« J’ai été très près de coacher le Real »

Il a enlevé la Coupe intercontinentale avec le FC Porto puis il a mené le Real Saragosse à la victoire en C2. Maintenant, il veut remporter les PO2 avec Gand puis se hisser sur le podium en Belgique. À la découverte de Victor Fernandez Braulio.

De l’hôtel au terrain et retour. C’est la vie actuelle de Victor Fernandez (52 ans). En attendant que sa femme trouve l’appartement qui lui convient, au coeur de la ville, afin de pouvoir s’occuper durant les longues absences de son mari, l’entraîneur de Gand a passé les derniers mois à l’hôtel. Il n’y a pas bien dormi.  » Je bois trop de café, je crois, et je ne fais pas assez de sport.  »

Fernandez, le troisième entraîneur gantois de la saison, celui qui a fait remonter Gand au classement, effectue une analyse.

Quelles sont vos premières impressions du football belge ?

Victor Fernandez : Tous les matches sont difficiles, très disputés, très physiques. Je suis arrivé au pire moment, pendant un hiver très dur, durant lequel les terrains étaient en mauvais état. Il y a également un fossé entre les quatre ou cinq grands et le reste. Les grands jouent au ballon. Les autres préfèrent un jeu direct, avec des footballeurs rapides, athlétiques, qui profitent du mauvais état actuel des pelouses.

Placez-vous Gand parmi les ténors ?

Historiquement oui, mais pas cette saison. Dès le premier jour, j’ai tenté d’apprendre à mon équipe le football que j’ai toujours défendu : respect pour le ballon, jeu collectif, passes, centres. Le tout en fonction de nos qualités et des exigences du moment car à mon arrivée, il fallait prendre des points le plus vite possible. Ensuite, nous avons mis l’accent sur la qualité du jeu et je suis satisfait des progrès accomplis. Le groupe m’a facilité la vie en respectant à la lettre mes consignes. Il m’a surpris car il a dû travailler d’une manière inhabituelle pour lui.

C’est la première fois que vous avez lutté contre la relégation ?

Oui et c’est différent. Tout le club est nerveux. Il fallait mettre fin à ce négativisme. L’équipe restait sur douze ou treize matches sans victoire et elle avait perdu sa dynamique. Elle ne trouvait plus le chemin du but, elle encaissait trop, elle manquait d’assurance. Dans une seconde phase, j’ai ajouté un peu de panache à notre jeu mais sans entamer son efficacité.

 » Gand avait simplement besoin d’un meneur  »

Comment avez-vous procédé ?

Un : en renforçant l’esprit de groupe, en faisant comprendre aux joueurs que seul, nul ne réussirait. Deux : en leur insufflant confiance car certains étaient en dessous de leur niveau. J’ai été très exigeant, dès le premier jour. Très dur. J’ai mis l’accent sur la discipline, l’organisation.

Avez-vous été plus sévère que d’habitude ?

Oui, car c’est un groupe très hétérogène. Ceci dit, contrairement à ce que les observateurs en disaient, le noyau était prêt à travailler. Il avait simplement besoin d’un meneur. Il m’a accepté parce que je suis l’entraîneur mais aussi, par la suite, parce qu’il a reconnu la qualité de mon travail. L’autorité s’acquiert par des décisions, grâce à une vision, en essayant au jour le jour d’expliquer pourquoi on travaille de telle façon. Je le fais avant chaque entraînement, dans le vestiaire, que je quitte ensuite car il appartient aux joueurs. Ils peuvent s’y défouler. Je les ai piqués au vif. Un joueur ne demande généralement qu’une chose : pourquoi il ne joue pas. Il ne demande jamais pourquoi il travaille de telle ou telle manière ni quel but je poursuis. Seuls ceux qui veulent devenir entraîneurs ou directeurs techniques s’intéressent à ces aspects. Ma porte est toujours ouverte mais il est très difficile de la franchir et d’étaler ses incertitudes. Ils ne la passent que pour demander une autorisation.

Les transferts étaient effectués à votre arrivée. Cela a compliqué votre tâche ?

Le plus difficile est d’être souple. J’avais beau tout planifier, il avait parfois tellement neigé la nuit qu’il fallait tout changer. En Espagne, cela arrive deux fois par an, après de fortes pluies, mais ici, ça n’arrêtait pas. Il faut tenir compte du froid dans la programmation des séances. Ces derniers mois ont été instructifs et m’ont permis de progresser. Ma vision est valable partout mais je dépends d’autres critères : le climat, l’équipe, le championnat, les installations… celles d’Anderlecht sont exceptionnelles mais elles ne sont pas toutes comme ça.

Après avoir analysé le noyau, vous y avez ajouté deux transferts. Pourquoi ?

Dès que Gand m’a téléphoné, j’ai visionné quatre ou cinq matches, à domicile et en déplacement. Je n’ai pu en tirer beaucoup de conclusions puisque Gand avait entre-temps engagé cinq ou six joueurs. J’ai donc signé à l’aveuglette. Deux semaines et trois matches plus tard, j’ai été en mesure de tirer des conclusions importantes.

D’où l’arrivée de Kagé et de Lopez.

Il nous fallait quelqu’un pour calmer le jeu et un autre pour délivrer la dernière passe. Le club ne pouvait plus effectuer de transfert payant. Lopez ne constituait pas de risque économique mais encore fallait-il qu’il retrouve la forme. Et Kagé ? Je voulais quelqu’un qui joue verticalement, par les flancs. Soumahoro me plaît mais il est fragile. Lopez possédait trois qualités essentielles pour le groupe : professionnalisme, bon caractère et tête bien faite. Kagé m’a également surpris : il est empreint de rage de vaincre, il travaille et il est très discipliné.

 » Pelé n’a jamais aussi bien joué  »

Vous voulez réduire la taille du noyau.

Oui, je veux un noyau de 23 ou 24, pas de 30 ni même de 26 joueurs. Gand a actuellement 37 ou 38 joueurs sous contrat. La règle veut qu’ici on ne reprenne pas les jeunes du cru dans la liste des 25. Je veux supprimer cette porte dérobée. Nous cherchons des solutions pour chacun, avec un objectif : être parmi les trois ou quatre premiers. Je ne veux pas lutter contre la rétrogradation.

Offensivement, vous dépendez beaucoup d’Ilombe Mboyo.

Oui et il n’a jamais aussi bien joué car nous développons plus notre football. Nous nous créons des occasions à chaque match. Elles ne relèvent pas du hasard. Je veux que notre domination se concrétise au marquoir. Le club ne peut pas être trop dépendant d’un seul joueur. Il faut que la deuxième ligne amène des buts. Reste à voir si nous avons des joueurs capables de marquer ainsi ou si nous devons en enrôler ?

À une certaine période, les Belges ont apprécié le type scandinave : grand, baraqué, physique. Gand n’a pas dérogé à la règle.

Je n’ai rien contre un style de jeu en particulier et je vois encore beaucoup de footballeurs de ce genre sur vos terrains. À chacun son style mais ce sont quand même les grandes équipes qui donnent le la. Or, Anderlecht veut jouer au football, comme le Standard. Bruges : idem. Genk…. Cela fait tache d’huile. Il y a dix ans, en Espagne, nous avions de petits joueurs très habiles ballon au pied mais nous ne gagnions rien. Il fallait de la furia. Puis une génération d’exception est arrivée à maturité, avec un entraîneur, Luis Aragones, qui l’a défendue. Avec les victoires, tout est devenu plus facile…

Vous avez travaillé partout en Espagne. Y a-t-il un seul football ibérique ou plusieurs ?

