Il faut rentrer le blé

Pierre Bilic

A l’approche de l’été, les dirigeants de tous les clubs de football imitent, peut-être sans le savoir, les gestes simples des gens de la terre. Comme les agriculteurs, ils écoutent la météo, se méfient des ondées, notent le vol des hirondelles, misent à fond sur le dieu soleil avant de faire les récoltes. Les champs anderlechtois avaient été soigneusement labourés dès le début de la saison et les Mauves sont très fiers, à juste titre, de leur moisson. Leur bonne campagne en Ligue des Champions a attiré les regards sur leurs joueurs. Avant la fin du mois de mai, les champions de Belgique ont engrangé 750 millions de francs en cédant deux joueurs en Allemagne : Jan Koller au Borussia Dortmund (500 millions) et Bart Goor au Hertha Berlin pour la moitié de ce que la tour tchèque a rapporté. Si les choses furent simples en ce qui concerne Bart Goor, Dortmund et Fulham se sont battus jusqu’au bout de leurs arguments.

Anderlecht avait un accord avec les Anglais mais il était couplé à l’avis de Jan Koller qui a finalement penché en faveur de Dortmund. Les Bruxellois étaient gagnants sur les deux tableaux. On ne peut pas leur reprocher d’avoir été rusés. Jan Koller aurait finalement opté en faveur des Allemands pour trois raisons. Dortmund prendra part au tour préliminaire de la Ligue des Champions (avec la garantie de s’aligner en Coupe de l’UEFA en cas d’élimination) et cela lui fera un beau programme européen. Le géant slave retrouvera Tomas Rosicky (grand espoir tchèque) dans la Rhur où celui-ci avait été transféré pour un chiffre record: 550 millions de francs. Rosicky et Koller font partie de l’écurie du même manager : Paska. Enfin, la Bundesliga a toujours eu un gros impact auprès des Tchèques. Fulham n’a pas du tout la même stabilité sportive que Dortmund. Les palmarès ne sont pas comparables et les prestiges non plus, même si Fulham appartient à la riche famille Al Fayed.

Dans le camp Koller, on affirme que les Anglais n’ont pas été assez rapides. Cela dit, on peut se demander si Ranko Stojic, le manager qui conseilla Koller à Fulham, n’a pas mieux cerné tous les atouts sportifs du joueur que Paska.

Koller est-il fait pour le foot allemand où tout est de plus en plus basé sur la vitesse, les contres et les espaces? Pas sûr du tout. En Angleterre, il aurait sans doute été un formidable bélier, une tour dans le jeu aérien, etc. Jan Koller a opté pour la Bundesliga : à lui d’assumer. Anderlecht se frotte les mains, récolte les fruits de son travail, rentre le blé mais payera de plus en plus cher ses nouveaux joueurs qui ne sont pas idiots et savent ce que leurs exploits peuvent rapporter à tout le monde. C’est le jeu de l’offre et de la demande. Ahmed Hossam a été acquis à Gand pour 160 millions. Enorme. Le danger serait de croire que les clubs belges, surtout Anderlecht, font désormais partie de la grande bourse du football européen. Une hirondelle ne fait pas encore le printemps, un ou deux joueurs non plus. Si l’argent roule, c’est à cause de la Ligue des Champions. Quand ça rira moins, il y aura moins d’offres.

Loin de ce cirque, les clubs des divisions inférieures se sont aussi lancés dans leur campagne des transferts. Difficilement car ils n’ont plus de moyens, et quand un joueur formé chez eux perce à l’étranger, pas de « blé » pour eux. Il faut y penser. L’avenir passe par les jeunes mais on s’interroge quand on voit des ados d’Anderlecht ( Soetaers, Van De Paar, De Witte, etc.), de Bruges ( Johan Gerets) ou du Standard ( Dasoul, Maury, Jacquemin, etc.) filer à l’étranger. Ils ne peuvent tous réussir dans leur club formateur ( Michel Preud’homme en a récemment intégré trois dans le noyau A) mais cet exode inquiète. Au Standard, Daniel Boccar a amorcé une pompe il y a trois ans et les jeunes qui partent ont été formés, éduqués, insérés dans le cadre d’un Foot-Etudes. La formation coûte cinquante millions par an au Standard et les managers se servent, piquent des jeunes, leur font tourner la tête, misent sur la loi de 1978, etc. Que leur réserve Pérouse? Joueront-ils en Italie? Pas sûr.

Onder Turaci a été plus prudent. Il a signé un contrat à Sclessin mais mûrit au Tivoli. Comme Lucas Zelenka prépare son avenir mauve à Westerlo. Boccar formera d’autres talents mais il faut les protéger, sans quoi, un jour, nos clubs ne feront plus les blés.

Pierre Bilic

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