© INGE KINNET

 » Il n’y a pas de risques, seulement des chances « 

Bernd Hollerbach a remanié l’Excel Mouscron à sa main bien plus vite que prévu. Le processus est encore loin d’être achevé.

L’Excel Mouscron a surpris le milieu en engageant l’Allemand Bernd Hollerbach, inconnu, au poste d’entraîneur, en mars dernier. C’est un ancien défenseur très dur, qui s’est produit pendant huit saisons pour Hambourg (1996-2004) et a collectionné une dizaine de cartes jaunes par an. Après l’embauche de Bernd Storck, quasi inconnu, en septembre 2018 pour remplacer Frank Defays, le club du directeur sportif Jürgen Röber continue à suivre la piste allemande. Au règne de Bernd I succède donc celui de Bernd II. Les deux entraîneurs n’ont pas que leur prénom en commun, ils partagent la même philosophie du football. Discipline et travail des détails sont leurs mots-clefs.

Un football engagé, c’est ce que Hollerbach veut voir à l’Excel Mouscron.

Toutefois, ils se présentent très différemment. Alors que Storck pouvait s’enflammer, s’exprimant avec un pathos souligné de grands gestes, Hollerbach n’a pas la même virtuosité verbale. Il est plus calme, plus réfléchi, même si son attitude le long de la ligne laisse parfois entrevoir sa rage de vaincre sous une autre lumière. Les deux hommes ont la même passion. Hollerbach (49 ans) brûle aussi de la volonté de faire progresser ses joueurs, il se considère également comme un professeur de football.

Il veut que Mouscron collecte le plus vite possible assez de points, afin de pouvoir oeuvrer sans trop de pression au développement de l’équipe. Il pourra alors chercher ses limites réelles, même si, après le nul 2-2 de samedi contre Zulte Waregem, les prochains matches constitueront déjà une indication : l’Excel va à Genk puis reçoit le Club Bruges.

BERND HOLLERBACH : En fait, je suis arrivé par hasard à Mouscron. Il y a trois ans, j’entraînais les Kickers Würzburg, en D3 allemande, et on a joué un match contre Mouscron, à Malaga, pendant la préparation. J’ai ensuite pris un café avec Paul Allaerts. D’une manière ou d’une autre, il a dû garder notre entretien en mémoire. Quand il a appris que Bernd Storck ne resterait pas, il m’a téléphoné et m’a demandé si j’accepterais de venir à Mouscron. J’ai discuté avec lui et on a rapidement trouvé un terrain d’entente. Jürgen Röber n’a rien à voir avec ce transfert car je n’ai jamais eu d’entretien avec lui. Cette proposition tombait à point car je voulais travailler à l’étranger depuis longtemps. Déjà quand je jouais mais ça avait toujours capoté. À l’époque, Hambourg ne voulait pas me céder.

 » Il n’y a pas de gars difficiles à Mouscron  »

Votre passage à Mouscron représentait quand même un risque. Vous saviez que plusieurs joueurs allaient partir.

HOLLERBACH : En effet, on me l’a immédiatement dit mais pour moi, les risques n’existent pas. Je ne vois que des chances, des opportunités. C’est dans cet état d’esprit que j’ai entamé mon mandat. Sans préjugé. On m’a raconté que certains joueurs arrivaient en retard à l’entraînement et ne respectaient pas la discipline mais ça ne m’intéressait pas. Je suis positif, je crois dans les chances que je reçois. J’ai discuté avec chaque joueur. J’offre à chacun la possibilité d’effectuer un pas en avant. Je dois dire qu’il n’y a pas de garçons difficiles ici. Il faut évidemment s’adapter à son environnement. La mentalité est différente de l’allemande, elle est plus libérale. Imposer à mes joueurs des choses auxquelles ils ne seraient pas habitués n’aurait aucun sens. Je pense par exemple à la mise au vert avant chaque match. Il faut sentir la température d’un groupe. Il s’agit souvent de donner et de prendre.

Vers quelle sorte de football tendez-vous ?

