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 » ILS M’ONT DIT D’ENLEVER MON CHANDAIL DANS LA CHAMBRE ! « 

Il est un troupier de l’Impact, il entend  » Tabarnak  » au lieu de  » Putain  » ou  » Va te faire foutre « , il a adopté le look barbu pour imiter les hockeyeurs sur glace et il fait salle comble. Plongée dans l’univers montréalais du Général à l’occasion de sa demi-finale de Major League Soccer. C’est savoureux.

« On s’est crus trop beaux, trop grands, trop forts, trop malins.  » Laurent Ciman a la tête des mauvais jours. Il est un des premiers joueurs de l’Impact à quitter le stade après la demi-finale aller de Major League Soccer. Il y a la victoire contre Toronto (3-2) mais surtout la frustration de s’être fait remonter bêtement. C’était 3-0 après une heure, l’ennemi historique ( « Montréal – Toronto, c’est Standard – Anderlecht « ) n’existait pas, prenait des coups, courait désespérément derrière le ballon. Puis, donc, patatras. Match retour ce mercredi soir. Enjeu : devenir le tout premier club canadien à aller en finale de la MLS.

Ça part mal. Le stade olympique de Montréal (remember Ivo Van Damme il y a 40 ans) est plein comme un oeuf et chauffé à blanc. A un quart d’heure du coup d’envoi, une annonce au micro : le début du match est retardé d’une demi-heure. Souci de lignes ! Les grands rectangles n’ont pas les bonnes dimensions. Il y manque un paquet de mètres carrés, les officiels de la MLS viennent de s’en rendre compte.  » On a appris le problème au moment où on terminait l’échauffement « , explique le Diable.  » Ça ne nous a pas perturbés. On a refait une mise en jambes dans le vestiaire, le temps qu’ils effacent les mauvaises lignes et en refassent d’autres.

J’ai quand même posé les bonnes questions aux gens du club : -Comment c’est possible de ne pas l’avoir vu alors qu’on s’entraîne ici depuis cinq ou six jours ? Je n’ai pas eu une réponse claire, ils m’ont dit qu’ils allaient arranger ça, trouver dare-dare des bombes de couleur verte pour masquer les mauvaises lignes puis retracer. C’est un manque de professionnalisme, c’est ridicule. Ce n’est quand même pas chinois de mettre les lignes à la bonne place.  »

UNE BANDE DE ZOUFS

Le lendemain, un éditorialiste du Journal de Montréal écrit :  » Une bande de zoufs. Je commençais justement à me pâmer devant le stade olympique. On sait qu’il a été difficile à construire et encore plus à payer. Mais quand même, y’a toujours bien un peuple qui a bâti cette merveille architecturale (…) Ils étaient tellement de belle humeur qu’on s’amusait un peu gênés en regardant les préposés à genoux en train d’étendre leur galon à mesurer. Et se promener avec leur pot de peinture. Mais ailleurs, fallait expliquer que ces beaux Québécois avaient été assez audacieux et vaillants pour construire cet immense stade il y a 40 ans, mais qu’ils étaient maintenant trop tôtons pour mesurer comme il faut une zone de réparation ?  »

61.004 spectateurs. 14e plus grosse assistance dans l’histoire de ce stade. Sold-out. Il a accueilli 78.322 personnes pour un concert de Pink Floyd en 1977, 74.223 curieux un an plus tôt pour la cérémonie de clôture des Jeux olympiques, mais sa capacité a été rabotée entre-temps. On a démonté une tribune pour que des matches de baseball puissent s’y disputer. L’Impact y joue quelques matches chaque année. Quand il y a risque de chutes de neige (aucun souci ici puisqu’il y a un toit) et/ou quand l’affluence promet. Pour cette demi-finale, des dizaines de milliers de tickets ont été vendus en quelques heures, donc le club a vite décidé d’abandonner son stade traditionnel de 20.800 places, situé tout près.

Il y a du pour et du contre. Les joueurs de Toronto ont fait un caca nerveux la veille du match, ont dit que le terrain synthétique du stade olympique (turf dans le langage local) mettait en danger l’intégrité physique des joueurs. Confirmé à demi-mots (quoique…) par Laurent Ciman :  » Faut dire ce qui est, ce synthé ne ressemble pas à grand-chose. Pour une équipe de l’extérieur, c’est difficile de venir jouer là-dessus, mais pour nous, ce n’est pas simple non plus. C’est un synthé de première génération, on n’en fait plus des pareils…

