» J’AI ÉTÉ INJUSTEMENT PUNI « 

Après 16 ans d’absence, Jean-François Gillet est de retour en Belgique. Formé au Standard, il défend à présent les couleurs du YRFC Malines après quelques saisons agitées en Serie A qui lui ont coûté sa participation au Mondial brésilien.

Samedi dernier, Jean-François Gillet (36 ans) a défendu les filets des Sang et Or au Club Bruges. Une semaine plus tôt, à Ostende, il avait seulement livré son cinquième match de championnat de Belgique. Etonnant, à 36 ans ! Lorsque Gillet a effectué ses débuts, en 1995-96, Harelbeke (aujourd’hui en Promotion), le Germinal Ekeren (qui n’existe plus), le RWDM (idem), Alost et Lommel évoluaient toujours en D1.

Vous vous rappelez votre tout premier match de D1 ?

JeanFrançoisGillet : C’était en coupe de Belgique au Germinal Ekeren, avec le Standard. En championnat, j’ai effectué mes débuts à Lommel, à 17 ans, sous la direction de JosDaerden. Cette saison-là, le Lierse fut champion. Milan Simeunovic et PeterMaes étaient les deux autres gardiens du Standard. La saison suivante, GilbertBodart est revenu de l’étranger et c’est AaddeMosqui entraînait. Puis Tomislav Ivicest arrivé, avec Vedran Runje. Et je suis parti.

Christian Labarbe, alors entraîneur adjoint au Standard, vous prédisait pourtant un bel avenir. Et vous étiez international espoirs.

Gillet : Le Standard avait quatre gardiens. J’avais 19 ans et je voulais absolument jouer. J’étais prêt à redescendre en D2 et à jouer comme semi-pro, tout en poursuivant des études. A un certain moment, j’ai discuté avec Lokeren, qui évoluait alors en D2, mais le transfert ne s’est pas fait. Un jour, on m’a appelé pour me parler d’un club de D2 italienne : Monza. Je ne voulais pas partir à l’étranger à tout prix mais l’offre était concrète et le Standard s’en contentait. J’étais étonné qu’un pays réputé pour ses gardiens fasse confiance à un jeune étranger inconnu. Car hormis le Français SébastienFrey, tous les clubs de Serie A et Serie B avaient un gardien italien.

Finalement, vous avez passé 16 ans en Italie. Combien de fois avez-vous failli revenir ?

Gillet : J’ai discuté deux fois avec le Club Bruges. La première fois lorsque ColinCoosemans y a effectué ses débuts, il y a quatre ou cinq ans. Nous étions pratiquement tombés d’accord. J’étais toujours à Bari et j’attendais la confirmation mais quand le téléphone a sonné, c’était pour m’entendre dire qu’ils allaient finalement faire confiance à Colin. La deuxième fois, j’étais à Torino. C’était en janvier, pendant le mercato d’hiver. Mais Torino ne voulait pas me laisser partir. J’ai aussi discuté à quelques reprises avec le Standard, sans parvenir à un accord entre les clubs. La troisième fois aura été la bonne. Je connais PhilippeVandeWalle, avec qui j’ai travaillé en équipe nationale, et OlivierRenard, qui a longtemps joué en Italie également. Malines m’intéressait. Après seize ans en Italie, j’avais besoin d’un nouveau défi.

 » ON SOUS-ESTIME LE NIVEAU DE LA JUPILER PRO LEAGUE  »

Quelles grandes différences y a-t-il entre la Jupiler Pro League et la Serie A ?

Gillet : On sous-estime le niveau de la Jupiler Pro League. On y trouve de bonnes équipes et beaucoup de bons joueurs. Si ce n’était pas le cas, les clubs des grands championnats ne viendraient pas faire leur marché ici. Seules les infrastructures laissent parfois à désirer mais vous voyez qu’on y travaille. En Italie, la préparation est beaucoup plus dure qu’ici. Là, il est normal de partir un mois en stage en montagne et d’y travailler deux fois par jour avec, de temps en temps, une demi-journée de récupération. Une fois, avec Torino, nous sommes partis pendant 40 jours, du 28 juin au 8 août. C’est très dur à tous les niveaux, physique et mental. Mais après quelques années, on s’y habitue. En Belgique, par contre, on accorde davantage de crédit aux jeunes et on les forme bien. C’est la marque de fabrique de la Jupiler Pro League. Ceci dit, à cause de la crise, les clubs italiens commencent à faire confiance au blé en herbe aussi.