HOLLERBACH : Je veux être actif. Défendre vers l’avant, opérer une reconversion rapide à partir d’une bonne organisation. Presser, parfois ralentir le temps de reprendre son souffle. Il est important de trouver le bon rythme et d’exploiter les brèches. Le football, c’est du temps et de l’espace. On travaille ça à l’entraînement, d’une manière très détaillée. Les bons entraîneurs approfondissent les détails. C’est ce qui les différencie des autres.

Vous avez toujours souhaité devenir entraîneur ?

HOLLERBACH : Non. À la fin de ma carrière de joueur, je ne savais pas vraiment quelle direction emprunter. Vous avez 35 ans, vous avez encore 50 ans à vivre et vous vous demandez ce que vous allez faire. Tous les footballeurs passent par là. Finalement, ça n’a pas été trop pénible pour moi car mon père possède une boucherie et il voulait que je la reprenne, à terme. Mais un de mes anciens entraîneurs a trouvé que je pouvais devenir un bon coach. Je n’en étais pas tellement convaincu et j’ai longtemps hésité entre viande et football. Puis j’ai tenté ma chance comme entraîneur, dans un petit club de Hambourg, qui avait terminé douzième en D5. On a été champion la saison suivante. Donc, j’avais quand même un peu de talent. Mon père s’est fait à l’idée. Par ailleurs, il travaille toujours dans sa boucherie, alors qu’il a 78 ans.

Bernd Hollerbach :
Bernd Hollerbach :  » J’ai commencé à travailler ici sans préjugés. « © INGE KINNET

 » Magath m’a beaucoup appris  »

Vous avez longtemps été l’adjoint de Felix Magath.

HOLLERBACH : Au VfL Wolfsburg, notamment. Et à Schalke 04. Magath m’a beaucoup appris. En Allemagne, on dit : Magath is ein harter Hund ( un chien dur, littéralement, ndlr). Il montre clairement aux joueurs où ils en sont et leur dit ce qu’ils n’aiment pas entendre. C’est parfois confrontant. Magath travaille de manière très détaillée. Il répète tout. Comment on s’échauffe, comment on négocie le ballon, comment on fait une passe, comment on défend, des choses simples. Le football n’est pas compliqué. Je trouve important d’écouter les autres avant d’apporter mes connaissances personnelles. Ce n’est pas différent dans le monde des affaires. Les gens qui ont du succès sont ceux qui savent écouter.

Un moment donné, vous pouviez accompagner Magath à Fulham mais vous avez préféré les Kickers Würzburg, en D3.

HOLLERBACH : Je voulais prendre mon indépendance. J’ai grandi à Würzburg, j’y ai joué. Donc, travailler dans ma ville m’intéressait. On a accédé à la deuxième Bundesliga et j’y au vécu une période agréable.

Vous paraissiez vous être fait un nom. Vous avez reçu une offre de Bundesliga, du HSV, en cours de saison. Mais vous n’êtes resté en selle que 49 jours.

HOLLERBACH : Hambourg était dernier et je devais essayer de le sauver. Jamais je n’aurais dû m’y risquer. J’ai pris une décision sur le coup de l’émotion, parce que j’y ai joué longtemps alors qu’en fait, je suis très rationnel. Je n’ai plus reconnu le club. C’était la pagaille. Peu avant mon embauche, il y a eu quelques remaniements au sein de la direction, ce qui n’a fait qu’accroître le chaos. L’objectif était que j’achève la saison pour repartir avec une feuille blanche l’été suivant mais les nouveaux patrons avaient une optique différente. Je ne pouvais pas continuer à fonctionner. J’ai en effet été limogé après 49 jours mais je serais parti de moi-même, sinon. Même si je suis d’un naturel loyal.

 » J’ai investi dans ma carrière  »

Vous êtes ensuite resté sans travail pendant un an.

