» Il savait que le process de Kompany allait montrer ses limites «
Paria il y a un an, indispensable aujourd’hui. Voici comment Adrien Trebel a complètement changé de vie. Et la vie d’une équipe.
Anderlecht-Cercle, neuvième minute. C’est dans la poche, Adrien Trebel a autant de temps de jeu que pendant la totalité de la saison dernière. Et on n’est qu’à la cinquième journée. Trois événements marquants ont fait de 2019-2020 la plus moche campagne de sa carrière : l’absence de confiance de Vincent Kompany, des problèmes au genou (en deux épisodes) et l’arrêt soudain du championnat.
Tout était noir pour lui il y a un an, tout est rose aujourd’hui. Il a bien profité de la prestation calamiteuse des Mauves, sans lui, lors du premier match de cette saison, à Malines. Il est maintenant incontournable. Et décisif, que ce soit à la dernière passe ou à la finition. Même Kompany semble sous le charme. Et ça, c’est un fameux exploit. Parce que l’icône ne croyait pas en lui lors de l’été 2019 (à cause de son profil technique), et aussi parce que le courant n’est pas toujours bien passé entre les deux hommes.
» Ils ne sont pas d’accord sur tout, loin de là, pourtant il y a toujours eu un vrai respect entre Kompany et Trebel « , explique un proche du joueur. » Dès qu’il est arrivé, Kompany lui a dit qu’il n’avait pas le profil pour le football qu’il voulait développer et que ce serait mieux pour lui de chercher un autre club. Pour Trebel, c’était dur à entendre, mais il a beaucoup apprécié la franchise de Kompany. Kara a eu droit au même discours, et lui, il est directement parti. Un joueur professionnel est plus habitué à un coach qui tourne autour du pot et noie le poisson parce qu’il a peur de dire entre quatre-z-yeux des vérités qui font mal. »
Trebel part du principe qu’on ne peut pas rester constamment au sommet, que des creux sont inévitables.
Le Français s’est mis en tête de s’accrocher et de donner tort, in fine, à son nouveau patron sportif. On n’a pas oublié le seul match qu’il a joué durant la période où Simon Davies et Vincent Kompany se sont relayés comme T1 en début de saison passée. À Bruges, où Anderlecht collectivement et Trebel personnellement ont pris l’eau. Peter Zulj et Albert Sambi Lokonga étaient indisponibles, il fallait bien un dépanneur. Mais dès la semaine suivante, Adrien Trebel était à nouveau écarté du groupe. Ce soir-là, en radio, Alex Teklak avait sorti une phrase-choc : » Ce que Kompany et Anderlecht font à Trebel, c’est dégueulasse. »
» Le foot, pour lui, c’est H24 »
Il a fallu l’arrivée de Franky Vercauteren pour que le meilleur rouquin du championnat de Belgique ( » Le meilleur médian d’Anderlecht « , dixit Hein Vanhaezebrouck) rejoue des matches officiels. Mais très peu, vu une opération au genou, suivie d’une rechute. » C’était compliqué pour lui, mais je ne crois pas qu’il l’a si mal vécu que ça « , nous confie un intime de Trebel. » Plusieurs fois, il m’a dit qu’il était assez grand et assez expérimenté pour savoir qu’une carrière est faite de moments d’excitation et de sales passages. Il part du principe qu’on ne peut pas rester constamment au sommet, que des creux sont inévitables. L’enchaînement ombre et lumière, il connaît. Pour lui, le fait de ne plus jouer en équipe première, c’était simplement un momentum, en attendant de pouvoir prouver à nouveau qu’il avait sa place. »
