IRONMAN ONIPA’A’ (*)

Après une longue carrière athlétique, Koen Van Rie (43 ans) s’est tourné vers le triathlon il y a quelques années. Samedi, il a nagé, pédalé et couru son premier Ironman d’Hawaï.  » Car c’est pour découvrir ce monde merveilleux que je le fais.  » Voici son journal.

(*) Courage, va de l’avant

SAMEDI ET DIMANCHE 3 ET 4 OCTOBRE

Grammont-Londres, Londres-Los Angeles, Los Angeles-Kona. Le vol transatlantique dure onze heures mais j’ai le temps de me détendre les jambes à Santa Monica Beach. Au total, c’est un voyage de 25 heures, avec 12 heures de décalage horaire. J’ai donc voyagé pendant 37 heures mais j’ai maintenant une semaine pour m’acclimater et pour comprendre pleinement ce qui m’attend.

Pendant des années, j’ai trouvé l’Ironman inhumain : après 3,8 kilomètres de natation et 180 de vélo, il fallait encore courir un marathon, parfois en moins de 2 h 50. Je me demandais comment ces gens faisaient mais quelque part dans ma tête, une idée voyait le jour : et si j’en étais capable aussi ?

J’ai renoncé à l’athlétisme en 2008. J’avais 36 ans et je me pensais fini. Blessé, j’ai commencé à nager et à faire du vélo. C’est comme ça que ce nouveau chapitre a débuté. Ma technique de nage était bonne, je maîtrisais le crawl : 3 kilomètres en une heure. J’ai commencé à m’entraîner au Gett, le club de triathlon de Grammont. A raison d’une séance par semaine, on a corrigé ma technique et j’ai rapidement pu nager aux alentours de 4 km/h. J’étais parti.

Je visais Hawaï. Directement. Le contraire est impossible. Je m’étais déjà qualifié l’année dernière à Nice mais je manquais d’expérience. Je trouvais que l’Ironman d’Hawaï, ça se méritait. Or, ce n’était pas encore le cas.

Je ne pense pas que je perdrai un jour la mentalité d’un sportif de haut niveau. Pas de sitôt, en tout cas. Beaucoup de gens m’ont souhaité bon voyage mais pour moi, c’est la performance qui compte. Je cherchais un troisième grand moment à Hawaï. Au Mondial de cross de Dublin, j’avais déjà terminé 29e. J’ai gagné les 20 kilomètres de Bruxelles en 2005. Chaque fois, j’ai eu la chair de poule. J’espère l’avoir une troisième fois.

C’est une aventure coûteuse pour un amateur. J’ai tout financé grâce à la vente de vin. Rien que la participation coûte 850 dollars. Il faut payer le droit d’inscription même quand on est sélectionné. Plus le billet d’avion et tous les autres frais. On arrive à 5.000 euros. La Fédération n’intervient pas. Maintenant que je suis qualifié, le sponsoring s’ouvre un peu à moi mais c’est un sport cher. Il faut emmener son vélo, ses bagages, ça fait du poids.

LUNDI 5 OCTOBRE

Je m’acclimate, je m’habitue à l’appartement et aux personnes avec lesquelles je le partage. Bert Verbeke et Steven Scherpereel participent aussi à l’épreuve et le quatrième homme est le kiné. Une fois sélectionné, j’ai demandé à Frederik Van Lierde comment m’y prendre. Il m’a dit qu’il valait mieux tout régler moi-même, pour limiter les frais. Il connaissait deux participants dont il dresse les programmes d’entraînement et savait qu’ils avaient loué à trois un appartement pour quatre. Je pouvais donc me joindre à eux. Nous avons voyagé ensemble, loué une voiture. Nous reconnaissons l’île et le parcours. Hier, on s’est immédiatement mis au boulot. Après une reconnaissance à vélo de deux heures et une course de trente minutes on a enchaîné avec une séance tranquille de natation de 50 minutes : nous savons que ce sera une bataille physique mais aussi mentale. Contre les autres et contre soi-même. Le vent, la canicule, la mer… Un moment magnifique aujourd’hui : la natation, parmi de superbes poissons qui nous dédaignaient royalement. J’espère pouvoir rester concentré samedi.

André Roelen, un des entraîneurs du Gett, m’a concocté un programme d’entraînement personnel. Je travaille à temps plein dans l’enseignement, je donne entraînement deux soirs par semaine dans un club d’athlétisme et l’année dernière, j’ai combiné tout ça avec les cours d’entraîneur A. Ce fut une année très dure. Mes deux enfants s’adonnent aussi au triathlon et à la musique, en plus. Je courais d’un cross à l’autre.