Il y a des plaques d’acier en dessous, tu entends boum boum ! C’est difficile à apprivoiser. Quand tu cours, tu te fais mal aux jambes. Quand tu changes de direction, ça te brûle les pieds. Pas top. On fait un peu de tout dans ce stade. Ils y font le salon de l’auto, du base-ball, même des shows de monstertruck. Mais bon, on a pu jouer. Il va se passer quoi dans une semaine à Toronto s’il neige ? C’est un stade en plein air, avec une pelouse naturelle. On pourra jouer, au moins ?  »

 » ICI, L’EURO A JOUÉ EN MA DÉFAVEUR ALORS QUE JE CROYAIS QUE ÇA M’AVANTAGERAIT PLUTÔT  »

Le lendemain du clash, Laurent Ciman est retombé. Toujours fâché mais calme… Il nous reçoit dans la maison qu’il vient de faire construire à la campagne, à une demi-heure de Montréal. Oui, il a bâti. Signe qu’il est fort probable qu’il s’installe ici à long terme. Il va en parler. Parler, il va le faire en n’évitant aucun sujet brûlant ou qui pourrait fâcher.  » J’ai toujours dit les choses comme je les voyais, je ne changerai plus. Parfois, ça fâche ? Tant pis.  »

Rencontre avec le Diable à la cote d’enfer. Et si vous vous demandez pourquoi il est barbu depuis quelques semaines, voici l’explication :  » C’est la barbe des séries. Une tradition de hockeyeurs sur glace. Quand ils se qualifient pour les play-offs, les séries éliminatoires comme ils disent ici, ils arrêtent de se raser jusqu’à l’élimination. Aussi longtemps qu’on est en course pour le titre, je garde ma barbe, je fais comme eux. Après, on verra.  »

Tu te vois toujours en finale du championnat ?

LAURENT CIMAN : On n’a jamais été favoris. Sur le papier, Toronto avait plus de chances de se qualifier. Maintenant, ils vont devoir nous battre pour passer. A nous de laisser notre corps sur le terrain pour jouer la finale. Ce serait fabuleux. Mais que c’est dommage d’avoir pris ces deux buts. A 3-0, on a cru que c’était en poche, qu’on pourrait aller à Toronto tranquillement, en touristes. Il faudra mieux gérer là-bas que chez nous.

A la fin de ta première saison, tu étais dans l’équipe type de la MLS et tu as été élu meilleur défenseur du championnat. Plus cette fois-ci. Tu es moins bon ?

CIMAN : Sûrement pas. Mais l’EURO m’a coûté cher. Le championnat a continué pendant l’été et j’ai raté pas mal de matches. Ça a joué en ma défaveur alors que je croyais que ça m’avantagerait plutôt. Un joueur de MLS qui joue l’EURO, ça devrait quand même être une bonne pub pour le championnat. C’est dommage.

On t’avait prédit un enterrement de première classe quand tu avais quitté la Belgique.

CIMAN : Honnêtement, je ne savais absolument rien sur la MLS. Je pouvais parler un peu des New York Red Bulls et du Los Angeles Galaxy, c’était à peu près tout. Tout le monde sait que je suis venu pour que ma fille puisse être bien soignée, c’était tout ce qui m’importait. Evidemment, j’espérais trouver quelque chose de chouette au niveau du foot mais je n’avais aucune garantie. Et je n’avais aucun stress.

 » LES CANADIENS CROIENT ENCORE QUE LE SOCCER, C’EST DU HOCKEY AVEC UN BALLON DE FOOT ET 11 JOUEURS  »

La MLS, ce n’est plus un championnat pour des joueurs inconnus en Europe et des stars sur le retour ?

CIMAN : Plus du tout, non. Ça a été comme ça mais les clubs ont compris que ça ne servait plus à rien de dépenser des fortunes pour des gars qui n’en valaient plus la peine, qui n’apportaient pas grand-chose sur le terrain. Ils prennent encore des stars, mais uniquement si leur niveau suit. Regarde Didier Drogba. Ce n’est plus le Drogba de Chelsea mais il nous a apporté beaucoup. Regarde David Villa, il continue à courir comme un fou de la première à la dernière minute. Andrea Pirlo et Kaka restent aussi des grands joueurs. Par contre, ça a été plus difficile pour Steven Gerrard. Et Frank Lampard a été souvent blessé.

A quoi tu vois au quotidien que tu as atterri dans un pays de hockey et pas tellement de foot ?

CIMAN : Au niveau de la popularité, tu ne vois pas le monstre qu’on a en face de nous ? … Les Canadiens de Montréal, en hockey, c’est ce qui se fait de mieux. C’est un club connu dans le monde entier. Une équipe historique. Pour avoir un abonnement là-bas, il faut s’inscrire sur une liste d’attente et patienter pendant plusieurs années. Ici, ils sont tellement forts en hockey, le réservoir est tellement grand que le Canada pourrait aligner trois équipes aux Championnats du Monde. Mais bon, quand je vois qu’on déplace 60.000 personnes pour notre match contre Toronto, ça me rassure sur l’évolution du soccer. Un mardi soir, en plus. Les gens travaillaient hier, ils travaillent aujourd’hui, les enfants vont à l’école. Je vois une progression constante depuis que je suis ici. Il y a de plus en plus de passion. Et c’est sûr que si c’est un club canadien qui finit champion de MLS cette saison, ce sera encore un cap.

