» IL FAUT PASSER AU-DESSUS. IL FAUT SE LEVER ! « 

Blessé au tendon d’Achille début avril, Bentek’ est le grand absent de la sélection de Marc Wilmots. Il revient sur les jours qui ont suivi sa chute et parle avenir et… Coupe du Monde.

« Tu vas croire que je suis fou mais y a toujours de l’espoir. Tant que la sélection n’est pas faite, on ne sait pas ce qui peut se passer…. Je peux récupérer vite.  » On est le jeudi 8 mai. Le discours de Christian Benteke peut paraître un peu dingue en le voyant en face de nous plâtré et en béquilles. Mais à y réfléchir de plus près, ce témoignage correspond assez bien à sa manière de penser, celle d’un guerrier qui ne rend pas les armes. Six jours plus tard, au lendemain de l’annonce de la sélection rendue par Marc Wilmots, on retrouve l’attaquant d’Aston Villa. Serein, posé, prêt à revenir sur ses dernières semaines de galère. A l’image de Mike Tyson, plaqué sur son torse, Big Ben n’a pas l’intention de se coucher. A seulement 23 ans, il a connu son lot de coups durs, pas question donc de se lamenter.  » Mais franchement c’est dur l’inactivité quand tu as connu un mode de vie où tu es toujours en mouvement. J’essaie d’aider ma petite soeur qui est en examen, je monte, je descends les escaliers, je vais au jardin (il rit), on a acheté une table de ping-pong. J’ai envie de travailler dur, d’aller chez Lieven (Maesschalck), de rentrer à la maison fatigué.  »

A quoi penses-tu le 3 avril dernier, après t’être blessé au tendon d’Achille ?

Je pense à ça… à la Coupe du Monde. On me lance en profondeur, je suis en face à face avec le gardien, je le drible, je me remets droit et quand je m’appuie sur mon pied d’appui, je tombe, j’entends quelque chose péter, je crie une fois très fort. C’est comme si on écrasait ma cheville. Mes équipiers arrivent en courant. Et je demande à l’un d’eux, s’il y a quelque chose de cassé. Il regarde, me dit qu’il n’y a rien. Je pense alors avoir fait un faux mouvement, je veux me relever et je retombe directement car ma cheville droite, je ne la sens plus. J’avais encore de l’espoir. Allongé sur la table, le docteur m’a dit que ça ne sentait pas bon. Que c’est normalement six mois mais qu’il faudra attendre les résultats des radios.

Tu te dis que c’est fini ?

Non j’y croyais. Le jour même ça me faisait mal mais quelques jours après ça allait déjà mieux, je pouvais marcher… en boitant.

Plus frustré que déçu

Etais-tu marqué par ce que tu venais de vivre ?

Au club, tout le monde était dégoûté pour moi mais comme je n’aime pas montrer ce que je ressens et que j’ai beaucoup de fierté, j’essayais de garder le sourire, je disais  » C’est le foot, c’est comme ça. « . Je ne réalisais pas encore ce qui venait de se passer. Ce n’est que quand je me suis retrouvé, seul, au calme que je me suis dit : Tu vas quand même rater la Coupe du Monde ! Et ça te trotte dans la tête. Mais après, il faut passer au-dessus. Il faut se lever ! C’est dur mais je ne suis pas mort. Mon inquiétude concernait surtout l’opération mais elle s’est super bien passée donc…

C’est le plus grand coup dur de ta carrière ?

Oui. J’ai connu d’autres coups durs mais cette Coupe du Monde devait être la récompense de toutes les épreuves que j’ai vécues, la résultante de mon travail. J’ai galéré jusqu’ici et enfin, j’avais l’occasion de me montrer devant tout le monde, de prouver que je suis un bon joueur de foot. C’est râlant, c’est frustrant. Je suis davantage frustré que déçu. Je ne méritais pas ça. J’avais tout fait pour y être car je vis pour mon métier. Mais je ne suis pas inquiet quant à mon retour. Le foot, tu l’as ou tu l’as pas. Ce n’est pas parce que je vais être à l’arrêt quelque temps que je ne reviendrai pas.

Tu avais besoin de prouver que tu es un grand attaquant ?

Oui. Et la Coupe du Monde est la plus belle vitrine. Le monde entier regarde cette épreuve même dans les pays les plus reculés, les plus pauvres. Ça a quelque chose de fascinant. Après ma blessure, j’ai aussi pensé à mon avenir en club. Je sortais de ma deuxième saison à Aston Villa, j’avais l’ambition d’aller voir plus loin encore. Quand on me compare à d’autres attaquants, il ne faut pas oublier que je joue dans une équipe qui luttait pour sa survie en Premier League.

Marouane et Eden

Qui sont ceux qui t’ont soutenu ?

Beaucoup de gens et j’ai étonné du nombre de messages de soutien. Je ne m’attendais pas à ce qu’on me renvoie de Belgique une image si positive.Tous les Diables m’ont adressé un message via les réseaux sociaux mais ce sont Marouane (Fellaini) et Eden (Hazard) qui m’ont appelé directement, ce sont ceux avec qui je suis le plus proche en sélection. Avec Eden, j’avais disputé la Coupe du Monde -17, on s’était dit dans nos chambres, à l’époque, qu’on disputerait un jour celle des grands ensemble. On est les deux fiertés de cette génération des -17. Plusieurs joueurs évoluent en première division mais nous sommes les deux seuls à avoir rejoint les Diables. C’était l’occasion rêvée, c’est ce genre de moment, de souvenirs, qui accentuent ma frustration.

