« J’ai décidé de TOUT RACONTER! »

Notre chroniqueur se livre totalement dans son livre comme dans cette interview….

Marc Degryse vit à Sint-Andries, non loin du stade où il a entamé sa carrière il y a trente ans et où il l’a achevée, au poste de directeur sportif, en 2007. Devenu analyste pour Sport/Foot Magazine et d’autres medias, il vient de publier un livre en Flandre. Il y raconte tout.

Marc Degryse : Si je m’y mettais, c’était pour dire tout, du moins sur le milieu du football. Qu’ai-je à cacher ? Après tout, nous ne sommes pas soumis à l’omerta comme les cyclistes.

Combien d’amis avez-vous perdus depuis la parution du livre ?

Aucun. Les gens que j’ai décrits sont assez grands et sages pour encaisser et relativiser les choses.

Vous dites que le milieu a énormément changé en trente ans mais que le jeu n’est pas vraiment différent de celui de 1990, quand vous avez joué la finale de la Coupe d’Europe avec Anderlecht.

La base, le jeu, est similaire, même si on jouait plus brutalement avant car les arbitres intervenaient moins promptement. C’est l’entourage qui a changé. A 17 ans, je suis passé de trois entraînements par semaine à trois par jour. Ce n’était pas raisonnable. Ensuite, alors qu’on ne retransmettait pas toujours une demi-finale européenne, maintenant, on diffuse même des matches de D2. On repasse tout dix fois et cette attention rend chaque match très important. Le jeu est devenu plus rapide, plus technique. La tactique et le physique font moins la différence.

Le football contemporain vous conviendrait, donc ?

J’étais en effet un technicien et j’étais plutôt l’exception. J’étais souvent le plus léger alors que les joueurs actuels ont souvent mon gabarit. Jadis, le Club est arrivé en demi-finale de Coupe d’Europe en huit matches alors que le Standard doit en disputer plus rien que pour passer l’hiver en Coupe d’Europe. Je serais heureux de jouer maintenant, pour l’argent mais aussi pour l’intérêt sportif suscité. Je ne comprends pas les joueurs qui entrent en guerre avec la presse alors qu’elle fait leur renommée. D’autres sportifs ne savent que faire pour attirer l’attention ! Les footballeurs gagnent bien leur vie grâce à cet intérêt.

Voir un match moyen de championnat vous énerve-t-il ?

Jusqu’à présent, la saison a été terne mais je ne veux pas m’épandre en critiques : ce serait l’indice que je vieillis. Il ne faut pas s’attarder sur le passé. D’ailleurs, les joueurs et les entraîneurs qui font trop souvent état de leur carrière m’exaspèrent.

En devenant analyste, avez-vous dû tourner une page ?

Non. Je dis ce que je pense, sans prendre de gants sous prétexte que je connais bien quelqu’un ou que j’ai un passé dans un club.

Vous ne respectez pas les vieilles connaissances ?

Non. Si des adultes qui sont dans le milieu depuis longtemps prennent mes critiques comme des attaques personnelles, ils se trompent. Je tente de juger ce que je vois, pas d’attaquer les gens. Je n’ai jamais eu de réactions, à part un sms de Francky Dury et de Wesley Sonck.

 » Un footballeur ne connaît pas la pression  »

Aimez-vous votre job ?

Oui. Je suis heureux de rester dans le milieu après tant d’années. Je ne suis pas placé sous pression, contrairement à ceux qui travaillent dans des clubs. Un footballeur ne connaît pas la pression non plus, d’ailleurs.

Les joueurs d’Anderlecht qui ont affronté le PSG ne partagent sans doute pas votre avis.

Je ne pense pas. Moi-même, je n’ai jamais ressenti de pression ni de crainte. Je ne me suis jamais tracassé avant un grand match. Le professionnel qui monte sur le terrain est animé par la volonté de gagner ou au moins de montrer quelque chose. Récemment, contre le Lierse, les joueurs d’Anderlecht ont eu peur. Cela m’a surpris, comme cela a étonné Van den Brom.

À vous entendre, on croirait qu’on peut jouer jusqu’à 60 ans.

