IMAGES DE MAR(C)QUES

Après avoir fait d’Omega Pharma une entreprise planétaire, Marc Coucke est devenu sponsor/président/actionnaire de petites équipes en cyclisme et en football. Le secret de sa réussite ? De l’émotion, un réseau étendu et le sens des affaires. Car il insiste :  » Je ne suis pas un mécène.  »

Le Gantois Marc Coucke (49) a été champion d’échecs du club d’Ostende mais n’a jamais été un grand sportif. Par contre, depuis tout petit, il aime le sport. Il était fan d‘EddyMerckx et du club de foot d’Ostende, où ses parents avaient un appartement. En 1993, alors qu’Ostende venait de rejoindre la D1, il n’a donc pas hésité longtemps lorsque Eddy Vergeylen lui a demandé d’entrer au conseil d’administration du club. A l’époque, il vendait du shampoing. Très rapidement, avec Peter Callant, il se profila en membre de l’opposition.  » Nous étions les emmerdeurs qui faisaient toujours remarquer que le club manquait de structures « , dit Callant, CEO d’un bureau d’assurances.

 » Marc se disputait souvent avec les vieux crocodiles de la direction « , confirme l’ex-vice-président Philippe Develter.  » Mais il savait parler. Et quand il a fallu dire au médecin du club qu’il devait partir, c’est lui qui l’a fait.  » Ostende terminait septième cette année-là mais, au début de la saison suivante, Coucke et Callant se retiraient.  » On avait établi le budget en tenant compte des coûts et on ne comptait compenser que par les recettes au guichet « , dit Coucke qui, au cours de la même année, rachetait les parts de son associé Yvan Vindevogel et poursuivait seul l’aventure d’Omega Pharma.

Le succès n’allait pas tarder à être au rendez-vous. Fin juin 1998, la firme entrait en Bourse et reprenait contact avec Ostende. Pour cinq millions de francs belges (125.000 euros), Nosik Pharma devenait sponsor-maillot.  » Après notre entrée en Bourse, il était important de se faire connaître du grand public « , dit-il.  » Nous avons été un des premiers en Belgique à mettre un panneau publicitaire avec toutes les marques d’Omega Pharma en salle de presse « , explique Filip Demyttenaere, directeur des ventes de l’époque. Chaque arbitre recevait un paquet de Bodysol et si Marc voyait un autre shampoing dans le vestiaire des joueurs, il le jetait directement à la poubelle.  » (il rit).

Pfaff et Bodysol

Sur le terrain, les choses allaient moins bien. En octobre 1998, Dennis Van Wijk était limogé et remplacé par Jean-Marie Pfaff.  » Il s’était proposé lui-même et Marc avait tout de suite marqué son accord. C’est lui qui, avec Aimé De Simpel, a payé l’indemnité de licenciement de Van Wijk. Marc voyait en Pfaff un grand potentiel commercial. Et cela s’est vu à la conférence de presse. Il y avait même la télévision allemande.  »

La légende veut que Coucke avait promis une prime à Pfaff à chaque fois que Bodysol apparaissait à la télévision et que c’est pour cela que Jean-Marie sortait aussi souvent du dug-out.  » Ce n’était pas un accord au coup par coup mais un contrat que j’avais signé avec toute la famille Pfaff « , nuance-t-il.

Sur le plan sportif, par contre, ce fut l’échec. Nonante-neuf jours après son arrivée, et malgré les protestations de Coucke, Pfaff était viré. Ostende descendait et Bodysol n’était plus sponsor qu’à mi-temps. Au repos, l’équipe changeait de maillot et faisait la publicité de Thermae Palace. En 2001, après la descente en D3, Coucke se retirait totalement.

En 2003, il suivait son ex-directeur financier Sam Sabbe au CS Bruges et louait une loge lors de chaque match européen du Club Bruges.  » A chaque match, nous invitions une personnalité et, après la rencontre, nous allions dans un café de Bruges où Marc jouait le DJ « , dit Filip Demyttenaere.  » C’était si chouette que certains préféraient dormir à l’hôtel. On s’amusait mais le but était de se construire un réseau.  »

Davitamon-Lotto

Entre-temps, c’est toutefois sa passion pour le vélo qui avait pris le dessus. En 2002, il rencontrait Frans De Cock qui lui parlait d’une nouvelle équipe avec Quick-Step et PatrickLefevere.  » Lors de la présentation à la presse, il y avait des dizaines de caméras tandis qu’aux conférences de presse d’Omega Pharma, il n’y avait jamais que quatre ou cinq journalistes de la presse économique « , dit Demyttenaere.

 » Au début, ces mêmes journalistes étaient sceptiques et trouvaient que 2 millions d’euros par an, c’était beaucoup mais le cyclisme était le meilleur choix « , ajoute Coucke, qui ne regrette rien.

Après la victoire de Johan Museeuw au Circuit Het Volk, Demyttenaere racontait que les ventes de Davitamon avaient doublé.  » C’était un mensonge mais tous les journalistes l’ont écrit « , dit-il.  » Et cela nous a aidé à augmenter notre chiffre d’affaires.  »

Le succès (63 victoires en 2004, dont 19 de Tom Boonen), la stratégie marketing et le style flamboyant de Coucke mettaient Davitamon en évidence et cela déplaisait à Frans De Cock, qui voyait son co-sponsor lui faire de l’ombre. Ce fut la rupture.

