INFIDÈLE AUX POSTES

Parti de Belgique comme un numéro 10 d’avenir, Radja Nainggolan a mis de longues années à y revenir pour s’installer devant la défense. Une métamorphose à l’école italienne, à force de transversales et de kilomètres.

Son aura est devenue telle qu’après sa pas-se décisive malheureuse pour GarethBale, personne n’a osé lui en vouloir. Un an plus tôt, pourtant, RadjaNainggolan était presque un inconnu pour ceux qui rechignaient à se brancher sur les rencontres du Calcio. Longtemps, trop longtemps sans doute, l’Anversois a dû attendre sa première véritable chance de se mettre en évidence sous le maillot de l’équipe nationale.

À l’ombre de l’omniprésente Premier League, c’est à l’abri des regards que le Ninja est devenu le joueur qui charme aujourd’hui tout ce que la Belgique compte d’amateurs de football. Retour sur les traces discrètes de celui que les Diables auraient vraiment eu tort de continuer à oublier.

L’histoire italienne de Radja Nainggolan commence sur les pelouses du Futurosport de Mouscron. Venus observer un certain BenoîtSotteau, arrière gauche prometteur des Hurlus, pour le compte de Lecce, AlessandroBeltrami et DavidLasaracina tombent sous le charme d’un joueur du camp d’en face.

Radja Nainggolan porte les couleurs du Beerschot, et leur en met plein les yeux :  » Son agressivité naturelle était épatante, et il était habité par une rage de vaincre très rare dans le chef des joueurs de cet âge. Et vous devez y ajouter ses qualités techniques au-dessus de la moyenne « , se souvient David Lasaracina.

Le duo ne tarde pas à convaincre l’adolescent des banlieues anversoises de rejoindre l’Italie. Palerme et la Fiorentina (que venait de rejoindre le directeur sportif de Lecce) sont intéressés, mais c’est Piacenza qui accueille Radja Nainggolan.  » C’était une bonne étape intermédiaire et surtout, c’était le seul club qui acceptait de faire venir Nainggolan et DidierNdagano, un autre jeune talent du Beerschot. Nous avons pensé que c’était un plus pour son adaptation.  »

Revenu en Belgique sur la pointe des pieds pour écumer les divisions inférieures, Ndagano confirme son rôle dans le développement de son ancien équipier :  » À Piacenza, on était toujours ensemble. Les premiers mois ont été très difficiles pour lui. Il voulait retourner au pays, parce qu’il pensait que sa famille allait trop lui manquer. Je l’ai convaincu de rester, de continuer à se battre parce qu’il avait les qualités pour réussir en Italie, j’en ai toujours été persuadé.  »

Ailier, faux neuf et déclic

Et déjà à l’époque, il n’était pas le seul. En 2007, Radja illumine le prestigieux tournoi de jeunes de Viareggio. Piacenza échoue en quarts de finale face à la Roma, après avoir éliminé la Juventus.  » Après le match contre la Roma, FrancoBaldini avait demandé des informations sur lui « , se souvient LucianoBruni, le coach de l’époque. Franco Baldini travaille alors pour le compte du Real Madrid, où il a rejoint Fabio Capello un an plus tôt. Et l’ailier belgo-indonésien lui a tapé dans l’oeil.

L’ailier, oui. Car si la Belgique se pavane aujourd’hui d’avoir un numéro six de très haut niveau, c’est en tant qu’élément offensif que Radja avait débarqué dans la Botte des années plus tôt.

 » Plus jeune, je jouais trequartista (NdlR : l’équivalent du numéro 10 en Italie) et j’étais fan de Ronaldinho « , raconte d’ailleurs le joueur lors de sa présentation à la Roma.  » Avec Pioli, il jouait sur le côté gauche offensif d’un système qui ressemblait à un 4-3-3 « , se souvient David Lasaracina, qui n’a jamais quitté des yeux l’évolution de Radja.  » C’est MarioSomma qui a été le premier coach à trouver sa bonne position « .

Mario Somma, c’est l’inventeur auto-proclamé du 4-2-3-1. Un homme qui fait la théorie à ses joueurs avec des figurines de Subbuteo. En panne d’attaquants, le coach de Piacenza avait pourtant fait sensation en conférence de presse en annonçant que  » demain, nous jouerons avec Radja à la Totti « . À l’époque, l’Imperatore joue dans un rôle de  » faux 9  » sous les ordres de LucianoSpalletti. Tous les chemins de Radja mènent décidément à Rome.

L’expérience est infructueuse, et Mario Somma se souvient sur les ondes de Radio Mana Sport d’un changement de position décisif pour la carrière de Nainggolan :  » Il jouait trequartista, mais je savais que ce rôle ne convenait pas à ses caractéristiques. Je lui ai dit que tout dépendait de lui, et lui ai demandé de changer de rôle, parce qu’il n’avait pas les qualités nécessaires pour faire le fantasista. Par contre, il avait tout pour être un milieu de terrain complet « .

Radja s’adapte, évidemment. Quoi de plus étonnant pour un joueur qui, pendant sa formation, a même évolué au poste de défenseur central.  » Il gagnait ses duels aériens contre les attaquants alors qu’il était tout petit « , se souvient Didier Ndagano. Jean-François Remy, qui a eu Radja sous ses ordres en Espoirs, confirme :  » Lors de notre première conversation, il ne connaissait pas encore sa meilleure place. Il jouait numéro 10 ou numéro 11 (ailier gauche), mais c’était surtout parce qu’il marquait facilement à l’époque. Chez nous, il a très vite reculé dans le jeu.  »

DavideBallardini, son ancien entraîneur à Cagliari, a sans doute la meilleure formule pour évoquer la polyvalence de Radja :  » Où que je le mette, il fait bien les choses. S’il jouait au but, il arriverait à faire bonne figure.  »

De Chinois à Ninja

Nainggolan n’a jamais enfilé les gants, seulement le bleu de travail. Au coeur du jeu de Piacenza, l’Anversois devient une valeur sûre. Au stadio Galleana, la foule se presse pour voir jouer celui que le public surnomme alors  » le Chinois « . Contre Messine, au sortir d’un match de superlatifs, Mario Somma dégaine les compliments en conférence de presse :  » Aujourd’hui Messine doit me remercier, parce qu’ils ont pu admirer un joueur qui deviendra un champion : Radja Nainggolan.  »

AndreaMengoni, ancien de Piacenza, ouvre la boîte à souvenirs au micro de GianlucaDiMarzio :  » Radja était déjà trop fort. Il jouait mezzala (milieu relayeur) droit, et on voyait qu’il était deux catégories au-dessus. Même à l’entraînement, c’était très difficile de réussir à le tenir.  »

Radja est sans doute déjà prêt pour la Serie A, mais restera encore six mois à Piacenza. C’est donc en tant que joueur de Serie B qu’il découvre l’équipe nationale. La cascade de forfaits pour un mini-trip au Japon où se déroule la fort peu excitante Kirin Cup force FrankyVercauteren à ratisser très large :

 » Pour être honnête, je ne connaissais pas Nainggolan. C’est via MarcVanGeersom, qui était responsable des U19, qu’on avait fait le tour des jeunes joueurs, et on était tombé sur lui.  » Des débuts quasiment sans suite : pour décrocher sa première titularisation chez les Diables Rouges, Nainggolan devra encore attendre cinq ans.

L’Italie, elle, n’attend pas aussi longtemps pour exploiter le talent de Radja. Le 27 janvier 2010, à quelques jours de la fin du mercato, Nainggolan débarque en Sardaigne.  » MaxAllegri, qui était le coach de Cagliari, le voulait absolument « , se souvient David Lasaracina. Les premiers pas en Serie A ne tardent pas, avec une montée au jeu contre l’Inter, futur champion d’Europe, pour se lancer dans le grand bain la tête la première.

La deuxième sortie contre le Bari de JeanFrançoisGillet est convaincante, la troisième tourne au fiasco. Face au Chievo, Radja monte à l’heure de jeu et regagne les vestiaires quelques minutes et une carte rouge plus tard. Trop impétueux, pas encore bien canalisé, il ne jouera plus que cinq fois jusqu’à la fin de la saison. À Cagliari, tout le monde n’est pas convaincu de la valeur du Belge.

Sur SportItalia, PierpaoloBisoli raconte cet été où l’idylle entre Nainggolan et la Sardaigne a failli être tuée dans l’oeuf. Le coach vient alors de remplacer Allegri, parti au Milan avec une Panchinad’Oro (titre de coach de l’année) en poche :  » Ils voulaient vendre Nainggolan pour un million d’euros à Cesena, mais j’ai refusé. Après trois entraînements, j’ai dit au président Cellino qu’il fallait qu’il reste, parce que c’était le plus doué du noyau.  »

MassimoFiccadenti, qui a connu Radja à Piacenza, aimerait effectivement l’attirer à Cesena. Mais Nainggolan finira par rester à Cagliari. Et par se faire une place de titulaire dès le début de saison. La blessure de DanieleConti, le maître à jouer du onze sarde, lui permet de s’imposer en regista devant la défense.

Le retour de Conti et le départ de Bisoli, remplacé par RobertoDonadoni, n’y changera presque rien : Radja reste dans le onze, et doit juste monter d’un cran pour évoluer mezzala, côté gauche.  » Le Chinois  » devient le  » Ninja « , et entame trois années de conquête de la Sardaigne.

En dehors du radar belge

 » Il a le physique et les courses, c’est un vrai joueur  » affirme Ficcadenti, adversaire admiratif, dès le mois de décembre. Le CorrieredelloSport présente Nainggolan comme  » un mix de quantité et de qualité qui rappelle un certain MarcoTardelli « . Comparé avec une légende de la Juve et de la Squadra championne du monde 82, Radja reçoit des tonnes de fleurs dans la Botte, jouit de l’intérêt concret de la Lazio et du Napoli au coeur de l’été, mais reste toujours en dehors du radar belge.

 » Jamais un scout de l’Union belge n’est venu me voir, pas une seule fois ! « , raconte le joueur dans nos pages en 2011. Une absence de suivi qui tourne à l’obsession pour le Ninja :  » Après les matches, je demande au secrétariat de Cagliari la liste des clubs et des fédérations qui ont envoyé quelqu’un.  »

Chez nous, en effet, ceux qui connaissent Radja Nainggolan se comptent sans doute sur les doigts d’une seule main. Parmi eux, les deux JeanFrançois, deSart et Remy, qui continuent à sélectionner le Sarde d’adoption chez les Espoirs :  » Il a fait deux générations avec nous « , se souvient l’adjoint des Diablotins.  » À l’époque, MarioInnaurato était dans le staff des Espoirs, et il prenait donc des contacts en Italie pour se renseigner sur l’évolution du joueur.  »

Déjà, la personnalité forte de Radja impressionne :  » Il avait bien sûr beaucoup de qualités, notamment sa passe et ses frappes, mais c’étaient surtout son engagement permanent et sa maturité qui étaient frappants. Il avait même parfois ce côté un peu impétueux et provocateur, qui pouvait le rendre excessif dans son engagement. C’était l’un des deux points qu’il devait travailler, l’autre étant la sécurité dans son jeu.  »

Avec autant de quantité dans son football, Radja pêche évidemment parfois dans la qualité. Un joueur impétueux et omniprésent a forcément du déchet. Une carence qui se corrigera avec le temps, et qui n’empêche pas les acquéreurs potentiels de se montrer de plus en plus nombreux dans les tribunes de Cagliari.

Le Milan lui fait la cour, ainsi que les géants du championnat russe.  » Il est beaucoup trop jeune pour aller prendre froid en Russie « , ose le fantasque président Cellino, qui prédit le Real à son Ninja et met sa tête à prix pour vingt millions d’euros.

Sur le terrain, Nainggolan se multiplie. À la récupération et à la construction.  » Un homme pour toute la saison et pour tous les rôles « , décrit l’Unione Sarda pour qualifier un joueur qui enchaîne les saisons à plus de trente matches, une dizaine de cartons jaunes annuels, et une omniprésence qui se lit dans les chiffres : 1.7 tir, 45.2 passes, 5 longs ballons et 3.9 tacles par match. Il ne lui manque plus qu’une présence plus régulière au tableau d’affichage (cinq buts en trois saisons).

Mais à Cagliari, Radja n’a pas besoin de marquer des buts pour marquer les esprits.  » Avant d’arriver à Cagliari, je savais que Nainggolan était fort. Mais je ne pensais pas que c’était à ce point « , raconte AlbinEkdal. IvoPulga, son coach au début de l’année 2013, renchérit :  » C’est un joueur universel, il peut occuper tous les rôles au milieu du terrain « .

Une opinion que partage visiblement la Juve, désireuse d’attirer Nainggolan dans le Piémont  » pour remplacer Vidal, mais aussi pour préparer l’avenir en fonction de l’essoufflement de Pirlo, et imaginer Radja prendre la relève en numéro 6 « , précise David Lasaracina. Une avalanche de compliments à laquelle le chroniqueur de Radio UnoGiuseppeBisantis ajoute le sens de la métaphore :  » Nainggolan a une coiffure qui devrait figurer dans le code pénal. On dirait qu’il a un pneu autour de la tête, comme pour dire qu’il fait des kilomètres et des kilomètres.  »

Davantage Vidal que Gattuso

Le volume de jeu, la fameuse grinta, c’est l’atout majeur de Radja Nainggolan. Un atout qui lui a joué des tours, parce qu’il a longtemps occulté le fait que le Ninja était un superbe joueur avec le ballon dans les pieds. À son retour en équipe nationale en 2011, il est d’ailleurs presque obligé de le préciser :  » On dit que mon style ressemble à celui de Gattuso, mais je suis beaucoup plus technique que lui.  » La Belgique pense qu’elle a un NigeldeJong, alors que c’est un ArturoVidal.