En devenant directeur sportif du Club, je pensais aussi que je serais éternel mais quatre ans plus tard, j’étais dehors. Il faut faire ce pour quoi on est embauché. Donc, jusqu’à la fin de la saison, j’analyse des matches. Je ne suis pas à la recherche de quelque chose de neuf. Je m’amuse et je ne me trouve pas si mal loti quand je vois le stress auquel sont soumis dirigeants et entraîneurs.

Dans votre livre, vous admettez que vous n’hésiteriez pas à accepter un nouveau poste de directeur sportif. Pourquoi ?

Je suis sur la touche mais j’aime faire partie du milieu. Le fait de gagner ensemble me manque. Rien que pour ces moments de joie intense, je suis prêt à recommencer. Je reste un sportif.

Votre mandat au Club vous a-t-il nui ?

Pas au point de ne pas m’en remettre. La barre était placée trop haut pour être réaliste. Mais regardez nos prestations et ce qui a suivi. Ce sont des faits. Si je suis parti, c’est parce que ceux qui m’avaient offert ma chance ne me faisaient plus confiance.

Quelles leçons en avez-vous retirées ?

Il faut mettre les points sur les  » i  » d’emblée pour se protéger et pouvoir mieux fonctionner. Les responsabilités doivent être clairement définies. En recevant cette chance, je n’ai pas été exigeant, pensant que tout évoluerait et que je conforterais ma position grâce aux résultats. En fait, je me suis affaibli.

Uli Hoeness a dit que pour lui, le plus dur avait été de passer d’une vie insouciante à une existence où il n’y a plus que la pression. Avez-vous sous-estimé cet aspect ?

J’ai plutôt été surpris. De fait, c’est dur. La femme de Gunter Jacob vient de me dire qu’elle ne le voit plus jamais. On n’a plus de vie sociale, le téléphone sonne sans arrêt et on ne peut le couper. On doit être joignable sept jours sur sept. J’ai été impliqué dans tout, même dans des décisions non sportives et quand on en revenait au football, il n’y avait pas de dialogue.

Comme quand vous avez repéré Dante à Charleroi et que Filip Dhondt vous a demandé si vous le trouviez si bon alors qu’il joue maintenant pour le Bayern et le Brésil ?

Certains clubs laissent quand même leur directeur technique travailler en paix….

Vous n’avez pas toujours agi comme vous le vouliez : vous vouliez Vandereycken et non votre ami Ceulemans.

Le président a tranché. D’Hooghe voulait Ceulemans et personne d’autre, même s’il n’était pas libre. Il l’idolâtrait. J’ai tenté d’aider Jan. Mais la direction et le coach vivaient sur des planètes différentes.

Il doit être difficile de discuter avec des dirigeants qui n’ont pas joué ?

Très. C’est comme parler à un mur. Ils ne comprennent pas. Même quand ils assistent à un entraînement, ils ne savent pas ce qu’ils voient.

Vous reconnaissez ne pas vous être opposé au renvoi de Ceulemans.

Quelle journée ! Michel D’Hooghe m’a prié de trouver un autre entraîneur avant le soir. Je réagirais peut-être autrement maintenant mais j’étais encore vert. Trop pour dire : je démissionne…

Pourriez-vous partager la table de D’Hooghe ?

Pas tel que je le connais. Il doit être très fâché de ce que j’ai raconté dans le livre alors qu’il ne devrait pas. Moi, je ne suis pas rancunier.

De votre temps à Bruges, Lombaerts et De Sutter étaient les réserves des réserves.

En effet mais pour les promouvoir, il aurait fallu aller à l’encontre de l’avis de l’entraîneur des réserves, Janevski. Mais je le reconnais : je ne croyais pas vraiment en Lombaerts. Nous avons offert leur chance à d’autres, qui étaient plus avancés mais qui ont échoué.

Aviez-vous votre mot à dire dans les transferts ?

Il y en a eu 17 en l’espace de quatre ans. Il fallait d’abord nous assainir : nous accusions un déficit de 4 millions par an. Il fallait le compenser en participant à la Ligue des Champions et en vendant des joueurs. Nous avons joué la Ligue des Champions deux fois en quatre ans et à mon départ, les comptes étaient en positif.