HOLLERBACH : Délibérément. J’ai reçu quelques offres de clubs allemands mais je voulais aller à l’étranger. J’ai mis ce temps à profit pour poursuivre mon écolage. Je suis allé en Angleterre, en France pour y observer des séances. À Nice, par exemple, dont Lucien Favre était alors l’entraîneur. Ça a été très enrichissant. Au poste d’entraîneur, on est enfermé dans une certaine cadence, on est occupé du matin au soir et on n’a plus le temps de se perfectionner, d’aller voir ailleurs, de parler avec d’autres entraîneurs, de découvrir d’autres visions. Je suis content de l’avoir fait. En fait, j’ai investi dans ma carrière.

On n’avance dans la vie que quand on est prêt à écouter les autres.  » Bernd Hollerbach

Et vous voulez appliquer toutes ces expériences à Mouscron. Vous êtes considéré comme un entraîneur dur.

HOLLERBACH : Parce qu’une bonne condition est évidemment la base de tout. On ne peut travailler d’autres aspects, comme la mentalité, qu’une fois la forme acquise. Sans fitness, une équipe n’a pas de caractère. C’est pour ça que je veux qu’on travaille à l’entraînement. Si, à l’échauffement, il faut courir jusqu’à la ligne de touche, on n’arrête pas cinq mètres avant. Mais je ne trouve pas que j’exagère. Ich bin ein lieber Trainer (Je suis un gentil entraîneur, ndlr). (Rires) J’agis toujours en fonction de ce qu’on me donne. Mouscron a une jeune équipe et je dois en tenir compte. On a aussi une série de joueurs qui veulent relancer leur carrière. En fait, c’est agréable pour un entraîneur. Par exemple, De Medina tourne bien alors qu’il a raté la saison précédente. Olinga a été suspendu six mois. J’ai entendu tant d’histoires de ce genre ici mais elles ne m’intéressent pas. Je ne m’occupe jamais du passé.

Engagé le long de la ligne :
Engagé le long de la ligne :  » Sans condition optimale, on n’obtient rien. « © INGE KINNET

Vous avez beaucoup parlé.

HOLLERBACH : Énormément. C’est la principale évolution de notre métier : il faut parler beaucoup, être ouvert, vouloir tout savoir sur ses joueurs. Dans quel environnement ont-ils grandi, quelle jeunesse ont-ils eue, quel est leur mode de pensée, de vie, leur situation familiale ? Je suis aussi confronté à une multitude de nationalités et de styles de vie différents. Je dois les connaître.

 » Je n’aime pas me mettre en vitrine  »

Cette approche a bien fonctionné.

HOLLERBACH : Vraisemblablement mais vous ne me le ferez pas dire. Je n’aime pas me mettre en vitrine. Je remarque que les joueurs se sentent respectés quand on leur parle de ces choses et qu’on dépasse le cadre du seul football. Nous vivons dans une société ouverte, au sein de laquelle les gens vont les uns vers les autres. Un entraîneur doit faire pareil.

Vous avez rapidement pris le contrôle. Vraiment très vite.

HOLLERBACH : Ça m’a même surpris. Je pensais que ça prendrait plus de temps. Mais on a un bon groupe, qui s’est très vite soudé. Ça se remarque aussi sur le terrain. Toutes les pièces du puzzle se sont mises en place rapidement. Peu après le début de la saison, j’ai quand même dû remanier l’équipe suite au départ de Noë Dussenne pour le Standard. Il était un élément très important de la défense, un leader respecté par tout le monde, quelqu’un qui sent parfaitement quand il doit monter ou pas. Avec lui, on pouvait procéder à trois derrière. Ça n’a plus été possible après son départ. Les autres joueurs ne se sentaient plus bien dans ce système. On l’a donc changé et on est passé au 4-2-3-1. Mes joueurs ont très vite assimilé cette nouvelle tactique.

Entre-temps, vous avez obtenu de nouveaux footballeurs, comme l’Autrichien Kevin Wimmer et l’Espagnol Aleix Garcia.

HOLLERBACH : Après le départ de Dussenne, une nouvelle hiérarchie s’est mise en place. Il faut alors voir comment elle est acceptée mais ça s’est déroulé automatiquement. Wimmer et Garcia sont naturellement des renforts. Ils restent sur une période difficile et veulent remettre les choses au point. Wimmer a été relégué avec Hanovre 96. Il a été transféré à Stoke City mais n’y a pas joué. Et Garcia est descendu avec Girone. Le fait est que tous les nouveaux joueurs se sentent bien ici. Et c’est évidemment une condition sine qua non pour être performant.

 » On a mérité chacun de nos points  »

Mouscron est une des meilleures équipes de 2019. Si on additionne les points du championnat régulier sur l’ensemble de l’année jusqu’à présent, Mouscron est dans le premier peloton.

HOLLERBACH ( étonné) : Vraiment ? Je ne le savais pas. Mais ce genre de classement ne m’intéresse pas beaucoup. Je sais qu’il est difficile de se faufiler parmi les six premiers, en Belgique. Ces places sont plus ou moins fixes. Ce qui compte pour nous, c’est de prendre le plus vite possible assez de points pour assurer le maintien. C’est d’ailleurs la mission qui m’a été assignée : ne pas descendre. Une fois cet objectif atteint, l’équipe acquerra une certaine sérénité, elle sera moins crispée et nous pourrons poursuivre notre travail.

Afin que l’équipe continue à progresser.

HOLLERBACH : Exactement. Car ce processus n’est pas encore arrivé à son terme. Jusqu’à présent, nous avons mérité chaque point gagné. On n’a pas reçu de cadeau, on s’est vraiment battu pour chaque point. Il est important de continuer à fonctionner en équipe. La collaboration est la base de tout. C’est aussi comme ça que je travaille. J’ai amené mon staff à Mouscron, on parle beaucoup ensemble, j’implique les membres de mon équipe dans tout. Comme je le disais, on n’avance dans la vie que quand on est prêt à écouter les autres.

Vous avez un contrat de deux ans à Mouscron. N’est-il pas frustrant de toujours devoir recommencer, puisqu’à chaque mercato, des joueurs importants peuvent s’en aller ?

HOLLERBACH : Je le savais à l’avance. Je me suis très bien informé sur ce club, j’ai discuté avec beaucoup de gens, y compris avec Bernd Storck. Je connais donc la philosophie du club et je sais qu’il vendra les meilleurs footballeurs. Il ne faut pas accepter le poste d’entraîneur ici si on ne peut pas accepter cette situation. Je dois la gérer avec créativité et tenter de recruter des footballeurs qui conviennent au club. Je pense que nous y sommes parvenus cette saison.

Vous aurez 50 ans en décembre. Vous êtes au niveau que vous espériez atteindre ?

HOLLERBACH : Je suis très satisfait. J’ai participé à de belles choses et j’ai connu de moins bons moments. J’ai eu des hauts et des bas mais ainsi va la vie. L’essentiel est de croire aux chances qu’on reçoit et de les saisir des deux mains, de se donner à fond dans ce qu’on fait. C’est pour ça que j’ai des problèmes avec les footballeurs qui ne retirent pas le maximum de leur talent parce qu’ils ne mettent pas tout en oeuvre pour y parvenir. Dans ces cas-là, j’entre en conflit avec eux. Je ne peux travailler qu’avec des joueurs qui se donnent à fond. J’adore les voir se développer et atteindre un niveau supérieur. Un entraîneur peut retirer une profonde satisfaction d’avoir aidé des joueurs à trouver leur voie et à réussir.

98 cartes jaunes

Bernd Hollerbach a joué huit saisons au Hamburger SV, après avoir été un temps sous contrat à Kaiserslautern, en Bundesliga. Il a enlevé la coupe avec Hambourg en 2003. Il a récolté pas moins de 98 cartes jaunes.  » Mais la plupart étaient injustes « , rit-il. Seul l’international Stefan Effenberg a été averti encore plus souvent mais il a aussi joué plus de matches. Hollerbach jouait toujours à la limite.  » Mais sans jamais la dépasser. Dès que je prenais une carte jaune, je me surveillais. Mais je voulais gagner, sortir le meilleur de moi-même. D’ailleurs, quand on n’a pas cette mentalité, il faut changer de métier.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire