Il ne choisit rien

Après la plus belle saison de sa vie, le Prince Igor espère faire mieux : mais est-il désormais un attaquant ou un médian ?

Igor De Camargo a rangé un deuxième titre dans son armoire aux trophées mais sa récolte ne se résume pas à cet exploit. Le sympathique roi du trafic aérien a intégré la bande des Diables Rouges et a élargi son registre de footballeur.  » Je ne suis plus du tout le même joueur qu’à Genk « , dit-il.  » Je lis infiniment mieux le jeu. Je ne parle pas beaucoup mais je bosse. Je me perfectionne tous les jours. Il y a des critiques et il y en aura toujours. Pour moi, c’est une source de motivation. Et ma réponse au bout du compte, c’est mon palmarès, trois titres dont un avec Genk, deux Supercoupes, une finale de Coupe de Belgique perdue face au Club Bruges, mes premières sélections en tant que Diable Rouge. J’étais venu en Belgique par la petite porte, incognito, et je suis fier du chemin parcouru jusqu’à présent. Et ce n’est pas fini… « 

Baroudeur des rectangles, il recule souvent dans le jeu et prend de plus en plus de place dans la ligne médiane. Sa force de travail et sa présence dans les airs constitueront des atouts très importants pour les Liégeois. Mais face à quel Anderlecht ?

La déroute anderlechtoise à Lyon ne constitue-t-elle pas une tragédie pour notre D1 ?

Igor De Camargo : Non, je ne crois pas. Il ne faut pas exagérer. Je sais que Johan Boskamp a estimé, sur un plateau de télévision, qu’on ne pousse pas assez souvent sur le champignon dans le cadre de notre championnat. D’après lui, cela se paye cash sur les scènes européennes où tout va plus vite. Je ne suis qu’un footballeur : qui suis-je pour contester l’avis d’un expert comme Boskamp ? Mais c’est Anderlecht qui a eu un problème à Lyon, pas tout le football belge. C’est aussi Anderlecht qui a eu un souci avec… Anderlecht, me semble-t-il. La D1 n’a rien à voir dans cette histoire. A l’aller, en fin de match, Silvio Proto a empêché Lyon de marquer trois ou quatre buts de plus : César Fabian Delgado était chaque fois à la frappe. On ne peut pas expliquer la solitude de Delgado par ce qu’on observe ou pas en D1, ce serait trop simple.

Le Standard qu’on a vu à Liverpool et à Everton la saison passée aurait-il été capable de bloquer ce Lyon-là ?

Oui, sûr et certain. Le Standard de Liverpool et d’Everton aurait bel et bien réalisé un truc à Lyon. Et c’est ce niveau-là que le Standard devra atteindre cette saison en Ligue des Champions. Ce sera très difficile, on le sait, mais c’est un objectif ambitieux qu’on peut conquérir.

 » Le Clasico reste le Clasico, un rendez-vous essentiel « 

Cet Anderlecht-là est dans les cordes…

Pas du tout. Pour en revenir au couac à Lyon, il est trop facile de tout expliquer uniquement par la qualité du championnat belge. Il y a un an, exactement, le Standard a tutoyé Liverpool avant de prendre le dessus sur Everton, etc. Le Standard épata pas mal de monde lors de cette campagne européenne. Ces géants ne nous ont pas fait peur et on a répondu du tac au tac, sans complexe, sans se cacher, avec l’intention de gagner. Si c’était possible à ce moment-là, au départ de la même D1, je ne vois pas pourquoi ce ne serait plus le cas pour les meilleurs clubs belges. Maintenant, s’il y a des problèmes, chacun doit d’abord se pencher sur son cas. Anderlecht, c’est Anderlecht, ce n’est finalement pas mon souci.

Anderlecht-Standard ne sera-t-il quand même pas le premier choc d’une D1 relookée mais dévalorisée par les échecs européens de clubs belges ?

Non. Le Standard, je le précise quand même, n’est pas encore entré dans la danse européenne. Pour nous, la Ligue des Champions commence mi-septembre. Le Clasico reste le Clasico, un rendez-vous essentiel, avec des ingrédients connus et propres au football belge : engagement, duels, organisation, etc. On verra ce que la nouvelle formule du championnat donnera. Je n’ai pas de boule de cristal mais j’ai mes doutes. L’ancienne version me semblait plus simple : 18 clubs, un déroulement facile à comprendre. Chacun y verra plus clair à l’autopsie mais je ne crois pas, pour le moment, que quatre Clasicos, au lieu de deux, et plus de matches, changeront subitement la donne. Cela étant dit, cette saison, notre but est d’accentuer nos progrès. Même si le démarrage est plus lent, il y a la perspective de la conquête d’un troisième titre. J’y tiens, on peut écrire d’autres pages d’histoire. Le déplacement à Bruxelles nous permettra de bien cerner notre évolution collective. Anderlecht aura forcément la grinta, nous aussi. Les Bruxellois n’ont pas digéré la sanction de la saison passée. Ce ne sera pas évident. Tant de choses ont changé depuis le gain de nos deux titres consécutifs. Pour le club et…

Et pour vous aussi ?

Oui, mais  » je  » ne suis pas le plus important. On peut raconter n’importe quoi mais dans le football moderne, c’est d’abord…  » tous ensemble, tous ensemble « . Si l’esprit de groupe est solide, tout le monde en profite. Mes satisfactions et mon avenir passeront d’abord par les succès de l’équipe.

N’êtes-vous pas trop modeste ? A l’époque de Michel Preud’homme, vous avez souvent été la réserve du duo Dieumerci Mbokani-Milan Jovanovic alors que Laszlo Bölöni utilise ses trois attaquants : belle victoire pour vous ?

L’analyse est plus globale. Michel Preud’homme disposait de deux éléments très endurants au c£ur de la ligne médiane : Steven Defour et Marouane Fellaini. Quand ce dernier est parti en Angleterre, Axel Witsel a logiquement coulissé dans l’axe où sa technique fait merveille. Mais Axel est moins endurant ou n’est pas un box to box comme Fellaini l’est. Bölöni m’a demandé de reculer, comme je l’avais parfois déjà fait avec MPH, et j’ai mérité ma place. Il y avait de la concurrence pour un job dans cette zone au vu des qualités de cet effectif mais je me suis imposé à force de travail. Qui a eu raison : Preud’homme ou Bölöni ? Aucun des deux. C’est Igor qui a bossé… J’ai fait mon trou. Dans ce qui se mettait en place, je ne pouvais pas me décaler sur la gauche comme Milan Jovanovic peut le faire avec sa vitesse et sa technique. Dieumerci Mbokani a ses atouts à lui, uniques en D1. A deux, ils ont souvent eu la priorité, c’est vrai, et j’ai dû m’accrocher mentalement. Je sais d’où je viens et je ne suis pas du genre à tout balancer par la fenêtre au moindre problème, surtout quand quelque chose de beau se met en place. Il faut conduire attentivement une carrière et ne pas brûler les feux rouges. La parole est d’argent mais le silence est d’or. J’ai tout fait : joué, attendu mais, surtout, j’ai toujours bossé. Je suis récompensé…

 » On ne peut plus planter un attaquant ventouse devant le gardien adverse « 

Etes-vous désormais plus un médian qu’un attaquant ?

En arrivant de la deuxième ligne, je peux surprendre plus facilement de la tête. Je dois être dans le rectangle mais davantage au… bon moment que tout le temps. Je suis un attaquant de base mais on ne peut plus planter un attaquant ventouse devant le gardien adverse. Il y a tant d’autres choses à faire pour gagner. Je dois le faire pour contribuer aux équilibres de l’équipe. Je ne vis pas un dilemme même si je dois arriver frais à la conclusion. Je dois défendre et marquer, être un box to box durant 90 minutes. Ce n’est pas évident mais c’est ce qu’on me demande. Je veux marquer, bien sûr, mais si je peux aider autrement, pas de soucis. Alors, si on considère désormais plus comme un médian qu’en tant qu’attaquant, ça ne m’intéresse pas. Mais quand le rôle qu’on me confie ne collera plus avec mes atouts, il faudra analyser le problème. Ce n’est pas le cas pour le moment. L’attaquant que je suis participe à la récupération, c’est normal, mais je ne serai jamais un milieu défensif.

