« Il ne faut pas tuer l’adversaire »

Tout le monde a suivi un jour ou l’autre dans sa vie un match de Roland Garros à la télévision avec les commentaires du Français Jean-Paul Loth.

Jean-Paul Loth, si on vous demande ce que vous faites dans le tennis, quelle est la première chose que vous répondez?

La première chose que je fais depuis très longtemps est d’amener un maximum de gens à jouer au tennis, puisque mon métier d’origine est enseignant. Ce que je peux transmettre aux gens, c’est l’amour du tennis. Au début de mon job d’enseignant, j’ai eu affaire au haut niveau, pendant une vingtaine d’années. Mon autre objectif, c’était d’amener les joueurs à être les meilleurs possible, avec mon métier d’entraîneur, leur faire part de mon expérience pour qu’ils progressent. Mais, le fait d’être consultant à la télévision m’a toujours ramené à mon métier initial : parler du tennis de manière à ce que le plus grand nombre s’y intéresse, se mette à jouer et y prenne du plaisir. Par la même occasion, quand on parle sur les ondes, je tente de faire passer des messages aux jeunes qui rentrent dans le tennis ou qui sont dedans, de le comprendre mieux. Dernièrement, j’ai d’ailleurs choisi un spot de la fédération française de tennis, dont je suis directeur de la communication, avec Arnaud Di Pasquale, qui me paraît beaucoup plus important que tout ce qu’on aurait pu faire sur le tennis adulte, et qui fait dire à Arnaud, qui le fait d’ailleurs très bien, « Il y a une chose que je n’aime pas dans le tennis, c’est le terme -Tuer son adversaire. Le sport, ce n’est pas ça. Le sport, c’est combattre, c’est essayer de vaincre, mais pas avec des armes ». J’ai choisi ce spot, parce qu’il a dit cela dans une interview et les jeunes ont besoin de se rattacher à des valeurs fortes, comme le respect de l’adversaire, de l’individu. Parce qu’à force de dire qu’il faut tuer son adversaire, ils finissent par croire qu’il faut le faire. Et il y a des choses qui sont mal dites en ce moment. Donc, actuellement, mon dada, c’est de dire aux jeunes, et aussi aux adultes, -Vous faites du sport, eh bien, profitez du sport pour être meilleurs vis-à-vis des autres et de vous-mêmes, mais s’il vous plaît, ne profitez pas du sport pour vous mettre sur la gueule et pour régler vos comptes. Profitez du sport pour vous rapprocher. Donc, par rapport à la question, une fois je suis enseignant pour des gens qui jouent comme des truffes, une fois, je suis entraîneur de haut niveau, une fois je suis consultant et je parle de haut niveau mais tout d’un coup, je me rends compte qu’avec le haut niveau, on peut dire des choses aux jeunes et aux adultes. Quand je suis le matin dans ma voiture et que les gens m’agressent alors que je ne leur ai rien fait, parce qu’ils sont fous de rage et très pressés, je me dis qu’ils sont fous et, quand je suis à l’antenne, je fais passer des messages.

Mais sur le circuit, il y a aussi des fous, que vous avez dû détester.

Oui, par exemple, j’ai détesté pendant un temps Jimmy Connors. Pas pour la qualité du joueur, mais pour l’individu. Car, pour lui, plus rien n’existait d’autre que d’abattre son adversaire, quels que soient les moyens. Et je préférais de loin John McEnroe, qui avec ses colères et ses excès, était pour moi un individu bien plus respectable que Connors qui disait et faisait des choses détestables. Oui, j’ai beaucoup combattu, et même dans mes propres équipes, des gens qui avaient un peu tendance à tricher ou à employer tous les moyens pour gagner. Mais tous les moyens ne sont pas bons pour gagner.

Quand vous entendez les anciens se répandre soit contre le tennis féminin, soit contre la morosité du tennis masculin actuel, cela vous révolte-t-il?

J’ai beaucoup réfléchi à cela et j’en ai parlé avec eux. D’abord, je crois que la majorité des anciens sont tout à fait conscients que le tennis a évolué. Ils le savent tous, ou alors, ils sont un peu cons. Ils ont compris depuis longtemps que le jeu avait évolué et devait évoluer; que c’était une manière inexorable d’avancer vers un autre tennis. Par contre, quand j’entends certains grincheux -il n’y en a pas beaucoup- je me dis qu’il y a là une certaine nostalgie. Je replace toujours cela dans le contexte du gosse qui a vécu avec des idoles qui sont cassées, qu’on a dû remplacer. Et là, il n’aime pas et il critique. On est entré dans l’air des géants. Il faut avoir 1m90-1m95 pour faire partie des meilleurs mondiaux. A ce titre, la rencontre Belgique-France était assez étonnante, puisque tous les joueurs des premiers simples faisaient moins d’1m65. Et puis on se dit : -Merde, le mec d’1m65, il peut aussi avoir un tennis de niveau mondial. Tout est relativisé d’un coup. Et en plus, ils pratiquaient un tennis de rêve. Et s’ils avaient été un peu plus au filet, les anciens auraient dit : -Regardez ça, ils jouent un tennis du temps jadis. Et tout le monde aurait été d’accord. Ce n’est pas grave que les anciens critiquent. Ceux qui ont été les meilleurs à une époque joueraient aujourd’hui aussi très bien et ils feraient partie des meilleurs, avec le talent qui était le leur, même si un Cochet avec son jeu de l’époque prendrait trois fois 6-1 contre le Sampras d’aujourd’hui. Il faut laisser parler ceux qui disent qu’ils jouent comme des ânes ou que tactiquement ils sont mauvais, que de mon temps, on réfléchissait plus. Cela alimente le débat. Mais il faut leur prouver, si c’est possible -parce que certains sont butés- qu’il n’y a pas longtemps, McEnroe jouait un tennis très astucieux. Un peu plus tard, un petit Chang, ça jouait un tennis très astucieux aussi. Plus tard encore, dans le tennis actuel, on ne peut pas dire que quand Kuerten a gagné Roland Garros, c’est parce qu’il avait un tennis superpuissant. Et puis ce petit Ferrero, comme un fil de fer… Bon, on était en train de se rendre compte que l’époque, malgré que ce soit celle de la puissance, redonne sa chance à tout le monde. Moi, je trouve cela formidable.

C’est heureux pour le tennis, qui pourrait devenir un peu ennuyeux.

Ce n’est pas heureux pour le tennis. C’est heureux pour l’individu. Quand un gars d’1m70 regarde le tennis et qu’il a quinze ans, il se dit qu’il n’ira jamais loin. Mais aujourd’hui, on voit quand même un certain nombre de joueurs plus petits. Agassi n’est quand même pas un géant, il ne fait qu’1m80. Ferrero, 1m80, les Belges et les Français de la Coupe Davis, Rios,… Cela donne la possibilité à tout un chacun de construire, au travers de sa personnalité, le jeu qu’il va exprimer. Et comme les uns et les autres l’expriment bien, cela redonne confiance à toutes les tailles. Quand on voit un gars comme Fabrice Santoro, petit également, qui mystifie tout le monde, se tape Marat Safin trois fois sur quatre, alors que l’autre il fait deux mètres, et que, dès qu’il le voit, il fait des boutons, et bien, c’est formidable.

Si jamais vous voulez prendre votre pied en suivant un match, qu’allez-vous regarder?

Je peux le prendre en regardant Sampras contre Safin. A Flushing, c’était formidable l’an dernier. Je peux le prendre aussi en regardant Rafter contre Ferrero à la Coupe Davis, avec Rafter qui se prenait dans la gueule les balles liftées qui giclaient et qui ne pouvait faire autre chose que couper, lentement. Je peux aussi le prendre en regardant les deux premiers sets d’Olivier Rochus contre Sébastien Grosjean en Coupe Davis. Je m’étais absolument régalé. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu un match qui m’avait autant amusé. Ce n’est pas nécessairement le fait de voir les deux premiers joueurs du monde qui va m’amuser. Pourquoi y avait-il tant de gens dans le monde qui adorait Henri Leconte? Il faisait un tabac au Japon, en Allemagne, en Amérique. Il n’était pas le meilleur du monde mais il avait un type de jeu qui amusait les gens. Il perdait toujours en demi ou en finale d’un Grand Chelem, mais les foules se déplaçaient pour lui.

Avez-vous une cassette vidéo mythique? Un match que vous regardez pour vous faire plaisir?

J’ai fait une cassette mythique, mais pas avec un seul match. Elle est très belle. Ce sont les choses que je préfère. J’ai pris les dix joueurs et joueuses qui, à mon avis, sont les plus significatifs de l’ère Open, à partir de 1970. Et puis je les ai racontés. Alors bien sûr, il y a Ilie Nastase, Martina Navratilova, Steffi Graf, John McEnroe,… Celle-là, je la regarde de temps en temps.

C’est étonnant, vous n’avez pas encore cité une seule fois le nom de Bjorn Borg.

Non, parce que Borg, n’est pas un joueur qui m’amusait beaucoup. Il ne fait pas partie des tennismen qui ont spécialement apporté au tennis. Parce qu’il a créé un type de jeu qui, s’il n’y avait pas eu McEnroe dans le coin à ce moment-là, aurait un peu tué le tennis. Tout le monde s’est mis à jouer comme lui et quand il y avait des matches Vilas-Borg, ce n’était quand même pas terrible. Au bout de trente minutes, on avait vu le match et au bout de deux heures, c’était pareil. Donc, j’ai beaucoup d’admiration pour le joueur qu’il a été, le niveau qu’il a atteint, le mental qu’il a déployé mais heureusement qu’il a eu son antidote. Et son antidote l’a tué tout de suite. Après le tie-break de Wimbledon et la finale à Flushing, il a compris qu’il ne s’en sortirait plus jamais avec McEnroe et il a stoppé. Mais il a fallu que ce type-là arrive pour que cesse ce qui serait devenu un terrible ennui. Borg a engendré Wilander. On s’est dit : -Merde, si ce gars-là règne sur le tennis, on est reparti pour dix ans! Et puis les antidotes sont arrivés. McEnroe a engendré Edberg, Becker et puis Sampras. Je prends du plaisir à regarder Borg quand il a en face de lui un gars comme McEnroe. Sinon, je peux aussi prendre du plaisir à le voir jouer quatre heures, mais ça, c’est le plaisir de l’entraîneur, savoir qu’un gars peut jouer pendant un tel laps de temps sans se déconcentrer s’il y a un oiseau qui passe, une belle fille au bord d’un court. Il était comme cela. Il n’avait aucune fantaisie. Même s’il avait beaucoup de talent. Car il en faut, pour remettre vingt fois la balle dans un mouchoir de poche.

Quels sont vos plus grands souvenirs de consultant TV?

D’abord, c’est la victoire française en Coupe Davis à Lyon contre les Américains, pour l’ambiance! La victoire de Yannick Noah à Roland Garros, je l’ai moins appréciée, parce que je l’ai vécue en tant que capitaine de Coupe Davis, d’ailleurs, je crois que je ne l’ai pas commentée. Sinon, un grand moment aussi aux Etats- Unis, c’était un match de Vilas, contre un Américain qui servait comme un boeuf, mais qui ne savait pas jouer. On a fait un truc très drôle. Et puis, pas pour moi commentateur, mais plutôt spectateur, le fameux set de McEnroe et Borg à Wimbledon : ça, c’est un moment de télé. Mais, pour moi, un grand moment de télé, ça peut aussi être un chouette premier tour.

Y a-t-il un ou deux joueurs, qui n’ont pas fait de carrière, et que vous auriez aimé voir confirmer ce qu’ils ont fait à Roland Garros, comme Mikael Pernfors, par exemple?

