Il y a folklore et folklore

Proposée chaque lundi par Benjamin Deceuninck à la fin de Studio1, la courte séquence internet clôture joliment le talk-show ertébéen. Elle fait un peu Carnets du bourlingueur de la toile footeuse. Je vous remets en mémoire celle d’il y a dix jours, au cas où vous auriez zappé avant le générique. Longue balle aérienne en profondeur vers l’ailier gauche qui galope pour la rejoindre, jusqu’à une dizaine de mètres du coin de corner. Le gardien adverse anticipe en se ruant hors de son grand rectangle : quasi sur la ligne de touche, nez à nez avec l’attaquant, il propulse le ballon de la tête, dehors et bien loin. La suite se produit par l’entremise d’un troisième nez, pile à côté des deux autres : celui d’un des petits ramasseurs de balle de service, qui ne ramasse rien du tout vu qu’il a un autre ballon en mains. Le gamin file son ballon dare-dare à l’attaquant (là, tu comprends que l’attaquant joue à domicile, et que le gamin n’est pas le fils de l’arbitre). L’attaquant throwine dare-dare, et bien long. Le keeper réalise qu’il s’est fait pigeonner : un pote de l’attaquant a déjà mis la balle dans le but, il ne s’est pas passé trois secondes entre le heading et le fond des filets !

Du jamais vu, toujours plaisant ! Tout le monde rigole là-bas en studio, moi aussi devant ma télé, vous aussi devant la vôtre. Vive le folk au foot, l’exotisme, le gamin devenu star d’un jour et qui se fait interviewer, enfin de la fraîcheur dans ce monde de brutes… Puis tu éteins ta téloche de guignol pour reprendre une activité normale, l’activité normale te fait réfléchir à ce que tu viens de voir… et tu en arrives à te demander si cette fraîcheur était si fraîche que ça : la séquence nous a surtout fait rigoler parce qu’elle avait lieu on ne sait trop où, deux équipes parfaitement anonymes ! Replaçons l’action en fin de saison, à la 89e d’un Anderlecht-Standard au score toujours vierge, et décisif pour le titre : heading d’ Aragon Espinoza, contribution d’un ket mauve, rentrée dare-dare par Mbark Boussoufa, but de Tom De Sutter ! Ou replaçons-la à la 89e d’un Standard-Anderlecht similaire, faut jamais vexer personne, les sensibilités supporteresses sont exacerbées : heading de Davy Schollen, contribution d’un gamin rouche, rentrée dare-dare par Milan Jovanovic, but de Dieumerci Mbokani ! Dieu, le foin que ça ferait ! L’ire qui submergerait les vaincus ! Le ricanement malsain que laisseraient échapper les vainqueurs ! Du Prince Philippe à Jean-Marie Philips, de Michel Daerden à Michel Lecomte, de Rudy Moury à Rudy Demotte, toutes les VIP de Belgique éthique rugiraient leur couplet ! Les recours en justice menaceraient, Luc Misson ne saurait plus où donner de la robe,… et sûr que plus personne ne rigolerait ! Sans même imaginer, s’il s’agissait plutôt d’un Standard-Bruges, de Jean-Marie Happart à Jean-Marie Dedecker, quel feu d’artifice communautaire cela déclencherait…

Le principe du multi-ballons, avec recours aux ramasseurs de balle disposés autour du terrain, date de 1997. Il part d’une bonne intention : éviter les temps morts et les gains de temps intempestifs. Il a oublié que les mômes sont des supporters avant d’être des assistants neutres et bénévoles, et que l’ homo competitus est ainsi fait lorsqu’il n’est plus môme : à chaque loi édictée, il traque un truc pour dribbler la loi ! Ainsi l’arbitre français Bruno Derrien révélait-il, lors de ce même Studio1, que Guy Roux – grand éducateur devant l’Eternel – briefait avant les matches les petits ramasseurs d’Auxerre, pour que la vitesse de cession des ballons soit modulée selon l’équipe et le score… Ainsi la stratégie du faux fair-play est-elle clairement définie lorsque, quand un joueur reste au sol, les uns doivent mettre dehors et les autres rendre le ballon. Ainsi peut-on recommander à son défenseur blanc d’allumer par des noms d’oiseau son adversaire direct, s’il est black et s’il a la tête près du bonnet. Ainsi peut-on conseiller à son attaquant noir, s’il a pété une case, de déclarer qu’il a été victime d’injures racistes continuelles, même si l’adversaire blanc n’a pas pété un mot.

Le foot, comme disait l’autre, c’est la guerre continuée par d’autres moyens. Mouais. Figurez-vous que pas toujours : c’est parfois aussi la guerre avec les mêmes moyens ! Lors d’un match de foot en Irak, un supporter a récemment abattu, d’une balle dans la tête, un attaquant visiteur qui allait égaliser à la 90e ! Véridique et dingue. J’espère que ça fera réfléchir le gamin de la séquence internet…

par bernard jeunejean

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