Istanbul, 10 septembre

Turquie-Belgique en éliminatoires du Mondial : faudra pas se faire bouffer !

Que se serait-il passé si la Turquie décimée n’avait pas dû aligner une équipe B contre l’Allemagne en demi-finales ? Les Turcs seraient peut-être allés au bout du rêve. Pour ce match, Joachim Löw n’avait pas un seul blessé, pas un seul suspendu. Alors que Fatih Terim avait dû bricoler comme jamais. Mais au bout du compte, c’est une victoire tirée par les cheveux que les Allemands ont arrachée dans les dernières secondes.

C’est sans doute la première fois de l’histoire qu’un pays connaît autant de poisse dans un grand tournoi : blessures, suspensions, ce fut le lot quotidien de Terim pendant trois semaines.

Quoique… En parlant de poisse… Sur le terrain, les Turcs ont aussi eu un bol rare : victoire contre la Suisse (1-2) grâce à un but marqué à la 92e minute (tir dévié), succès synonyme de qualification contre la Tchéquie (2-3) via un dernier goal à la 89e minute, égalisation contre la Croatie (1-1) à la 122e minute puis qualification par les tirs au but. Appelons cela du bol ou un jusqu’au-boutisme exemplaire.

Quel genre d’adversaire les Diables Rouges doivent-ils s’attendre à affronter en éliminatoires pour la Coupe du Monde 2010, avec un premier match dans le chaudron d’Istanbul dès le 10 septembre ? Une équipe qui ne renonce jamais, un team qui affiche le même caractère guerrier que son entraîneur, c’est sûr. Terim le dit :  » J’ai tendance à considérer mes joueurs comme des soldats « . Un espoir pour nous : Terim a tranché, il a déclaré juste après l’élimination qu’il ne resterait pas aux commandes de la Turquie. Son nouveau trip, c’est un contrat dans un grand club européen. Il est sous contrat jusqu’en 2010 mais on commence à connaître le personnage : s’il a décidé de partir, il partira. Une bonne nouvelle pour les Belges, donc, car Terim réveille autant ses joueurs que René Vandereycken endort les siens.

Même avec un nouveau coach, on peut se faire une idée de la tâche qui attend les Diables. En se basant sur ce que la Turquie a montré dans ses cinq matches de cet EURO.

4-5-1 presque systématique

La Turquie a commencé le tournoi (contre la Suisse) en 4-5-1 avec Nihat Kahveci seul en pointe. Le même système a été reconduit dans le deuxième match (Suisse), avec toujours la même pointe. Pour la rencontre suivante (Tchéquie), Terim est passé à un 4-4-2 avec Nihat et Semih Sentürk sur la même ligne. Après cela, ce fut la Croatie et à nouveau 2 attaquants, mais Tuncay Sanli légèrement en retrait de Nihat et donc plus un 4-5-1 qu’un 4-4-2. Et en demi-finales (Allemagne), retour au 4-5-1, cette fois avec Semih Sentürk seul devant. Un choix obligé vu les absences des forces offensives Nihat (blessé), Tuncay Sanli et Arda Turan (suspendus).

Défense : Hamit Altintop en renfort inattendu

Pour les trois matches de poule, Terim a innové en titularisant Hamit Altintop au back droit. Celui qui occupe normalement ce poste, Gökhan Gönul, s’était blessé avant le début du tournoi, et le coach a fait confiance au médian du Bayern, qui a un rôle assez offensif avec son club (7 buts marqués la saison dernière).

Hamit Altintop ne s’est pas mal débrouillé en défense mais a retrouvé une place dans l’entrejeu à la fois contre la Croatie et l’Allemagne. Il est évidemment bien plus décisif dans ce rôle.

Bricolages en défense centrale

Cinq matches, cinq duos centraux différents pour la Turquie. En cause, les blessures, les suspensions mais aussi des performances individuelles dont le coach n’était pas satisfait – et la patience n’est pas sa plus grande vertu. S’y sont relayés : Servet Cetin, Gökhan Zan, Emre Asik, Emre Güngör et Mehmet Topal. Et la Turquie n’a pas réussi à garder le zéro une seule fois : 9 buts encaissés en 5 rencontres, c’est une mauvaise moyenne.

Au niveau des gardiens, c’est assez limite aussi, par moments. Volkan Demirel a pété les plombs en fin de match contre la Tchéquie et son tournoi s’est arrêté là ; l’inusable Rustu Reçber (35 ans, 118 sélections) a été bon contre la Croatie mais aussi mauvais que Jens Lehmann face à l’Allemagne.

Nihat doit faire oublier Hakan Sükur

Terim a pris ses responsabilités en se passant du dieu turc, Hakan Sükür, pour l’EURO. Malgré ses 37 ans, ce joueur avait encore bien travaillé pendant les éliminatoires (6 buts) et il avait aussi été champion avec Galatasaray (8 buts). Le coach a décidé de changer le style de jeu de la Turquie. Un football longtemps axé sur les caractéristiques de Hakan Sükür, qui attendait des centres pour marquer le plus souvent de la tête. Si Hakan Sükür n’est plus du tout rapide, il restait efficace.

Terim a décidé que ce football serait remplacé par un jeu fait de courtes passes au sol qui exploiterait la vitesse de Nihat, et par des montées permanentes des médians. Avec Nihat seul devant. La saison dernière, il a marqué 18 goals avec Villarreal. Un petit miracle car il sortait de 10 mois d’inactivité suite à une rupture des ligaments croisés.

