International et SDF!

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le nouveau médian hongrois de Charleroi a fait le parcours du combattant.

Depuis l’été 96, Miklos Lendvai (26 ans) a changé de club chaque année: Bordeaux, Lugano, Ferençvaros, Geel, GBA et à présent Charleroi. Un joueur instable? Il estime qu’il avait chaque fois de bonnes raisons de changer d’air. Il n’a passé qu’une saison en Gironde mais s’exprime dans un français très valable. De son discours, ressort une motivation et une envie de bien faire extrêmes. Au Sporting, on ne cache d’ailleurs pas qu’on a transféré cet international hongrois notamment parce que c’est un terrible battant.

Les statistiques de « Micky » pour la saison 2000-2001 sont excellentes. Il fut un des joueurs les plus utilisés par Franky Van der Elst et sa cote moyenne est l’une des plus élevées du GBA. Si ce club ne connaissait pas de problèmes financiers, Lendvai serait d’ailleurs toujours au Kiel aujourd’hui. Le défi carolo le captive en tout cas.

« Van der Elst m’a conseillé de venir chez Scifo! »

Miklos Lendvai est un des joueurs que Franky Van der Elst tenait à conserver. Au moment où il comprit que ce n’était plus possible, le coach du GBA eut une réaction surprenante.

Miklos Lendvai: « Si ce club m’avait proposé de resigner à de bonnes conditions, je l’aurais fait les yeux fermés. J’avais une relation incroyable avec son public. Quand on a évoqué mon départ, plusieurs supporters m’ont envoyé des SMS en me suppliant de rester. Mais le manque d’argent était un vrai problème. J’ai reçu plusieurs offres: La Gantoise, Lommel, Charleroi et des clubs hollandais. Je suis allé trouver Van der Elst pour qu’il me donne son avis. Selon lui, les deux propositions les plus valorisantes étaient certainement celles de Gand et de Charleroi. Il m’a avoué qu’il ne connaissait pas bien Patrick Remy. Par contre, il n’ignore plus rien d’ Enzo Scifo. Je savais que Van der Elst et Scifo étaient en guerre. Mais Van der Elst m’a franchement conseillé de venir à Charleroi. Il était certain que j’allais franchir un cap supplémentaire en travaillant avec Scifo.

Après avoir parlé cinq minutes avec lui, j’ai dit à mon manager de mettre fin à tous les autres contacts. Je voulais venir à Charleroi, c’était très clair dans mon esprit. J’ai été séduit directement par le discours de Scifo. Il veut construire une équipe très compétitive dans un délai de trois ans et j’y crois à fond. Ma première rencontre avec lui remonte en fait à ma période bordelaise. Il était encore à Monaco et j’avais joué… six petites minutes contre lui.

J’avais déjà été séduit par le stade de Charleroi quand j’étais venu jouer ici avec Geel. A l’époque, le Sporting était très mal embarqué. Au moment de remonter dans le car, un supporter de Charleroi m’a félicité pour mon bon match. Je lui ai répondu que si son club chutait en deuxième division, ce serait une très mauvaise affaire pour le football belge. Cette région et ces supporters méritent d’avoir une équipe en D1. On sent directement que les gens de Charleroi vivent pour le foot ».

« Je tire mon chapeau à Karagiannis »

La présence continue de Miklos Lendvai dans l’équipe du GBA, la saison dernière, ne faisait pas les affaires de Manu Karagiannis. Les deux hommes étaient en concurrence pour le poste de milieu défensif. Karagiannis a ciré le banc du Kiel pendant que Lendvai achevait de se révéler dans notre championnat. En quittant Anvers, l’ancien international belge a méchamment tacklé Van der Elst. Entre Karagiannis et Lendvai, par contre, tout se passait très bien.

