In the City

Le point sur le déracinement de nos deux athlètes les plus rapides, le sprinter et le hurdler.

Londres, Borough of Haringey. On est loin du brouhaha de Westminster et des perpétuels embouteillages de la City. Ici, dans le nord, l’ambiance est paisible, les parcs nombreux.

Voilà six mois que Patrick Stevens et Jonathan Nsenga ont planté leurs spikes ici, au New River Sports Center, non loin de Wood Green dans le groupe de l’ancien sprinter britannique Mike McFarlane au sein duquel ils évoluent aux côtés de Dwain Chambers, Julian Golding, Tony Jarrett. Ce que l’on fait de mieux en termes de sprint outre-Manche. Mais nous sommes en juin et aucun de nos deux compatriotes n’a montré de signes de bonne forme.

Stevens (33 ans) n’a pas encore couru en compétition et s’est à nouveau blessé au tendon. Nsenga (28 ans) a timidement chaussé trois fois ses spikes en course avec des chronos très peu encourageants. Inquiétant? Nos deux hommes sont cependant confiants et attendent avec impatience de prouver que leur choix londonien était le bon.

Patrick Stevens: J’ai recommencé les entraînements durs au début juin. J’ai souffert d’une douleur au tendon depuis le début mai, un autre problème que celui dont je souffrais à Sydney bien que ce soit au même tendon, le gauche, celui de ma jambe intérieure dans le virage du 200 mètres. Il y a quelques adhérences du tendon sur la gaine, ce qui cause l’inflammation. En m’entraînant à Londres avec Mike McFarlane, je suis devenu plus fort et plus explosif. Les impacts sur les tendons sont donc plus forts. De plus, on a découvert que ma jambe gauche était plus courte de 1,2 cm par rapport à ma jambe droite. Je porte désormais des semelles orthopédiques. Ce qui est certain, c’est que je ne voulais pas entamer ma saison de course avec un problème. J’ai donc pris le temps de me soigner pour que ça ne s’aggrave pas.

Vous êtes bien installé à Londres?

Oui. J’ai ma voiture et je n’ai aucun problème pour me déplacer. Mon appartement est bien mais très cher, 1.000 livres par mois (66.000 BEF). Après le Mondial d’Edmonton, je retournerai en Belgique pour m’y entraîner pour la fin de saison. Je rentrerai peut-être quelques fois à Londres mais je logerai à l’hôtel. Je m’y installerai à nouveau définitivement à partir de novembre ou décembre.

Pourquoi Londres?

Aux Jeux de Sydney, mon entraîneur Henk Kraayenhof ne m’avait pas réellement soutenu. Il devait être à Sydney le 3 septembre et il est arrivé deux semaines plus tard. C’était déjà suffisant pour prononcer le divorce car je l’avais rejoint en 97 pour préparer les Jeux justement. Tout s’était bien passé jusque là. Par ailleurs, Jonathan voulait aussi changer d’entraîneur. Il cherchait comme moi un nouvel esprit. Nous avions au départ pensé aux Etats-Unis, mais cette solution n’était pas la bonne. C’était loin de chez moi et je ne suis pas noir. Je n’aurais jamais été intégré là-bas. Etre à Londres me permet de rentrer souvent en Belgique.

Comment avez-vous choisi Mike McFarlane?

Je connaissais beaucoup de monde dans le groupe de Mike. J’appréciais aussi beaucoup sa composition. Chambers, par exemple, est très bon au départ et en accélération. Golding, qui fait le même chrono que moi sur 200 mètres mais qui travaille beaucoup en résistance. Il y a aussi Tony Jarrett, un jeune, Jonathan Barber, qui a déjà couru en 10.24 cette année, ainsi que les deux meilleurs Anglaises sur 100 et 200 mètres. Tous ces gens me respectent. Je suis plus âgé et sur le circuit international depuis plusieurs années

Qu’est-ce qui a réellement changé au niveau de l’entraînement?

Chez Kraayenhof, on travaillait toujours la vitesse et l’explosivité, nous avions beaucoup de pression sur le système nerveux. Mlike McFarlane fait faire beaucoup plus de volume en hiver. Mais le fait d’être blessé après Sydney m’a permis d’alléger mon programme. Je sens que cela aurait été trop de travail pour mon physique. Nous nous entraînons six fois par semaine, très dur. Cet hiver, les séances d’endurance duraient entre trois et quatre heures sur la piste, parfois sous la pluie. Nous disposons en effet d’une salle indoor, mais le samedi uniquement. C’est vrai que je regrette le soleil de l’Australie où je m’entraînais chaque hiver. Mais l’encadrement correspond à ce que j’en attendais. Je sens d’ailleurs les effets de mon nouveau style de préparation. J’étais déjà très bien en stage à Los Angeles. Je n’ai pas voulu courir en compétition là-bas car j’avais encore besoin d’un peu d’entraînement.

Quel est votre programme à court terme?

