« J’ai besoin d’être aimé »

Le nouveau feu follet de Charleroi revient sur sa jeunesse chahutée, son parcours bruxellois et son expérience hollandaise.

En football, ceux qui sortent du moule ne sont pas toujours les bienvenus. Même s’ils regorgent de talent. C’est le cas de Ziguy Badibanga, 20 ans, dont les débuts professionnels furent chahutés. Malgré sa faculté à faire la différence, à foutre le feu dans les défenses adverses ! Ce footballeur belgo-congolais, arrivé en Belgique à quatre ans, paye déjà les ravages d’un style que certains jugent nonchalant et d’un caractère introverti. Pourtant, il a réussi une entrée fracassante avec le Sporting de Charleroi. Trois buts pour ses trois premiers matches. Et à chaque fois des tirs lointains, lobés ou enroulés. Bref, il y a pire comme adaptation.

Pour lui, tout a commencé à Bruxelles, par des matches dans le parc et des débuts au Dieleghem Jette avant la consécration, et l’entrée dans l’école des jeunes d’Anderlecht, à 10 ans. En pleine adolescence, alors que son noyau familial explose (son père et sa mère se séparent et il sera principalement élevé par sa grand-mère), il manque de repères.  » Ziguy a nécessité une approche spécifique et un accompagnement minutieux « , explique Jean Kindermans, responsable de l’école des jeunes anderlechtoise.  » Nous examinons le passé des garçons avant de les prendre et de les accompagner. Nous prenons contact avec les parents et l’école, nous allons visiter leur maison. Cela, nous l’avons fait avec Badibanga. De notre enquête, il est ressorti qu’il avait besoin d’une attention toute particulière suite à sa jeunesse difficile. Nous avons très rapidement remarqué que nous ne poursuivions pas les mêmes objectifs. A Anderlecht, il a connu beaucoup de hauts et de bas. Nous avons dû intervenir à plusieurs reprises, nous lui avons appris à gérer et canaliser son mécontentement mais également à obtenir son permis de conduire. Cependant, nous ne pouvons pas tout contrôler. Nous n’avions le gamin que de 18 à 20 heures. Nous ne savions pas ce qui se passait à l’école ou à la maison. Il a toujours été perçu comme un immense talent. Mais parfois, pour des raisons x ou y, il disparaissait de la circulation. On ne le voyait plus pendant quelques mois et quand il revenait, il faisait des prestations brillantes. Pour être honnête, nous avons plusieurs fois pensé qu’il était perdu pour le foot. Il ne montrait pas une fréquence régulière aux entraînements ou aux matches. Maintenant, il ne faut pas non plus exagérer. Ziguy est simplement quelqu’un qui n’a pas eu la vie facile dans sa jeunesse et qui a donc développé un vrai caractère.  »

 » Bon, parfois, je ratais un ou deux entraînements « 

Lorsqu’il revient sur ses années d’adolescence, Badibanga sourit légèrement et admet :  » Non, je vous jure, j’allais aux entraînements. Bon, parfois, j’en ratais un ou deux car je préférais aller jouer au parc avec mes amis, après l’école. Comme tous les jeunes, j’ai fait des bêtises mais on m’a toujours remis en place et cela a fini par forger mon caractère. Cela m’a aidé à devenir pro. De 15 à 17 ans, j’ai vécu des moments difficiles. Je ne jouais plus beaucoup car mon gabarit ne suivait pas. Finalement, j’ai eu la chance de tomber sur Geert Emmerechts. Il me faisait jouer avec les provinciaux, le dimanche à 9 heures du matin. Ça aussi, ça m’a aidé !  »