Miklos Lendvai: « Tout au long de la saison, nous avons fait la route ensemble, vu que nous habitions tous les deux dans la région de Genk. Manu était fâché sur Van der Elst, mais il ne m’a jamais reproché de prendre sa place. Nos relations sont toujours restées excellentes, et il m’étonnait chaque semaine en me détaillant le jeu de mon adversaire direct du week-end. Karagiannis peut avoir un sale caractère sur le terrain, mais il a un grand coeur et il est d’une correction extrême. Je lui tire mon chapeau ».

« Courbis est un ami pour la vie »

C’est grâce à ses bons matches sur des pelouses américaines que Miklos Lendvai avait suscité l’intérêt de Bordeaux. Il participa aux Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996. La Hongrie avait été versée dans le groupe éliminatoire le plus costaud avec le Brésil, le Nigeria (futur vainqueur) et le Japon.

Miklos Lendvai: « Une expérience magnifique. Dans l’équipe du Brésil, il y avait Ronaldo, Rivaldo, Roberto Carlos, Cafu, Juninho, etc. Le Nigeria alignait notamment Amokachi et Okocha. Nous avons perdu ces deux matches sans être ridicules, et nous avons battu le Japon.

A mon retour, un contrat à Bordeaux m’attendait. Rolland Courbis croyait beaucoup en moi. Entre nous deux, le courant est directement passé. Avant même la reprise des entraînements, il m’a invité deux semaines chez lui à Monaco. La compagne de Courbis s’est attachée à ma femme, dont le physique lui rappelait furieusement sa fille décédée d’une overdose! Courbis est devenu un ami. Je peux toujours l’appeler aujourd’hui si j’ai besoin d’un conseil.

Quel personnage! Il savait parfaitement faire la distinction entre le travail et l’amusement. Il ne nous épargnait pas à l’entraînement, mais il était très proche de nous une fois que nous étions rhabillés. Pendant un stage de préparation en Espagne, il nous a sciés. Nous étions allés manger en ville. En revenant vers l’hôtel, nous sommes passés devant une discothèque. En voyant tous ces néons, Courbis a demandé au chauffeur de s’arrêter. Il nous a dit: -Allez vous amuser, les gars. Je vous donne la permission de 2 heures du matin… et je paye tout!

Malheureusement, je n’ai pas beaucoup joué avec Bordeaux: une quinzaine de matches seulement sur l’ensemble de la saison. Courbis croyait en moi mais il me demandait d’être patient. Il estimait que je n’étais pas encore tout à fait prêt pour les grandes ambitions de ce club. Il y avait des stars dans l’équipe: Jean-Pierre Papin, Ibrahim Ba, Johan Micoud. Et surtout Stéphane Zianni, le joueur le plus doué que j’aie jamais côtoyé. Il était toujours démarqué et faisait ce qu’il voulait avec le ballon. Dans le hit-parade de mes meilleurs coéquipiers, je place Zianni en numéro 1… et Marc Degryse derrière lui. Ma mission n’était finalement pas très compliquée au GBA: je devais arracher des ballons pour les céder à Marc.

Ah oui, j’ai aussi joué avec Gilbert Bodart à Bordeaux. Tous les gardiens sont fous, mais il l’est encore un peu plus que les autres (il rit). Je retiens de lui son incroyable passion pour les casinos et toutes ses petites soi-disant blessures. En semaine, il avait toujours mal à gauche ou à droite. Mais, le jour du match, il se sentait de nouveau en pleine possession de ses moyens et capable de tout arrêter. Comme par miracle… »

« Mon père m’a fichu dehors! »

La Hongrie garde un petit espoir de participer à la Coupe du Monde 2002. Mais elle n’a plus son sort entre ses mains, dans la poule de la Roumanie et de l’Italie. Miklos Lendvai n’est pas titulaire incontesté dans cette sélection qui emploie actuellement 70% du groupe ayant participé aux Jeux d’Atlanta. Il estime toutefois qu’il ne peut pas se plaindre de son sort actuel, étant donné tous les contretemps qui ont marqué sa carrière. Ses débuts internationaux avaient d’ailleurs coïncidé avec une période très sombre de sa vie.

