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 » Il y a toujours eu de l’amour « 

Le capi rouge a 30 piges, un vécu, une vision, un discours. Beaucoup de recul, aussi, sur les choses du foot. Un bon moment avec un Poco sans filtre.

Jour de trime à l’Académie. Sébastien Pocognoli sort du bloc vestiaires, il pensait être tranquille plus tôt.  » On a eu un entraînement de trois heures et demie…  » Exagéré mais pas tant que ça. Ricardo Sa Pinto la joue en mode intensif. Poco récupère ensuite en avalant une ration de penne au pesto rouge. Et entre chaque bouchée, ses confidences sur sa saison, son retour à Liège et plein d’autres choses.

Tu as été un des transferts de l’été parce que tu es un enfant du pays. Mais tu as eu dur au début, on avait l’impression que tu n’étais pas au point physiquement, puis tu as dû attendre que le Standard commence à gagner pour être bon. C’est aussi l’analyse que tu fais ?

SÉBASTIEN POCOGNOLI : Oui, j’étais en dents de scie au début. Comme toute l’équipe. Mais mon problème n’était pas tellement physique. Je devais trouver mes repères, des automatismes. Je n’étais pas le seul. Tu as beau arriver d’un gros championnat, tu peux venir d’Angleterre, d’Espagne ou d’Italie, tu as d’office besoin de temps pour t’adapter. C’est un nouveau coach, une nouvelle mentalité, une nouvelle philosophie de jeu. Je suis beaucoup plus libéré depuis qu’on a commencé à faire des résultats.

Après quelques matches, tu ne t’es pas demandé dans quoi tu avais mis les pieds ?

POCOGNOLI : À aucun moment. Dès le début, j’ai dit que je ferais le bilan de mon retour au moment où je partirai. J’ai un contrat de trois ans et j’espère rester ici plus longtemps que ça. Je n’allais quand même pas commencer à me poser des questions après cinq matches. Je n’ai jamais remis mon choix en question. Je savais que ça risquait de prendre un peu de temps pour que tout s’emboîte. Je n’étais pas surpris. Par contre, il y a des trucs qui m’ont vite étonné. Par exemple la pression. Je ne me rendais pas compte qu’elle avait autant gonflé, après deux saisons difficiles. Il y a beaucoup de pression, beaucoup d’impatience. J’avais quitté le Standard en 2013, et en quatre ans, le niveau d’électricité dans le club a explosé. Mais bon, c’est positif, ça veut dire que ça vit. Je t’avoue qu’on souffle un peu depuis que les résultats sont là.

 » Depuis longtemps, je m’étais mis en tête de revenir au Standard  »

On dirait que la défaite à Anderlecht a été un tournant. Dès le match suivant, contre Courtrai, il y avait une équipe type et elle n’a presque plus bougé entre-temps.

POCOGNOLI : Déjà à Anderlecht, il y avait la manière, c’était plutôt pas mal. Après ça, on a eu la trêve internationale, deux semaines complètes pour bosser très dur et régler plein de choses. Contre Courtrai, pour la première fois, on a fait un match plein, complet, sans avoir des moments de très haut puis des périodes de très bas. C’était constant, il y avait des automatismes et on a marqué des buts assez construits. Ce jour-là, je me suis dit qu’on commençait vraiment à voir la griffe du coach.

Ton retour au Standard, c’était simplement naturel, logique ?

