» Il y a eu trop d’événements qu’on ne maîtrisait pas « 

Sa vie et sa carrière sont marquées par  » un intello  » et  » un psychopathe « . Le gardien français venu des îles décrit ses deux premières années en rouge et bien d’autres choses.

On prépare le dernier clasico de la saison à l’Académie et c’est Yohann Thuram que le Standard a désigné pour le préfacer lors du point presse du vendredi. Comme d’habitude. Et ça a marché les trois premières fois.

C’est comment, cette étiquette de porte-bonheur du Standard avant les matches contre Anderlecht ?

Yohann Thuram : Je ne pense pas être le porte-bonheur du clasico. Ce sont des superstitions auxquelles certaines personnes s’accrochent, moi je ne leur donne pas plus d’importance que ça.

L’état d’esprit dans le groupe n’est plus du tout le même qu’après la victoire contre Anderlecht en début de play-offs ? A ce moment-là, le Standard était devenu un des favoris pour le titre, c’était aussi l’équipe qui jouait le mieux au foot.

Quand tu es compétiteur, tu n’as pas le droit de changer ton état d’esprit, tu dois toujours vouloir tout gagner. Que ce soit pour le titre, pour la deuxième place, pour la troisième,… C’est clair que nos chances de titre ont entre-temps pris du plomb dans l’aile mais on n’a pas le droit de se dire que notre saison est finie. Il reste des super matches à jouer.

Pourquoi ce creux après le très bon match à Bruges et la victoire contre Anderlecht ?

Si on savait pourquoi on a eu ce petit coup de moins bien… Si on le savait, on aurait su répondre très vite aux questions. Mais en foot, il y a des interrogations pour lesquelles tu ne trouves pas les réponses.

 » Tu te souviens d’où on vient ?  »

Les résultats n’ont plus suivi, le jeu non plus.

Comme tu dis, on a eu un petit coup de mou. Ça arrive à toutes les équipes. Malheureusement, pour nous, il est venu un peu trop tôt.

Le titre, vous y avez pensé après deux matches en play-offs ?

Bien sûr. Et même avant ça. Dans nos têtes, ça allait être compliqué mais pas impossible. Malheureusement, on a eu trop de hauts et de bas, il y a eu les épisodes avec les changements de coach et tout ça.

Le groupe est prêt à jouer deux matches supplémentaires contre le vainqueur des play-offs 2 ? Deux matches qui prolongeraient votre saison.

On ne se projette pas encore aussi loin. Mais mentalement, on doit être prêts à tous les cas de figure. On sait que c’est une possibilité.

Le Standard qui ne finit pas sur le podium, c’est un échec !

Non, je ne suis pas d’accord. C’est une déception. Ce n’est pas parce que tu n’arrives pas à atteindre les objectifs que c’est nécessairement un échec. Je te répète qu’on a été confrontés à trop d’événements qu’on ne maîtrisait pas, il y a eu pas mal de trucs dans notre saison. Mais je trouve qu’on s’est quand même bien relevés. Tu te souviens d’où on vient ?… De très loin. Les gens n’ont pas le droit de l’oublier. Ça a été très compliqué de se reprendre mais on l’a fait, ça prouve la force mentale du groupe.

 » Les critiques entrent à gauche, sortent à droite…  »

Il t’a fallu une quinzaine de mois avant de t’installer dans le but. Qu’est-ce que tu as ressenti pendant cette période-là ? Du découragement ? De la haine ? Un sentiment d’injustice ? De l’incompréhension ?

Un mélange de tout ça. Eiji Kawashima était bon, je comprenais la situation mais je ne l’admettais pas. Je sortais d’une grosse saison en France et j’étais venu ici pour jouer. Là, subitement, j’étais freiné dans mon élan. Pour x raisons. Bonnes ou pas. Je me suis posé des questions, j’ai même commencé à douter de moi. Je me suis demandé si mon niveau était assez élevé par rapport aux attentes d’un club comme le Standard. Ça a été une période délicate à vivre mais j’en suis sorti plus fort. Parce que, comme d’habitude, j’ai tiré les choses positives.