Moi, je me serais bien occupé un moment de Pete Sampras. J’ai la prétention de dire que, si ce type-là, pendant un moment, avait voulu faire l’effort de travailler avec quelqu’un qui sait ce que c’est la terre battue et qui a une idée de ce qu’il faut faire sur cette surface, il aurait gagné Roland Garros. Donc, je regrette qu’il n’ai pas voulu faire l’effort. Sinon, j’ai peu travaillé avec Henri Leconte, en dehors de sa période junior. J’aurais aussi voulu collaborer un peu plus avec lui, individuellement, parce que je le connais bien et que je pense que j’aurais pu lui apporter un petit plus qui, peut-être, lui aurait fait gagner une finale de Grand Chelem. Peut-être. Ça, c’est la prétention de l’entraîneur.

Vous ne parlez pas beaucoup de tennis féminin.

Pourtant, j’ai eu de grandes périodes d’affection pour les joueuses. D’abord pour Navratilova et Chris Evert. Et s’il y a un tennis que j’ai porté au pinacle à l’antenne, c’est bien celui des filles. J’étais tellement agacé qu’on les massacre sans arrêt. Après, je suis tombé amoureux de Graf et je ne peux d’ailleurs pas supporter qu’elle ait choisi Andre Agassi à ma place… Et puis Sabatini était amusante aussi. Et Monica Seles, qui a révolutionné le tennis. Et puis, la petite Suissesse a mis tout le monde d’accord en s’appuyant sur la balle des autres. Et puis Pierce a poussé avec sa puissance. C’est une évolution un peu différente du tennis masculin, parce qu’il y a vingt ans d’écart. Les filles ont commencé à avoir réellement du physique à partir de 1990. Avant, il y en avait deux : Navratilova et Graf. J’aimerais bien ne pas voir pendant une dizaine d’années rien que des joueuses d’un 1m90 et qu’il y ait systématiquement une petite Hingis…

Que pensez-vous des Belges?

Manifestement, les joueurs belges possèdent un tennis extraordinaire. Surtout les deux frères Rochus. Et particulièrement Olivier. Il a une qualité de jeu phénoménale. J’étais vraiment ahuri par le niveau de jeu qu’il avait atteint à Gand en Coupe Davis. Mais pour ne pas s’user, il faut vraiment qu’il fasse tous les doubles du monde pour apprendre à jouer au filet et à avoir envie d’y aller. Car, quand on a un coup droit et un revers comme cela, c’est vraiment très con de recommencer sept fois dans un échange le même coup, alors qu’au troisième, avec la vitesse de la balle et la manière dont il la prend, il peut cueillir relativement souvent la balle au filet. Je ne sais pas pour Christophe, qui a un jeu relativement différent, mais Olivier, s’il ne va pas au filet pour profiter de ce qu’il a dans son tennis au fond du court, c’est vraiment se massacrer une carrière au plus haut niveau.

Quels souvenirs avez-vous du parcours de Filip Dewulf à Roland Garros en 1997?

Extraordinaire. Je l’ai trouvé fantastique, au point où je me demandais même s’il n’allait pas aller jusqu’au bout. Il balançait des coups droits des deux côtés du court, il se déplaçait bien, était puissant au service. Il a fait un superbe parcours. D’ailleurs, à l’époque, je me suis dit : -Ils en ont trouvé un, les Belges, qui ne va pas faire un coup d’éclat, mais qui va faire mal un long moment au plus haut niveau. Bon, il a été blessé. C’est un peu dommage, mais c’était un beau joueur.

Vous connaissez bien Justine Henin?

Elle, si elle ne casse pas physiquement, elle va être là. Je me souviens d’elle quand elle était plus jeune et j’avais dit : -Vous verrez un jour, elle gagnera un Grand Chelem. Alors, je ne sais pas si ce sera à Roland Garros ou ailleurs. Ce n’est pas possible qu’elle n’en gagne pas un. J’ai d’ailleurs l’impression qu’en Belgique, on n’a pas assez confiance en la qualité des joueurs et des entraîneurs. On se dit qu’ils sont bons, mais que les autres sont plus forts. La Belgique est vraiment tout près du sommet du tennis mondial. Il suffirait d’un seul qui fasse un tout grand résultat au plus haut niveau individuel pour que tout se déclenche, pour établir une confiance nationale.

Bernard Ashed et Laurent Gérard

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