© BELGAIMAGE

 » IMPOSSIBLE D’OBTENIR LE MAILLOT DE MARADONA « 

Notre équipe nationale a joué pour la première et la dernière fois une demi-finale de Mondial il y a trente ans. Les Diables Rouges de Guy Thys ont trébuché face à l’Argentine de Diego Maradona. Le lundi 14 novembre, celui-ci est au Sportpaleis pour un remake du match mais nous vous faisons déjà revivre ce chapitre d’histoire.

L’amateur belge de football se rappelle surtout le match légendaire contre l’URSS, en huitièmes de finale du Mondial mexicain, ainsi que la demi-finale et l’accueil grandiose sur la Grand-Place de Bruxelles. Les débuts des Belges n’avaient pas été prometteurs : une défaite 2-1 contre le Mexique, une courte victoire 2-1 contre le modeste Irak et un nul 2-2 salvateur contre le Paraguay. L’ambiance était mauvaise. René Vandereycken s’en était pris au jeune Enzo Scifo, qui ne participait pas assez à la défense. Le futur sélectionneur a suivi le reste du tournoi au pays, comme Erwin Vandenbergh, à cause de blessures.

L’ambiance change après le premier tour. Alors âgé de 21 ans, Patrick Vervoort saisit sa chance en défense.  » Un vent nouveau a soufflé sur l’équipe « , se souvient-il.  » L’équipe a été mieux équilibrée, avec un judicieux mélange de jeunes et de joueurs chevronnés.  » La Belgique signe l’exploit des huitièmes de finale en éliminant l’URSS, une des favorites, puis elle fait pareil avec l’Espagne, aux tirs au but. En demi-finale, elle affronte l’Argentine de Diego Maradona, la vedette du tournoi. El Pibe de Oro a déjà marqué trois buts, dont un grâce à la  » main de Dieu « , en quarts de finale contre l’Angleterre.

 » IL N’A QUE DEUX JAMBES  »

Les Belges croient en leurs chances d’accéder à la finale.  » La situation était idéale « , raconte Danny Veyt. L’avant de 30 ans de Waregem est associé à Nico Claesen en attaque.  » Nous avions dépassé les attentes en éliminant deux ténors. Nous ne ressentions donc aucune pression.  » Les Diables ne sont pas au courant de l’euphorie qui règne en Belgique.  » Nous avions peu de nouvelles « , reconnaît Veyt.  » Nous n’avions pas de smartphone et internet n’existait pas encore. Nous utilisions le téléphone de l’hôtel. Parfois, nous faisions la file avec les journalistes. Certains nous disaient bien que le pays était sens dessus-dessous, que les gens klaxonnaient, que les couleurs nationales ornaient toutes les rues mais nous ne pouvions pas nous le représenter. Nous en avons pris conscience à notre retour.  »

Le noyau se prépare donc en toute décontraction au match contre les Albiceleste, malgré Maradona.  » Il ne nous faisait pas peur « , poursuit Vervoort. Nous savions que l’Argentine s’appuyait sur un joueur exceptionnel, Maradona, et deux très bons footballeurs, Jorge Valdano et Jorge Burruchaga. Les autres n’étaient que des porteurs d’eau. La suite l’a prouvé : seuls ces trois joueurs ont réalisé une grande carrière.  »

Jean-Marie Pfaff, un des meilleurs protagonistes du tournoi, s’est ensuite lié d’amitié avec Madarona.  » Diego m’a raconté que les Argentins se méfiaient terriblement de nous.  » Quatre ans plus tôt, la Belgique avait gagné le premier match du Mondial espagnol 1-0 face à cette même Argentine.  » Elle pensait alors que ce n’était qu’une formalité « , poursuit Pfaff.  » En 1986, elle nous trouvait difficile à bouger et nous respectait.  »

La tactique ne fut qu’une copie du match de 1982, dit Pfaff :  » Au Camp Nou, quand Maradona mettait un pied dans notre camp, Ludo Coeck devait s’en charger. Diego l’appelle toujours le grand mince. Ludo, auquel nous allons rendre hommage le 14 novembre, avait très bien fait son boulot. Il avait neutralisé Maradona.  »

PAS DE HORS-JEU !