L’hiver 2013 est celui du grand saut. Nainggolan enchaîne les Unes de la Gazzetta, et est annoncé dans tout ce que la Botte compte de grands clubs. Entre le Napoli, l’Inter de l’Indonésien Thohir et la Roma, la lutte est haletante, mais tourne finalement en faveur des Giallorossi.

À quelques mois du Mondial, on craint alors le pire pour un Radja pas spécialement dans les petits papiers de MarcWilmots. Parce qu’à Rome, le trio formé par DeRossi, Strootman et Pjanic marche sur la Botte. Mais le défi n’effraie pas le Ninja, qui profite de la blessure du Néerlandais pour devenir un titulaire incontournable :  » Il n’a pas du tout eu peur de la concurrence « , explique Lasaracina.  » Au contraire, ça le sublime. Sa réussite ne me surprend pas du tout car dès son plus jeune âge, il a toujours été animé par une grande envie de réussir.  »

 » Il a un physique monstrueux, et une puissance unique pour un milieu de terrain « , affirme rapidement un RudiGarcia sous le charme. Dans la Ville Éternelle, l’explosion de Radja ne semble connaître aucune limite. Mario Somma, son premier grand mentor, avait pourtant prévenu l’Italie quand Nainggolan a enfilé le numéro 44 pour la première fois :  » Il a tout : le physique, la technique, de grandes courses… Il peut jouer dans tous les rôles ! Et il n’est encore qu’à 60 % de son potentiel…  »

Suffisant pour séduire définitivement une Italie qui le classe désormais parmi les fuoriclasse de son Calcio. Mais pas assez pour convaincre Marc Wilmots de l’emmener au Brésil. Nainggolan ne peut pas cacher sa déception pendant que de l’autre côté des Alpes, on crie carrément à l’hérésie.

Quand Radja débarque sur le plateau de Sky Italia pour préfacer la rencontre entre les Diables et la Corée du Sud, la première question du journaliste est éloquente :  » Qu’est-ce que tu as fait à Wilmots pour ne pas être sélectionné ?  »

Après avoir rongé son frein tout l’été, Nainggolan entame la défunte saison sur les chapeaux de roue. La crête est affûtée, par ce geste qui la recoiffe toujours en pointe juste avant le coup d’envoi. Plus que jamais, Nainggolan est partout. Il ne se contente plus de tout faire : maintenant, il fait tout très bien. Il a beau dire qu’il est  » toujours le même Radja qu’il y a trois ou quatre ans « , même ses chiffres ont décollé : 5 buts et deux assists, 2.3 tirs et 5.2 longs ballons par match, et surtout 55 passes toutes les nonante minutes, distillées avec justesse (86.8 % de réussite).

Garcia l’installe à côté de Daniele De Rossi dans ce qui ressemble de plus en plus à un 4-2-3-1 :  » C’est un box-to-box, un gars qui sait se projeter vers l’avant comme Verratti ou Vidal. Si on joue avec deux hommes devant la défense, dont un plus expérimenté comme De Rossi, Radja jouit d’une liberté totale. Et pour faire le pressing et arracher les ballons, il y a peu de joueurs de son niveau. Il est toujours le premier sur la balle, et va systématiquement vers l’avant.  »

Adoubé enfin par Marc Wilmots

Des qualités qui ont fini par séduire Marc Wilmots. Placé devant la défense à la place d’un Witsel trop monotone pour rendre la partition diabolique imprévisible, Radja s’est définitivement installé après son match contre Chypre. Adoubé par le sélectionneur d’un simple mais efficace  » c’est le joueur dont j’avais besoin à ce poste-là.  » Il était temps.

PAR GUILLAUME GAUTIER

 » Où qu’on le mette, il fait bien les choses. S’il jouait au but, il arriverait à faire bonne figure aussi.  » Davide Ballardini, son coach à Cagliari

 » Un mix de quantité et de qualité qui rappelle Marco Tardelli.  » Le Corriere dello Sport

 » Il n’avait pas les qualités nécessaires pour faire le fantasista. En revanche, il avait tout pour être un milieu de terrain complet.  » Mario Somma, son coach à Piacenza

 » On dirait qu’il a un pneu autour de la tête, comme pour dire qu’il fait des kilomètres et des kilomètres.  » Giuseppe Bisantis, Radio Uno

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