Je dois arriver à courir sous les 20.40 au moment des championnats du monde, au début août. C’est l’objectif principal. Je pense que ce chrono devrait me permettre d’arriver en finale. Le plus important pour moi, c’est de tirer un trait sur les trois dernières années. J’ai raté les championnats d’Europe de Budapest (98), j’ai abandonné au Mondial de Séville (99) et j’étais blessé au JO de Sydney (2000). Ce qui est bizarre, cependant, c’est que j’ai couru tous les meetings durant ces trois années. Sauf les championnats…

Participerez-vous au National?

Oui, mais uniquement sur 100 mètres probablement. Je ne vais en effet pas courir beaucoup de 200 avant les championnats du monde. Sur 100 mètres, je voudrais m’approcher de 10.30 le plus tôt possible. Le National sera le premier bon test sur 100 mètres.

Et à long terme?

Je me donne encore trois ou quatre ans. Les championnats d’Europe 2002 seront très, très importants pour moi, tant en salle qu’en plein air. J’y vise de part et d’autre deux médailles, comme j’ai fait dans le passé. Nous travaillerons ensuite, si c’est possible, pour les prochains jeux, en 2004 à Athènes. Les championnats du monde de cette année seront donc une étape.

Comment sont vos relations actuelles avec le comité olympique et le BLOSO?

J’ai effectivement des comptes à rendre au COIB. J’ai eu des conversations politiques avec lui. Le fait de savoir s’ils sont d’accord que je sois à Londres ou pas, ce n’est pas mon problème. Je reçois une bourse olympique, certes, mais c’est le BLOSO qui paie la plus grande partie. De ce côté, on supporte l’initiative. Et le risque. Ils partent du principe qu’il vaut parfois mieux s’expatrier. Ils estiment aussi que l’expérience que j’aurai acquis pourra profiter à d’autres en Belgique.

Que pensez-vous du niveau belge actuel?

Je suis très content que quelques athlètes commencent à courir à un excellent niveau. Je pense notamment à Kevin Rans, Nathan Bongelo, Anthony Ferro. Il est cependant temps que je me mesure à eux pour les valider.

Pouvez-vous dresser un parallèle entre ce que vous vivez ici et la situation en Belgique?

Je connais des athlètes anglais qui sont champions olympiques et qui n’ont pas de bourse, car la fédération estime que leurs gains leur permettent de continuer à vivre et à se préparer sans problème. Je trouve très positif leur travail de base. Il existe une gradation qui aide les jeunes talents à monter de plus en plus haut. Cela étant, les jeunes ici n’hésitent pas à déménager pour aller s’entraîner où il faut. Ce n’est pas vraiment le cas en Belgique où faire cinquante kilomètres est déjà trop.

Comment vous êtes-vous adapté à Londres?

Je suis ici pour m’entraîner. Sans plus. Je ne suis pas le seul sportif de haut niveau dans le cas. Je n’ai de toute façon pas envie de connaître trop de monde car je n’ai pas beaucoup de temps en dehors de mes entraînements. Je ne sors pas beaucoup. De temps en temps au cinéma ou au concert. Je rentre souvent en Belgique. Mon adaptation a cependant été facile car j’avais l’expérience d’Amsterdam et du groupe de Kraayenhof. Je me prépare moi-même mon petit déjeuner et souvent mon déjeuner. Le soir, je vais au restaurant ou j’achète des plats préparés. La plupart du temps asiatiques. J’ai cependant horreur des pubs. Tous ces gens qui y passent leur temps, toute la journée. Je n’aime pas cette culture, ce bruit.

Nsenga avoue que c’est dur

Jonathan Nsenga: Je suis à Londres depuis le début janvier. J’ai commencé par y passer des week-ends et je me suis installé en février. Il m’a quand fallu un mois et demi pour trouver mon appartement. 520 livres par mois. Près de 35.000 BEF. C’est énorme, mais c’est comme ça ici. Ma situation au niveau financier dépend du résultat de toute cette opération. Il est clair que si nous aboutissons à un constat d’échec, nous devrons reconsidérer les choses avec le Comité olympique, l’ADEPS et la ligue. Je sais que le COIB tend à éliminer les branches moins porteuses de fruits, même si, comme moi, elles comptent continuer à produire jusqu’en 2006 voire 2008. Il est clair que si on me retire les fonds, je dois oublier Londres.

On pourrait tenir compte d’une période d’adaptation. Six mois, c’est long et court à la fois.

C’est clair que j’ai besoin de m’adapter. J’en suis finalement à ma première expérience en la matière. McFarlane n’est, finalement, que mon deuxième entraîneur après Juan Da Silva. Patrick a plus d’expérience en ce sens. Mais les instances vont-elles avoir la patience d’attendre en considérant les budgets? Si Patrick a envie de venir à Londres pour s’entraîner, il le fait. Il n’a aucun problème budgétaire. C’est loin d’être le cas en ce qui me concerne… même si, à part cette finale olympique qui me manque tant (vivement 2004), j’ai le même palmarès que lui dans les grands championnats: finales européennes et finales mondiales.

Pourquoi changer d’air?