Sa rencontre avec Emmerechts, coach des -16 aux -21 ans à Anderlecht, constitue sans doute le tournant de sa jeune carrière. Sans Emmerechts, pas sûr que le jeune Badibanga aurait été conservé chez les Mauves.  » C’est vrai que son développement était fait de hauts et de bas « , explique l’entraîneur.  » Il ne faisait pas toujours ce que je lui demandais. Il fallait alors le remettre les pieds sur terre. Mais j’ai su trouver la clé. Il ne fallait pas beaucoup de mots pour nous comprendre. Je me souviens que notre première familiarisation fut loin d’être impeccable. J’entraînais alors les -14 ans mais j’avais dû dépanner en -15 où se trouvait Ziguy. Je lui ai demandé de faire un exercice lors de l’échauffement. Il a refusé. Ce n’est qu’à ma sixième demande qu’il a accepté. Là, on voit son caractère. Il teste pour voir jusqu’où il peut aller mais finalement, il finit par t’écouter. Il avait eu une jeunesse difficile mais il n’en parlait jamais. Il arrivait seulement parfois en retard, mais pas davantage que les autres joueurs. Comme je suis à cheval sur la discipline, je ne pouvais pas laisser passer ces écarts. Alors, les joueurs devaient soit nettoyer les toilettes, soit ranger les vestiaires. Parfois, ils restaient sur le banc, sans grogner. Et à la fin de la saison, je me souviens qu’ils s’étaient cotisés pour m’offrir une montre. Leur sens de l’humour à eux. « 

Cahin-caha, Badibanga réussit pourtant à se frayer un chemin jusqu’en Première. Sans doute parce que son talent saute aux yeux. Quand il participe à un tournoi à l’étranger, il n’est pas rare qu’il reçoive le titre de meilleur joueur, comme à Viareggio.  » Je n’aimais pas courir. Quand on partait au lac, je me cachais derrière un arbre pour ne pas devoir courir ! Heureusement, Emmerechts a cru en moi et à 17 ans, j’étais au-dessus des autres « , explique Badibanga.

Dans un premier temps, Anderlecht lui fait pourtant confiance, lors des play-offs 2011, mais une blessure le stoppe dans son élan. Et lorsqu’il revient au premier plan, d’autres jeunes comme Fernando Canesin ou des nouveaux transferts comme Milan Jovanovic lui sont passés devant.  » Quand je suis arrivé, il y avait des joueurs comme Mbark Boussoufa à ma place. C’était difficile de concurrencer ces grands noms mais quand Boussoufa est parti, je n’ai pas compris pourquoi on n’a pas fait appel à moi. Là, j’ai été touché car je me sentais bien et je pensais que le club croyait en moi. Les dirigeants m’avaient même dit lors de la signature de mon premier contrat que j’avais le même profil que Boussoufa et que j’étais appelé à le remplacer. Mais le coach en a décidé autrement, sans doute parce qu’il estimait que j’étais très jeune. Pourtant, Ariel Jacobs me parlait beaucoup.  »

 » On m’a toujours dit de me méfier de certaines personnes « 

Direction De Graafschap, aux Pays-Bas.  » Anderlecht a préféré me prêter. J’avais demandé un club hollandais car j’avais envie de changer d’air. L’entraîneur de De Graafschap, Andries Ulderink, est venu plusieurs fois me voir. Il me voulait vraiment.  » La volonté de jouer, de prouver sa valeur l’emportait donc sur la crainte d’être oublié.  » Je n’ai rien à envier aux joueurs qui évoluent à Anderlecht. J’ai les qualités pour ce club mais j’arrivais à un âge où je devais avant tout jouer.  »

Pourtant, aux Pays-Bas, cela ne se passe pas comme prévu.  » Après quatre rencontres, l’entraîneur a été mis dehors. Son successeur, Richard Roelofsen, issu de la Réserve, comptait sur des jeunes. Il m’a mis de côté sans m’expliquer la raison. Les dirigeants ont alors appelé Anderlecht pour dire que j’avais des problèmes de comportement. Ils trouvaient que je ne me donnais pas à fond aux entraînements. Anderlecht a envoyé un émissaire pour évoquer la situation, parce que je ne comprenais pas bien le néerlandais. L’entraîneur a alors parlé de mon attitude négative. Il trouvait que… je ne râlais pas assez ! Il estimait que comme je ne disais rien, je le prenais de haut. Il m’a même interdit de venir aux entraînements. Je suis alors revenu à Anderlecht.  »

