» Il nous faut quelques crapules « 

Un coach en transit, un actionnariat en vadrouille, un déménagement provisoire, une équipe médicale transparente, un mercato de janvier zéro et quatre défaites consécutives. Mais plein d’enthousiasme et d’optimisme. Voici comment le club le plus atypique de D1 prépare sa dernière ligne droite vers le maintien.

« On n’a que trois points d’avance sur les play-offs 3 ? Bah, c’est bien, ça veut dire que le quinzième a trois points de moins que nous, c’est ça que je vois et c’est positif.  » Clin d’oeil, humour et bonne humeur dans le discours de Fernando Da Cruz à trois jours de la reprise contre Gand. Optimisme aussi :  » On a assez de qualités pour se sauver. Si l’état d’esprit est là, je n’ai aucune inquiétude.  » On ne démonte pas facilement l’homme. Le calendrier restant est infernal : après Gand, il y a Genk, Courtrai, Standard, Ostende, Lokeren, Bruges, Westerlo et Charleroi. Missions kamikazes contre des équipes qui ont toutes, ou presque, des ambitions de PO1.  » Est-ce que le programme de nos adversaires directs est plus simple ? Je n’en sais rien. Et ça ne m’intéresse pas. La seule chose qui m’intéresse, c’est Mouscron.  » Depuis le C4 de Rachid Chihab, victime du zéro sur neuf ayant suivi la victoire contre Anderlecht, Fernando Da Cruz joue l’intérimaire. Et il croit à fond en ce qu’il fait. Immersion dans un club secoué qui joue sa survie (sportive et financière). Et indiscrétions.

Chihab et son staff, virés ou pas ? Et par qui ?

 » La direction du RMP a décidé de mettre un terme aux fonctions d’entraîneur de Monsieur Chihab. Celui-ci réintégrera ses fonctions antérieures au LOSC. Nous tenons à remercier Monsieur Chihab pour son investissement personnel et n’oublions pas qu’il fut l’un des artisans de la montée du RMP en première division. Un signal fort devait cependant être adressé à l’équipe au vu des résultats actuels, pour amorcer une relance à l’entrée de cette trêve hivernale.  » Communiqué officiel de la direction dans les dernières heures de décembre.

On se pose des questions sur ce C4. Ce communiqué montre que la décision de la séparation a été prise par la frange belge et minoritaire du club. Mais c’est quand même Lille, actionnaire majoritaire, qui est censé prendre des mesures pareilles. Ou pas ? En réalité, ce limogeage était – comme on nous l’explique au club –  » un souhait du RMP qui a été validé par le LOSC « . Le club français avait la décision finale et a accepté l’initiative belge. Trois membres du staff, sous contrat avec Lille comme l’était Chihab, l’ont suivi dans son départ : le T2, le T3 et l’entraîneur des gardiens. Aussi des souhaits belges validés par les Français ? Pas vraiment. Ils auraient pu rester au RMP jusqu’en fin de saison mais ont préféré suivre leur patron sportif. Une quatrième personne de l’ancien staff, sous contrat français, qui avait aussi le choix, est restée à Mouscron.

C’est qui le pompier ?

Des origines portugaises mais une vie dans l’agglomération lilloise, et donc un accent du Nord qu’on reconnaît à des kilomètres. De la gouaille et de l’optimisme. Fernando Da Cruz a été désigné comme pompier. En deux séjours, il a travaillé durant sept saisons pour le LOSC : coach des U14, scout de jeunes dans différents pays d’Europe, entraîneur des U19. Il a aussi bossé trois ans comme coach de Wasquehal. Il s’est posé à Mouscron au moment de la montée du RMP en D2 et il a été deux fois adjoint pour le noyau pro, avec Arnaud Dos Santos puis Rachid Chihab. Pendant deux ans, il a travaillé à Mouscron en étant sous contrat au LOSC. Depuis l’été de l’année dernière, il est employé par le RMP et dirige le Futurosport. C’est un ambitieux pas pressé… Ambitieux, parce que quand on passe les examens pour décrocher la Licence Pro, ça veut dire qu’on vise tôt ou tard un poste d’entraîneur principal chez les pros. Il confirme :  » Oui, c’est ce que je veux faire un jour.  » Mais pas pressé, donc :  » Il n’y a pas urgence.  »

Il avait été question que Fernando Da Cruz soit le successeur d’Arnaud Dos Santos, limogé en décembre 2013. La direction lui avait alors préféré Rachid Chihab. Da Cruz ne veut pas trop en parler mais on sent qu’il a été déçu à l’époque. A quelques heures de sa première apparition comme T1 en D1, face à Gand, il ironise sur son futur :  » Si je ne fais qu’un match à la tête du RMP et si je le gagne, j’aurai les meilleures stats de l’histoire de la Pro League. Si je ne fais que ce match et si je le perds, j’aurai les pires stats ! Les choses sont claires en tout cas : même si on gagne 10-0 contre Gand, un autre coach prendra le relais, je ne suis là que pour assurer la continuité entre l’ancien et le prochain.