MARDI 6 OCTOBRE

Une sortie à vélo de 60 kilomètres, la moitié contre le vent, qui est violent. C’est l’élément que je redoute le plus. La météo d’Hawaï est sur la page d’accueil de mon smartphone depuis des semaines. Ces derniers temps, le vent soufflait surtout du nord-est. J’espère que ça ne changera pas car j’aurai le vent de dos dans les 90 derniers kilomètres de vélo. A Deinze, je viens de terminer, pour la première fois, le cyclisme sans crampes. Je commence à avoir des jambes de cycliste. J’ai déjà couru les Ironman de Nice et de Zurich. L’épreuve de Nice comportait un col de 20 kilomètres et Zurich recelait quelques solides côtes. Hawaï n’est pas plat mais constamment vallonné. Pour m’y préparer, j’ai beaucoup roulé dans la région de Frasnes mais aussi le long de la Dendre car en rue, il faut souvent s’arrêter. Or, il est important de pédaler sans interruption.

A cause du vent, des trains se forment, à dix mètres de distance car nous ne pouvons pas rouler en peloton. Dans ces conditions, il est difficile de dépasser : il faut remonter tout le train. Or, il se compose souvent de six ou sept participants… Au début, je cherche mon propre rythme puis j’essaie de suivre quelqu’un qui semble avoir le tempo idéal. Une fois, j’ai suivi un autre pendant 75 kilomètres, à dix mètres. On n’en profite pas vraiment mais ça donne une idée du rythme.

On nage en mer. C’est un avantage car l’eau salée porte davantage le corps. On reçoit des coups et on en donne. On se fraie littéralement un chemin.

Mon tout premier triathlon n’était pas un Ironman mais un huitième de la distance. Après 50 mètres, j’ai cru que j’allais me noyer. C’était ma première fois en eau libre et elle était froide. J’ai dû me rabattre sur la brasse puis sur le dos. Je n’ai repris le crawl qu’après 300 mètres. Je ne savais plus comment respirer mais quelqu’un qui était resté près de moi m’a dit que c’était normal. André m’avait prévenu que je prendrais des coups, que je perdrais peut-être mes lunettes. Je tire donc mon bonnet sur celles-ci. Quand ça arrive, croyez-moi, ce n’est pas toujours par manque de bol. Certains les arrachent.

La natation est mon point faible. Après, je peux commencer à rattraper les autres puis il y a la course. Mais je n’en suis toujours pas satisfait. Après 20 kilomètres, je retombe dans un rythme qui ne me convient pas. C’est un aspect crucial pour beaucoup de triathlètes. Certains pensent que le plus dur, c’est la transition du vélo à la course mais c’est tout le contraire : je dois me retenir pour ne pas courir à 17 km/h. C’est normal : à vélo, tout défile à un rythme de 30 à 40 km/h. J’essaie de courir à 14 km/h, ce qui représente environ trois heures en marathon. J’ai perdu un peu de ma vitesse mais c’est normal puisque tous les entraînements se font en endurance.

MERCREDI 7 OCTOBRE

Nous sommes dans une zone inondable. Hier matin, je voulais nager 45 minutes et brusquement, des dauphins sont arrivés. Flanqué d’une vingtaine de mammifères, j’ai perdu ma cadence mais quel moment fantastique ! Aujourd’hui, nous avons croisé des tortues dans l’eau. Demain, qu’est-ce que ce sera ? Des baleines ? Des requins ?

La faune et la flore sont merveilleuses. C’est une débauche de couleurs. Les oiseaux, les arbres, les plantes, les poissons… Ce qui vit ici, nous ne le connaissons que par les aquariums et les zoos. Les oiseaux nous éveillent à 6 heures du matin. C’est comme si nous étions dans une immense volière.

J’ai pris deux semaines de congé sans solde à l’école. Je gagne donc moins mais je suis plus riche en expérience. Il fallait que ce soient deux semaines pour qu’on puisse me remplacer. Comme ça, mes élèves ne rateront rien. Moins de salaire, moins de pension… Ma mère est décédée à 58 ans, alors qu’elle avait encore plein de projets. Si ça m’arrive, je veux pouvoir dire ou penser que ce fut beau. Il faut profiter de chaque jour.

L’entraînement représente 25 heures/semaine dans les périodes les plus dures. 15 kilomètres de natation, à 3 km/h. 450 kilomètres à vélo, à une moyenne de 30 km/h. Puis courir 75 km à 15 km/h. On arrive vite à 25 heures. Parfois, ma journée commence à 7 h 30 et je rentre chez moi à 22 heures. Je cours à l’école, au bassin de natation.