Miklos Lendvai: « J’ai joué pour la première fois en équipe A à l’âge de 17 ans. Aujourd’hui, je me demande toujours comment j’ai pu réussir cet exploit, vu la vie que je menais à l’époque. Je faisais partie d’une bande de jeunes pas très recommandables. L’école, ce n’était pas mon truc: j’y allais quand j’en avais envie. C’est-à-dire pas souvent. Je passais le plus clair de mon temps dans la rue, à jouer au foot. Et au base-ball. Un jour, nous faisions un petit match de base-ball devant un magasin de matériel hi-fi. J’ai disjoncté. Avec ma batte, j’ai fait exploser la vitrine et nous avons volé quelques télévisions, que nous avons vite revendues. Le soir même, la police débarquait à la maison. Le sang de mon père n’a fait qu’un tour: -Dehors! Je suis parti avec mon sac et je me suis retrouvé SDF. Je dormais dans la rue. Parfois, je squattais chez l’un ou l’autre copain qui travaillait un peu au noir pour tenir le coup. Je ne mangeais pas à ma faim. Je me suis même désintéressé du football et je me suis mis à rêver d’une carrière de boxeur. J’ai commencé à m’entraîner comme un malade. Heureusement, des copains m’ont remis sur le droit chemin et m’ont fait comprendre que si je me donnais la peine de travailler sérieusement, je pourrais faire carrière dans le foot. J’ai suivi leurs conseils et cela m’a permis d’arriver en équipe nationale. Mais quand j’ai joué mon premier match avec la sélection A, je dormais toujours dans la rue!

Je continuais à voir ma mère et ma soeur. Mais pas mon père. Il m’avait rayé définitivement de sa vie. Cette situation a duré près de quatre ans. Nous nous sommes finalement retrouvés pour le réveillon de Noël quand j’étais à Bordeaux. Mon père m’a pardonné. De mon côté, je considère que c’étaient simplement de grosses erreurs de jeunesse (il rit)« .

« Je suis resté un an et demi sans jouer »

Lendvai ne s’est pas toujours consacré au rôle de médian défensif. Au moment de sa révélation en Hongrie, il était un brillant numéro 10.

Miklos Lendvai: « On me considérait comme un joueur plutôt technique. Aller au duel, ce n’était pas vraiment mon truc. Une déchirure des ligaments croisés a fait basculer ma carrière. Je suis resté un an et demi sans jouer. Au moment de mon retour dans le noyau du FC ZTE, le seul club que j’aie connu avant Bordeaux, j’avais incroyablement faim de football. J’étais prêt à occuper n’importe quelle position. Il y avait une place à prendre comme médian défensif et je l’ai acceptée. J’ai vite compris que pour occuper ce poste, je devais changer mon fusil d’épaule et travailler comme un malade. Je suis devenu beaucoup plus agressif et j’ai commencé à me battre sur chaque ballon, ce que je ne faisais pas avant ma blessure. Les problèmes privés que j’avais connus m’avaient fait comprendre que je devais m’appliquer pour m’en sortir. Quand vous avez crevé de faim dans la rue, vous voyez les choses sous un autre angle. Je n’oublierai jamais d’où je viens. Il fallait travailler pour réussir dans le foot? Pas de problème, j’étais prêt à le faire. Depuis cette blessure, mon état d’esprit est tout à fait différent. Je ne suis pas toujours le meilleur du groupe lors des tests physiques, mais aucun entraîneur ne peut me reprocher de ne pas tout donner en match. Quand je rentre au vestiaire, j’ose me regarder dans le miroir et je me dis que je peux avoir la conscience tranquille. Même si je n’ai pas été bon. Comme tous les jeunes footballeurs, il m’est arrivé de contester mes entraîneurs. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Même si je suis convaincu que le coach n’a pas raison de nous imposer tel entraînement ou telle tactique en match, je me tais et je fais ce qu’il me demande. Si Scifo m’oblige à courir seul pendant deux heures autour du terrain, je le ferai! »

Pierre Danvoye

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