Jean-François Lenvain, qui accompagne la carrière de plusieurs joueurs mauves et aussi de sportifs d’autres disciplines, se souvient d’un gars qui a toujours conservé la foi. » Il a connu des moments forts et des passages difficiles dans deux grands clubs comme Nantes et le Standard. Alors, il en fallait plus pour le déstabiliser. Il est conscient d’une chose : dans le foot de haut niveau, tu maîtrises environ 50% des paramètres, et les cinquante autres, tu ne les as pas du tout en mains. Donc, il faut optimaliser les 50% que tu contrôles. En restant le plus pro possible dans ton approche. En dix ans dans le foot de haut niveau, je n’ai jamais vu un autre joueur consacrer autant de temps à l’entraînement invisible. Il est très attentif à la prévention des blessures, à la nutrition, à l’hydratation, etc. Il investit aussi dans du matériel de remise en forme, dans des séances de kiné. Tout récemment, pendant la trêve internationale, il s’entraînait à Neerpede le matin, puis il filait chez Lieven Maesschalk, à Anvers, pour continuer à consolider son genou. Il est complètement à l’opposé des footballeurs qui considèrent que le foot, c’est un métier qu’on fait de 9 heures du matin à midi. Pour lui, c’est H24. C’est un vrai sportif de haut niveau. »
Son accompagnateur et ami voit dans ce travail bien fait l’explication du retour au premier plan d’Adrien Trebel. » Beaucoup de footballeurs tombent dans une espèce de dépression quand leur entraîneur ne les fait pas jouer. Lui, il raisonnait autrement : Je reste à fond dans l’effort pour être prêt dès que la roue tournera. Il sait qu’il suffit de quelques gros entraînements ou d’un gros match pour faire changer l’opinion du coach. Si tu sors de six mois de déprime quand on te relance, tu rates ton retour. »
Le grand frère
Un autre proche du joueur s’épanche sur ses certitudes, même au moment où il était en tribune. » Il savait très bien qu’à un moment ou à un autre, le fameux process de Kompany allait montrer ses limites. Il a dit : Il met trop de jeunes d’un coup, ça ne va pas le faire. Il était frappé par le manque de vécu dans l’équipe. Déjà la saison dernière, il n’y avait pas beaucoup de leaders pour encadrer toute cette jeunesse. Entretemps, Nacer Chadli et Kemar Roofe sont partis, et Vincent Kompany a arrêté de jouer. Il ne reste vraiment plus grand monde et ça aussi, ça a sans doute encouragé Kompany à le relancer dès le deuxième match de cette saison. Par exemple, Landry Dimata et Albert Sambi Lokonga le considèrent comme un grand frère. Il est revenu dans l’équipe sans esprit de revanche, ce n’est pas son style. Mais je pense quand même qu’il est assez fier d’avoir réussi à inverser le raisonnement de son coach. Kompany a d’abord dit qu’il pouvait réussir son projet sans Trebel, maintenant il se dit que ça a beaucoup plus de chances de marcher avec lui. Je pense que, jusqu’au match à Malines, il a voulu continuer à croire que Trebel n’était pas indispensable. C’est aussi une question de fierté, d’entêtement, d’ego. Il ne voulait pas se contredire. Mais les problèmes apparus dans ce match ne lui ont plus trop laissé le choix. » Le lendemain de cette copie bâclée, une équipe B affrontait Lommel en amical. Avec un Trebel déchaîné qui a semé, ce soir-là, les premières graines de son retour dans l’équipe de base.