Dans le match d’ouverture face au Portugal, cette approche n’a pas du tout fonctionné. L’axe de l’entrejeu était fort perméable, tout comme les flancs, surtout le gauche où Emre Belözoglü (Newcastle) était le maillon le plus faible de l’équipe. Les Portugais ont eu 63 % de possession de balle en première mi-temps et Nihat était seul sur son île. Pour le dernier quart d’heure, Terim a fait entrer un deuxième attaquant, Semih Sentürk, et Nihat s’est directement senti mieux dans le match.

Rebelote contre la Suisse. Tuncay Sanli était censé jouer comme deuxième avant près de Nihat, mais il a directement reculé vers l’entrejeu et Nihat s’est à nouveau retrouvé fort isolé. A la mi-temps, Terim a replacé Semih Sentürk aux côtés de Nihat, ce qui a permis à Tuncay d’hériter d’un rôle libre dans l’entrejeu. Un succès.

Se farcir Altintop mais aussi Mehmet Aurelio

L’entrejeu turc dépend fortement du rendement de ses deux étoiles : Hamit Altintop et Mehmet Aurelio. Le premier est un incontournable du Bayern, où il fut la saison dernière un des joueurs les plus utilisés (37 matches). Beaucoup d’impulsions offensives en équipe de Turquie passent par lui, du moins quand il n’est pas appelé en dépannage derrière.

Le second, Brésilien au départ, est le premier joueur naturalisé de l’histoire de la sélection. C’est la tour de contrôle du milieu de terrain malgré sa taille modeste (1,78m). Il a été l’un des acteurs les plus décisifs de Fenerbahçe la saison dernière en Ligue des Champions. Son rayon d’action est impressionnant.

Coaching gagnant

L’introduction de Semih Sentürk aux côtés de Nihat a permis de faire basculer le match contre la Suisse, qui menait 1-0. Physiquement, Sentürk est plus costaud que Nihat et il marque facilement (18 buts la saison dernière avec Fenerbahçce, dont 14 après être monté en cours de match). Il a d’ailleurs fini meilleur buteur du championnat.

Face à la Tchéquie, Terim a réussi un nouveau coup gagnant. A la mi-temps, il a remis Hamit Altintop dans l’entrejeu, dans l’espoir qu’il expédie de bons centres comme il le fait au Bayern. Bien vu. Altintop a été l’homme du match en donnant notamment deux centres décisifs – dont celui sur lequel Petr Cech s’est troué. Avec ses deux buts, Nihat a été l’autre star de la soirée.

Pour la troisième fois, ce soir-là, la Turquie a commencé la deuxième mi-temps dans une conception tactique différente de celle de début de match et en introduisant de nouveaux joueurs. Et deux fois sur trois, ce fut une décision gagnante. Terim a l’art de lire la vie d’un match et d’intervenir de façon efficace. Rien que pour cela aussi, on ne peut que se féliciter de son départ.

Arda Turan : attention danger

Arda Turan n’a pas été beaucoup utilisé dans cet EURO : réserviste contre le Portugal et suspendu face à l’Allemagne, il n’a pu se montrer que dans trois matches. Assez, toutefois, pour marquer deux buts et justifier son statut de nouveau golden boy du football turc.

Cet ailier de Galatasaray est la plus grande promesse du Bosphore et a montré qu’il était capable à lui seul d’affoler tout un flanc, que ce soit le gauche ou le droit. Un duel de 90 minutes Arda Turan – Carl Hoefkens, ça laisse présager le pire !

En réserve : Halil Altintop et Yildiray Bastürk

Deux joueurs qui n’étaient pas à l’EURO pourraient aussi compliquer la vie des Diables. Halil Altintop (frère de Hamit), l’attaquant de Schalke 04. Terim ne l’a pas repris, mais ce joueur a des statistiques allemandes qui en font toujours un international en puissance : près de 40 buts en 5 saisons avec Kaiserslautern et Schalke. Au pays, la décision de ne pas l’inclure dans le groupe pour l’EURO avait d’ailleurs été très mal acceptée.

L’autre grand absent était Yildiray Bastürk, le petit meneur de jeu (1,68m) de Stuttgart. C’est l’un des dribbleurs fous du foot turc. Il était furieux quand Terim a annoncé qu’il ne ferait pas partie du groupe pour l’EURO et a directement déclaré qu’il ne jouerait plus jamais pour la Turquie aussi longtemps qu’elle n’aurait pas un nouvel entraîneur. Aujourd’hui, son ciel se dégage. Et celui des Diables ne fait que se couvrir un peu plus.

Les raisons d’y croire : Nihat blessé et un flanc gauche fort perméable

Nihat, capitaine de la Turquie en début de tournoi, a dû quitter ses équipiers prématurément. Touché à la cuisse dans le quart de finale contre la Croatie, il est rentré directement en Espagne pour s’y faire opérer. On parle d’une indisponibilité de six semaines. Le déplacement des Diables à Istanbul, c’est le 10 septembre : jouable pour lui ? Si pas, ce ne sera pas un problème pour nous. Elu meilleur joueur de Villarreal la saison dernière, ce joueur en est à près de 80 goals dans le championnat d’Espagne : une bête !

Autre souci turc : son flanc gauche plutôt passoire. Presque tous les buts adverses sont venus de ce côté. Beaucoup du monde y a défilé mais Terim n’a jamais trouvé la solution. On suppose que Vandereycken aura repéré cette faiblesse relative. Mais c’est quand même un des rares points noirs de la Turquie actuelle et on doute que ça suffise pour signer un miracle.

par pierre danvoye et peter t’kint – photos: reporters

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