Quick-Step s’associa à Innergetics et Omega Pharma à la Loterie Nationale.  » La façon dont Marc Coucke a présenté son dossier à notre conseil d’administration était impressionnante « , dit Marc Frederix, directeur du marketing. Le projet portait sur 4 ans et Omega Pharma libérait un budget annuel de 3,2 millions d’euros. Davitamon-Lotto était le sommet d’une pyramide, avec des équipes de jeunes en Wallonie et en Flandre.

Supporter n°1

Coucke se profilait également comme le visage de l’équipe aux côtés du directeur sportif, Marc Sergeant.  » Nous avons trois équipes « , disait souvent Marc Frederix :  » Davitamon, Lotto et Marc Coucke.  » Les deux hommes prenaient les décisions en commun mais Coucke discutait les contrats des coureurs, parlait à la presse et se mêlait de tout.  » Il disait souvent qu’il ne faisait que donner un avis mais il était tellement sûr de lui qu’on l’écoutait « , dit Demyttenaere.

Coucke donnait également son opinion (pas toujours pertinente) sur la tactique.  » Au Tour 2005, il estimait que nous devions attaquer dans les étapes de plaine pour faire de la pub et ne jouer la carte de Robbie McEwen que si ça ne marchait pas « , dit Sergeant.  » Je lui ai dit que c’était mieux de rouler en tête du peloton et de tout miser sur McEwen. Celui-ci a gagné trois étapes et Marc a reconnu son erreur.  »

L’image que tout le monde a de lui est celle d’un supporter numéro un de son équipe. Au Tour des Flandres 2007, il explosait déjà de joie lors d’une réception VIP, pensant que Leif Hoste allait gagner. Mais il se fit reprendre de justesse par Alessandro Ballan. Et en 2008, il soutenait à fond le rêve de Cadel Evans de remporter le Tour.  » Car il savait que c’était là, plus que dans les classiques printanières, que le return publicitaire était le plus important.  »

Et lorsque l’Australien, rongé par la pression, perdait le maillot jaune dans le contre-la-montre final au profit de Carlos Sastre, il maintenait tout de même la fête prévue à Paris et emmenait toute l’équipe en limousine au Hard Rock Café. En passant devant l’Olympia, les coureurs pouvaient voir, sur les néons : Omega Pharma thanks Cadel Evans.  » Fêter une deuxième place peut paraître bizarre mais ça nous a peut-être valu plus de publicité que si nous avions gagné « , dit Demyttenaere.

Predictor, Silence et Omega Pharma

Pour Coucke, la victoire ou la défaite ne sont que des moyens d’augmenter le chiffre d’affaire.  » Le jour de la course, je suis un supporter et je m’amuse. Mais avant et après, je compte mes sous car je ne suis pas un mécène : chaque centime doit rapporter.  » En 2011, Coucke a changé le nom de son équipe en Predictor, Silence et Omega Pharma. Grâce à Philippe Gilbert, il termine même l’année en tête du classement du WorldTour. Mais il ne s’amuse plus.

Lotto veut miser sur la Belgique et annonce, dès le mois d’avril, la fin de sa collaboration. A la recherche d’un nouveau partenaire, Coucke tombe sur… Lefevere.  » Il s’intéressait à Gilbert, qui était sous contrat chez nous et qui, finalement, est parti chez BMC. Mais nous avons décidé que s’associer était la meilleure solution.  »

Le mariage de raison, avec l’aide du milliardaire tchèque Zdenek Bakala, se transformait en succès : en 2012, 2013 et 2014, Omega Pharma était l’équipe qui remportait le plus de victoires. Et l’histoire se poursuivra puisque les deux équipes ont renouvelé leur engagement jusqu’en 2017 (voir encadré).

Grosse différence : cette fois, Marc Coucke, qui n’a pas de fonction opérationnelle chez OPQS, restait bien plus en retrait. Il se consacrait davantage à Ostende, dont il avait acquis 60 % des actions. Avec ses sociétés Mylecke Management, Art & Invest et Alychlo, il en détient même 99 %. Président administrateur délégué, il a dévoilé un plan à dix ans et ainstallé de nouvelles personnes à tous les niveaux (Luc Devroe, Patrick Orlans, Chris Goossens, Brunhilde Verhenne…) pour faire de ce candidat au maintien un club ambitieux.

Une marque à lui seul

Outre son apport personnel, évalué à 2,5 millions d’euros, il a organisé des soirées business « super amusantes » permettant de faire passer le budget du club de 4,3 à 8,5 millions d’euros. Il est également propriétaire du Sud-Africain Andile Jali, même s’il affirme qu’il réinvestira l’argent rapporté par  » le plus gros transfert ostendais de tous les temps  » dans le club.

 » Je ne veux pas gagner de l’argent avec Ostende, je veille juste à ce que le club tourne », dit-il. Et c’est davantage le cas que jamais, avec un Marc Coucke omniprésent. En 20 ans, le petit marchand de shampoing est devenu un stratège en matière de sponsoring et une marque à lui tout seul.  »

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS: KOEN BAUTARS

 » Quand Marc voyait un autre shampoing que Bodysol dans le vestiaire, il le jetait directement.  » Filip Demyttenaere, ex-directeur des ventes d’Omega Pharma

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