Le PSV a recruté Romario grâce à vous : le Club a repoussé son offre en 1988, voulant d’abord engager le meilleur buteur olympique. Le PSV s’est dit que s’il était meilleur que vous, il devait l’embaucher. Il a pris Romario alors que le Club pensait à Farina. Le PSV n’a plus eu besoin de vous et vous êtes resté au pays.

Oui, je voulais partir après cette saison fantastique. Si j’avais joué plus tôt à Eindhoven, j’aurais encore progressé.

Vous expliquez dans votre livre que si vous ne comptez pas 20 matches de plus en équipe nationale, c’est à cause de Michel D’Hooghe qui avait demandé à Wilfried Van Moer de ne pas vous sélectionner.

Tout à fait. Van Moer, le sélectionneur d’alors, me l’a confié, plus tard.

Advocaat a été le meilleur entraîneur avec lequel vous avez travaillé ?

Son palmarès est nettement supérieur à celui des autres. Je m’entendais mieux avec Boskamp et Houwaart mais la manière avec laquelle Advocaat formait et organisait une équipe était inouïe.

Avec qui auriez-vous aimé travailler ?

Van Gaal. Et Cruijff.

Vous ne parlez que de Néerlandais et de Mourinho.

Le Portugais a de bons rapports avec ses joueurs. Comme Van Gaal, il fait progresser ses footballeurs, quels que soient ses rapports avec la presse.

René Vandereycken aussi ?

Il est extrême mais je regrette qu’on ne parle plus de lui.

Lui offririez-vous une chance si vous étiez directeur sportif ?

Je n’irai pas jusque-là mais parler football avec lui est toujours intéressant.

Pouviez-vous le faire avec Sollied ?

Bien sûr. On pouvait parler de tout avec Trond.

Vous êtes un des rares à parler de son problème d’alcool sans demander ensuite qu’on coupe le passage.

Quand je jouais à Gand, je lui ai prédit un grand avenir. L’alcool est une des raisons de son échec. Tout le monde est au courant, quand même ? Je n’écris pas ces anecdotes pour le démolir mais pour expliquer pourquoi il n’a pas pu réussir dans un grand club anglais ou espagnol.

Vous adresse-t-il encore la parole ?

Oui. Trond est au-dessus de tout ça.

Des joueurs de notre championnat vous séduisent-ils encore ?

Peu mais beaucoup de talents ont émigré. Si on fait le compte, c’est Genk qui travaille le mieux. Il se distingue des trois grands clubs traditionnels, même sur la scène internationale : il a vendu beaucoup de joueurs mais cela ne l’a pas empêché d’être champion ni de jouer la Ligue des Champions… Mario Been est un homme agréable et un bon entraîneur. Il est clair, positif quand il le peut, critique quand il le faut, il prône un football soigné, il n’hésite pas à s’adapter et il obtient des résultats.

Vous écrivez que Batshuayi va arriver trop vite.

Batshuayi et Thorgan Hazard peuvent viser plus haut que notre championnat. Batshuayi est plus complet que Benteke et Lukaku. La question, c’est : quel est son mental ? Est-il prêt à travailler autant que les deux autres ?

Emmèneriez-vous Batshuayi au Brésil ?

Oui. Deux attaquants, c’est trop peu.

Marc Wilmots vous écoute-t-il ?

Non.

Vous avez joué deux Coupes du Monde avec lui. Son évolution vous surprend-elle ?

Je ne le voyais pas entraîner car il ne s’occupait que de lui-même. Ce n’est qu’à Schalke 04 qu’il est devenu un leader.

Quel joueur belge allez-vous suivre en particulier pendant le Mondial ?

J’espère qu’Eden Hazard va vraiment éclater. Il n’a pas la flamme de Thorgan. Tout lui vient trop facilement. Il ne retire pas le maximum de ses possibilités. Il est trop peu présent dans les matches décisifs et marque trop peu. Il faudrait le lui rappeler jour après jour. ?

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS: KOEN BAUTERS

 » Hazard est trop peu présent dans les matches décisifs.  »

 » L’alcool est une des raisons de l’échec de Sollied.  »

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