POCOGNOLI : Depuis longtemps, je m’étais mis en tête de revenir ici. Mais je n’avais pas envie de le faire à 34, 35 ou 36 ans, pour me la couler douce, pour m’offrir une retraite tranquille. J’ai 30 ans, j’ai encore quelques belles années devant moi. Je sortais d’une bonne fin de saison à Brighton, avec la deuxième place en Championship et la montée en Premier League. J’aurais peut-être pu signer un nouveau contrat là-bas. On me le faisait comprendre, en tout cas. Le jour où on a fêté la montée, j’ai encore eu une bonne conversation avec le coach, c’était constructif. Mais je devais attendre un peu. Alors, quand le Standard est venu, j’ai vite accroché. Pour moi, c’était le bon moment. Si j’avais patienté, j’aurais peut-être eu l’occasion de rejouer dans les stades anglais les plus mythiques. Peut-être. Mais peut-être que je n’aurais pas énormément joué non plus. Je ne suis pas sûr que j’aurais été un premier choix à Brighton, que j’aurais été sur le terrain chaque week-end. Le fait que je sortais de trois saisons sans énormément de temps de jeu, ça a beaucoup joué dans ma réflexion aussi. Et un autre transfert dans un club étranger, je n’y tenais pas trop. Je savais quand même que je n’allais pas être contacté par un cador européen. Repartir dans une aventure incertaine, non. J’ai passé du temps aux Pays-Bas, en Allemagne, en Angleterre, j’ai un peu l’impression d’avoir fait le tour de la question. Il me fallait un challenge qui me motivait au plus haut point. Le challenge du Standard, le défi de ramener ce club tout en haut, je le trouvais super motivant. Et j’avais envie de stabilité. Le fait qu’on me propose un contrat de trois ans, ça a joué aussi. Je pouvais revenir chez moi avec du long terme en perspective, c’est ce qu’il me fallait.

 » Quand j’étais gosse, je préparais des mini-tifos, des confettis pour les matches du Standard  »

On peut résumer tes aventures étrangères en disant que c’était très bien aux Pays-Bas et en Allemagne mais beaucoup plus mitigé en Angleterre ?

POCOGNOLI : Oui, c’était vraiment OK à l’AZ et à Hanovre. J’ai été champion des Pays-Bas, personne ne pourra jamais me l’enlever. J’ai joué en Bundesliga, personne ne pourra jamais me l’enlever. J’ai joué à l’Allianz Arena de Munich, à Dortmund. Des moments inoubliables. Des expériences magnifiques. À West Bromwich aussi, c’était très bien. Plus que très bien au début, même. Jusqu’à l’arrivée d’un nouvel entraîneur, Tony Pulis. Du jour au lendemain, c’était fini pour moi. Sans explication. Tout ce que j’ai compris, c’est qu’il préférait mettre sur les ailes des défenseurs axiaux bien costauds. Et puis, avec Brighton, c’était la D2 mais on est montés, c’est aussi quelque chose.

Pourquoi tu dis que tu es amoureux de Sclessin ? Ce n’est pas un peu forcé ? Une façon de faire plaisir à ceux qui veulent entendre ça ? …

POCOGNOLI : Je n’exagère rien. Quand j’étais gosse, j’étais dans les tribunes, je jouais en équipes de jeunes, je passais des après-midis à préparer des mini-tifos, des confettis que je jetais les jours de matches. Je n’arrêtais pas de dire que je rêvais de jouer comme professionnel sur le terrain du Standard. Il y a toujours eu de l’amour, oui !

Il y a quelques semaines, tu as lâché dans une interview :  » Certaines personnes m’ont dit que je devais être un peu fou pour me lancer dans une telle aventure.  » Tu faisais allusion aux deux dernières saisons du Standard et à l’état de santé du club quand tu as signé ?

POCOGNOLI : Oui. Et quand on me disait ça, je répondais : -Quelle que soit la décision qu’on prend, elle comporte toujours une part de risque. Même dans les décisions les moins risquées, il y a une part de risque. Il faut un peu calculer de temps en temps… mais moi je ne calcule pas sur des coups pareils. Je sais ce que j’ai fait dans le passé, je sais que je suis apprécié ici, je me retrouve devant un nouveau challenge, devant une page blanche, et je pars du principe que si je donne tout, je serai récompensé. Peut-être que dans deux, trois, quatre, cinq ou six ans, je pourrai me vanter d’avoir fait partie des premiers succès de la présidence de Bruno Venanzi. Il mérite que ça marche, son envie est énorme, mais le Standard n’est pas une multinationale chinoise, il faut rebâtir petit à petit, ça prend forcément un peu de temps.