JEUDI 8 OCTOBRE

Chilling is finished, now it’s time for some hard stuff. Let the beast go.

Le milieu du triathlon est chouette. Wim Van De Wielle est venu à Grammont pour rouler 130 kilomètres avec moi. Il a déjà fait Hawaï trois fois et nous avons échangé des tuyaux pendant toute la séance. Je peux envoyer des courriels à Frederik Van Lierde, j’ai déjà posé toutes les questions possibles et imaginables à Bert et à Steven… Je suis encore un bleu, hein : je ne fais ça que depuis deux ans.

Ils sont surpris. L’année dernière, à Damme, j’ai eu le meilleur chrono en course et j’étais satisfait. Je ne pense pas qu’on me considère comme un intrus. Je ne le voudrais pas car j’éprouve un profond respect pour eux. Les triathlètes sont des surhommes. A Zurich, on entame la cérémonie des médailles par les plus de 75 ans. Quelle armoire à glace ! A 75 ans ! J’espère pouvoir continuer longtemps. Puis il y a les dames de plus de 55 ans. Elles sont affûtées et paraissent beaucoup plus jeunes qu’elles ne sont. Je respecte les gens qui sont fiers de leur corps et le montrent. Ce n’est pas de la vanité mais du soin. Le triathlon m’a rendu plus fier de moi. Davantage que la course, oui.

Je n’ai jamais voulu être professionnel. J’aurais sans doute pu vivre à 100 % pour mon sport. On ne m’a jamais reproché d’aller skier, de rester amateur et en fin de compte, c’est une chance. J’ai joué au foot, fait de l’escalade, de tout. J’ai donc une excellente stabilité. Je veille à ce que mes enfants l’acquièrent aussi. Mais, si on me donnait la chance d’être professionnel un an en triathlon, pour voir ce dont je suis encore capable à mon âge, je le ferais. Je m’amuse beaucoup. Quand je vois ce que j’ai atteint en l’espace de deux ans…

VENDREDI 9 OCTOBRE

On y est enfin ! Demain, les débutants sont baptisés. J’ai été retirer mon dossard – j’ai le 1.424, j’ai assisté au briefing, à la Parade of Nations, la cérémonie d’ouverture. Kona vibre au rythme du triathlon. La tension monte. Bert effectue ses débuts, comme moi, mais Steven en est à sa deuxième participation. Nous espérons que l’euphorie qui règne sur Alii Drive rendra Hawaï inoubliable. Nager entre les dauphins et les tortues, les volcans, l’ambiance… C’était fantastique mais nous sommes venus pour le samedi 10/10 : le Mondial Ironman Kona 2015. Comme on dit ici, Onipa’a ! (Courage et va de l’avant !)

SAMEDI 10 OCTOBRE

Classement Ironman World Championship.

Classement final : 119e, numéro 1. 424. Koen Van Rie. Natation : 01.06.11. Cyclisme : 05.08.57. Course : 03.10.56. Temps total : 09.33.46. 12e sur 302 dans la catégorie 40-44 ans.

DIMANCHE 12 OCTOBRE

The day after. Ce fut sans conteste la course la plus dure de ma carrière sportive. La canicule, le vent et la lourdeur du parcours m’ont obligé à me battre contre tout et tout le monde, comme je m’y attendais. Je suis très satisfait de mon chrono. C’est ma meilleure performance dans ces conditions ! En natation, j’ai immédiatement reçu un coup de poing qui a détaché mes lunettes. Je me suis retrouvé en queue de peloton mais je n’ai pas paniqué et j’ai entamé ma remontée. Pendant l’épreuve cycliste, j’ai dû m’arrêter deux fois pour refixer ma selle. En marathon, j’ai connu deux moments difficiles mais le reste de la course a été très régulier. Ma remontée m’a motivé. Conclusion : je suis un triathlète satisfait. J’accepte bien volontiers de payer mon tribut : plaies, ampoules, douleurs musculaires et autres bobos. Merci à Marijke, Kobe, Felien, à la famille et aux amis pour leur soutien !

PAR PETER T’KINT – PHOTOS KOEN VAN RIE

 » La natation est mon point faible. On prend des coups, certains arrachent les lunettes.  » KOEN VAN RIE

 » L’entraînement représente 25 heures/semaine : 15 km de natation, 450 km à vélo et 75 km de course.  » KOEN VAN RIE

 » L’Ironman d’Hawaï est cher. Comptez facilement 5.000 euros !  » KOEN VAN RIE

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