La demi-finale se déroule au gigantesque stade des Aztèques, à Mexico City. 114.500 spectateurs sont là, le 25 juin.  » Nous n’étions pas impressionnés, plutôt surmotivés « , continue Vervoort. Lors des deux matches précédents, le public avait pris le parti de la Belgique, l’outsider. Cette fois, les Diables bénéficient de moins de soutien.  » L’Argentine a joué à domicile. Le stade était bleu et blanc. Il y avait tout au plus cent Belges.  » Veyt n’a pas trouvé l’atmosphère hostile :  » On nous a aussi applaudis. Je pense que les gens éprouvaient du respect pour notre petit pays, qui avait été si loin.  »

Les Albiceleste entament le match à fond. Un but de Valdano est annulé pour une faute de main et Maradona est omniprésent. Vervoort :  » Il ne disait pas grand-chose mais j’avais le sentiment qu’il voulait faire ses preuves. Quatre ans plus tôt, l’Argentine avait été éliminée très vite et on s’était moqué de Maradona, notamment à cause de son revers contre nous. Nous retrouver en demi-finale l’a motivé.  »

La furia sud-américaine s’étiole au fil des minutes.  » Le TGV est devenu un IC « , clame le commentateur Rik De Saedeleer à la 26′. A ce moment, Veyt fonce seul vers le but mais l’arbitre signale un hors-jeu, injuste ! L’intéressé ne comprend toujours pas, trente ans plus tard.  » Il ne s’agissait pas de centimètres, hein ! J’avais des mètres de marge, c’est une mauvaise décision historique. C’est la première chose qui me vient à l’esprit quand je pense à ce match. Si le juge de touche n’avait pas levé son drapeau, j’aurais sans doute marqué et tout aurait été différent. Qui sait, j’aurais peut-être obtenu un gros transfert.  » Vervoort hoche la tête.  » Il n’y avait pas hors-jeu. Quelques minutes plus tard, la phase s’est répétée mais c’était plus serré. Nous avons eu le sentiment qu’il fallait à tout prix que l’Argentine de Maradona dispute la finale. Je me demande parfois ce qui serait arrivé si ce juge avait fait son boulot ?

Ces deux phases montrent que la Belgique est bien dans son match, ce qui frustre les Argentins. Veyt et Scifo le sentent passer.  » L’Argentine alignait huit bouchers « , rigole Vervoort.  » Mais la recette a fonctionné.  » Les Belges ont aussi dû commettre des fautes pour stopper Maradona. Veyt :  » Nous avions quelques joueurs qui savaient s’y prendre. Renquin, Demol, Gerets … Nous avions une excellente organisation, ce qui irritait les Argentins. Peu avant le repos, je revois Maradona furieux, à terre, parce qu’on n’avait pas sifflé de faute. Il était fâché mais aussi désespéré parce que ça ne marchait pas alors que l’Argentine devait gagner.  » Malgré les fautes qu’il subit, Maradona n’a jamais eu le sentiment que la Belgique manquait de fair-play.  » Au contraire « , assure Pfaff.  » Diego nous trouvait trop respectueux : nous le laissions trop jouer. Il avait plutôt l’habitude d’être malmené.  »

LE MAILLOT DE DIEGO

La Belgique a préservé ses filets en première mi-temps. Veyt décrit ambiance du vestiaire :  » Nous croyions toujours en nos chances. Je m’étais retiré. Ceulemans et Gerets parlaient, dans le vestiaire. La tactique était simple : continuer sur notre élan et faire douter notre adversaire.  »

Le rêve de finale s’écroule très vite. L’Argentine a perdu sa furia mais à l’heure, elle mène 2-0. Des oeuvres de Maradona par deux fois.  » Il nous a ridiculisés sur les deux buts « , trouve Vervoort.  » Même si c’est relatif. Il avait tout simplement plus de talent. Il courait parfois plus vite ballon au pied que nous sans ballon. La classe pure.  » Pfaff opine :  » A gauche, à droite, temporiser, accélérer, il faisait tout au bon moment. il était encore meilleur qu’en 1982. Chaque fois que nous pensions récupérer le ballon, Diego nous échappait. Il a littéralement explosé en deuxième mi-temps. Devais-je sortir ou pas sur le premier but ? Je n’en sais rien. Le fait est que Diego savait toujours à l’avance ce qu’il devait faire et ce qui allait se passer. Si l’inattendu se produisait, il anticipait in extremis d’un geste sublime. Comme notre équipe, Diego était mû par une incroyable rage de vaincre mais il faisait la différence par son talent. Comme Johan Cruijff et Pelé. Ou Elvis Presley en musique.  »

