« IL SE PASSAIT TOUJOURS QUELQUE CHOSE AVEC MOI »

Bosko Balaban (36) fut l’un des personnages-clefs du dernier titre (2005) et de la dernière victoire en Coupe de Belgique (2007) du Club Bruges. Après avoir mis un terme à sa carrière en Malaisie, il aimerait rester dans le monde du football.

Zagreb, Croatie, un lundi après-midi de mars. Le temps est doux et nuageux, le thermomètre affiche 14 degrés. Le pays traverse une période de transition, son économie pose problème. Dans l’avion du retour, qui fait escale à Munich, un journal allemand nous apprend que le salaire horaire minimum est d’un peu plus de deux euros. Près de cinq fois moins qu’en Belgique. Un Croate gagne moins de 500 euros par mois. Pourtant, la fierté nationale est grande. Le drapeau est omniprésent.

Zagreb est une ville propre, au coeur historique agréable. Le trafic n’est pas trop dense, les terrasses sont nombreuses mais les places libres y sont rares. Le lendemain, le soleil est au rendez-vous. Les arbres n’ont pas encore bourgeonné et l’herbe est toujours plus brune que verte mais ça sent le printemps. Nous remarquons que les gens fument toujours beaucoup, qu’ils boivent beaucoup de café et passent énormément de temps à pianoter sur leur smartphone. Les salaires ont beau être bas, en matière de technologie, les Croates sont parés.

Nous sommes surpris de voir une vieille dame bien habillée et même maquillée faire les poubelles. Notre photographe, Primus, est Slovène. Alors que nous nous rendons au café où Bosko Balaban nous a fixé rendez-vous, il reconnaît un homme apparemment comme les autres. C’est Ivo Josipovic. Un mois plus tôt, il était encore président de la Croatie.

Agent de joueurs, le premier pas

Comment se porte ce pays qui semble si calme ? C’est la question que nous posons à Balaban. Il nous répond qu’après un an et demi au sein de la communauté européenne, on ne constate pas d’amélioration en matière de bien-être. Les entreprises croates ne peuvent rivaliser avec leurs concurrentes européennes, trop de gens n’ont rien ou pas grand-chose. La côte vit et est accessible mais les touristes n’y viennent que quelques mois par an et elle accueille même des travailleurs immigrés, des Italiens. Là aussi, c’est la crise.

Balaban a grandi à la côte, dans les environs de Rijeka. Son père était docker et c’est sans doute ce qu’il aurait fait également s’il n’y avait eu le football. Il a encore une maison à Opatija mais habite à Zagreb avec Iva, son épouse, et leurs trois enfants (12, 7 et 3 ans). Le puîné est un garçon qui joue au Dinamo. Plus tard, en passant devant le stade de ce club, nous croiserons Davor Suker, ex-équipier de Balaban en équipe nationale et aujourd’hui président de la fédération.

Ils échangeront quelques mots. La fédération investit dans un nouveau centre d’entraînement pour l’équipe nationale. Le contraste avec le vieux stade Maksimir sera énorme. On tente de le rénover depuis dix ans et une nouvelle tribune a été construite mais le reste est en ruine et pas couvert. Cela fait des années que le club et la ville n’arrivent pas à s’entendre au sujet du financement.

La seule bonne nouvelle, dit Balaban, est que la corruption diminue. Depuis que l’ex-Premier ministre Ivo Sanader a été condamné à dix ans de prison en 2012 pour avoir accepté des pots-de-vin, tout le monde est plus prudent. Surfant sur la vague du modernisme, l’épouse de Balaban vient de lancer une boutique en ligne couplée à un webzine. Balaban nous montre fièrement le site : www.journal.hr.  » On verra ce que ça va donner.  »