Adrien Trebel à Anderlecht, c’est aussi le feuilleton d’un départ qu’on croit certain depuis un peu plus d’un an. Dans un premier temps, le club demandait une dizaine de millions. Pour finalement faire descendre ce prix à… rien du tout. Un départ gratuit aurait permis à une direction en situation financière compliquée d’économiser neuf petits millions, soit l’équivalent des trois années de contrat qu’il lui reste. Il a été question d’une destination exotique, au Moyen-Orient. On a entendu que ce transfert avait capoté seulement à cause de ses problèmes de genou. Et cet été, on a évoqué un retour à Nantes, où il a passé dix ans. Dans son entourage, on nous commente son gros contrat : » Il n’a jamais demandé autant, à la limite il a été surpris quand on lui a proposé de prolonger à ces conditions, qui sont quand même hors-normes pour le championnat de Belgique. Mais Marc Coucke a voulu marquer le coup, montrer aux supporters qu’il était prêt à faire un gros effort pour conserver à coup sûr son meilleur joueur. »
» Il est heureux à Bruxelles »
Un départ, hier ou demain, Jean-François Lenvain n’y croit pas trop. » Il est vraiment heureux à Bruxelles. Sa femme a vite trouvé du boulot comme secrétaire médicale dans une maison de repos. Ils sont maintenant installés en périphérie, dans la région de Beersel, tout près du centre d’entraînement. Et leur fils… Eden est né ici, c’est aussi quelque chose qui compte pour eux. Il ne s’imagine pas au Moyen-Orient. Et je peux imaginer comment est née la rumeur de son retour à Nantes. C’est vrai qu’il est toujours resté en contact avec ce club, malgré l’ambiance assez chaude au moment où il l’avait quitté pour venir au Standard. Quand j’ai accompagné Kara, qui passait sa visite médicale là-bas, Trebel avait un jour de congé et il est venu avec nous. Je me suis rendu compte qu’au FC Nantes, il était chez lui. Il connaissait encore tout le monde, la dame qui fait les lessives, le cuistot,… Pour moi, il n’a jamais vraiment envisagé de quitter Anderlecht en cours de saison passée et j’imagine mal qu’il ait des envies de départ aujourd’hui. »
On entend au Lotto Park et à Neerpede qu’il y a parfois des discussions un peu houleuses entre Kompany et Trebel. » Deux fortes têtes, deux gars au caractère bien trempé qui refusent de reconnaître qu’ils risquent d’avoir tort ! Ils débattent régulièrement de tactique, par exemple, parce que ça les passionne tous les deux. Mais le respect mutuel est toujours là. Ce n’est pas un hasard si Kompany n’a jamais empêché Trebel de s’entraîner avec le noyau pro, même quand il n’avait aucune chance d’être dans l’équipe le week-end. Il ne l’a jamais empêché de travailler. »
Le dernier clash s’est produit en début de confinement. La direction et Vincent Kompany ont demandé aux joueurs de renoncer à un mois de salaire et à une partie de leur prime à la signature. Trebel s’est cabré sur le deuxième point. » Ça a été mal interprété et mal retranscrit dans les médias « , poursuit notre témoin. » Il estime que la direction a mal communiqué sur le coup et que Vincent Kompany, en faisant lui-même la demande aux joueurs, avait été instrumentalisé. Il trouvait que tout cela était très maladroit, ça ne lui plaisait pas. Il a dit : Ce n’est pas aux joueurs à mettre de leur poche pour payer le solde des erreurs de la direction, tout ça en utilisant le Covid comme prétexte. Mais il était tout à fait prêt à faire un geste financier important. Si on lui avait demandé de lâcher 200.000 euros pour offrir un appareil médical à un hôpital, par exemple, il les aurait déposés sur la table dans les 24 heures. «
Assis au sol, au milieu des sans-abris
Jean-François Lenvain est une des chevilles ouvrières de l’opération Souliers du Coeur, lancée en pleine crise du Covid pour venir en aide aux structures qui agissent pour les sans-abris, les personnes âgées, les personnes atteintes d’un handicap,… Près de 80 acteurs du foot se sont mobilisés. Et Adrien Trebel est l’un des plus assidus.
» Il a directement donné son accord pour participer à nos actions, il n’a pas hésité une seconde. Le désarroi qu’il côtoie dans la rue lui rappelle sa jeunesse qui n’a pas toujours été facile. Il ne vient pas d’un milieu très riche ! Il m’a expliqué qu’il ne pouvait pas se permettre de ne pas rendre ce qu’il a reçu en perçant dans le football professionnel. J’ai été marqué par la première opération qu’on a faite ensemble pour les Souliers du Coeur. On est partis à deux au Parvis de Saint-Gilles, à la rencontre de sans-abris. Le naturel qu’il avait par rapport à ces gens-là, c’était épatant. On était au début de la crise, dans un climat anxiogène, il s’est assis par terre au milieu d’eux, des gens en pleine détresse qui venaient chercher un colis alimentaire. Il était tout heureux de leur offrir des masques, à une période où c’était difficile d’en trouver. Je le considère comme le capitaine de route du projet. En six semaines, on a mené près de 75 actions, pour les personnes démunies, le secteur médical, les maisons de repos. On a distribué du matériel de protection, du gel, des colis de nourriture, des jeux. Il doit avoir participé à une vingtaine d’actions, personne n’a été plus actif que lui. »
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