Le double uppercut a assommé les Belges. Leur difficile campagne a requis son tribut, selon Vervoort :  » Nous étions vannés. Nous avions joué 120 minutes contre l’Union Soviétique et l’Espagne. L’Argentine s’était qualifiée en 90 minutes. Ses supporters la poussaient vers la victoire. Les Argentins ont continué, sans se fatiguer, alors que nous étions à bout de souffle. N’oubliez pas que nous jouions à plus de 2.000 mètres d’altitude ?  » Veyt approuve :  » En première mi-temps, nous avons oublié nos efforts car tout se déroulait à la perfection mais quand l’Argentine a marqué, nous nous sommes effondrés.  »

Deux éclairs de classe de Maradona ont conduit l’Argentine en finale contre l’Allemagne de l’Ouest.  » C’était mérité, surtout sur base de la deuxième mi-temps « , Veyt en est conscient.  » Mais je persiste : l’arbitrage a joué un rôle crucial.  » A l’issue du match, Pfaff a demandé le maillot de Maradona. Veyt rit :  » L’obtenir était impossible : Jean-Marie a quasiment filé vers lui avant le coup de sifflet final. J’ai eu la maillot de Burruchaga mais même un gosse de six ans n’entrerait plus dedans. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Disons que leur football était de meilleure qualité que leurs maillots.  » Vervoort rit aussi quand on évoque l’échange des maillots.  » Nous n’en avions pas parlé avant. Souvent, les responsables du matériel s’occupaient de l’échange et redistribuaient les vareuses au hasard, dans des conditions parfois difficiles.  » Au Mexique, accord ou pas, Jean-Maris Pfaff a misé sur la sécurité :  » Dans le tunnel, avant le match, j’ai demandé le maillot de Diego et il a tenu parole. Je l’ai accroché dans mon bureau, comme celui de 1982.  »

UN DANCING AMÉLIORÉ

Au terme de ce match historique, le noyau est sorti mais il ne faut pas s’imaginer trop de folies, d’après Veyt.  » Nous sortions toujours en nombre. Nous l’avions fait aussi après nos succès contre l’URSS et l’Espagne. Ça nous rendait plus forts. Mais il n’y avait pas beaucoup de possibilités à Toluca. Nous avions le choix entre un café et une sorte de dancing fortement éclairé. Mais c’était agréable. A l’issue du match contre l’Argentine, nous avons bu quelques verres dans un de ces établissements. Ceulemans et Gerets nous entraînaient souvent. Ils ne nous obligeaient jamais mais quand des personnalités pareilles vous proposent, vous les suivez. Donc, nous sortions ensemble et rentrions de même.  »

Avant que l’avion de la Sabena ne mette le cap sur la Belgique et que l’Argentine conquière le titre, les Diables disputent la finale de consolation contre la France. Les joueurs ne s’en réjouissaient pas vraiment, raconte Vervoort :  » C’était le match de trop. Je n’avais plus envie de jouer. J’étais mentalement vidé et au repos, j’ai demandé mon remplacement. Thys m’a dit de rester : – Tu as disputé un si bon tournoi.  »

Un tournoi qui va revivre dans quelques jours.  » Voir de près une vedette comme Maradona est une chance unique. C’est aussi l’occasion de rendre hommage à cette levée belge en or. Maradona se réjouit de venir et de revoir les Belges, en tout cas « , signale Pfaff. L’arbitre mexicain de l’époque ne sera pas de la partie. Il y a trois ans, Antonio Marquez Ramirez est décédé à l’âge de 77 ans. Il figure à tout jamais dans la même galerie que Kurt Röthlissberger et Peter Prendergast.

PAR PHILIPPE CROLS – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Diego nous trouvait trop respectueux : nous le laissions trop jouer.  » – JEAN-MARIE PFAFF

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire