Imiter Lulugoal

Deuxième Brésilien à devenir Belge comme Luis Oliveira, la tour de contrôle du Standard devrait régler le trafic aérien de l’équipe nationale.

C’est le 26 février 1992 que le premier Diable Rouge d’origine brésilienne – Oliveira Barroso Luis Airton, dit Lulugoal ou Lou – fit ses débuts en équipe nationale à l’occasion d’un match amical face en Tunisie (2-1). Il égalisa à la 58 minute de jeu. Oliveira n’avait que 16 ans quand il débarqua à Anderlecht et il y a tout fait : nettoyer le stade, cirer les chaussures des gars de la Première, supporter les piques de Raymond Goethals avant de bénéficier de la confiance d’Aad de Mos. C’est Enzo Scifo qui, avec la bénédiction de Michel Verschueren, lui recommanda d’opter pour la nationalité belge. Cela lui a ouvert la porte des Diables Rouges.

Sa pointe de vitesse a fait merveille en équipe nationale : 31 caps (3 pour Anderlecht, 9 pour Cagliari, 19 pour la Fiorentina), 7 buts de 1992 à 1999. A bientôt 40 ans (il est né le 24 mars 1969), Lulugoal vit en Sardaigne et vient d’apprendre qu’il va avoir un successeur brésilien chez les Diables.

Comme Lulugoal, Igor de Camargo vient aussi du Brésil, un pays devenu le paradis du football. Comme Oliveira, Igor a aussi trouvé son bonheur en Belgique et c’est pour cela qu’il en a obtenu la nationalité. Le coach des Diables Rouges a, lui, été séduit par l’abondant travail fourni par cet attaquant. Car non content de disposer du meilleur jeu de tête de D1, de Camargo est le premier défenseur du Standard tant il se replie au c£ur de sa ligne médiane pour aider les pare-chocs défensifs, ratisser le terrain, récupérer le ballon.

Comme Laszlo Bölöni a besoin de  » brasil  » (le nom d’un arbre qui offre un bois recommandé pour la construction des bateaux) pour perfectionner le navire liégeois, Vandereycken s’est dit la même chose pour son équipe nationale. Le PrinceIgor devrait obtenir sa première sélection internationale le 11 février prochain en match amical contre la Slovénie à Genk, là où il joua il y a déjà neuf ans…

Connaissez-vous les paroles de la Brabançonne ?

Igor de Camargo : Pas toutes, mais pour le refrain, ça va…

 » Allons enfants de la patrie « … et puis ?

Non, c’est pas ça, c’est : – Le Roi, la loi, la liberté.

C’était juste un clin d’£il à la Marseillaise de Leterme…

C’est ici que j’ai vécu mes plus belles réussites sportives. Je n’étais pas connu, même pas au Brésil, quand je suis arrivé en Belgique, mais on m’a offert de la chaleur, de la patience, de la compréhension et de l’estime. Je ne sais pas si on m’aurait donné tout cela dans un autre pays. J’ai bien sûr mérité, ou justifié, cette chance et tout le monde y a trouvé son compte. Je me souviens avec émotion de ma famille d’accueil à Maasmechelen, au Limbourg, quand j’ai débuté à Genk à 17 ans. C’était formidable, j’étais comme leur fils. J’avais besoin de cette gentillesse. Je vivais une fameuse aventure. Au Brésil, la vie est différente, plus festive. J’étais décidé à tout faire pour réussir mais je laissais quand même mes parents derrière moi. C’était chouette à la maison où nous n’avions pas de soucis : mon père était professeur de biologie à l’université, ma mère exerçait le métier de comptable, ma s£ur rêvait d’architecture, etc. Moi, j’étais fou de foot comme mon père et mon grand-père qui ont tous les deux failli devenir footballeur pro. J’étais fort en géographie, je savais où se situait la Belgique, rien de plus.

Quand vous êtes arrivé en Belgique, Oliveira avait déjà fait la pluie et le beau temps à la tête de l’attaque des Diables : aviez-vous déjà entendu parler de lui ?

Non.

 » Je ne fais pas de bruit car cela ne sert à rien « 

Incroyable, non ?

Peut-être mais, au Brésil, on s’intéresse surtout aux grands championnats européens et à celui du Portugal où il y a toujours eu de nombreux joueurs brésiliens. Je ne connaissais donc pas Luis Oliveira en arrivant ici mais j’ai appris à estimer sa progression et ce qu’il a apporté au football belge. Le temps a passé et il a laissé des traces importantes de son passage à Anderlecht et en équipe nationale. Je suis un footballeur différent mais Oliveira constitue un exemple à suivre.

