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 » J’ai eu des idées noires « 

En janvier 2017, Armand Marchant chute gravement en Suisse et craint le pire : le plateau tibial de sa jambe gauche est en miettes et les médecins sont loin d’être optimistes, aussi bien pour la carrière du skieur belge, que pour sa santé tout court. Après sept opérations, plus de deux ans et demi de rééducation, l’athlète de 21 ans est de retour sur les pistes glacées des plus grands massifs mondiaux.

Grand sourire, épaules larges. Deux ans plus tard, Armand Marchant donne rendez-vous au même endroit, mais pas avec la même carrure. Le 12 septembre dernier, l’Hôtel Van der Valk de Verviers accueille un homme changé, plus solide, plus carré, et qui tient sur ses deux jambes, surtout. Le plateau tibial explosé  » en plein de petits morceaux  » début 2017 à Adelboden (Suisse), un mois après avoir scoré les premiers points d’un skieur belge en Coupe du Monde à Val d’Isère, le gamin de Thimister voit son ascension stoppée nette, en pleine course.

 » Pendant les quarante minutes qui ont suivi l’accident, l’attente était insoutenable. Ma mère, qui est vétérinaire de formation, pensait que c’était déjà une bonne chose si j’arrivais à remarcher « , rembobine-t-il, à désormais 21 printemps et en se délectant d’une boisson fraîche. Sept opérations suivent, entre parties de puzzle chirurgicales, ligamentoplastie et arthroscopies. Une longue traversée d’un désert arctique qui s’est définitivement terminée début août avec son retour officiel sur les pistes néo-zélandaises, saison oblige.

Sur les crêtes d’Océanie, il a pu voir la relève bousculer la hiérarchie, à l’instar de Sam Maes, ex-médaillé de bronze aux Mondiaux juniors. De quoi voir venir pour la délégation noir-jaune-rouge :  » C’est un lien de cause à effet : j’ai montré aux autres que c’était possible de le faire « , se félicite encore celui qui devrait enfin regoûter aux joies de la Coupe du Monde dans un mois, à Levi, station de la Laponie finlandaise. Un soulagement.

 » Je vis pour ces moments-là. J’en ai rêvé pendant longtemps. Pour les Coupes du Monde, il y a une atmosphère, une ambiance… C’est palpitant. J’ai hâte d’y être.  »

Après ton accident et les premières opérations, tu dois passer plus de quarante jours cloué au lit. Comment tu as vécu cette longue attente ?

ARMAND MARCHANT : Déjà, j’étais crevé, au bout du rouleau. J’avais tellement mal que je ne dormais quasiment pas de la nuit. J’ai mis une vingtaine de jours à vraiment reprendre mes esprits… Sur cette période, j’ai perdu plus de dix kilos. Ensuite, je me suis habitué et je me suis occupé comme je pouvais, en lisant ou en jouant à la console. Je suis un gros fan de bagnoles, donc je regardais les annonces, je m’imaginais retaper tel ou tel engin… J’ai aussi assez vite repris le sport en faisant du vélo à bras pour réactiver le haut de mon corps.

 » J’en étais presque à vouloir qu’on m’ampute  »

Dans ces moments-là, tu ne t’es pas dit que tu ne reskierais plus jamais ?

MARCHANT : ( Il souffle) Quand même. Au début, je pensais que j’allais perdre ma jambe. Et, à Anvers ( là où il s’est fait opérer à son retour de Suisse, ndlr), c’était tellement compliqué que j’ai fini par me dire que si je l’avais effectivement perdue, ça aurait facilité les choses. L’atmosphère autour de moi n’était pas rassurante, alors j’ai eu des idées noires, forcément. Sur le moment, j’en étais presque à vouloir qu’on m’ampute…

Ma mère pensait que c’était déjà une bonne chose si j’arrivais à remarcher.  » Armand Marchant

Qu’est-ce qui t’a fait tenir ?

MARCHANT : Franchement, aucune idée. J’étais dans ma bulle, sous le choc. C’était comme si j’avais lancé un caillou, en attendant de voir où il allait atterrir. C’était une période un peu bizarre : je ne savais plus trop où j’en étais, ni ce qu’il fallait faire. Dès que j’ai pu reposer le pied, que j’ai pu recommencer à travailler, j’ai commencé à me reprendre au jeu.

Après plusieurs semaines de rééducation, tu rechausses les skis, mais ton genou te fait toujours souffrir. Tu dois à nouveau te faire opérer : des ligaments croisés d’abord, puis du ménisque ensuite. Tu n’avais pas l’impression de tourner en rond, voire de jamais pouvoir atteindre le bout du tunnel ?