Dans un journal, hier, on donnait un cours de tactique aux lecteurs, on expliquait que le 4-3-3, ça veut dire quatre défenseurs, trois milieux de terrains et trois attaquants… La tactique pour les nuls !

CIMAN : C’est vrai que les gens ne connaissent pas trop. Ils croient encore que le soccer, c’est du hockey avec un ballon de foot et onze joueurs. La tactique, les hors-jeu, tout ça, ça leur échappe. Ils n’ont pas grandi avec ça.

 » IL EST PROBABLE QU’ON S’INSTALLE DÉFINITIVEMENT ICI  »

Tu vas t’installer définitivement ici ?

CIMAN : J’ai encore deux ans de contrat et j’ai maintenant ma maison, c’est déjà ça… On ne peut jamais rien prévoir dans le foot, évidemment. Maintenant que je joue en équipe nationale, ça attire des regards, je le sais. En tout cas, s’il y a départ, il faudra que ça en vaille la peine sportivement et que ma fille trouve un environnement propice. C’est Nina qui entrera en ligne de compte avant tout. En tout cas, à plus long terme, oui, je pense qu’on va rester ici. La vie est trop différente par rapport à ce qu’on a en Belgique. Le Canada, c’est le pays de la famille. Mon fils et ma fille ont quel avenir si on rentre ? Ici, l’avenir, il leur appartient. Ils peuvent grandir dans la sérénité, pas dans les bagarres. Il faut voir à quel point on organise tout autour des enfants. Ils jouent au hockey sur la route, ça fait sourire les gens qui passent en voiture. S’ils font la même chose en Belgique, qu’est-ce qu’on va leur dire ? Un truc du style : -Hé, tire-toi de là, tu ne vois pas que je suis en voiture ? Ici, je vois les petits qui arrivent à l’école avec leur cartable bien rangé et leur boîte à tartines. Si un gosse se pointe avec une boîte à tartines en Belgique, on se fout de sa gueule.

Quand tu quittes le Standard, tu te dis que pour l’équipe nationale, c’est mort ?

CIMAN : Ça va peut-être t’étonner mais je n’y pense pas. Pas du tout. C’est le papa qui a pris la décision de venir au Canada. Tout le reste, je m’en foutais un peu. Je n’avais qu’une envie : mettre bien ma famille… Finalement, ça s’est super bien passé au niveau du foot, avec mon club et aussi avec les Diables. Donc, je regrette encore moins mon choix !

Tu imaginais que deux ans après ton départ, tu aurais une cote pareille en Belgique ? Avec des chants et des banderoles pour toi au Stade Roi Baudouin…

CIMAN : Je pense que mon histoire personnelle a touché les gens. Mais il ne suffit pas de ça, évidemment. Il y a aussi le fait que je n’ai jamais déçu quand on m’a donné l’occasion de jouer en équipe nationale. J’ai la mentalité du gars qui ne lâche jamais rien et je ne fais jamais dans la langue de bois, je sais que ça plaît.

 » CE N’EST PAS MON STYLE DE CROIRE QUE TOUT EST ACQUIS  »

Tu es aujourd’hui le patron de la défense belge, carrément !

CIMAN : Le coach fait des choix par rapport à ce qu’il voit aux entraînements. Maintenant, je ne suis pas aveugle. Je sais que le jour où tout le monde sera là et fit, je ne serai peut-être plus titulaire indiscutable comme aujourd’hui. Ce n’est pas mon style de croire que tout est acquis. Je ne suis pas dans un fauteuil, loin de là. Simplement, je sais que j’ai marqué des points chez Roberto Martinez. Lui aussi, il dit les choses en face, ça me plaît.

Il a vraiment dit que tu étais le premier joueur qu’il met sur sa feuille de match ?

CIMAN : Je n’en sais rien mais je l’ai lu aussi et ça m’a bien fait rigoler. C’est peut-être une façon de me remercier pour avoir bien dépanné dans une période où il y avait plein de blessés en défense. Mais je pense que le numéro un, ça reste quand même Eden Hazard, non ? Bon, si je peux être le numéro deux, c’est déjà pas mal. (Il se marre).

Vous en avez tous plein la bouche quand vous parlez de Martinez. Qu’est-ce qu’il a de si particulier ?

