Interviews à froid

Bernard Jeunejean

Chouette. Finies les interviews à chaud des acteurs en sueur, déclamant depuis des lustres les mêmes formules-bateau à la caméra d’après-match: à l’issue de chaque rencontre, le nouveau Match 1 donne désormais la parole à des consultés neutres! Les mecs ont pu scruter à froid, peinards, sans jouer, disposant de 90 minutes pour inventer ce qu’ils allaient dire ensuite d’intelligent, afin d’avoir l’air moins c… qu’à chaud quand ils jouaient! L’initiative est louable, digne d’une télé de service public sensée nous fignoler le sens critique, même lorsqu’il s’agit des arènes sportives: béat de bonheur, j’en conclus donc que le but premier n’est plus l’audimat, lequel se serait noblement laissé dribbler par l’éducation permanente.

Car la rédac’ de Reyers ne doit pas rêver: si le mot d’ordre reste audimateux, la nouvelle formule s’emmêlera les pinceaux: vu qu’à part la bibine, le peuple footeux n’est ivre que de deux choses, à savoir des images et des émotions. Et après les images d’un match, il ne veut rien d’autre que rester dans l’émotion. Le footophile de base n’écoute qu’à moitié les radotages de l’interviewé à chaud qui halète et qui dégouline, MAIS IL LE REGARDE, IL LE DEVORE DES YEUX! Et subconsciemment, le footophile se construit son p’tit cinoche intérieur: dans les yeux de la star qui sue en radotant, il jouit d’imaginer la joie, la colère, la tristesse, une multitude de sentiments divers et non-dits. Ce qu’il ressent est bien au-delà du blabla du buteur vainqueur disant ouais-ouais-on-a-gagné, ou du buté vaincu disant ouin-ouin-on-a-perdu.

Ceci dit, même à froid, tu peux toujours tomber sur une interview que tes convictions personnelles t’amènent à trouver débile, ce qui n’engage d’ailleurs que toi. Prenons Téléfoot, ce magazine dont nous sommes jaloux parce qu’il est français, rythmé et qu’il a les moyens. Voici 10 jours, l’invité était Guillaume Warmuz, qui avait ma foi l’air d’un garçon fort posé. Rolandand Co le harcelaient à 4 contre un, et le gardien de Lens s’en sortait honorablement.

Jusqu’au moment où il fut question de la promiscuité guerrière dans le rectangle, au moment du botté des coups de coin. On fit remarquer à Warmuz qu’avec tout ce qui s’y passait aujourd’hui en ceinturages, tirages de maillot, coups de coude, coups bas et coups fourrés, l’arbitre avait matière à siffler au moins dix penalties lors de chaque corner! Warmuz admit la chose, mais c’est en la commentant qu’il devint un âne: fataliste, il ajouta que chaque phase de coup de coin n’était rien d’autre qu’un rapport de force, comme sans cesse en foot, et que l’attaquant ceinturé qui était vraiment fort finirait toujours par se dégager et par mettre la balle au fond! Il a même répété ça deux fois vu que, lors des interviews de foot, les interviewés répètent fort souvent deux fois la même chose.

Donc, si tu t’apprêtes à péter le ballon au fond mais qu’on te retient par les choses ou par le maillot, t’as qu’à ne t’en prendre qu’à toi-même, hé, con! C’est simplement que t’es trop nul pour échapper au marquage! C’est dingue: dans mon fauteuil, ma télé-commande et moi-même en sommes restés le cul par terre.

Le commentaire de Warmuz nous faisait comprendre que, pour un vrai pro, la vicelardise a intégré le système à un point tel qu’elle ne révolte plus, qu’elle n’est même plus contestée : le vrai pro a seulement le devoir de gérer le paramètre intelligemment! Donc, keep cool, man! Hurle pas ton indignation sur les injustices, c’est du passé, c’est démodé, les plus vieux soixante-huitards pourrissent déjà six pieds sous terre! C’est simple comme un rapport de forces, man: tu triches quand tu peux, tu essaies de courir plus vite que les tricheurs d’en face, tu écrases stoïquement quand tu cours moins vite, et tout ira bien, la victoire est au bout! Vive le foot, vive ses valeurs, VIVE LA GUERRE!

Bernard Jeunejean

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire