» Il manque toujours un grand connaisseur au Standard « 

En visite chez l’ancien capitaine des Rouches : sa vie de coach, le Standard, son équipe nationale et les Belges du Portugal. L’ex-fantastique pied droit met toujours dans la cible !

Hôtel Montechoro, sur les hauteurs de la station balnéaire d’Albufeira, en plein c£ur de l’Algarve. D’ordinaire, c’est plutôt l’hiver que l’endroit accueille des joueurs de football car en ce jour de juillet, le thermomètre flirte avec les 35 degrés ! Une chaleur de braise inévitable pour les joueurs du Sporting Clube Olhanense, un club qui n’a pas les moyens suffisants pour s’éloigner de plus de 30 km de sa base.

Sérgio Conceição avait songé à un stage dans sa région d’origine, près de Coimbra, où il fait déjà un peu plus frais, mais l’aspect financier lui a dicté de rester dans le sud. Trois entraînements par jour figurent pourtant au programme et les joueurs qui descendent du car, exténués, n’ont même pas droit à un regard de touristes anglais aux visages rougeauds et aux panses rondes de bière.

Les trois grands quotidiens sportifs portugais (A Bola, Record et O Jogo) ont envoyé deux photographes et deux reporters en Suisse pour accompagner les stages du FC Porto et de Benfica. Ici, un collègue passe rapidos pour dix lignes dans le journal du lendemain…

Mais l’ancien capitaine du Standard s’en fiche. A l’heure de passer de l’autre côté de la barrière et d’embrasser la carrière d’entraîneur, il n’hésite pas à s’engager, en pleine saison 2011-2012, avec le club qui possède le plus petit budget de Liga portugaise (6 millions d’euros/an, Benfica : 65, Porto : 90).

A son arrivée, en janvier, Olhanense occupe un siège basculant et a déjà usé deux coaches depuis le début de saison. Il en faut beaucoup plus pour effrayer cet homme qui a construit une bonne partie de sa carrière non seulement sur base d’un pied droit exceptionnel mais aussi d’un caractère bien trempé et de sens toujours en éveil.

Sérgio Conceição a rangé ses chaussures mais reste un sacré personnage qui, comme à la man£uvre sous le maillot du Standard, ne se sent bien que lorsqu’il fait le jeu. L’interviewer reste un défi de taille. Et pas seulement parce que, comme maintenant, en début de saison, il a du pain sur la planche avec la reprise des entraînements et le stage.

Il veut savoir à l’avance de quoi on va parler, pourquoi on vient le voir maintenant et pas plus tard, dit qu’il n’aime pas la polémique… Il ne donne pas de rendez-vous : il faut passer et il fera ce qu’il peut pour nous recevoir mais ne sait pas combien de temps il pourra nous accorder. On arrive un jour au soir, il demande de revenir le lendemain ! On en profite pour aller casser une graine chez  » Manel dos Frangos « , un restaurant juste en face de l’hôtel qui propose une spécialité de poulet au barbecue. L’endroit est bien connu des footballeurs. En témoigne une impressionnante série de maillots, dont ceux de Sá Pinto et de… Sérgio Conceição. Pas mal de joueurs viennent effectivement en vacances à Albufeira.

Le lendemain matin, nous sommes à nouveau dans le lobby de l’hôtel. Un adjoint nous informe que Sérgio a quitté le stage pour aller visionner des joueurs anglais. On en profite pour saluer François D’Onofrio, le fils de Dominique, qui effectue un test à Olhanense… Et on regarde la montre avec un peu d’inquiétude parce qu’on sait que, l’après-midi, l’équipe partira pour disputer un match amical en Espagne face au Bétis Séville.

Mais Conceição n’est pas du genre à se débiner. Lorsqu’il revient flanqué de Siramana Dembélé, avant même d’aller déjeuner, il s’installe dans un des sofas du lobby et s’exprime avec autant de punch que sur le terrain.

Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter le défi lancé par le président d’Olhanense ?

Sérgio Conceição : Mon expérience avec Dominique D’Onofrio au Standard a été très positive. Avec une jeune équipe, nous avons fait du bon boulot, atteignant la deuxième place en championnat et remportant la Coupe de Belgique. Suite au départ des personnes qui ont amené le club à un niveau européen, hors de question pour moi de rester mais je me suis juré qu’à la première occasion de pouvoir me lancer dans un nouveau projet, je n’hésiterais pas. C’est vrai que celui qu’Olhanense propose n’a rien de fabuleux, parce que tout le monde sait que le pays et le football portugais sont en crise ( nldr : la saison dernière, Leiria a même dû disputer un match de championnat avec 8 joueurs seulement parce que les salaires n’avaient pas été honorés), mais ce n’est pas mal non plus.

Au point que vous terminez le championnat à la huitième place alors que, quelques mois plus tôt, à votre arrivée, l’équipe est menacée de relégation. Qu’est-ce qui vous a permis d’inverser la tendance ?

En football, il n’y a pas de secret : si on ne travaille pas, on n’arrive à rien. Mon expérience de joueur a sans doute joué un rôle aussi. Mais surtout, j’y ai mis toute ma passion.

Avec quelles perspectives entamez-vous la saison ?

Sincèrement, je suis incapable de vous donner une réponse précise. Dans ce championnat, il y a les trois grands, trois autres clubs capables de jouer l’Europe et puis les autres qui se battent pour se mettre à l’abri le plus vite possible. Huit titulaires sont partis chez nous et ça doit être quelque chose d’unique. A l’heure où je vous parle, mon noyau est loin d’être complet. Parce qu’un nouveau règlement a été pondu par la ligue portugaise : il interdit désormais aux clubs de D1 de prêter des joueurs à d’autres clubs de D1. Or, Olhanense, comme pas mal d’autres formations, possède pas mal de joueurs appartenant aux plus grands. C’est une très mauvaise affaire pour les clubs mais aussi pour les jeunes joueurs portugais…

Et cela donne du boulot à Siramana Dembélé…

Effectivement, Dembélé occupe dans le staff la même fonction qu’au Standard : il doit aider les jeunes à franchir le pas vers le noyau professionnel et il est également notre scout. Il a beaucoup de boulot en ce moment, comme nous tous.

Votre avenir, c’est le métier d’entraîneur ou celui de directeur sportif que vous aviez exercé en Grèce ?

Entraîneur, sans aucun doute ! Cette fonction de directeur sportif, je l’ai presque occupée par hasard : le président du PAOK Salonique a démissionné et été remplacé par le directeur sportif de l’époque. Je l’ai donc remplacé pendant cinq mois pour dépanner dans l’urgence. Mais je suis un homme de terrain, je ne me vois pas rester des heures durant derrière un bureau, à travailler sur un ordinateur.

Comment être coach quand on n’aime pas l’injustice ?

Entraîneur, ce n’est pas un métier facile pour quelqu’un qui, comme vous, n’aime pas l’injustice.

Je sais que je devrai prendre des décisions parfois délicates. Je le ferai en pleine conscience. Je serai un leader, comme je l’ai toujours été, notamment comme capitaine.

Mais les arbitres sont souvent discutés au Portugal, encore plus qu’ailleurs.

Evidemment, nous savons tous que les petites équipes sont toujours un peu défavorisées par rapport aux grandes. C’est une réalité qui m’énerve un peu ( ndlr : il a déjà été exclu deux fois du banc la saison dernière) mais je dois m’en accommoder. Ce que je ne supporte vraiment pas, ce sont les trucs prémédités.

Huit des seize entraîneurs de l’élite portugaise sont passés par le FC Porto. Y a-t-il une école, une marque de fabrique  » Dragão  » ?