 » J’aurais mérité plus de crédit chez les Diables  »

Dans la même interview, tu disais :  » Plus on me tape dessus, plus je trouve des ressources insoupçonnées.  » Tu peux expliquer ? Tu te sens victime ?

POCOGNOLI : Je ne parlais pas du monde extérieur. Il n’y a jamais eu de cabale contre moi. Je faisais allusion à des moments purement sportifs. Tout n’a pas toujours été tout droit, tout n’a pas toujours été rose. Mon départ de Hanovre a été compliqué parce qu’on m’a fait comprendre que je ne faisais plus partie des plans. À la même période, je fais la campagne de qualification pour la Coupe du Monde mais je saute du groupe au dernier moment. Et on prend au Brésil des gars qui n’ont pas du tout participé à la campagne. C’est dur. Je me console avec mon transfert en Angleterre, là je gagne un vieux rêve. Puis il y a la fin difficile à West Bromwich. Mais chaque fois, j’ai su rebondir très vite. Je suis toujours arrivé à trouver les ressources physiques et morales pour ne pas baisser les bras. Simplement, à certains moments importants, il m’a manqué un peu de constance, ou un peu de chance, ou il aurait fallu que j’aie les bons tuyaux derrière moi…

Tu aurais pu tirer plus de ta carrière ?

POCOGNOLI : Je pense qu’en équipe nationale, j’aurais mérité plus de crédit. J’en suis sûr, même. Quand j’étais en pleine bourre avec l’AZ, qui était alors la meilleure équipe aux Pays-Bas, on ne m’a pas donné la chance de m’installer comme back gauche incontournable des Diables. Peut-être que si j’avais eu x sélections sur un certain laps de temps, je me serais vraiment imposé. Le seul qui m’a vraiment donné ma chance, c’est Marc Wilmots, quand je jouais en Allemagne. Et est-ce que j’ai parfois déçu quand j’ai joué avec les Diables ? Je ne crois pas, non.

Onze matches entre 2008 et 2016, ça fait surtout des longs passages à vide.

POCOGNOLI : C’est ça, surtout, que je trouve dommage. C’est comme ça. J’ai ma petite idée pour expliquer tout ça, je ne suis pas le plus bête, il y a peut-être des raisons qui ne sont pas purement sportives, mais je préfère ne pas en parler parce que le chapitre n’est pas encore clos. Je continue à donner le maximum pour grappiller encore quelques sélections. Roberto Martinez m’a appelé il y a un an alors que je venais juste de commencer en D2 anglaise avec Brighton. Il me connaît, il m’a vu jouer avec West Bromwich, il était à Everton à ce moment-là.

 » Je suis fier de ce que j’ai fait et de la manière dont je l’ai fait  »

On a des défenseurs qui se blessent facilement…

POCOGNOLI : J’ai vu les matches contre le Mexique et le Japon… et je me dis qu’il y a des places à prendre en défense. Je trouve que je n’ai rien à envier à certains. Et quand tu es entouré par des joueurs du top mondial, ton niveau augmente automatiquement. Je l’ai bien constaté quand j’étais chez les Diables. Tout devient plus facile. Tu as Vincent Kompany à côté, Axel Witsel et Eden Hazard devant, et tout devient plus fluide. Maintenant, je sais que ça passera aussi par des bons résultats du Standard. Je ne pourrai revendiquer quelque chose que si ça se passe bien en club.

Tu as 30 ans et plus de 350 matches pros. Si c’était à refaire, il y a des choses que tu ferais autrement ?