Mon aventure de T1 aurait déjà pu se terminer avant ce week-end, elle se finira plus tard mais elle ne devrait pas se prolonger jusqu’au bout de la saison. Si la direction estime que c’est avec moi qu’il faut le faire, je le ferai, j’y mettrai toute mon énergie et toute ma motivation. Mais ce n’est pas l’objectif.  » Pas sûr, toutefois, qu’on lui trouve vite un successeur quand on entend le discours d’EdwardVanDaele, le président :  » Ce n’est pas certain que Fernando Da Cruz restera jusqu’à la fin de la saison mais les prochains résultats pourraient avoir une incidence.  » Traduction : s’il fait gagner l’équipe, il restera en place.

Le taf, c’est mieux avec le nouveau coach ?

A part les joueurs flamands du noyau, qui l’ont bien dézingué il y a quelques semaines, on n’a entendu personne, dans le club, critiquer vraiment Rachid Chihab depuis le début de la saison. Pas même après son limogeage. L’homme garde du respect. Les joueurs sont conscients que la montée, le début de saison en trombe, les victoires contre le Standard et Anderlecht, il y était pour quelque chose. Mais le courant avait fini par ne plus trop bien passer. En raison de sa personnalité : il est assez distant, fermé, peu communicatif. En raison, aussi, de ses méthodes d’entraînement qui ne faisaient plus l’unanimité.

Rachid Chihab scindait par exemple le travail physique et le boulot technico-tactique. Pour le physique, il croyait aux vertus de la piste d’athlétisme et on sait que cet anneau n’est pas l’ami des footballeurs. Fernando Da Cruz voit les choses autrement : tout se fait sur la pelouse et le travail physique est intégré aux exercices avec ballon.  » Depuis qu’on a repris, début janvier, les joueurs sont allés une seule fois sur la piste « , explique-t-il.  » Courir sur piste, pour moi, ça ne correspond pas aux efforts des footballeurs. En match, on démarre, on s’arrête, on repart, on est constamment dans un processus d’effort / contre-effort.

Mon objectif consiste à leur faire assimiler ces habitudes et j’estime que les longues séances d’endurance ne sont pas appropriées. Le volume de travail n’a pas changé par rapport à ce qui se faisait avec l’ancien entraîneur mais il est réparti d’une autre façon, avec d’autres contraintes.  » Et, à nouveau, le bon sens d’un gars du Nord…  » Les joueurs adhèrent, ils me disent qu’ils préfèrent ma méthode, mais bon, si on commence par un zéro sur neuf, à quoi ça servira encore de dire que mon travail est mieux dosé ?…  »

Autre changement au quotidien : le temps passé ensemble. Du temps de Chihab, les joueurs pouvaient arriver au complexe d’entraînement peu de temps avant la séance, et les jours où il y avait deux entraînements, ils repartaient presque tous chez eux pendant l’interruption. Da Cruz exige qu’ils prennent leur petit-déjeuner au stade, et aussi le repas de midi s’il y a deux entraînements.  » Il y a quelques jours, le président est venu s’installer à leur table, à l’improviste « , raconte Anne-Charlotte Beatse, la responsable communication du RMP.

 » C’est plus convivial aujourd’hui, je vois une vraie relation de proximité entre les joueurs et le coach.  » Mercredi dernier, la Pro League avait envoyé une invitation à Fernando Da Cruz et à deux joueurs (Kevin Vandendriessche et Steeven Langil) pour le gala du Soulier d’Or. Les autres Mouscronnois ont improvisé un bowling. Ça aussi, ces liens, ces activités extra-sportives non obligatoires, c’est nouveau. Anne-Charlotte Beatse :  » Quand ils sont revenus après la trêve, malgré les trois défaites consécutives en décembre et tout ce qu’on lisait dans les journaux concernant la reprise, je n’ai jamais senti que le moral des troupes était au plus bas.  »

Il est où le doc ?