Les démons du passé ressurgissent, l’étiquette est difficile à décoller.  » C’est vrai que mon image ne plaît pas à tout le monde. Il y a des jours où je ne souris pas beaucoup. On me dit que je dois davantage montrer mon bonheur. Alors, j’essaie de combattre ma nature et de faire en sorte que les gens me trouvent toujours agréable. « 

Pas facile pour quelqu’un qui passe pour un timide.  » Ziguy a grandi dans une culture où le respect pour les adultes et les anciens tient une place centrale « , explique Kindermans.  » Par exemple, il ne regarde pas une personne plus âgée que lui dans les yeux. Cela explique pourquoi il est méfiant par rapport au monde extérieur. Le succès apporte des amis et tout d’un coup, il a dû gérer l’arrivée de nouveaux amis.  »  » Il est introverti, mais quand il se sent bien dans un groupe, il peut mettre l’ambiance « , ajoute Emmerechts.

 » On m’a toujours dit de me méfier de certaines personnes « , explique Badibanga.  » J’essaie de connaître d’abord les gens avant de donner ma confiance. Il y a beaucoup de parasites dans le monde du foot et c’est pour cela que j’essaie de rester sur le côté. Pour écarter les importuns, je change souvent de numéro de téléphone. « 

A Charleroi, il a donc l’occasion de donner une nouvelle direction (et dimension) à sa carrière.  » En début de saison, John van den Brom avait dit que tout le monde repartait à zéro. Il m’a donné une chance contre Renaix et Virton mais je manquais de rythme et je n’ai pas saisi cette opportunité au contraire de joueurs comme Massimo Bruno ou Dennis Praet. Je me suis alors concentré sur un prêt.  » Le Sporting carolo l’avait dans son viseur depuis un certain temps mais la présence d’ Abbas Bayat freinait les Anderlechtois. Ceux-ci ont envisagé le prêt le 31 août, une fois la reprise entérinée.  » Cela fait un an que Hervé Kagéme fatigue avec Ziguy « , dit le nouveau directeur général, Mehdi Bayat.  » Yannick Ferrera, qui avait entraîné les jeunes, m’avait également demandé de faire le forcing pour enrôler des jeunes d’Anderlecht. On a donc tout fait pour inclure Badibanga dans le package avec deux autres éléments de ce club.  »

 » Je connaissais le club grâce à Kagé « , explique Badibanga.  » Ce n’est pas la même ville, ni la même culture que Bruxelles, mais les gens sont très accueillants et c’est très important pour moi. Car j’ai besoin de me sentir en confiance et aimé. Et ici, j’ai ressenti cela dès le premier jour. Je me plais à Charleroi. « 

Et cela se voit. Contre Mons, pour son premier match, Badibanga crève l’écran.  » J’ai voulu montrer une bonne image aux gens et à ma famille, très touchée quand on parle de mon mauvais comportement. Mon agent m’a souvent dit que des clubs étaient intéressés mais reculaient à cause de mon attitude. Je devais donc me montrer sur le terrain. Et surtout prouver que ma conduite s’était améliorée malgré tous les trucs faux racontés en Hollande. Après, les gens disent ce qu’ils veulent, et moi, je continuerai à bosser. C’est bête de juger quelqu’un sur l’apparence. Je trouve cela bizarre mais c’est le monde du football. A moi de prouver que tout cela, ce n’est que du blabla. « 

PAR STÉPHANE VANDE VELDE ET MATTHIAS STOCKMANS – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » On a plusieurs fois pensé que Badibanga était perdu pour le foot.  » Jean Kindermans

 » Badibanga te teste pour voir jusqu’où il peut aller.  » Geert Emmerechts

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