« Il faut que je trouve un juste milieu »

L’ex-champion est toujours à la recherche de la sérénité…

A 42 ans, Bernard Boileau, huit fois champion de Belgique et ancien 43e joueur mondial, devrait savourer une retraite quasi dorée. Talent fou du tennis mondial, il aurait pu, comme Filip Dewulf, amasser suffisamment de millions pour acheter une maison et aborder sa post-carrière avec optimisme.

Hélas!, on sait que sa vie n’a pas été un long fleuve tranquille puisque, suite principalement à des déceptions amoureuses, il a tout d’abord sombré dans la drogue -ce qui lui a valu d’aller en prison quelques mois-, puis dans l’alcool et, aussi, dans la solitude.

Aujourd’hui, plutôt que de couler des jours heureux, il galère sec, cherche une chambre garnie pas trop chère et émarge au CPAS.

Rencontre avec un homme épuisé et intelligent qui, conscient de ses conneries, a retrouvé la foi.

Pouvez-vous nous dire ce que vous faites à l’heure actuelle?

Bernard Boileau : Actuellement, l’ASBL « Fête le Mur Belgique », une association créée en France par Yannick Noah et qui permet aux enfants défavorisés de jouer au tennis, attend des subsides importants de la Communauté française. On devait les avoir en janvier, puis on nous les a promis pour Pâques et, aujourd’hui, on nous annonce qu’ils ne seront pas là avant les grandes vacances. Ce qui veut dire que l’ASBL ne fonctionne plus. J’attends donc qu’il fasse un peu meilleur pour jouer des tournois de Messieurs 1 bis et redonner des cours de tennis.

En fait, ces subsides auraient été utilisés, entre autres, pour payer votre salaire en tant qu’employé de l’ASBL?

Exactement mais je pense désormais que l’ASBL va mourir, qu’elle ne se remettra pas de cet arrêt dû au retard de paiement de la Communauté française. Je travaillais là à temps plein et, aujourd’hui, c’est impossible puisqu’il n’y a plus de moyens pour financer nos activités et pour me payer.

Qu’est-ce qui vous plaisait dans ce job?

Quand j’ai appris que Noah faisait cela en France, j’ai trouvé que c’était pas mal d’essayer de donner la chance à des enfants défavorisés de pratiquer un sport et de leur proposer une activité structurée et régulière. Je partais du principe que s’ils faisaient cela, il y avait moins de chances qu’ils fassent des bêtises. J’ai donc rencontré Noah et on a décidé que je m’occuperais de « Fête le Mur » en Belgique. En trois ans et demi, on a permis à 300 enfants défavorisés de jouer au tennis. Une partie d’entre eux, une cinquantaine, continue à jouer.

Ces enfants vous connaissent? Vous leur parlez des difficultés que vous avez rencontrées au long de votre carrière?

Ils me reconnaissent en tant que champion de Belgique. Pour eux, cela veut dire quelque chose. Mais ils ne m’ont pas connu. C’est au moment des inaugurations que l’on me présente aux gosses. Yannick Noah était là aussi et certains gamins me demandaient pourquoi un chanteur venait jouer au tennis. Un autre croyait demander un autographe à Mpenza! Sinon, non, je ne leur parle pas des problèmes que j’ai eus car il s’agit de jeunes de 6 à 12 ans.

Si on comprend bien, vous n’avez donc plus, personnellement, de rentrées financières. Comment faites-vous pour vivre?

Pour l’instant, je suis au CPAS. Depuis trois mois.

A cause de quoi?

Ben, comme je n’ai plus reçu de subsides, le CPAS de Nandrin a accepté de m’avancer 21.000 francs par mois. Dès que j’aurai reçu les subsides, je rembourserai.

Cela vous fait quoi?

C’est un retour à la case départ. J’ai déjà été au CPAS après ma sortie de prison… Mais je suis déçu de la manière dont la Communauté française a réagi par rapport à notre association. Le pire, c’est qu’en conséquence de cela, la maman de mon fils est partie et la maman de ma fille ne veut plus que je la rencontre depuis trois mois.

Vous avez l’impression d’être retourné dix ans en arrière?

Oui, hormis les raisons pour lesquelles je me retrouve dans cette situation. Il y a dix ans, c’était à cause de mes problèmes de drogue et des conneries que j’avais faites tandis qu’aujourd’hui, je ne suis pas directement responsable de ma situation. Je suis donc dans la même situation financière et je vais devoir recommencer à donner des cours de tennis. Je dis bien devoir car comme je n’ai pas de diplôme, je ne vois pas ce que je pourrais faire d’autre. De plus, je ne sais pas si je vais trouver des heures.

Quand vous dites que vous allez rejouer des tournois, c’est sans ambition, juste pour vous replonger dans le milieu du tennis afin de vous faire connaître?

Oui, je ne caresse aucun espoir. Je veux fréquenter le milieu et montrer que je sais encore jouer.

Et vous savez encore jouer?

Oui. Je vais très vite valoir B-15/1. Pour l’instant, je joue B-4/6 et, après quelques semaines, je jouerai B-15/1.

Psychologiquement, vous n’êtes pas dans le même trou qu’il y a dix ans?

Non, certainement pas. La plupart des gens reconnaissent que j’avais fait du bon travail alors que, fin 80, j’avais fait tellement de conneries qu’il était normal que je me retrouve dans ce trou. Ici, c’est différent mais ce n’est pas plus facile. A la limite, c’est même peut-être plus difficile parce que je ressens une certaine injustice. A contrario, je ressens plus d’énergie pour remonter la pente. Mais je sais que ce ne sera pas simple de travailler à nouveau dans le tennis.

A cause de votre personnalité?

A cause d’elle et grâce à elle. On peut dire les deux. De toutes façons, je ne veux pas donner plus de 12 heures de cours par semaine.

Pourquoi?

Pour les mêmes raisons que Dick Norman. Quand on a gagné sa vie d’une certaine façon en faisant des tournois, se retrouver sur un terrain, ce n’est pas si simple… De plus, si on prend cent professeurs, je ne peux certainement pas dire qu’il y en a cent qui soient compétents. Ce qui veut dire que si je donne cours à côté d’eux, cela va les embêter parce que je leur suis nettement supérieur. Je ne me lance pas des fleurs mais c’est logique, vu mon expérience, que je sois d’un certain niveau. Cela m’inquiète car, assez logiquement, les profs en place me verront un peu comme un loup dans la bergerie. Je risque donc de faire peur aux enseignants qui savent que je suis sans doute meilleur qu’eux. Il faut donc que je trouve un juste milieu pour n’embêter personne et pour, malgré tout, pouvoir en vivre.

Votre rêve accessible, aujourd’hui, ce serait quoi?

Dans un premier temps, donner ces douze heures de tennis par semaine.

Mais on ne vit pas avec douze heures par semaine.

Si je parviens à gagner 50 ou 60.000 francs par mois, je pourrais m’en sortir.

Vous n’avez donc plus de rêves de grandeur. Vous avez réussi à vous habituer à vivre avec des moyens limités alors que, pendant votre carrière, vous viviez sur un grand pied?

Je sais désormais vivre avec peu, même si je reste dépensier par moments. Je peux m’en sortir avec pas trop, c’est vrai. Je pourrais aussi créer une école de tennis et m’occuper de joueurs pros mais je trouve que le physique a pris une place trop importante dans le tennis et je ne veux pas jouer dans ce jeu-là.

Vous avez la sensation que le dopage est arrivé dans le tennis?

Je pense en effet que les tennismen se préparent médicalement. Dans la plupart des matches que j’ai vus récemment, je trouve que les joueurs sont peu fatigués à la fin. Bon, c’est un sujet délicat mais je suis surpris qu’un Clément, par exemple, puisse sauter aussi haut après 4h30 de tennis intense sous un soleil de plomb.

Que faites-vous de vos journées?

Je vois de temps en temps mon fils Jean. Et je glande un peu.

Vous prenez un risque personnel en glandant?

Non, de ce côté-là, non. La situation est évidemment assez compliquée, d’autant que ma femme m’a quitté et que j’habite une maison beaucoup trop grande pour moi et qui n’est pas chauffée car cela coûte trop cher. Je vais donc la libérer le plus vite possible pour aller dans une chambre garnie.

Comment faites-vous pour tenir le coup dans une situation aussi difficile?

J’ai été élevé dans la tradition catholique -par rapport à laquelle j’ai complètement décroché pendant vingt ans- et il y a sept ans, j’ai commencé à relire des livres consacrés à la culture orientale. Grâce à cela, j’ai retrouvé une foi. Je retourne à l’église et je peux dire que je suis pratiquant. J’ai en fait suivi les conseils du Dalai Lama qui dit aux occidentaux de revenir à leur culture de base. A l’heure actuelle, je pense que cette foi m’aide. Je ne m’y raccroche pas mais cela m’aide. Et puis, je pense que ce qui m’est arrivé dans ma vie, c’était la volonté de dieu. Sans connotation Témoin de Jéhovah, je peux dire que je suis assez fataliste. J’ai eu la chance de vivre des expériences dans ma vie que peu d’autres gens ont connues. Il y a eu des très hauts et des très bas mais je crois réellement que c’est dieu qui l’a voulu comme tel.

