Impuissante face au destin

Samedi, une Suisse plus que méritante s’est donc inclinée 1-0 face à une Tchéquie décevante. On attend toujours l’équipe vue au Mondial !

La Suisse a donné le coup d’envoi de son EURO samedi, contre la Tchéquie. Prudente, elle limite ses ambitions à la qualification pour le tour suivant mais en son for intérieur, elle rêve de gagner un match à l’EURO, ce qui constituerait une première. Son échec l’a cruellement déçue. Ce mercredi soir, elle affronte la Turquie. L’enjeu est énorme : la perdante sera éliminée du tournoi.

44e au classement de la FIFA (les Diables Rouges sont 49e), la Suisse compte environ 7,5 millions d’habitants. La structure de sa fédération est aussi complexe que la nôtre. On y parle allemand, français, italien et, dans une infime partie, le romanche. On recense 1.440 clubs, qui doivent partager les c£urs suisses avec les sports d’hiver. Les parallèles avec la Belgique, où le cyclisme opère une montée fulgurante à côté du football, ne manquent donc pas.

La Suisse est qualifiée pour la troisième fois de suite. Cette fois, pays hôte, elle a été exemptée des qualifications, comme la Belgique pendant l’EURO 2000. La Suisse n’a raté qu’un seul tournoi lors des douze dernières années : le Mondial 1998. Le secret de son succès ? Pas de plantureux contrat TV, le mantra de la Ligue Pro belge, mais une alliance d’engagement de la part d’un groupe partiellement composé de Suisses d’origine étrangère et d’une vision à long terme basée sur la formation des jeunes.

L’histoire débute le 1er novembre 1994, peu après le Mondial américain. La Fédération suisse demande à KobiKuhn de concevoir un plan de formation des jeunes. Médian durant sa carrière de joueur, Kuhn a été la figure de proue du FC Zurich, dont il a porté le maillot de 1962 à 1977. Il a remporté six titres et cinq coupes. Sa popularité n’a pas dépassé la frontière suisse, même s’il a participé aux championnats du monde 1962 et 1966. Il s’est distingué lors du premier au Chili et en Angleterre : Kuhn (63 sélections), puni pour raisons disciplinaires, a échappé à la raclée essuyée face à l’Allemagne (0-5). Il avait raté l’appel du soir et le sélectionneur l’avait suspendu pour un match.

En novembre 1994, la Fédération lui a donc demandé d’élaborer un Meisterplan. L’argent est venu des banques et des gains récoltés grâce au Monde 1994. La Nati, le diminutif de Nazionalmannschaft, n’avait jamais réussi à se qualifier pour un EURO. Depuis 1966, elle n’avait participé qu’au Mondial américain. Les Suisses étaient las de ces échecs répétés. Leur football de club ne signifiait pas grand-chose et sur la scène internationale, on se moquait de cette bande d’amateurs qui couraient comme des poulets sans tête à peine le coup d’envoi donné. Ils souffraient aussi d’un complexe d’infériorité, comme plusieurs joueurs de cette époque en témoignent maintenant. Alain Geiger se souvient à quel point Wembley l’avait impressionné quand il s’y était produit avec la Suisse.

Quel complexe d’infériorité ?

C’est l’Anglais Roy Hodgson qui a réveillé la Suisse. Il a balayé sa conviction de ne pouvoir jouer autrement qu’avec un libéro. Il a opté pour une défense en zone. Ce système était connu en Angleterre mais aucun club suisse de D1 ne l’appliquait. Hodgson n’avait pas le temps de s’occuper de la formation des jeunes. La Fédération s’est donc tournée vers Kuhn qui prit la direction de l’équipe des Espoirs. Son plan était tourné vers les jeunes et le développement du football en profondeur. Le pays a été divisé en cinq régions. Pour chacune d’entre elles, on a embauché un entraîneur, chargé de sélectionner les 25 éléments les plus doués et de les aider à progresser par des entraînements séparés. Chaque entraîneur a également reçu la direction d’une équipe nationale d’âge, des – 15 ans aux – 20 ans.

Les clubs ont d’abord considéré ces mesures comme une concurrence déloyale mais il ne s’agissait que d’entraînements complémentaires. Le manuel de Kuhn a été baptisé avec une fameuse ambition :  » Nous voulons devenir champions d’Europe « . Ridicule, selon Kubilay Türkyilmaz, ex-international et actuellement commentateur TV, mais ce n’est pas l’avis de Kuhn. Dans ses interviewes, l’homme explique qu’il avait peut-être visé trop haut mais qu’il fallait faire preuve d’ambition pour modifier les mentalités.

Les équipes d’âge sont excellentes sur la scène européenne. Reste l’équipe fanion, souvent aux mains d’entraîneurs étrangers, comme si les Suisses ne croyaient pas en leurs propres capacités. Outre Hodgson, Artur Jorge, Rolf Fringer, Gilbert Gress et l’Argentin Enzo Trossero ont défilé, sans guère de succès.

En août 2001, alors qu’un nouveau changement se profilait, Kuhn a posé sa candidature, pour démontrer que la Suisse recelait aussi des coaches de talent et pour appliquer sa politique à l’équipe fanion. Investir pendant des années dans les jeunes avec l’argent des banques suisses, c’est bien mais il fallait obtenir des résultats.

Pour l’assister, Kuhn a fait appel à un Suisse francophone, Michel Pont – encore un parallèle avec la Belgique. Kuhn est bilingue, comme nous avons pu le constater vendredi lors de la conférence de presse qui préludait au match, mais Pont effectue la liaison avec les joueurs et la presse francophones.

C’est une combinaison gagnante. Sept ans plus tard, Kuhn dispute son troisième (et dernier) tournoi. Il effectuera ses adieux au profit d’ Ottmar Hitzfeld dès que la Suisse aura achevé son EURO. En quatre matches, en Allemagne, la Suisse a gagné deux des trois matches du premier tour. Elle a marqué quatre fois, n’a encaissé aucun but et a terminé première de sa poule devant la France. Au deuxième tour, l’Ukraine a dû avoir recours aux tirs au but pour l’éliminer.

Ce succès a enthousiasmé les Suisses, en prévision de leur tournoi, même si les derniers matches amicaux ont été plutôt décevants et qu’on a subitement reproché son âge à Kuhn – il a 64 ans. Türkyilmaz a même déclaré, après la défaite 0-4 contre l’Allemagne au printemps, que Kobi devait être limogé. Il y a une semaine, Alice, à laquelle il est marié depuis 43 ans, a été admise à l’hôpital dans un état critique. Kuhn a partagé son temps entre la préparation et de brèves visites à l’hôpital. La Suisse s’est demandé avec anxiété s’il était à même de faire face à pareille situation. Vendredi, un journal helvète a titré :  » Quelle énergie a encore le grand-père ? « . Suffisamment, comme on l’a vu samedi. Certes, son équipe a été vaincue mais son engagement et son courage ont été exemplaires. Kuhn, un peu marqué, a immédiatement repris des couleurs.

par peter t’kint – photo: reuters

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