CIMAN : Il y a sa façon de te parler qui te transforme. Il fait que tu te donnes pour ton pays. Il t’envoûte un peu. Il te prend avec lui, te fait aller au feu, au charbon. Et puis il nous a apporté beaucoup de tactique. Nos entraînements sont filmés. Il nous dit comment on doit bouger, où on doit se placer, où on doit courir. Quand le match commence, je peux fermer les yeux, je sais que Hazard sera ici, que De Bruyne sera là, que Mertens va rentrer dans le jeu. Et puis, savoir changer de système en cours de match en conservant les mêmes joueurs, c’est important aussi. C’est très difficile de parvenir à un résultat pareil avec une équipe nationale parce qu’on a peu de temps pour travailler ensemble. Quand je vois ce qu’il a réussi à nous faire faire en aussi peu de temps, je suis déjà curieux de voir ce que ça peut donner dans un tournoi, après avoir passé plusieurs semaines de préparation ensemble.

 » QUAND ON EST ÉLIMINÉS DE L’EURO, JE SAIS QUE C’EST FINI POUR MOI EN ÉQUIPE NATIONALE  »

Quand vous êtes éliminés de l’EURO, tu te dis que c’est définitivement terminé pour toi ?

CIMAN : Clairement, oui. Je sais que c’est fini pour Marc Wilmots, je le remercie parce que j’ai passé des moments magnifiques avec lui. Evidemment, il y a de la déception aussi. Beaucoup. J’ai conscience d’avoir fait un bon match contre l’Italie, ensuite j’ai compris qu’on me fasse sauter parce que Thomas Vermaelen revenait, par contre je ne comprends toujours pas pourquoi il ne m’a pas fait jouer contre le Pays de Galles. Je ne dis pas que ça aurait tout changé, je n’ai pas cette prétention. Mais peut-être que mon expérience aurait pu faire du bien. Je dis directement que deux jeunes côte à côte en défense, ce n’est peut-être pas la meilleure solution. Bref, je reviens à Montréal pour la suite du championnat, et les Diables, je n’y pense plus du tout. Quand je ne suis pas appelé pour les matches contre l’Espagne et Chypre, c’est pour moi la confirmation que je ne dois plus rien attendre. Je me dis qu’une nouvelle page s’ouvre et que je ne serai pas dessus.

Donc, tu pars sur une note triste…

CIMAN : Voilà, c’est ça. Avec le souvenir de ce match que je n’ai pas joué contre les Gallois. Je me dis que j’ai fait deux tournois, une Coupe du Monde et un EURO. Sur un CV, ça compte, c’est joli. Mais je n’ai pas joué une minute au Brésil et ça ne s’est pas trop bien passé en France non plus. L’EURO a été un échec, on ne peut pas se mentir. Maintenant, on a dit que j’avais taclé Wilmots. Non, et je n’en ai pas envie. Je dis simplement que, parfois, il n’a pas osé me faire jouer à mon poste, en défense centrale. Je peux aussi être très positif par rapport à lui ! Il a rassemblé les troupes. Avant lui, des joueurs venaient aux rendez-vous de l’équipe nationale avec des pieds de plomb. Il a réintroduit du plaisir et de la discipline. Maintenant, Martinez apporte sa griffe.

Après le C4 de Wilmots, on a eu l’impression qu’il y avait comme un pacte de non-agression entre lui et les joueurs. Personne ne critiquait personne. Entre-temps, ça balance. Lui-même s’y met quand il dit qu’un joueur donnait les compos à la presse.

CIMAN : Moi, je n’ai jamais signé de pacte avec personne… Chacun a sa communication. Il y a des joueurs qui gèrent mal quand ils réagissent à chaud. Moi, au lieu de dire des bêtises, je préfère me taire et faire la tête, le temps que ça se calme dans mes pensées ! Sur l’EURO, je ne me suis pas exprimé directement. Et j’ai simplement dit que le choix des défenseurs contre le Pays de Galles n’avait pas été payant. Maintenant, bon, si on s’était qualifiés, tout le monde aurait dit que c’était génial d’avoir titularisé Jordan Lukaku et Jason Denayer.

PAR PIERRE DANVOYE À MONTRÉAL – PHOTOS BELGAIMAGE – THIERRY DU BOIS

 » Si on n’avait pas quitté la Belgique, notre fille, on allait la perdre. On a eu affaire à des escrocs. Ici, on les mettrait en prison.  » – DIANA CIMAN

 » On s’est crus trop beaux, trop forts, trop malins. On va devoir laisser notre corps sur le terrain pour aller en finale.  » – LAURENT CIMAN

 » En équipe nationale, je ne suis pas dans un fauteuil. Mais je sais que j’ai marqué des points.  » – LAURENT CIMAN

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