« J’ai besoin de rêver »

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le président de Charleroi fait le bilan de sa première saison dans le football.

Le président, le manager, l’entraîneur et le coach adjoint du Sporting de Charleroi viennent de boucler leur première année dans leur nouveau rôle.

Le nouveau président a été servi durant cette première saison : fin de carrière active d’Enzo Scifo, limogeage de Manu Ferrera, interminables formalités pour la reprise du club, mouvements d’humeur dans le noyau, quelques défaites cinglantes, obtention in extremis de la licence professionnelle, etc. A côté de cela, il y eut plusieurs motifs de satisfaction: nette augmentation de la moyenne de spectateurs, premier tour prometteur, confirmation de la classe de joueurs comme Frank Defays et Grégory Dufer.

Abbas Bayat: Le football est dynamique, comme le business. Il y a des changements et des secousses tous les jours. On ne peut pas tirer des conclusions définitives après seulement quelques mois de travail. Après une saison, je peux toutefois dire que nous avons bien travaillé. Le Sporting a terminé à la neuvième place un an après avoir dû se battre jusqu’à la dernière journée pour assurer son maintien: c’est un très bon résultat d’ensemble.

Qu’avez-vous appris cette saison?

J’ai découvert de nouvelles choses tous les jours. Et je continuerai à apprendre jusqu’à ma mort, que ce soit dans mes affaires, dans ma vie privée ou dans le football. Dès maintenant, nous tirons les conclusions de certaines choses qui n’ont pas marché. La leçon la plus importante, c’est que nous ne pouvons plus nous permettre d’avoir dans notre noyau plusieurs joueurs qui arrivent en fin de contrat. Ce fut un gros problème chez nous en fin de championnat. Quelques garçons n’avaient plus rien à perdre ni à gagner à Charleroi, et leur motivation s’en est fortement ressentie. On constatait un terrible déséquilibre dans l’équipe lors des derniers matches.

Quelles ont été les principaux points positifs?

Je retiens d’abord le lien qui unit le club aux supporters. Ainsi que l’excellente collaboration entre Enzo Scifo et Dante Brogno. Tout se passe très bien entre eux et on voit au premier coup d’oeil qu’ils sont contents de diriger le groupe ensemble. A ce niveau-là aussi, il y a cependant des leçons à tirer de ce qui s’est passé la saison dernière. Pour Enzo et Dante, il n’était pas facile de commander du jour au lendemain des joueurs qui avaient été leurs coéquipiers. Il n’y avait pas assez de distance entre les joueurs et le staff technique. Enzo m’a dit qu’il en tiendrait compte à l’avenir: il saura se montrer plus sévère et plus distant.

Comment avez-vous réagi à ses petites disputes avec certains joueurs?

Des conflits entre l’entraîneur et les joueurs, il y en a partout. Vous croyez que Ferguson ne se dispute jamais avec ses joueurs à Manchester? Le problème, c’est qu’on grossit systématiquement tout ce qui se passe à Charleroi. Les joueurs sont les idoles des supporters, et dès qu’on les touche, c’est la révolution!

Il n’y a pas de noms ronflants parmi les transferts de cet été.

Je ne pouvais pas me permettre de transférer des stars. Pour que cela soit possible, il faudra une très forte augmentation des recettes. Charleroi fait partie des clubs qui doivent acheter des joueurs peu coûteux, former des jeunes et vendre chaque année un tout bon élément pour boucler leur budget. Nous aurons, l’année prochaine, l’une des moyennes d’âge les plus basses de D1. Nous n’avons pas amené de vedettes, mais le fait d’avoir fait resigner Defays et Dufer pour une longue période peut s’assimiler à des transferts de tout premier plan.

Qui vendrez-vous prochainement pour rentrer dans vos frais? Tokéné?

Nous l’espérons, mais nous n’avons toujours pas reçu la moindre offre concrète.

Il est quand même convenu que l’intégralité du montant de son transfert ira à la First Star de Mandaric?

C’est faux.

Il y a un an, vous parliez de qualification européenne à court terme. Aujourd’hui, vous évoquez une nouvelle saison de transition…

Il faut plus qu’une saison pour amener un club au sommet et l’y stabiliser. La Coupe d’Europe, j’y pense toujours, mais je ne me fixe pas de délai. Cela reste plutôt du domaine du rêve, et moi, j’ai besoin de rêves pour trouver de l’enthousiasme et bien travailler. Mon but est de faire du Sporting une valeur sûre du championnat de Belgique, un club qui termine chaque saison dans le Top 5. S’il peut, en plus, se qualifier pour une coupe d’Europe, ce sera très bien. Et s’il devient champion de Belgique, ce sera encore mieux. En attendant, je prévois encore deux ou trois années de transition. Deux ou trois saisons pendant lesquelles nous ferons un maximum d’efforts pour faire revenir les supporters.

Pour progresser, il faudrait augmenter le budget!

Nous l’augmenterons. Mais un club ne peut pas grandir trop vite. Notre situation financière devrait déjà s’améliorer la saison prochaine. Les dépenses resteront au même niveau que l’année dernière, mais les recettes seront supérieures. J’espère que notre moyenne de spectateurs augmentera encore. Nous sommes déjà certains de réussir une toute bonne recette lors de la première journée du championnat, contre le Standard. Il suffirait de quelques bons résultats en début de saison pour qu’un public plus nombreux retrouve l’envie de venir à Charleroi. Si le Sporting attirait régulièrement 15.000 personnes il y a quelques années, il n’y a pas de raison pour que ce ne soit plus possible aujourd’hui.

Les droits de télévision vont aussi augmenter. Je fais partie de la commission TV et je suis ce dossier de très près. Je suis incapable de prévoir les montants qui figureront dans le prochain contrat, mais je pense qu’il est possible de doubler ou même de tripler ce que les clubs belges touchent aujourd’hui. Enfin, nous mettons actuellement en place une structure de marketing qui doit nous amener de nouveaux sponsors. Ce sera une autre façon d’augmenter nos recettes.

Le sponsoring ne vous a pas rapporté une fortune la saison dernière: c’est votre société qui figurait sur les maillots et les panneaux publicitaires autour du terrain n’étaient pas très nombreux.

Dès la saison prochaine, Chaudfontaine devrait laisser la place à un sponsor payant. Quant aux panneaux qui se trouvent dans le stade, c’est vrai qu’ils sont moins nombreux qu’à La Louvière. Mais je ne veux pas brader le Sporting. Si je propose des panneaux à 10.000 ou à 15.000 francs par saison, les candidats se bousculeront. C’est peut-être ce qui se fait à La Louvière, je n’en sais rien. Moi, en tout cas, je ne joue pas dans cette pièce-là.

Le fait que Charleroi ait joué avec des maillots Chaudfontaine a-t-il permis à votre société d’augmenter son chiffre d’affaires?

Sans aucun doute. Le logo de Chaudfontaine est apparu très souvent dans les journaux et à la télévision. Mais sur un chiffre d’affaires de plus de 2 milliards de francs, il est très difficile de calculer ce que le sponsoring dans le football a rapporté.

Combien de millions avez-vous perdu cette saison?

Je n’en sais encore rien. Il y a actuellement une certitude dans les finances du club: nous devrons rembourser la dette de l’ASBL dissoute, soit environ 200 millions. Pour connaître le déficit d’exploitation de la saison dernière, il faudra attendre la clôture des comptes, dans un mois environ. J’avais de toute façon prévu de perdre de l’argent lors de ma première année ici. J’espère que nous parviendrons le plus rapidement possible à un équilibre financier. Peut-être dès la saison prochaine. Mais je ne pense pas à l’étape suivante, qui consisterait à gagner de l’argent grâce au football. Cette étape ne viendra peut-être jamais, j’en suis conscient. Le Sporting de Charleroi ne sera jamais Manchester United.

Qui comble les trous: Chaudfontaine ou vous-même?

Chaudfontaine, dont je suis un des actionnaires.

Les autres actionnaires vous suivent-ils?

Ils l’ont toujours fait… jusqu’à présent (il rit). Il y a parmi eux des Américains qui ne s’intéressent pas du tout au football, mais ils n’ont encore jamais mis un frein aux dépenses en faveur du Sporting.

N’avez-vous jamais regretté d’avoir repris le Sporting?

(Il réfléchit). Si c’était à refaire, je pense que je le referais. En tout cas, je ne me demande plus, aujourd’hui, si j’ai bien fait de venir. J’ai toujours assumé mes décisions, et quand je commence un travail, je mets un point d’honneur à le terminer. Je ne quitterai pas le club sous prétexte que ça ne se passe pas dès le début comme je l’ai souhaité. J’ai eu des moments difficiles, cette saison. Comme après la défaite à Alost ou l’humiliation à domicile contre St-Trond, en fin de championnat. Mais ce ne sont pas des matches pareils qui vont remettre mon investissement en cause. Je suis à Charleroi et j’y reste.

Pierre Danvoye

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