POCOGNOLI : Pas vraiment. Je suis très fier de ce que j’ai fait. Et de la manière dont je l’ai fait. J’ai toujours été très droit, je n’ai jamais changé mon fusil d’épaule dans ma façon de concevoir le métier. Je suis assez fier de ça. Mon palmarès n’est pas énorme mais il faut aussi regarder les clubs où j’ai joué. Tu peux difficilement viser le titre en Allemagne quand tu es à Hanovre. Même chose en Angleterre quand tu es à West Bromwich. Je pense que j’ai pris ce qu’il y avait à prendre. Si j’avais choisi d’aller en Grèce, au Portugal ou en Ecosse, j’aurais peut-être pu avoir des contrats dans des clubs du haut du classement, et alors, mon CV aurait quelques lignes en plus, je devrais peut-être le rédiger sur une feuille A4. Mais j’ai pris d’autres routes.

Tu as toujours eu une image de beau-fils idéal, posé. Le Pocognoli qui plante un drapeau des Ultras Infernos dans le rond central du stade de Charleroi, il ne te ressemble pas.

POCOGNOLI : Mais je ne suis pas un gendre idéal ! Je ne revendiquerai jamais cette étiquette. Sur le terrain, je suis très sanguin, hargneux, agressif. Je ne suis plus le gars très calme qu’on croise en rue.

Ce planter de drapeau, tu le referais à tête reposée ? Ou c’est l’adrénaline qui a pris le dessus ?

POCOGNOLI : Ce n’était pas calculé, je n’ai pas réfléchi, c’était une histoire d’adrénaline, oui. Des supporters m’ont tendu leur drapeau, on avait gagné, donc je me suis lâché. Avec le recul, je n’ai aucun problème avec ça, je ne regrette pas. C’est fait, c’est fait.

 » Je sais m’adapter aux conversations des jeunes  »

Pour toi, les meilleures années d’un footballeur sont entre 27 et 32 ans. C’est justement pendant ces années que tu as moins joué.

POCOGNOLI : Malheureusement, oui. Mais je suis occupé à récupérer en jouant tous les matches avec le Standard. J’espère que ces années perdues, je vais les rattraper jusqu’à 34, 35 ans.

Pourquoi ce sont les meilleures années ?

POCOGNOLI : Parce que tu as l’expérience que tu ne possèdes pas en début de carrière. Le foot est fait d’une longue répétition de mouvements, de situations. Dans ce métier, et dans d’autres aussi, tout devient plus fluide quand tu maîtrises une manière de travailler, la connaissance de ton corps, l’art de prendre soin de toi. Et je pense que je peux continuer encore longtemps. Je sais que je ne suis pas un footballeur qui peut perdurer sur ses qualités techniques ou physiques, je sais que je dois m’entretenir, toujours vivre comme un pro. C’est ça qui peut m’aider à durer.

Je reviens à ton image de beau-fils bien éduqué. Ce n’est pas un hasard que tu sois pote avec Thomas Chatelle. Un jour, il nous a expliqué qu’au fil des années, il avait de plus en plus de mal avec l’évolution des mentalités, avec les jeunes qui parlaient surtout de foot, et accessoirement de smartphones, de filles et de bagnoles… Tu ressens la même chose ?

POCOGNOLI : Je peux parler de foot pendant des heures et des heures. Mais j’ai aussi besoin d’avoir d’autres sujets de conversation. Enfin bon, je me suis toujours adapté. Sans doute parce que j’ai toujours côtoyé des cultures et des éducations différentes. L’enfance que j’ai vécue m’a permis d’être très ouvert. J’ai reçu une très bonne éducation mais il m’arrivait de passer des week-ends entiers chez ma grand-mère, dans une cité. Dans le vestiaire, quand des jeunes passent leur temps à parler de téléphones, de filles ou de voitures, je sais aussi m’adapter, converser avec eux sur les thèmes qui sont prioritaires pour eux. Au lieu de les juger ou de montrer une certaine lassitude, je rentre dans leurs conversations. Je fais le jeune… À partir du moment où tout le monde a une certaine discipline dès que l’entraînement commence, je n’ai pas de problème. Mais il arrive que je les arrête, que je leur fasse remarquer qu’ils parlent trop de ceci ou de cela, que je leur dise que la musique va trop fort et que ça nuit à leur concentration.

par Pierre Danvoye – photos Belgaimage – Koen Blanckaert

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