Il vient aussi de se lancer dans le métier d’agent de joueurs. Son dernier club en tant que joueur, c’était en Malaisie : Selengor FA, dans la banlieue de Kuala Lumpur. Il y était déjà allé en vacances.  » Quand j’étais encore à Bruges, j’avais refusé des propositions de Russie, du Qatar et du Japon. Ici, je me suis dit que c’était pas mal pour finir ma carrière.  »

D’autant qu’il aime jouer au golf.  » Là, on y joue surtout la nuit, à la lumière artificielle. Car la journée, il y fait trop chaud. Pareil pour le football. Il fallait se battre contre des gamins qui couraient partout sous un taux d’humidité de 95 %. Un martyr. J’ai tenu un an, pas plus.  » En 2012, il a mis un terme à sa carrière : 79 buts en 216 matches de haut niveau. Son seul échec, ce fut la Premier League. En 2001, Aston Villa l’avait acquis pour 6 millions de livres mais il n’a jamais été titulaire et a fait partie du Top 50 des plus mauvais transferts de l’histoire du championnat d’Angleterre établi par le Times. Il s’est classé 41e, cela aurait pu être pire…

Aujourd’hui, il aimerait rester dans le football. Il possède un diplôme d’entraîneur mais cela ne le tente guère.  » C’est trop stressant ! Il faut s’occuper de 20 types et, à la fin de la journée, personne n’est content. Je préférerais être agent ou directeur sportif mais je veux d’abord étudier les différents côtés du football. J’ai été joueur, j’ai un diplôme d’entraîneur. Maintenant, je veux apprendre la négociation en tant qu’agent, être au courant de tout. On ne peut pas passer directement du statut de joueur à celui de directeur sportif.  »

Cocalic à Malines, c’est lui

Marc Degryse a tenu le même raisonnement. Aujourd’hui, il est journaliste.  » Il devrait revenir dans le circuit car il a le nez fin. Le problème, c’est qu’un directeur sportif dépend des résultats. Quelques erreurs et on est dehors alors que c’est très difficile, d’autant que le budget des clubs est limité. Les problèmes sont vite arrivés. Zvonimir Boban travaille pour Sky, il est basé à Milan. Tout le monde voudrait qu’il devienne président de la fédération mais il n’en a pas envie. Il n’investit rien dans notre football.  »

Comment voit-il le métier de directeur sportif ?

(Il réfléchit).  » Cela dépend du club. Un grand club, avec de grands joueurs, peut se permettre de prendre un coach différent tandis qu’un club normal préférera travailler avec un entraîneur qui connaît le pays. Ce que fait la Belgique avec des Espagnols ou un Ecossais, ça ne marche pas. Un entraîneur doit obtenir des résultats immédiats, il n’a pas le temps de s’adapter.  »

C’est pour cela que les résultats de Michel Preud’homme avec le Club Bruges, ne l’étonnent pas.  » Il connaît le championnat, ça ne peut que marcher.  » La seule chose qui l’inquiète, c’est que l’avance de Bruges fond.  » Anderlecht revient. J’espère que Bruges ne va rien lâcher. Mitrovic ? Il est puissant mais, s’il veut jouer dans un grand championnat, il doit apprendre à se déplacer.  »

C’est donc avec prudence qu’il se lance dans la carrière d’agent, avec l’aide de quelques amis. C’est lui qui, avec Dejan Veljkovic, a placé Edin Cocalic au FC Malines, tandis qu’AndrejKramaric s’est retrouvé à Leicester City.  » Actuellement, je prépare déjà l’été mais franchement, ce monde-là n’est pas très gai. Je préférais être joueur. Ici, il y a trop de monde. Et beaucoup de gens qui n’y connaissent rien, qui ne sont là que pour le chiffre.  »

Et lui, quelle est sa philosophie ?  » Je ne veux pas placer un joueur dans une équipe qui ne lui convient pas. Ça arrive tout le temps. Leurs agents ne s’intéressent pas à leur carrière. Tout ce qui les intéresse, c’est le salaire.  »

Il ne veut pas non plus transférer de jeunes joueurs.  » Je suis contre. De jeunes Croates veulent partir à l’étranger avant même d’avoir joué en équipe première. Ce n’est pas bon. Les parents vous parlent de la France, de la Belgique, de l’Allemagne… Où va-t-on ? Les jeunes doivent jouer dans leur environnement. Au moins pendant un an ou deux. Quand je suis parti en Angleterre, je n’avais que 21 ans mais j’avais joué en D1 croate de 17 à 21 ans.  »

Et pourtant, le pas fut peut-être trop important à franchir.

