de contact avec ces deux clubs à l’heure actuelle. Cela dit, je ne ferme la porte à personne. Passer du Standard à Anderlecht ? Pourquoi pas si c’est toujours la même direction au Standard et que c’est la dernière solution. Eto’o est bien passé du Real au Barça. Mais je ne m’inquiète pas pour mon avenir car malgré ma saison difficile, l’intérêt reste bien présent. Pas mal de clubs français , anglais et italiens sont très intéressés mais j’analyserai tout cela lors de la reprise des entraînements le 15 juin.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ KETELS

 » Si l’argent avait été ma seule motivation, j’aurais été en Arabie Saoudite. « 

 » A Moscou, tu peux vite monter dans les tours et péter un câble. « 

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