Il y a évidemment plus de Mario Jardel que d’Oliveira en vous…

Cette comparaison vous appartient. Moi, je n’en fais pas. Je me bats et je me donne à 100 % avec mes atouts et mes défauts. Je ne suis pas quelqu’un d’autre. Je bosse, je ne suis pas impatient, je sais qu’il y a toujours une récompense après l’effort. Et l’orage cède forcément sa place au beau temps. Je ne fais pas de bruit : cela ne sert à rien. En fin de saison passée, je me suis souvent retrouvé sur le banc car Michel Preud’homme misait surtout sur la paire Milan Jovanovic-Dieumerci Mbokani. Je n’ai rien dit, je ne voulais pas tout casser…

Tout casser ?

Evidemment, on peut tout briser avec un accès de colère, des propos incendiaires ou une attitude négative. J’ai parfois été critiqué dans la presse. Je râlais intérieurement mais je mesurais bien ce qui était en jeu. Le titre bien sûr mais, plus personnellement, tout le chemin que j’ai parcouru en Belgique. Globalement, j’avais quand même livré une très bonne saison. Je ne veux pas l’hypothéquer ça bêtement, sur un coup de tête. C’est ma carrière, j’y tiens ; je suis venu en Europe pour réussir, pas pour me crasher au hasard d’un coup de gueule. Je ne veux pas non plus réduire mes chances d’avancer. Je suis loin d’avoir atteint mon maximum. Je peux encore progresser de 50 %. Au Brésil, je jouais en division régionale de l’Etat de Sao Paulo, l’équivalent d’une Provinciale en Belgique : c’est dire si j’avais un écart à résorber. Je sais d’où je viens et cela m’offre une certaine sérénité. J’ai prolongé mon contrat au Standard jusqu’en 2013 dans le calme. Je n’ai jamais crié sur tous les toits que l’Europe entière s’intéressait à moi. Je laisse cela à d’autres. Ce qui doit arriver arrivera. Dieu décidera. Et j’aviserai, je m’adapterai à ce moment-là, comme je l’ai toujours fait. Tout le reste est inutile ; je n’ai jamais joué pour les gazettes. Je n’ai pas besoin des gros titres à la une. Tout ce que j’ai à dire, je le dis d’abord sur le terrain où j’essaye toujours d’accomplir la mission qui m’est confiée par le coach. C’est ma façon d’être et de penser. Merci quand même pour la comparaison avec Jardel.

Bölöni est-il le premier à vous demander de décrocher aussi bas dans le jeu ?

Pas du tout, mais il y a eu un problème de taille dans la ligne médiane suite au départ de Marouane Fellaini et Bölöni a songé à cette solution. Dans le football moderne, chacun a ses spécificités mais tout le monde doit être capable de tout faire. Les arrières sont les premiers attaquants et les attaquants doivent entamer le travail défensif. Preud’homme me demandait aussi de reculer mais c’était quand même moins systématique. Le premier à me demander de le faire, ce fut Emilio Ferrera au FC Brussels.

Cela remonte à Mathusalem…

Presque, c’était en janvier 2005.

 » On snobe trop les petits clubs « 

Quel chemin parcouru entre-temps…

Ben oui et on oublie déjà que j’avais été champion de Belgique avec Genk en 2002. Même si je n’ai joué que quelques matches, c’est aussi mon titre et j’y tiens. A Genk, c’est Johan Boskamp qui m’a reçu dans le noyau A. J’adorais son caractère, sa chaleur. Ah… cette bête de football savait se faire entendre. Je dois beaucoup au fidèle T2, Pierre Denier, qui a toujours cru en moi. La concurrence était sévère en pointe avec au fil du temps les Wesley Sonck, Moumouni Dagano, Mirsad Beslija, Mike Origi, Zoran Ban, Paul Kpaka, Kevin Vandenbergh et j’en passe. Malgré cela, j’ai humé l’ambiance de la Ligue des Champions avec Sef Vergoossen contre le Real Madrid, l’AS Rome, AEK Athènes. En mangeant du caviar, j’aurais pu me griser et ne plus apprécier un frites-mayonnaise mais je savais que je n’étais nulle part et que j’avais besoin de temps de jeu. Je n’ai pas reculé en acceptant l’offre de Heusden-Zolder comme Logan Bailly entre autres. Non, au contraire, j’ai beaucoup progressé avec un coach remarquable, Peter Balette. On snobe trop les petits clubs. Mon passage à Heusden-Zolder m’a été vachement utile. C’est grâce à ce club que je me suis finalement installé en D1.

Pourtant, vous êtes revenu six mois à Genk et cela n’a pas été : qui était coach ?

René Vandereycken.

Il ne croyait pas en vous ?

Si mais une fois de plus il y avait toujours du beau monde en attaque. Mon problème était le même : je devais jouer pour exister. Contrairement aux affirmations de la presse, je n’ai jamais eu le moindre problème avec Vandereycken à Genk. Il fallait simplement que je change de club pour jouer. Cette fois, je ne pouvais plus patienter.

Finalement, Genk vous a découvert et lancé en D1 sans jamais vous exprimer une totale confiance ?

Non, j’ai tellement appris là-bas. J’ai découvert un pays et son football. Sans Genk et ma famille d’accueil, je n’en serais pas là. Je le dis même si j’ai eu un problème administratif avec la direction de Genk avant de signer au Brussels. Mais je ne veux plus revenir sur cette péripétie car c’est désormais anecdotique.

Qu’avez-vous trouvé au Brussels ?

Du temps de jeu. Cette fois, c’était bien parti mais on a ramé pour rester en D1. Même s’il a été évincé, Ferrera était un grand tacticien. C’est lui qui m’a fait venir à Molenbeek.

Un club et un président fous, non ?

Oui, on peut dire ça. La sauce n’a hélas pas pris avec Ferrera et j’ai apprécié le style tranquille de Robert Waseige : son vécu nous a été utile. Un joueur doit apprendre à garder son calme quand il y a une tension énorme comme ce fut le cas au Brussels, évidemment. Je ne m’y suis pas forgé mon caractère. Je l’avais déjà mais j’y ai finalement eu la confirmation que je convenais au football belge. Nous sommes restés en D1 et j’ai marqué 10 buts. Ce fut une expérience énorme.

Puis, vous avez fait la connaissance du général Cartier : présentez armes ?

Général, général ? C’est exagéré. C’est un grand coach qui motive comme personne. Il y croit, s’implique, tire tout de ses gars. On tenait la route avec des petits moyens. J’ai continué sur ma lancée avec Cartier. Après six mois, je suis passé au Standard où je me suis immédiatement fracturé la jambe.

Maintenant, la donne est différente : l’heure n’est plus pour vous au maintien mais à la confirmation d’un titre. Quelle différence…

Moi, pour le titre, je ne crie pas encore victoire…

 » J’aimerais rendre quelque chose au football belge « 

Vous êtes très mesuré…

C’est beaucoup trop tôt. Je m’avancerai un peu plus dans un mois. Personne ne peut rien prétendre avant le match à Anderlecht. Sans défections, il me semble que nous sommes plus complets. Avant ce match, le Standard jouera en coupe d’Europe à Braga et Anderlecht négociera le match remis à Gand. Anderlecht-Standard sera donc intéressant à mille titres. J’ai évidemment confiance car notre effectif a beaucoup progressé avec Preud’homme puis Bölöni.

A propos de l’équipe nationale, c’est Vandereycken qui vous a communiqué la bonne nouvelle ?

Oui, il m’a téléphoné pour me signaler que je figurais dans la présélection pour Belgique-Slovénie. C’est une grande et bonne nouvelle, une récompense pour ces neuf ans de travail en Belgique.

Et quels sont ses plans pour vous ?

Vandereycken m’a tout de suite signalé que ma présence en équipe nationale attirerait l’attention des médias. Il avait raison… J’ai pu comprendre que ma mission serait comparable à celle que j’ai au Standard : être présent dans le rectangle adverse mais me replier aussi. Je connais la plupart des internationaux et je connais forcément le football belge sur le bout des doigts. Je suis bilingue, je comprends tout le monde : je m’en suis fait une obligation en débarquant en Belgique. A mes yeux, la langue est indispensable pour avoir toutes les chances de s’intégrer dans un nouveau pays. En équipe nationale, il y aura des réglages tactiques mais pas d’adaptation comme si j’étais arrivé hier du Brésil. Je ferai tout pour être digne de cette confiance. J’aimerais rendre quelque chose au football belge qui m’a quand même tout donné.

De plus, le football brésilien a une dette à notre égard…

Je ne sais pas…

Le but annulé de Marc Wilmots contre le Brésil au Japon en 2002, ça ne vous dit rien ?

Ah, d’accord. Si j’aide la Belgique à se qualifier pour 2010, c’est bon ?

Ce serait parfait. Où vivrez-vous dans 20 ans ? En Belgique ou au Brésil ?

Tout le monde me pose la question. Je n’en sais rien, un peu au soleil, un peu ici, on verra bien. J’ai opté pour la Belgique car je la respecte et je m’y sens bien. Ma carte d’identité belge, j’en suis fier. C’est un choix du c£ur qui me permet aussi de voyager plus facilement en Europe. Je n’aime pas le froid. Je ne suis pas le seul : des milliers de citoyens belges vivent ou passent l’hiver en Espagne. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils ne sont pas fiers de la Belgique. Je suis parfois étonné par les tensions communautaires qui sévissent ici : c’est très dommage.

Débuter en équipe nationale à Genk, c’est quand même symbolique pour vous…

Oui, je ne le cache pas. Mon plaisir sera double. Ce sera une façon de boucler un cycle de ma carrière. Je penserai certainement à la famille Van Heeswijk-Janssens. La dame qui m’avait accueilli est hélas décédée mais je revois de temps en temps son mari et leurs enfants ou nous nous téléphonons. Si je joue contre la Slovénie, je leur dédierai ce grand moment : ils l’auront bien mérité.

par pierre bilic – photos : reporters

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