 » En effet ! Mais que faire quand on met 6 millions de livres sur la table ?  »

La question qui se pose n’est-elle pas la même quand on a 16 ans et qu’on a un père qui gagne 500 euros par mois ?  » I know. Big problem…  »

Il nous demande des nouvelles de Fran Brodic, le Croate du Club, qui est blessé.  » On lui a promis qu’il pourrait jouer mais il n’est pas prêt. Il aurait dû jouer et progresser.  »

Le Dinamo Zagreb : un borgne au pays des aveugles

Nous nous rendons au stade du Dinamo, le club qui l’a vu grandir et où son fils joue. Il y est comme chez lui, salue tout le monde. L’entraîneur des gardiens, qui s’occupe de deux jeunes talents, lui donne un ballon. Il jongle, fait une talonnade.  » This is best  » . Cela lui manque mais… son corps ne suit plus. Il joue au golf, fait du tennis et joue encore parfois au football.  » Parfois, j’ai envie de retrouver un club mais il faut être sage. Dès que je joue, mon genou souffre. En fait, je devrais me faire opérer du ménisque.  »

Le Dinamo est champion depuis 2006 mais c’est le borgne au pays des aveugles. Le championnat ne compte plus que dix clubs.  » Il y a trop peu de talent pour seize ou dix-huit clubs « , dit-il. Hajduk Split, mal géré, a complètement sombré. Rijeka, deuxième actuellement, est passé tout près de la faillite. Un Italien et un Croate y ont investi beaucoup d’argent mais tous les talents sont au Dinamo, qui gagne beaucoup d’argent grâce aux transferts.

 » Les joueurs les mieux payés gagnent plus qu’à Anderlecht. Un million d’euros net. Les joueurs ne peuvent partir que s’ils ont déjà joué quelques années ici et sont internationaux. Cela fait grimper les prix.  »

A-t-il connu sa meilleure époque à Bruges ? Il nuance.  » Ce fut une belle époque. Le Club n’a pas gagné grand-chose en dix ans mais, sur les trois ans que j’étais là, il a remporté le titre, la coupe et a joué une autre finale de coupe.  »

A l’époque, il n’était pourtant que réserviste.  » Vous croyez ? Je pense que j’étais blessé et dans la tribune. C’était face au Beerschot. Je me souviens mieux de l’autre finale, celle que nous avons remportée. J’en ai encore parlé voici peu avec Olivier Renard, qui était le gardien du Standard. J’ai délivré un assist à Ishiaku. Le Standard avait de grands joueurs : Conceição, Fellaini, Witsel, Defour, Jovanovic, Dante… L’entraîneur, c’était Preud’homme. Mais nous avons gagné (il rit).

La force de Bruges, à l’époque ? (sans réfléchir)  » Le collectif. Nous restions sur une mauvaise saison. Je pense que nous avions terminé sixièmes. Il y avait eu trop de changements d’entraîneurs : Ferrera, Janevski… C’était difficile. Pour les fans, ça doit être frustrant. Dix ans sans titre, ce n’est pas normal. Le club doit changer de politique. Est-ce qu’il lance des jeunes ? A mon époque, ce n’était pas terrible.  »

On parle des play-offs, de la formule du championnat. Aurait-il aimé disputer un grand match chaque semaine ? (il réfléchit).  » Non. On gagne la phase classique puis il faut tout reprendre à zéro. Pour moi, le meilleur championnat, c’est celui d’Angleterre. Il faut tenter d’imiter cela. Pensez-vous que le niveau du championnat belge soit meilleur grâce aux play-offs ?  »

Un faible pour l’Angleterre et Chelsea

On réplique : est-ce mieux à Chelsea, qui défend pendant 45 minutes et gagne 1-0 ?