Finalement, sous des dehors assez hautains et agressifs, vous êtes hyper-sensible?

Oui, je pense. J’ai toujours eu, je crois, un bon fond, mais je peux être très agressif en réaction à une blessure. Mais bon, il faut bien dire que, dans ma carrière, je me suis très mal conduit… (il rit). On peut le dire, hein! Mais il m’a fallu des années pour accepter cet état de fait.

Quand avez-vous compris que vous vous étiez mal conduit?

Il n’y a pas si longtemps que cela. Il y a peut-être six ou sept ans. Avant, je trouvais que j’avais des excuses. Cela dit, je pense toujours que j’en ai un peu, des excuses. Ce qui me faisait mal, c’est que les autres jeunes joueurs avec qui je voyageais venaient me voir en espérant que je perde. Je n’acceptais pas cela et c’est pour cela que j’ai été agressif vis-à-vis d’eux. De plus, comme il n’y avait ni structure, ni entraîneur, je manquais fortement d’ambition au niveau international. Quand je jouais un grand tournoi, ma seule motivation était de ne pas être ridicule. J’ai trop joué en Belgique. Je me suis mis dans la tête de battre le record de titres nationaux de Patrick Hombergen (11). J’ai ainsi raté quatre fois Flushing Meadows en raison des Championnats de Belgique. Une autre excuse est le fait que, du jour au lendemain, j’ai quitté le milieu modeste de ma famille pour me retrouver au Léopold avec toutes les facilités financières que l’on imagine.

Quand vous pensez à vos dix ans de carrière, ce sont des bons souvenirs?

Oui, j’ai vécu sur un nuage. Je ne me souviens pas avoir eu le moindre souci pendant dix ans. J’ai traversé cette époque comme s’il s’agissait d’un autre monde. Mais je me souviens de tout ce qui s’est passé. J’ai été dans des superbes pays, dans de superbes hôtels, je me suis bien amusé. J’avais tendance à aimer sortir, déconner.

Vous avez brûlé la vie par les deux bouts?

Oui, c’est exact. Et en me contentant d’être champion de Belgique. Le fait de me satisfaire de cela me donnait l’impression que je pouvais sortir jusqu’à l’aube et malgré tout gagner le lendemain. Je me rappelle avoir gagné le tournoi du Zoute régulièrement en ne rentrant jamais avant 3 ou 4 heures du matin. Il m’aurait fallu plus de discipline, moins de sorties. Si on me l’avait appris, j’aurais supporté cela.

Vous avez des regrets?

A refaire, je ne referais pas la même chose. Mais des regrets, cela ne sert à rien. Les épreuves, je suppose, permettent d’avancer dans la vie. Donc, je pense avoir une connaissance de la vie assez importante même si je traverse une passe difficile.

Vous avez une somme d’expériences hors du commun et, en tant que cérébral, vous croyez pouvoir en tirer des points positifs?

Disons que je crois que ma vie était programmée comme cela.

Et la suite de votre vie, vous la voyez comment?

Je me bats. Il y a des enfants en jeu et il est primordial que je les voie.

Si vous deviez résumer ce que vous êtes?

Un très bon papa qui adore les enfants. Je suis très honnête avec le défaut de cette qualité qui veut que, quand je me sens agressé, je réagis encore plus vertement en paroles. Et, sur le coup d’une déception sentimentale, je peux péter les plombs. Ou, du moins, commettre des excès. Il y a eu la drogue, puis l’alcool. Maintenant, ça va. J’ai aussi beaucoup d’énergie en moi, je dois me dépenser physiquement. Pour le futur, je veux continuer à m’occuper des plus démunis. Pas spécialement dans le tennis mais aussi dans d’autres domaines.

Quel est votre meilleur souvenir?

La naissance de mes deux enfants, Maude et Jean. Et, au niveau tennis, mes huit plus belles années de carrière. Il y a aussi le jour où Noah m’a donné son accord pour m’occuper en Belgique de son association.

Et le pire?

Le pire? Le temps que j’ai fait en prison. Et le fait de ne pas avoir vu ma fille pendant quatorze mois il y a sept ans.

Bernard Ashed

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