Il y a beaucoup de différences. Globalement, je dirai que l’Espagnol du Nord est plus régulier, plus concentré sur son travail, beaucoup plus efficace et intense mais moins créatif. La formation a toujours été bonne au Pays basque, grâce au climat : grâce à la pluie, la pelouse pousse bien et les joueurs sont costauds. L’Espagnol du Sud est plus léger, moins régulier mais plus créatif, spontané et plus habile car ses terrains sont plus durs, plus secs et que, comme il fait chaud, il passe beaucoup de temps dehors. Le climat produit donc des types différents de footballeurs mais on ne le remarque pas car les grandes équipes recrutent dans tout le pays. Cette diversité fait toutefois sa richesse.

 » Porto fait partie des dix clubs les mieux organisés au monde  »

Travailler à Porto, c’est travailler avec l’élite, le pouvoir ?

Le FC Porto figure parmi les huit ou dix clubs les mieux organisés du monde. Porto, c’est le professionnalisme pur. Il exploite parfaitement tous ses moyens, sportivement, administrativement, qu’il s’agisse du marketing, de la promotion de la ville, des supporters. Il est ambitieux, agressif. Le pouvoir, oui, il le détient. Il achète des footballeurs chers et les revend avec un bénéfice. Il prend des risques, il vit sous pression. J’y ai vécu mon expérience la plus dure et injuste du football mais en même temps la plus gratifiante… Le club m’a limogé alors que nous étions troisièmes, alors que j’avais gagné la Supercoupe et la Coupe du Monde des Clubs, et que nous étions qualifiés pour les huitièmes de finale de la Ligue des Champions. Le président a estimé que nous perdions trop de points sur nos terres. Il avait raison. Nous étions à un point des leaders. Je lui ai répondu qu’il ne devait pas se tracasser, que nous serions champions. Il ne m’a pas accordé de délai. Il m’a limogé, Porto a perdu le titre et a été éliminé de la scène européenne. Quelques mois plus tard, le président m’a téléphoné. Il a avoué qu’il avait eu tort et il m’a invité à la fête qu’il donnait à l’occasion de ses 25 ans de présidence. J’étais à la table d’honneur. Ce fut un moment très émouvant. Le succès en football ne relève normalement pas du hasard, croyez-moi. Derrière tout succès se dissimulent beaucoup de travail et toute une organisation.

Qu’est-ce qui vous a manqué pour entraîner un grand club espagnol ?

Avant tout, je dois dire que je suis très satisfait de mon parcours en Espagne. Au nombre de matches de Primera Division, je suis quatrième, derrière Aragones, Irureta et Muñoz. J’y suis arrivé à 50 ans. Certes, j’aurais aimé lutter pour le titre. J’ai été très près d’un transfert au Real mais le train est passé sans me prendre. Il faut que beaucoup de pièces du puzzle s’emboîtent pour devenir entraîneur du Real ou de Barcelone. Qualités, talent, passé footballistique – il me fait défaut. Au début de ma carrière d’entraîneur, ça a certainement constitué un handicap.

Pourquoi avoir choisi un poste aussi loin de votre pays, après une pause ?

Pour relever un défi. Je peux apporter beaucoup à Gand et vice-versa. Un beau pays, tranquille et sûr, c’est bienvenu dans un monde empreint de tensions. Et puis, je suis à Saragosse en deux heures. Deux heures plus le temps qu’il me faut pour arriver à Charleroi… (Il éclate de rire). Trois heures, donc. De quoi apprendre l’anglais…

Votre femme était professeur d’anglais. Vous pourriez l’apprendre sur l’oreiller…

(Il rit.) Ici, j’y suis obligé. En fait, il y avait plusieurs défis. Un autre football. Je ne cherchais pas une quelconque sécurité économique sinon j’aurais demandé et sans doute obtenu un contrat de deux ans. À ce moment de ma vie, je cherche le bonheur, sportif et humain. J’ai besoin d’être reconnu à ma juste valeur, de relever un défi et de vivre dans un cadre chaleureux. C’est pour ça que je suis venu et que j’ai resigné. Gand est une ville magnifique et j’espère que l’hiver prochain sera plus clément.

PAR PETER T’KINT

 » Le groupe m’a accepté en raison de mon statut mais aussi de la qualité de mon travail.  »

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