Je stagnais depuis 98, malgré un très bon résultat au championnat du monde en 99 à Séville. Je sentais que je devais évoluer si je voulais atteindre le tout haut niveau. En Belgique, on ne me le permettait plus. Mon choix pour Londres a été fait à Bruxelles en un jour. Le fait que je sois arrivé à Londres dans le groupe de McFarlane est une coïncidence. Je suis parti un peu dans l’inconnu. Je voulais un grand groupe avec des sparring-partners de mon niveau. L’entraînement est beaucoup plus dur que je pensais. McFarlane nous met toujours dans des conditions extrêmes de compétition. C’est une réelle psychologie du haut niveau, ce qu’on n’a pas toujours en Belgique. Avec Mike, on n’essaie pas de simplement passer un tour en championnat. La finale, c’est un minimum. Physiquement, je me suis beaucoup affiné. J’ai travaillé des nouveautés au niveau de la musculation, la souplesse des hanches, entre autres. Je suis aussi devenu plus résistant grâce au travail de fond de cet hiver. J’ai également gagné en vitesse. Je subis d’ailleurs les conséquences de ce lourd travail en ce moment. Je me sens plutôt lourd. Je dois encore soigner la forme, le geste sur la haie.

Que vous inspirent vos chronos printaniers de 13.94 et 13.95?

Il y a quelques années que je n’étais plus descendu au printemps deux fois sous les 14 secondes. C’est donc enthousiasmant, quelque part. Par contre, le niveau de ces deux chronos est loin d’être bon. Mais je suis patient car je sais que j’ai progressé. Je n’ai pas été blessé cet hiver, ce qui m’a permis de m’entraîner sans arrêt.

Vous n’avez pas vu votre coach pendant le mois de mai. Est-ce un problème?

Tout à fait. Après notre stage à Los Angeles, j’ai couru au Qatar, en Belgique, en Crète. Trois ou quatre semaines sans mon coach et sans mon groupe, c’est trop. L’oeil de McFarlane est important. J’ai vraiment le sentiment d’avoir perdu du temps au mois de mai par défaut d’organisation. Car j’ai été accueilli à bras ouverts dès le départ. Par Mike et par son épouse qui assure le secrétariat du team. Mike est éducateur de métier et n’a pas toujours le temps d’assurer le suivi. Il y aurait pu y avoir des tensions avec certains athlètes du groupe qui sont nos opposants directs en compétition. Tony Jarrett pour moi, Julian Golding pour Patrick. Nous bénéficions au contraire de leur expérience. De plus, quand je me retrouve en meeting, comme ce fut le cas en Crète récemment, le fait de faire partie d’un groupe m’ouvre des portes. Je suis ainsi devenu copain avec l’Américain Mark Crear. C’est la grosse nouveauté de cette année et je suis certain que cela finira par m’apporter un super plus.

Avez-vous une vie sociale à Londres?

Non, très peu. On se retrouve très rarement avec les autres athlètes en dehors des entraînements et c’est normal, nous sommes des pros. C’est vrai, je me sens parfois très seul. J’ai eu deux visites en quatre mois. Mais je ne suis pas venu pour ça. Ce qui est dur, c’est de ne pas avoir de voiture, ni de téléphone, de contact régulier avec la Belgique. Il m’est plus facile de partir deux mois en stage car je sais que je vais rentrer au pays. Mais Londres est différent car j’y vis. Du côté positif, j’adore la vie multiraciale et multiculturelle de Londres. Je trouve aussi la culture sportive dans ce pays formidable. Un match de foot le samedi, c’est chaque fois une Coupe du Monde. Ici, on n’oublie pas les athlètes. Christie est resté une grande vedette. En Belgique, par contre, quand un athlète arrête, on l’oublie.

Comment avez-vous planifié votre futur proche?

J’ai eu une grosse discussion avec mon entraîneur car juillet n’est pas encore au point. Tout dépend de ma participation aux Jeux de la Francophonie à Ottawa. Le tout est de savoir ce que McFarlane va m’imposer en termes de meetings et d’entraînements en fonction d’Edmonton, qui constitue mon principal objectif. Mon but ultime est de devenir constant à 13.30-13.40. Je sens que je dois courir en meeting car je suis loin d’être dans le rythme. J’ai besoin de courses mais pas comme au championnat LBFA de Jambes où j’ai couru bien techniquement, mais seul, avec le vent de face et en 14.10. En deux ans, j’ai seulement une dizaine de courses intéressantes à mon actif alors qu’il m’en faudrait 30 par an. Je pense être quelqu’un qui a finalement besoin d’indoor pour arriver en forme en outdoor. Une étude médicale organisée dans le cadre de la LBFA a en effet révélé que mes fibres musculaires seraient plutôt lentes. Je serais donc plus résistant que rapide. Cela a peut-être une influence sur mes performances, qui viennent souvent en fin de saison, après une longue mise en action. Je me suis même déjà posé la question de savoir si je ne reviendrais pas à terme au 400 mètres haies, la discipline de mes débuts. Mais je reste focalisé sur le 110 mètres où je suis certain de ne pas encore avoir atteint mes limites.

Eric Cornu, à Londres

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire