Irréductibles

Bree était l’invité-surprise en demi-finale des playoffs.

Seize points de retard dans la première manche et dix-huit dans la deuxième. Et, malgré tout, remporter les deux rencontres contre Anvers: c’est typiquement Bree. Les joueurs de la Métropole n’en sont pas encore revenus. Ce sont bel et bien les Limbourgeois, et pas les hommes de Tony Van Den Bosch, qui ont affronté Ostende en demi-finale des playoffs. « En fait, nous avons été punis », rigole Danny Herman. « Nous avons éliminé le 3e de la compétition (Anvers) et pour toute récompense, on nous a obligé à affronter le 1er (Ostende) en demi-finale. Selon le système NBA, nous aurions dû hériter du 2e (Charleroi) ».

En championnat, Bree avait inscrit 122 points contre Ostende. Fort de cet avantage psychologique, le club limbourgeois a signé un nouveau succès jeudi passé: 88-81. Non sans avoir, une nouvelle fois, été mené au score.

Bree est une équipe atypique. Lorsque les tirs ne rentrent pas, elle n’est nulle part. Mais lorsque certains joueurs ont la main chaude, le score peut évoluer très vite. « C’est surtout une équipe imprévisible », poursuit Danny Herman. « Car ce ne sont jamais les mêmes joueurs qui ont la main chaude. Le danger peut donc venir de partout et l’adversaire ne sait pas très bien quelle disposition prendre ».

Le choix des Américains est aussi atypique: là où beaucoup d’équipes recherchent des joueurs de grande taille, Bree a opté pour des petits formats vifs et offensifs. « En fait, nous attendions Jason Perez… un peu plus grand », confesse l’ancien guard de Malines. « Il était destiné à évoluer au poste n°3. Or, c’est plutôt un n°2. On pourrait presque dire que le club a été trompé sur la marchandise. Mais, tout compte fait, nous n’avons pas fait une mauvaise affaire avec lui ».

C’est bien d’avoir des petits formats. Encore faut-il capter le rebond. « C’est le rôle d’ Eric Hinrichsen et de Todd Cauthorn. Et, dans une moindre mesure, de Stuart Robbins. Des role players. Mais les petits apportent aussi leur contribution au rebond. A Anvers, Jason Perez en avait captés neuf et moi cinq. C’est une tâche collective. Les consignes sont claires: boxing out pour tout le monde, et lorsque le ballon est récupéré, il faut le céder le plus rapidement possible à un petit, quel qu’il soit (cela ne doit pas nécessairement être le distributeur attitré), afin de lancer la contre-attaque. Les automatismes sont à ce point perfectionnés que ce système est devenu l’une de nos meilleures armes ».

Des consignes dispensées par Paul Vervaeck, un coach méconnu et très peu charismatique. « C’est un disciple de Lucien Van Kersschaever« , explique Danny Herman. « Tout comme Tony Van Den Bosch, il a travaillé avec lui comme assistant à Malines et en a retenu certains principes, comme l’habitude d’aller régulièrement au sauna pour se relaxer. Ses schémas d’entraînement sont aussi fort semblables. Il a certes ajouté sa touche personnelle, mais pour avoir officié sous la houlette de ces trois coaches, je décèle de nombreuses similitudes ».

Il y a pourtant un monde de différence entre le basket pratiqué autrefois par Malines (où la défense et l’organisation primaient) et celui de Bree, dont les joueurs aiment faire feu de tout bois.

« La différence, c’était surtout qu’à Malines les dix joueurs étaient des titulaires potentiels », estime Danny Herman. « A Bree, il y a six ou sept valeurs sûres. Les autres jouent les utilités et ce n’est pas leur faire injure que d’affirmer cela. Le budget a déterminé les acquisitions. Stuart Robbins, Tom Van Camp et Jan Van Hoecke ont très peu joué cette saison. Mais leur rôle est important… à l’entraînement. Il faut rendre hommage à un jeune comme Jan Van Hoecke qui accepte son sort sans maugréer. Il est heureux de vivre cette expérience et sait qu’en travaillant, son tour viendra ».

Lorsqu’on affirme que Bree ne sait pas défendre, est-ce un cliché ou la réalité? « Nous sommes capables de défendre, mais c’est une arme que nous n’utilisons qu’en deuxième recours, lorsque l’attaque ne… fonctionne pas! »

Avec 23 points à son actif à Anvers, Danny Herman (surnommé le directeur) fut l’un des principaux artisans de la qualification pour les demi-finales. Bien épaulé par Gary Terclavers, de dix ans son cadet, qui inscrivit 21 points. Il y a donc encore de la place pour les Belges à Bree? « Oui, c’est étonnant, n’est-ce pas? », rigole Danny Herman. « Lorsqu’on voit tous les étrangers qui militent dans le club, les Belges doivent être forts pour se mettre en évidence ».

Fort, Gary Terclavers l’a été. En voyant ce dont il est capable, on se demande ce qui a bien pu le pousser à envisager un éventuel transfert à Wilsele, promu en D2. « Il y a deux mois, j’étais mal dans ma peau », explique l’intéressé. « Je jouais peu et je m’impatientais à force d’attendre une chance qui n’arrivait pas. J’étais le remplaçant de Melvin Watson, une valeur sûre du championnat, et ce n’était pas évident d’attendre une improbable défaillance de sa part pour être introduit au jeu. J’ai alors confié à mon père: -Si Wilsele monte en D2, je vais jouer là-bas, 30 à 35 minutes par match, pour retrouver du plaisir! Entre-temps, j’ai vécu tellement de bons moments avec Bree que j’ai changé d’avis. J’ai abandonné l’idée de descendre d’un échelon. J’ai compris qu’en D1 il y a des moments où l’on joue moins et qu’il faut l’accepter. Un déclic s’est produit dans ma tête. J’ai gagné en confiance. Jusqu’ici, j’étais encore trop fragile mentalement. Lorsque mes premiers tirs ne rentraient pas, je doutais. Cela m’a fait plaisir d’entendre Lucien Van Kersschaever déclarer à la VRT, en nous voyant à l’oeuvre, Danny Herman et moi, qu’il y avait encore du talent en Belgique ».

L’occasion d’ouvrir un autre débat: les clubs hésitent-ils trop à accorder une chance aux jeunes talents belges? « Poser la question, c’est y répondre », rétorque Gary Terclavers. « A Ostende, on a enrôlé un Estonien dénommé Rauno Pehka. C’est la plus grande stupidité qu’il m’ait été donné de voir. Entre-temps, un jeune Belge comme Gerrit Major est obligé d’user ses fonds de culotte sur le banc. Les dirigeants ont encore trop tendance à considérer qu’un joueur européen est forcément meilleur qu’un belge.

« Pas loin d’ici, à Hasselt, il y a un joueur comme Piet Hoogmartens qui était déjà considéré comme un grand espoir lorsqu’il n’avait que 16 ans », enchaîne Danny Herman. « A 22 ans, il est toujours… un grand espoir. La faute au joueur, qui n’a pas progressé, ou aux dirigeants, qui ne lui ont pas fait confiance? J’aurais plutôt tendance à opter pour la deuxième solution. A Bree, la situation a au moins le mérite d’évoluer. Cette saison, Gary était le back up de Melvin Watson et de moi-même. Rien ne dit que, la saison prochaine, les rôles ne seront pas inversés. Je deviendrai peut-être le back-up de Gary. Après tout, j’ai déjà 35 ans et je ne rajeunirai pas ».

« Ces dernières semaines, je revis », clame Gary Terclavers. « J’ai loué un appartement à Bree parce que je ne voulais plus me farcir une heure de route tous les jours pour rentrer à Louvain. Je crois que c’est une sage décision. Bree est un endroit calme. Peut-être trop calme, mais cela ne me fait pas de tort. A Louvain, les distractions étaient nombreuses et j’en ai parfois abusé. Il fallait que jeunesse se passe. A Bree, il n’y a pas grand-chose à faire. Dans ces conditions, au lieu de sortir avec les copains, je fais de la musculation ou je m’adonne à des exercices de tir individuels. Je me concentre davantage sur le basket ».

Bree progresse. Quart de finaliste l’an passé, demi-finaliste cette saison. Que manque-t-il pour franchir un palier supplémentaire? « Nous devons nous renforcer dans le jeu intérieur », estime Gary Terclavers. « J’apprécie beaucoup Eric Hinrichsen, mais il est trop limité sur le plan offensif. Il faut que les points viennent d’ailleurs que de la périphérie. Si nous pouvions récupérer un pivot comme Marcus Campbell, nous serions vraiment très forts. Mais il ne faut pas se faire d’illusions: il est devenu impayable. Au niveau extra-sportif, il y a parfois des oublis. Dans un véritable club professionnel, tout devrait être prêt lorsque le joueur arrive à la salle. Pour qu’il n’ait plus qu’à lasser ses chaussures. A Bree, le kiné n’est pas toujours présent. Il faut prendre rendez-vous. Il nous est arrivé, lors du déplacement à Landen en Coupe de Belgique, de constater à l’arrivée que personne n’avait emmené du tape. C’est inconcevable à ce niveau ».

« Bree commence à se professionnaliser, mais devrait également le faire au niveau de la direction », ajoute Danny Herman. « Il faudrait par exemple un manager général full time pour diriger les opérations ».

Si tout n’est pas encore parfait, le basket est en plein essor à Bree. Avant chaque match, plusieurs centaines de couverts sont servis à la réception VIP. Et, la saison prochaine, le club disposera d’une nouvelle salle. S’il parvient à la remplir, il pourrait décoller définitivement. Danny Herman est sceptique: « Remplir une salle de 4.000 places, cela signifie attirer le tiers de la population au basket. Il faudra lancer beaucoup d’invitations… »

« Je crains qu’avec ce déménagement, Bree ne perde ce qui faisait sa force », renchérit Gary Terclavers. « L’ambiance particulière qui règne dans notre petite salle, où les spectateurs ont presque les pieds sur les lignes de touche, faisait frémir tous les adversaires. Mais cette nouvelle salle est sans doute nécessaire pour que le club poursuive sa croissance ».

Bree peut-il, à terme, prendre la place d’Ypres comme quatrième grand du championnat? « C’est ce que les dirigeants espèrent.

Daniel Devos

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