Celui qui représente un jour le FC Porto sait qu’il devra posséder une qualité essentielle : la volonté de gagner, d’aller jusqu’au bout de l’effort. C’est quelque chose qui se partage dans le vestiaire et qui devient un sentiment commun. Mais chacun garde sa personnalité.

Quel entraîneur vous a le plus marqué ?

J’en ai eu beaucoup, et des gens importants : Fernando Santos, Eriksson, Cúper, Mourinho, Sacchi… Je ne veux pas être le disciple de l’un ou l’autre d’entre eux, je préfère prendre un peu de chacun et mêler cela à mon caractère. Et puis, même ceux dont je ne garde pas un bon souvenir m’ont appris des choses : ce qu’il ne faut pas faire, notamment.

Et Dominique D’Onofrio ?

Dominique est un incompris. Il a une forte personnalité et beaucoup de caractère. Il sait créer un bon esprit de groupe et c’est quelqu’un de très pragmatique, direct. Il pense le football en termes de résultat uniquement et je ne peux pas lui donner tort. Beaucoup ont confondu cela avec le fait de procéder par longs ballons mais cela n’a rien à voir : il est tout de même normal que quand on évolue avec un bloc relativement bas, on cherche à profiter des espaces dans le dos de l’adversaire.

Il n’a pas cherché à vous engager à Metz, où il est aujourd’hui directeur sportif ?

Nous parlons très souvent, principalement de football bien sûr mais il sait que j’ai mes occupations et que je ne suis pas libre puisque j’ai encore un contrat d’un an à Olhanense. Et pour le moment, je n’ai pas tellement envie de quitter le Portugal. Mais si je devais retravailler un jour avec lui, ce serait avec le plus grand plaisir.

Votre nom a aussi été cité à Charleroi, que Luciano D’Onofrio a envisagé de racheter !

Ah bon ? Cela, vous me l’apprenez ! Je n’en avais jamais entendu parler, même pas en guise de rumeur. Et pour tout vous dire, il y a au moins trois mois que je n’ai plus eu Luciano au téléphone. Je parle beaucoup plus souvent avec Dominique.

Vous avez l’impression que Roland Duchâtelet a détruit en un an ce que D’Onofrio a mis des années à construire au Standard ?

Non, je ne crois pas que le nouveau président soit responsable de ce qui s’est passé. Il était mal entouré. Je l’avais dit à l’époque à  » Studio 1 « , l’émission de la RTBF.

Oui et cela avait fait du bruit.

Désolé mais je pense que les faits les plus récents me donnent raison. Ces déclarations de l’époque, je les ai faites en toute indépendance. Parce que le Standard reste le club de mon c£ur en dehors du Portugal et que j’ai voulu que les gens sachent que ce qui s’est passé avec Pierre François risquait de porter préjudice.

Pour vous, son départ est donc une bonne chose.

Une très bonne ! Cet homme était le cancer du Standard ! Mais maintenant qu’il est parti, il ne faut pas que le vide s’installe non plus : il manque toujours un grand connaisseur du football au Standard.

Les Belges du Portugal

Le nom d’Axel Witsel a été cité au Real et Benfica aurait souhaité le vendre pour des raisons financières. N’est-ce pas trop tôt ?

Axel ferait mieux de rester encore un an au moins. Il a livré une saison fantastique, il s’est comporté en leader et il a évolué mais il a encore beaucoup de choses à apprendre avant de franchir encore un palier. Il devrait notamment marquer plus, surgir davantage dans le rectangle comme avant, même s’il évolue plus bas. A Benfica, il a la chance d’avoir pour entraîneur Jorge Jesus, qui est sans doute le meilleur formateur du pays. S’il peut en profiter, tant mieux.

Steven Defour n’a pas encore, à Porto, la même aura que Witsel à Benfica.