Qu’est-ce que l’Italie vous a apporté ?

Gillet : J’y ai mûri, je suis devenu plus rusé. C’est très important en Italie. Le résultat passe avant tout et ça se ressent au niveau du spectacle. On y apprend très vite à casser le rythme d’un match, à ne penser qu’au résultat. Et tant pis si le jeu est moins beau. A Ostende, nous avons concédé six ou sept occasions à l’adversaire. C’était un beau match, ouvert. En Italie, c’est plus souvent le cas aujourd’hui mais quand j’y ai débarqué, il m’arrivait souvent de n’avoir qu’un seul arrêt à effectuer par match. Et il fallait répondre présent. Les rencontres étaient très fermées.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris là-bas ?

Gillet : Qu’un pays aussi fou de foot possède d’aussi vieilles infrastructures. Seule la Juventus a un nouveau stade et on voit les conséquences : elle vient de décrocher quatre titres d’affilée, brasse des sommes importantes et a joué la finale de la Ligue des Champions.

La saison dernière, vous êtes parti à Catane, un club dont on a appris que le directeur sportif et le président auraient acheté des matches. On a été surpris par ce transfert car vous aviez retrouvé une place à Torino et vous jouiez bien. Que s’est-il passé ?

Gillet: Après ma suspension, j’avais retrouvé ma place et j’étais en forme mais en janvier, l’entraîneur m’a appelé. GiampieroVentura me connaissait très bien car nous avions travaillé ensemble à Bari. C’est lui qui m’avait fait venir à Torino. Il m’a dit que, comme le club était sauvé et que j’étais en fin de contrat, le moment était venu de lancer un jeune gardien, encore sous contrat pour trois ans. A ce moment-là, j’étais prêt à resigner à Torino mais je n’avais pas envie de rester sur le banc car, hormis pendant ma suspension, j’avais toujours joué. C’est à ce moment-là qu’a surgi la proposition de Catane, qui voulait remonter en Serie A et me proposait un contrat de deux ans et demi. La Sicile me semblait être un endroit agréable à vivre. Nous avions un bon groupe et la plupart des joueurs étaient encore sous contrat mais ça s’est mal terminé.

 » J’AI ÉTÉ SUSPENDU SUR BASE D’UN MATCH QUE JE N’AI PAS JOUÉ  »

Le président déclare qu’il ne voulait pas que ses joueurs sachent qu’il avait acheté des matches pour ne pas qu’ils parient en masse sur ces rencontres. Ça me semble bizarre comme explication.

Gillet : Tout cela est regrettable. Catane était un bon club, il allait construire un nouveau stade, les joueurs s’entendaient bien… Je suis parti en vacances avec la certitude que, cette saison, nous allions lutter pour le titre. Puis tout a explosé. Lorsque Malines s’est manifesté parce qu’AnthonyMoris s’était blessé, j’ai sauté sur l’occasion.

Et si Moris ne s’était pas blessé, qu’auriez-vous fait ?

Gillet :Aucune idée. Dans ces conditions, il était exclu que je reste à Catane. J’ai déjà été injustement puni suite à une autre affaire de corruption. Quand j’ai appris l’histoire de Catane, j’ai immédiatement décidé de partir.

Vous n’avez jamais rien remarqué de bizarre dans ces cinq matches ?

Gillet : Rien ! Comme les autres joueurs, j’ai appris ça par la presse. Le championnat était terminé, tout le monde était en vacances et les intéressés ont été directement arrêtés.

D’un côté, vous jouez votre match sur le terrain et de l’autre, tout se décide en coulisses…

Gillet : Vous savez, je n’ai vraiment pas envie de revenir sans cesse là-dessus.

Mais ce sont des choses qui ont influencé votre carrière. Ça vous a même fait louper une Coupe du monde.

Gillet : C’est vrai. Et je trouve injuste d’avoir été puni pour ne pas avoir dénoncé d’autres personnes sur base de soupçons, sans preuves. J’ai été suspendu sur base d’un match que je n’ai même pas disputé. Parce que j’étais capitaine et qu’il fallait faire un exemple.

C’est quand même un championnat bizarre. Des supporters de Bari, le club dont vous défendiez brillamment les couleurs, ont été arrêtés alors qu’ils partaient chez vous en expédition punitive.

Gillet : Oui, parce qu’ils m’avaient demandé de fausser des matches et que j’avais refusé. Vous imaginez : vos supporters qui vous demandent de perdre intentionnellement un match ? Un footballeur pro doit s’attendre à tout mais ça… Je me suis dit que ce n’était pas possible. Mais c’était bien le cas. Je retourne parfois à Bari car ma femme est originaire de cette ville mais le lien avec la ville est rompu. J’ai tout donné pendant dix ans et je ne m’attendais pas à être traité de la sorte. Le jour où j’ai été approché, je suis allé voir le directeur sportif pour lui demander ce qui se passait et je lui ai dit que la saison suivante, je ne serais plus là. Fini ! C’est pourquoi, à la fin de cette saison-là, je suis parti à Bologne.

Regrettez-vous certaines décisions ?

Gillet : Si j’avais su ce que je sais aujourd’hui, je ne serais pas resté dix ans à Bari. Ça m’a vraiment dégoûté.

 » CHEZ LES DIABLES, JE ME CONTENTE DU SORT QUI M’EST RÉSERVÉ  »

Vous avez raté la Coupe du monde. C’est votre plus grande déception ?

Gillet : C’était injuste. C’est pour cela que je voulais quitter l’Italie. Mais Torino n’a pas voulu.

Vous comptez de nombreuses sélections en équipe nationale mais peu de matches.

Gillet : On a commencé à me suivre en 2009, quand j’ai rejoint la Serie A avec Bari. Au départ, j’alternais avec Logan Bailly puis nous avons gagné 0-2 en Russie et j’ai livré un très bon match mais, lors de la rencontre suivante, les médias ne parlaient que de Silvio Proto et de SimonMignolet. J’étais déçu car je m’attendais à jouer davantage. Aujourd’hui, je me contente du sort qui m’est réservé. ThibautCourtois et Mignolet sont très forts. Ce sont aussi de bons gars en dehors du terrain. Après un match, Thibaut ne se pose pas trop de questions, il ne ressent pas la pression, je crois qu’il ne connaît même pas la signification de ce mot. Pour un joueur, c’est un don.

Un Diable Rouge vous a-t-il particulièrement étonné ces dernières années ?

Gillet : Le plus étonnant, ce sont les progrès effectués par presque tout le monde. Sur le plan physique aussi. C’était visible à l’oeil nu. J’en ai encore parlé avec OlivierDeschacht au cours du stage à Bordeaux, où le niveau d’entraînement était très relevé. C’était presque anormal. Il règne aussi un très grand professionnalisme au sein du groupe. Tout le monde trouve normal d’arriver une heure avant l’entraînement, d’aller aux soins. Mais ce qui me frappe le plus, c’est que les jeunes internationaux qui évoluent encore en Belgique suivent le mouvement sans problème à l’entraînement.

Le groupe est-il plus motivé ou moins motivé qu’avant la Coupe du monde ?

Gillet: Plus motivé ! L’ambition de la plupart des Diables n’est plus d’obtenir un meilleur contrat ou un transfert dans un grand club car ils en sont déjà là. Le propos, c’est de gagner des trophées et de se forger un palmarès.

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS BELGAIMAGE – JASPER JACOBS

 » Si j’avais su ce que je sais aujourd’hui, je ne serais pas resté dix ans à Bari. Ça m’a vraiment dégoûté.  » JEAN-FRANÇOIS GILLET

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