Et un box to box ?

Je peux partir de la deuxième ligne pour porter le danger dans l’autre camp.

Et revenir de l’attaque vers la deuxième ligne ?

Cela dépend de cette deuxième ligne. La saison passée, mon repli devant Axel et Steven a constitué un des points forts du Standard. Mais si je dois redescendre plus bas dans le jeu, il faudra commencer à réfléchir. Je veux marquer des buts et, pour cela, je dois être dans le rectangle…

Vous n’avez pas la possibilité de choisir votre place préférée pour le moment ?

Non, pas trop.

Votre avenir se situe peut-être là avec une taille à la Fellaini, une présence aérienne dont le Standard a besoin…

J’ai répondu, c’est compliqué : on verra bien. Au Brésil, on dit que  » la vieillesse ne vient pas toute seule « . La maturité arrive avec les années qui passent et permet de résoudre pas mal de problèmes. J’aime bien un autre dicton selon lequel on ne peut pas  » manger la canne à sucre et siffler en même temps « .

Donc être à la fois attaquant et médian défensif ?

Tout à fait.

Quand Witsel se décale à droite, comme c’est déjà arrivé, vous devez reculer de plus en plus et vous vous retrouverez un jour à côté de Defour…

La canne à sucre, vous connaissez maintenant… Mais je suis le premier à dire que le recul a enrichi et complété mon jeu. Mon placement est meilleur et j’ai bien travaillé ma technique et mon jeu court. Si j’écoutais trop certaines critiques sur les lacunes de mon jeu (personne n’est parfait), il y a longtemps que je ne serais plus ici. A Genk, j’étais un très bon attaquant de pointe qui ne pensait pas. Ma mentalité, mon travail et mon vécu ont fait de moi un joueur, un attaquant, plus efficace et plus moderne. Je sais tellement plus de choses… On parle de tout le monde mais je sais aussi que tout le monde ne pourrait pas jouer à ma place. C’est pas mal pour un joueur qui est parfois discuté pour son déchet technique, dites-vous.

De Camargo est ce qui se fait de mieux en Belgique dans le jeu aérien offensif…

Merci. C’est vous qui le dites…

Vos équipiers parlent même de jeu aérien de classe internationale…

Parfait, j’attends la suite.

 » Mangala est un défenseur formidable mais il est très jeune « 

Vos censeurs, eux, n’aiment pas votre jeu au pied…

J’ai répondu à cette question sur le terrain, contre Saint-Trond. Il faut toujours progresser, s’améliorer tous les jours. J’ai haussé mon niveau et nous l’avons tous fait contre Liverpool et Everton et dans notre poule en Coupe de l’UEFA. Ce furent des déclics, des prises de conscience. Le Standard y a obtenu des confirmations et puisé des forces ou des certitudes. Cet acquis nous a aidés dans le final de la saison passée. Notre mental était plus costaud que celui d’Anderlecht. Les tests matches, nous savions que nous allions les dominer. Je souffrais d’une entorse à la cheville, encourue en équipe nationale, mais avec l’aide de ma femme et du staff médical, j’ai pu être prêt pour la fin du championnat.

C’est facile de dire  » on est champion « , c’est plus difficile de le redevenir.

L’envie de nous battre est encore plus grande que la saison passée. J’ai confiance. Il y a eu des changements. L’allumage a été plus lent. Les vacances ont peut-être été trop longues. Non, je rigole. Oguchi Onyewu est parti et vu le vide qu’il laisse, des réglages sont nécessaires. Eliaquim Mangala est un défenseur formidable mais il est très jeune. Cependant, personne n’est indispensable. Le départ d’un joueur, qui que ce soit, ne peut pas bloquer une équipe mais on cherche encore les bons équilibres. Les valeurs sont là avec des confirmations comme Mehdi Carcela ou l’apport d’un Cédric Collet mais tout n’est pas encore fondu dans le même moule. La mise en place se poursuit et je suis certain que cet effectif a tout pour réussir.

par pierre bilic – photos : reporters

« Le Standard de Liverpool et d’Everton aurait réalisé un truc à Lyon. « 

« On ne peut pas manger la canne à sucre et siffler en même temps. »

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