Début janvier, le noyau a repris le boulot au Futurosport et au Canonnier. Fuyant Luchin, le complexe d’entraînement du LOSC où il était installé depuis le début de la collaboration. Une conséquence des relations tendues entre le club français et la direction belge du RMP ? Pas directement. Lors de la première semaine de l’année, ce déménagement s’expliquait par le désir de  » changer d’air  » sans pour autant partir en stage à l’étranger. Lors de la deuxième, c’est le mauvais état des terrains de Luchin qui a justifié le travail à Mouscron. Il y a tout, au Futuro, pour ne plus s’en aller de l’autre côté de la frontière. Et couper un peu plus encore avec Lille, ce qui est sans doute le souhait de plusieurs personnes.

Il y a tout, oui, sauf l’encadrement médical. Il est prévu dans l’accord de partenariat que le RMP profite des médecins et des kinés du LOSC jusqu’à la fin de la saison, de même qu’il peut continuer à s’entraîner à Luchin même si les parts françaises changent de mains entre-temps. C’est pour cela que l’on privilégie le retour là-bas. Quand Langil se plaint qu’il n’y a pas de doc et un seul kiné pour 26 joueurs ( » et il n’est même pas là tous les jours « ) lorsque le groupe travaille à Mouscron, il résume bien le problème.

Des renforts ?

Kevin Vandendriessche a signé pour Ostende mais restera à Mouscron jusqu’à la fin de cette saison. Abdoulay Diaby est reparti à Lille. Reste une pépite : Steeven Langil. On lui demande dans quel camp il sera lors de Standard – Mouscron, début février. Ça le fait marrer !  » Si je dois leur faire mal comme au match aller, je le ferai.  » Il avoue  » plein de contacts en Belgique et en France  » mais ajoute qu’il est toujours là et qu’il a envie de tout faire pour sauver ce club. Et pour lui, la suite de calendrier compliquée sur le papier n’est pas nécessairement un handicap :  » On va affronter des équipes qui jouent au ballon, et nous, on aime jouer au ballon. Contre ceux qui ne jouent pas le jeu, on se prend des contres dans la gueule… On a Bruges, Genk, le Standard, tant mieux pour nous. En plus, contre des adversaires pareils, tout le monde a envie de se montrer.  »

On ne sait pas si Langil restera, on n’est pas sûr non plus qu’il y aura des arrivées. Le président continue à croire que des joueurs pourraient être prêtés par le LOSC :  » On a jusqu’à la fin du mois mais le plus tôt sera le mieux.  » Fernando Da Cruz n’est pas certain que c’est nécessaire :  » Je n’attends rien. Il reste huit matches pour assurer le sauvetage, on n’a pas le temps de préparer des nouveaux joueurs. Le gars qu’on doit préparer pendant six matches et qui n’est disponible que pour les deux derniers, ce n’est pas un renfort. Si quelqu’un vient, il doit être prêt tout de suite.  » Et le coach n’exclut même pas l’un ou l’autre départ :  » Malheureusement, un mercato d’hiver est fait pour ça, on connaît les règles.  »

Sur la pelouse, ça donne quoi ?

Un axe défensif densifié pour tenter de contrer le duo Laurent DepoitreBenito Raman, titularisation de Birger Verstraete (qui avait une relation détestable avec Chihab et totalisait 13 minutes de jeu réparties sur trois matches depuis le début de la saison), RoyContout aligné en pointe parce qu’il faut bien remplacer Diaby, c’étaient les changements les plus frappants apportés par Da Cruz pour affronter Gand. Des Buffalos en joyeuse balade pendant une bonne partie du match.  » On a joué un quart d’heure, puis plus rien, on a fait n’importe quoi « , résumait Kevin Vandendriessche. Da Cruz :  » On a eu peur après leur égalisation.  » Le capitaine :  » Il manque peut-être du caractère dans le noyau, on est peut-être trop gentils les uns avec les autres. C’est bien d’avoir une bonne ambiance, mais parfois, il faut aussi se dire les choses en face.  » Ça manquerait de crapules ? Le coach :  » Il nous en faudrait peut-être une ou deux en plus.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS: BELGAIMAGE/CLAESSEN

Le C4 de Rachid Chihab est  » un souhait du RMP validé par le LOSC « .

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