 » C’est le résultat qui compte, my friend. Vous pensez que Hazard n’est pas beau à voir jouer ? Et Willian ?Oscar ? Fabregas ? Costa ? »

Ça l’amuse de voir tous ces joueurs talentueux passer leur temps à défendre ?

 » J’aime bien voir jouer Chelsea, oui. Ces mecs savent attaquer, défendre, casser le jeu. Et gagner. Ils sont intelligents. Ils ont du talent et savent l’exploiter car ils marquent presque toujours. Yes, I like it.  »

Aurait-il aimé jouer de la sorte ? (il rit).  » Là, vous m’avez piégé. Non, bien sûr ! Quel attaquant aime défendre ? Nous voulons marquer et, de préférence, ne rien faire en perte de balle.  »

On y est !

Mais il sait que ce n’est jamais noir ou blanc.  » Je me suis toujours battu pour l’équipe. Vous pouvez regarder mes matches. Il se passait toujours quelque chose avec moi. J’avais le sang chaud. Je n’aurais pas pu jouer sans passion, sans émotion. Si j’étais coach, je demanderais la même chose à mes joueurs : de la passion, de la nervosité, de l’agressivité. Ça me manque un peu aujourd’hui. Les joueurs ont un nom mais leur tête est ailleurs. Cela n’a jamais été mon cas. C’est vrai que, parfois, pendant une demi-heure, je ne touchais pas le ballon. Mais j’étais présent, j’attendais le bon moment. C’est ça, un attaquant.  »

A-t-il gardé le contact avec des joueurs ou des membres du staff de l’époque ?  » Butina a entraîné les gardiens du Dinamo mais il est parti aux Emirats il y a un an et demi. Ceh travaille avec les jeunes d’un club situé à une demi-heure de voiture d’ici, je l’ai eu au téléphone il y a peu.  »

Et Sollied ?  » Il savait ce qu’il faisait. Je venais d’Aston Villa et j’avais toujours été attaquant mais il m’a dit : Je joue avec un attaquant, Rune Lange. Gert Verheyen jouera à droite et toi, à gauche. j’ai dit : ça n’ira pas, je suis droitier. Il m’a répondu : Tu joueras à gauche ou tu regarderas le match depuis les tribunes. J’ai vite compris. Trond était un bon entraîneur, très clair. Et en dehors du terrain, il était cool. Avec lui, il n’y avait pas de règles. C’était à toi de savoir ce que tu pouvais boire ou manger.

Un entraîneur n’est pas le père ou la mère d’un joueur. Les joueurs sont bien payés, c’est à eux de régler leur vie. S’ils n’en sont pas capables, comment peuvent-ils jouer, prendre la bonne décision sur le terrain ? A Bruges, je n’avais pas de problème. Nous habitions à Varsenare. Et la vie nocturne brugeoise, bof… On disait que je posais des problèmes mais croyez-moi, je n’ai jamais posé le moindre problème à l’équipe.  »

Vient-il encore parfois ?  » J’y suis allé récemment. J’ai donné le coup d’envoi. C’était il y a quelques mois. J’ai présenté quelques joueurs. C’est étrange… Il n’y a pas eu de réaction. Honnêtement, ils n’ont jamais répondu. N’est-ce pas bizarre ?  »

PAR PETER T’KINT EN CROATIE – PHOTOS : BELGAIMAGE / PRIMOZ LAVRE

 » Si Mitrovic veut jouer dans un grand championnat, il devra apprendre à se bouger.  »

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