MARCHANT : Si, un peu… ( pensif) En fait, la période la plus difficile, c’est celle entre les opérations. Tu demandes à ton chirurgien de le voir pour qu’il te soulage et puis, tu attends le verdict. Là, c’est hyper compliqué, parce que tu ne sais pas ce qui va advenir de toi… Quand j’ai appris qu’il fallait me réopérer des croisés, c’était assez dur à vivre. Je repartais pour six nouveaux mois de rééducation, entre ma maison et les centres spécialisés… Au final, j’ai fini par me convaincre que c’était un mal nécessaire et qu’il fallait passer par là.

Tu as dû entretenir une relation particulière avec ton chirurgien…

MARCHANT : Clairement ( il rit). Depuis le début, c’est le professeur Verdonk qui m’a suivi. Pour lui, c’était aussi un beau challenge. Il m’a même écrit plusieurs fois, dans des mails : Tu es mon miracle chirurgical. Je ne pensais pas que tu reskierais un jour. Mais il a toujours su que c’était quelque chose que je voulais plus que tout. Aujourd’hui, quand je lui envoie un message, il me répond dans la demi-heure alors qu’il bosse comme un fou. Sans lui, je n’aurais pas pu arriver où j’en suis aujourd’hui. À un moment donné, j’étais dans le doute et j’avais consulté un autre chirurgien, en France. Son discours était plutôt démotivant : il m’a fait comprendre qu’il fallait arrêter les frais. Quand je suis sorti du rendez-vous, j’étais abattu. Je devais faire la route jusqu’à chez moi, seul dans ma camionnette. Ce trajet-là, je m’en rappelle bien…

 » Avant, j’étais sur mes skis comme j’étais en dehors  »

Lors de notre dernière entrevue, en novembre 2017, tu disais avec ironie être le recordman du monde du nombre de participations à des courses. Avec le recul, tu ne penses pas que c’est ce rythme effréné qui a provoqué ta blessure ?

MARCHANT : Peut-être, même s’il y a tout un enchaînement de causes. Quand j’ai rencontré mon coach, Raphaël Burtin, il voulait que je skie autant que les Français, que je rattrape mon déficit de progression. Donc a on a skié comme des malades. C’est presque devenu une habitude. Ma blessure intervient en janvier 2017 mais pour moi, l’origine remonte à la fin de saison précédente. J’étais parti avec deux potes en Thaïlande, après avoir quasiment enregistré le record de courses sur une saison. C’était la première fois que je partais sans mes parents…

J’étais bien claqué, mais disons que je ne me suis pas vraiment reposé ( sourire). À mon retour, j’ai repris tout de suite, à fond. Je sortais d’une grosse saison et je n’avais qu’une envie : réattaquer. Puis, tout s’est enchaîné. Mon résultat à Val d’Isère ( ses premiers points en Coupe du Monde, ndlr), où j’ai choppé une grippe, la course suivante à Zagreb et celle, dans la foulée, à Adelboden. J’avais directement rejoint la Suisse depuis la Croatie en camionnette. Avant l’accident, j’étais donc encore malade et j’avais plusieurs heures de trajet dans les jambes… Il y avait tout un contexte.

Armand Marchant :
Armand Marchant :  » Je vais tout faire pour être à Pékin en 2022. Mais je n’ai pas envie d’y aller pour poster des photos Instagram. « © BELGAIMAGE/BRUNO FAHY

Qu’est-ce que cette expérience t’a appris sur toi-même ?

MARCHANT : Je veux être moi-même. Quand tu es jeune, tu te cherches un petit peu, tu batifoles à droite, à gauche… Tu te noies dans ton verre. Avant, j’étais sur mes skis comme j’étais en dehors. Maintenant, je m’octroie plus de moments pour décompresser, pour me relaxer. Le ski demande tellement d’énergie qu’il faut arriver à relâcher la pression. Ça passe par des petits week-ends entre potes. Même pendant ma blessure, j’ai claqué des grosses soirées parce que ça me permettait d’oublier. C’est une nécessité. Sur le moment, tu te lâches et ça fait vraiment du bien. Ça m’a aidé et c’est quelque chose qu’il faut que je garde. Il faut aussi que je profite de ma jeunesse, je ne voudrais pas passer à côté. Je veux vivre pleinement ma vie en dehors du ski. Dans la vie de tous les jours, je redeviens un jeune de 21 ans, comme tout le monde.

 » Mes skis, c’est comme si je ne les avais jamais quittés  »

Armand Marchant serait-il devenu un autre homme ?

MARCHANT : Oui, il a grandi ( il rit). Je suis plus proactif. Avant, mon préparateur physique me donnait un programme et je l’appliquais à la lettre. Maintenant, je suis plus critique, je m’intéresse aux exercices, j’essaie de les améliorer. J’ai mon mot à dire et je veux gérer davantage mon équipe. Si je sais qu’un exercice va me faire mal et que je ne veux pas le faire, mon préparateur physique sait qu’on ne le fera pas. Je n’ai pas la science infuse mais je reste quand même la première personne à ressentir les sensations, sur la piste.