C’est un joueur aux caractéristiques et au caractère différents d’Axel. Il est moins régulier et je suis convaincu qu’il peut faire beaucoup mieux que ce qu’il a montré, qu’il a les qualités suffisantes pour être titulaire.

Peut-il être le remplaçant de Moutinho si celui-ci s’en va à Tottenham ?

Indépendamment de la présence ou non de Moutinho, Steven doit devenir un titulaire à Porto. Il est suffisamment bon techniquement, c’est un leader et il a assez d’expérience. Mais il doit répondre présent quand son heure sonne.

Mangala n’a pas beaucoup joué. Trop jeune ?

Il a effectivement encore une marge de progression énorme. Ce qui lui a le plus manqué, c’est la culture du foot tel qu’on le pense et le vit au FC Porto. S’il parvient à acquérir cela, il sera aussi titulaire. Il a d’ailleurs été bien près de saisir sa chance avant de se blesser. Mais de nouveau, le football est une question de moment présent.

Au Sporting aussi, il y a un ancien joueur du Standard : Oguchi Onyewu.

Il a inscrit des buts importants cette saison et est apprécié. Moi, je reste un peu sur ma faim car ce n’est plus l’Onyewu que j’ai connu au Standard : il a été souvent blessé et on perd toujours beaucoup de temps et d’énergie dans ces moments-là. Je pense que sa deuxième saison sera meilleure.

Comment expliquez-vous qu’un joueur qui est très apprécié en Belgique, comme Neto, ne parvienne pas à faire sa place au Portugal ?

Je vais vous faire une confidence : Neto et Nuno Reis (ex-Cercle de Bruges) m’intéressent pour Olhanense. Ce sont des joueurs dont je connais les qualités, des gars sérieux et qui possèdent un beau potentiel. Mais comme on l’a dit plus haut : ce championnat est hyper-compétitif, il faut répondre présent chaque semaine. Et Neto est revenu au Sporting qui joue l’Europa League, tout est allé très vite pour lui.

L’équipe nationale portugaise

Le Portugal a été éliminé aux tirs au but par l’Espagne en demi-finale des championnats d’Europe. Que retenez-vous du parcours de votre pays ?

Je suis très fier d’être Portugais et d’avoir fait partie des sélections depuis l’âge de 15 ans. Notre génération a ouvert une voie dans laquelle nos successeurs mettent un point d’honneur à poursuivre. Par rapport à nous, ils ont la chance d’être soutenu par des dirigeants fédéraux compétents, des gens qui connaissent le football, qui sont là pour le plus grand bien de l’institution et pas pour leur ambition personnelle. J’ai souvent dénoncé des problèmes par le passé et je suis heureux que les choses aient enfin changé.

Malgré ce beau parcours de la sélection, Cristiano Ronaldo a fait l’objet de pas mal de critiques. Comprenez-vous cela ?

Absolument pas. Malheureusement, dans ce pays, beaucoup de gens vivent encore du malheur des autres. C’est une façon pour eux de masquer leurs propres lacunes. Même Eusébio ou Amália Rodrigues (ndlr : la grande chanteuse de fado) ont été critiqués…

Il y a un autre Sérgio Conceição : votre fils, âgé de 16 ans. Lorsque vous étiez à Sclessin, il s’est plutôt bien débrouillé dans les équipes de jeunes. Où en est-il maintenant ?

Il évolue au CIF, un petit club formateur de la région de Lisbonne. J’ai trois autres fils : deux sont à Belenenses et le plus jeune, Francisco, est au Sporting du Portugal. S’ils deviennent professionnels un jour, tant mieux, mais je les laisse évoluer tranquillement. Tout ce que je veux, c’est qu’ils prennent du plaisir.

PAR PATRICE SINTZEN, AU PORTUGAL

 » Pierre François était le cancer du Standard ! « 

 » J’ai été directeur sportif par hasard, je veux rester coach. « 

 » Defour a tout pour devenir un titulaire à Porto. « 

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