Tu es bien entré dans l’équipe, avec quelques très bons matches au début, puis tu as commencé à faire quelques petites erreurs… Tu as paniqué, tu as craint de devoir retourner très vite sur le banc ?

Pas du tout. Cette période de moins bien, je l’avais prévue. Je ne savais pas quand j’allais devenir titulaire mais j’étais sûr qu’après plus d’une saison sans jouer, j’aurais des hauts et des bas. J’y étais préparé dans ma tête. Je savais que je n’allais pas être directement au top sur dix matches consécutifs. Il fallait que je prenne mes repères, que je retrouve les automatismes, que la confiance revienne, que je m’habitue à nouveau à la préparation de matches de haut niveau. Il y avait plein de trucs à prendre en compte. L’équipe a retrouvé la forme quand je suis devenu titulaire mais j’étais bien conscient que je n’étais pas encore à 100 %. J’ai été critiqué. A juste titre. Tu sais que quand tu joues au Standard, les attentes sont énormes, encore plus si tu es gardien, vu les noms qui ont joué ici. On a une pression. Mais une bonne pression, j’adore, ça me donne des ailes. Plus j’ai des responsabilités, mieux je me porte.

Comment tu as vécu les critiques ?

Ça rentre à gauche, ça sort à droite. Ce n’est pas ça qui va me rendre plus fort, ce n’est pas ça qui va me rendre moins fort… Je m’autocritique après chaque match, ce que les autres disent de moi n’a pas d’importance. Ce n’est pas parce que j’ai joué un bon match que je me crois le plus fort, ce n’est pas parce que j’ai sorti un match de merde que je me dis que c’est la fin des haricots…

 » Mais non, Charlton n’a pas été un enfer  »

Quand on revient sur ton histoire avec le Standard, impossible de ne pas revenir sur ton prêt à Charlton la saison dernière ! Un petit enfer ?

Mais pas du tout ! Malgré une situation que j’ai eu du mal à admettre et à digérer, ça a été une belle expérience.

Ça commençait mal quand le Standard t’y a mis de force…

Non, non, j’étais chaud dès le départ. Si je ne suis pas partant, je n’y vais pas.

On t’a conseillé d’y aller…

On me l’a proposé, j’ai accepté. C’est différent. Je n’étais pas obligé. A nouveau, même si je n’ai pas beaucoup joué, j’ai fait ce que je fais toujours : j’ai tiré le positif. Et avec le recul, je retiens que je suis allé dans le pays où j’ai toujours rêvé d’aller. C’était la D2 mais ça se rapproche largement de la Premier League.

Là-bas, ça ne s’était pas bien passé entre José Riga et toi. Vous en avez parlé dès qu’il est venu au Standard ?

Je n’avais aucun problème avec lui à Charlton, j’avais un problème avec une situation générale. Ce n’était pas une question de coach.

 » On sait tous le footballeur que Lilian Thuram a été et le monsieur qu’il est aujourd’hui  »

Tu as déjà donné combien d’interviews dans lesquelles on ne t’a pas parlé de ton cousin Lilian ?…

Ce n’est pas arrivé une seule fois ! Systématiquement, il faut que le gars qui m’interviewe aborde le sujet.

Ce n’est pas parfois pesant ? Tu n’as pas envie de demander au gars s’il est venu pour parler de toi ou de ton cousin ?

C’est ce que je fais. Mais bon, je me dis aussi que c’est une fierté de porter ce nom, de faire partie de la famille d’une légende pareille. On sait tous le footballeur qu’il a été et le monsieur qu’il est aujourd’hui.

Il est arrivé qu’on t’appelle  » Lilian  » par erreur ?

Evidemment. Ça m’est arrivé et ça m’arrivera encore.

Tu as quels souvenirs de sa Coupe du Monde en 1998 ?

J’avais dix ans, j’étais en Guadeloupe, on regardait les matches en famille avec ceux qui n’avaient pas eu la chance de venir en France. On a eu des émotions immenses.

Ça t’étonne qu’il se soit engagé dans des projets qui ne sont pas directement liés au foot, comme la lutte contre le racisme ?

Pas du tout. Parce qu’il a toujours été un peu intello. Si tu discutes avec Lilian… je ne peux pas me permettre de te dire qu’il aura un temps d’avance sur toi… mais il est loin quoi ! Très loin. Il faut arriver à le suivre. C’était déjà comme ça quand il était joueur. Dans la famille, on se doutait qu’il n’allait pas finir dans le monde du foot. Lui aussi, il le savait déjà.

 » Un gardien noir en équipe de France, je trouvais ça fou  »

Mais ta source d’inspiration, c’était plus Bernard Lama. Pourquoi lui ?

Oui, c’est clair que mon idole, c’était lui. Il y a un truc qui me marquait très fort quand j’étais gosse : un gardien noir en équipe de France, je trouvais ça fou. Ça n’avait aucun caractère racial, mais le fait de voir ce Noir dans le but… Et puis il y avait son jeu. Je le regardais, je me disais : -Putain, c’est un chat ! J’adorais son style, ses prises de balle, son jeu au pied, son côté spectaculaire, les risques qu’il prenait, son côté fou, inconscient. En plus, il était black et il jouait avec Lilian !

Comment ça se passe quand tu le rencontres ?

J’ai attendu longtemps ! C’était peu de temps avant mon transfert au Standard. J’aurais pu le voir des années plus tôt, il aurait suffi que je demande à mon cousin, il m’aurait arrangé le coup. Mais… je n’osais pas. Maintenant, c’est fait, et franchement, je souhaite à tous les gens de pouvoir rencontrer une fois leur idole. Ça a été une journée fabuleuse. J’étais assis à côté de Bernard Lama ! Je parlais avec lui. Il m’a expliqué plein de trucs, j’étais comme une éponge, j’absorbais tout. J’étais comme un petit gamin devant une tour de bonbons ou un immense magasin de jouets. C’est sans doute le week-end le plus inoubliable de ma vie. Avec Troyes, on fait 2-2 contre Saint-Etienne, le lendemain je suis invité à Canal Football Club, puis je rencontre Bernard Lama dans la foulée.

Qu’est-ce que tu as  » épongé  » dans ce qu’il t’a dit ?

Plein de trucs. Par exemple l’importance qu’il donnait aux ballons. Il allait voir les fabricants ! Ah oui, c’était un psychopathe, le gars ! Il voulait avoir plein de détails techniques, il pensait que ça l’aidait à mieux négocier ces ballons. Et il n’a pas arrêté de me répéter qu’il ne comprenait pas pourquoi les gardiens actuels boxaient autant les balles au lieu de les capter. Je lui ai dit : -Mais tu sais, aujourd’hui, on joue avec des ballons de plage qui flottent de plus en plus. Pour lui, le problème est ailleurs. Il m’a répondu que si les gardiens s’intéressaient plus à la façon dont les ballons sont fabriqués, ils auraient moins de mal. Ah oui, il va loin le gars…

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : BELGAIMAGE / CHRISTOPHE KETELS

 » Je me suis demandé si mon niveau était assez élevé par rapport aux attentes d’un club comme le Standard.  »

 » Si on savait pourquoi on a eu ce petit coup de moins bien en play-offs…  »

 » Ce n’est pas parce que j’ai sorti un match de merde que je me dis que c’est la fin des haricots…  »

 » On se doutait que Lilian n’allait pas finir dans le monde du foot. Déjà quand il jouait, il était loin.  »

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