En parlant de sensations : tu retrouves officiellement les pistes cet été, en Océanie, après plusieurs gallons d’essai en France et en Italie. C’est même une réussite puisque tu remportes le championnat de Nouvelle-Zélande de Super G, début août. Tu n’avais pas peur d’avoir perdu les automatismes ?

MARCHANT : Pas vraiment, parce que j’avais fait beaucoup d’imagerie mentale, j’avais beaucoup visionné mes courses et celles des autres… Quand tu passes de la position de coureur à coach ou observateur, tu apprends et tu restes neutre. Que tu sois battu ou pas, peu importe, tu es dans ton canapé. Il n’y a pas de frustration pour venir te parasiter, puisque tu ne fais qu’analyser. Alors, quand je suis remonté sur les skis, c’est comme si je ne les avais jamais quittés.

Avant de te lancer dans ta première manche, au slalom géant de Coronet Peak, il devait y avoir pas mal d’émotions…

MARCHANT : Oui, c’était un grand moment d’émotions ( large sourire). Au départ, c’était même difficile de me concentrer, tellement il y en avait. À l’arrivée de la première manche, je finis quatrième… Là, il y a eu quelques petites larmes ( il sourit). J’ai terminé dans les bras de mon kiné et de mon coach et il n’y a pas eu trop de mots. On sentait tous les trois que c’était un truc de fou. L’histoire était enfin bouclée, la page était enfin tournée. Sur le moment, certains coureurs m’ont félicité, d’autres étaient tout simplement surpris parce qu’ils m’avaient carrément zappé ( rires). C’était une belle victoire pour moi : pendant deux ans et demi, alors qu’ils s’entraînaient, moi, j’étais alité ou à la salle de muscu. Au final, le petit gars qui avait disparu les bat, d’entrée. Voir leur respect et leur reconnaissance, ça m’a vraiment fait du bien.

 » J’ai eu le temps d’en apprendre sur moi  »

Ce parcours du combattant te donne un avantage sur tes concurrents ?

MARCHANT : Peut-être que si je n’avais pas eu à traverser cette épreuve-là, je ne serais pas le skieur que je suis aujourd’hui. J’ai eu le temps d’en apprendre énormément sur moi, ça m’a forgé. Maintenant, l’objectif, c’est de remarquer à nouveau des points en Coupe du Monde. Ma blessure m’a aussi fait manquer les JO. J’ai vraiment envie de vivre une telle expérience et je vais tout faire pour être à Pékin en 2022. Mais je n’ai pas envie d’y aller pour récupérer le paquetage de tenue et poster des photos Instagram. Si j’y vais, c’est pour faire un bon résultat, pas seulement pour participer.

© BELGAIMAGE/BRUNO FAHY

 » J’ai progressé mentalement en jouant aux fléchettes « 

Tu nous avais également confié être  » programmé pour le sport  » et vouloir en essayer d’autres. Durant ta convalescence, tu as finis par trouver ton bonheur ?

ARMAND MARCHANT : Le seul sport dans lequel je pouvais me donner à fond pendant ma blessure, c’était le karting. Du coup, j’ai pas mal roulé en kart. Je m’en suis même acheté un, récemment. Ça ressemble pas mal au ski, au niveau de la vitesse et des trajectoires. J’aime beaucoup les sports moteurs, donc je pourrais éventuellement me tourner vers ça, une fois ma carrière terminée. Mais d’ici là, c’est vraiment le ski qui est fait pour moi. Je l’ai encore plus compris quand j’ai repris les courses.

Tu disais avoir travaillé sur  » l’imagerie mentale « . Par quel procédé ?

MARCHANT : Ça peut paraître surprenant, mais là où j’ai pas mal progressé mentalement, c’est en jouant aux fléchettes. Avec mon coach, on était tombés par hasard sur les championnats du monde, à la télé. Ensuite, on n’a pas arrêté de jouer. Dès qu’on est arrivés en Nouvelle-Zélande, on s’est acheté une cible. C’est un sport très mental, avec des moments très intenses mais aussi très courts de concentration, qui pourrait servir à pas mal de sportifs.

Par exemple, quand je dois rentrer un double 13 pour gagner la manche, je rentre dans une phase similaire à celle que je peux connaître sur les skis, avant le départ. Je ne pensais pas, mais ça m’a pas mal apporté. Par contre, je ne joue pas avant les courses. Sinon, je ne mets plus un pied devant l’autre et mon réservoir mental est complètement épuisé ( rires).

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