Est-ce que tu pensais à une éventuelle blessure ?

J’y pensais après les rencontres mais jamais pendant le match, l’adrénaline est trop forte. Quand j’allais au duel, je ne me disais pas : –Attention, y a la Coupe du Monde au bout.

Quelles peuvent être les raisons d’une blessure au tendon d’Achille ?

Je ne sais pas. Le médecin m’a dit lors de ma première entrevue que c’était peut-être dû à un excès de fatigue. La deuxième fois, il m’a dit que c’était peut-être simplement lié à la malchance, aux risques du métier….

La saison dernière tout te réussissait alors que cette saison fut bien plus compliquée avec au final cette grave blessure. Comment l’expliques-tu ?

Tu ne vas pas me croire mais j’étais mieux cette année. La différence était que je n’avais pas de réussite. Mais j’avais davantage d’impact sur le jeu, j’étais fort, je me sentais bien. Et puis, je ne suis pas dans une équipe du top ; j’étais donc satisfait de moi. En deux ans, j’aurai quand même marqué 29 buts en championnat. L’année dernière, ce sont souvent mes buts qui sauvaient mes prestations car il y a des fois où j’étais vraiment nul. Alors que cette année, j’ai fait de bons matches. Mais va dire ça à quelqu’un qui n’a pas regardé la rencontre. Les gens se basent sur les statistiques.

Dans la peau d’un supporter

Comment expliques-tu la période de disette que tu as connue pendant dix rencontres en fin d’année ?

J’ai reçu un coup contre la Colombie qui ne m’empêchait pas de m’entraîner mais qui, quand je touchais la balle, m’irritait alors que je pouvais courir, sauter, sans problème. Ce qui m’a causé du tort, c’est que je jouais blessé. Mais je suis pas du genre à me reposer pour un petit truc de ce genre. Mais au final, ça a joué contre moi. Je n’ai pas voulu écouter mon corps. Et après les dix matches où je n’ai pas marqué, le coach m’a demandé ce qui n’allait pas. Je lui ai expliqué. Il m’a dit de rentrer en Belgique une semaine, de me soigner, et que je rejouerais le premier match du mois de janvier. Je suis donc parti chez Lieven (Maesschalck), j’ai bossé et je suis revenu en forme.

Appréhendes-tu les prochains mois ?

Non pas du tout. Je serai avec mes proches, avec ma famille, je serai bien. La rééducation va être compliquée mais je suis prêt à surmonter ça.

Comment vas-tu vivre cette Coupe du Monde ?

Je vais soutenir mes coéquipiers mais je n’irai pas sur place. Ça va me faire plus mal qu’autre chose.

A quoi vas-tu penser quand tu verras tes équipiers monter sur le terrain contre l’Algérie ?

Il ne faut pas que je me dise : J’aurais pu être sur ce terrain, dans ce stade. Mentalement, ce serait très dur. Les premières minutes vont être frustrantes et puis je me glisserai dans la peau d’un supporter.

Que t’a dit Marc Wilmots ?

Il m’a dit qu’une carrière était faite de coups durs et que lui avait connu des tas d’opérations. Et que je ne devais pas m’inquiéter. Il m’a toujours soutenu et je crois qu’il m’aime bien. Je lui dois beaucoup.

As-tu suivi en direct l’annonce de sa sélection ?

J’étais chez le docteur Declercq quand Marc Wilmots a annoncé sa sélection. Je suivais tout ça sur mon téléphone.

Une sélection logique

As-tu été étonné de certains choix du sélectionneur ?

Non. C’est une très bonne sélection.

La présence de Divock Origi ne t’a-t-elle pas surpris ?

Non. Il était en concurrence avec Batshuayi, Vossen, De Camargo. Mais si tu regardes les caractéristiques physiques, athlétiques, c’est un choix logique.

Et pourtant ce n’est pas vraiment ton clone. Origi est plus dribbleur par exemple.

C’est vrai mais il sait aussi peser sur une rencontre. Avec lui et Romelu, on est paré sur ce point.

Ça t’a fait quelque chose d’entendre Marc Wilmots donner sa liste pour le Brésil ?

Bien sûr. Tu te dis que si t’es pas blessé, y a ton nom qui sort. L’engouement ne va cesser d’augmenter. Et si à chaque fois où l’on parle des Diables, je suis touché, je ne vais plus avoir de coeur à la fin (il rit).

Quel regard portes-tu sur l’éviction de Simons et Pocogoli, des joueurs qui ont été présents tout au long de la campagne ?

Comme le coach l’a dit, il faut mettre les sentiments de côté et sélectionner les 23 meilleurs ou plutôt compétiteurs. C’est donc logique même si c’est triste pour Poco ou Simons.

La présence d’Adnan Januzaj est-elle discutable ?

Sa sélection ne me choque pas, au contraire. C’est un super joueur qui va apporter un plus, c’est sûr !

Kevin Mirallas avait pourtant pinaillé sur son éventuelle sélection.

Chacun a le droit de penser ce qu’il veut et certainement que Kevin pensait ce qu’il a dit. Mais ma logique à moi, c’est qu’il faut prendre les meilleurs.

Comment aurais-tu réagi si un talent comme Januzaj avait été avant de pointe et aurait pris ta place au dernier moment ?

J’aurais accepté : c’est la loi du foot au haut niveau. Il faut faire des choix. J’ai déjà connu ce genre de choses. Quand on m’a poussé vers la sortie au Standard, on ne m’a pas demandé mon avis. Le foot, c’est pas un monde de bisounours.

Hazard et les responsabilités

Anthony Vanden Borrre est lui aussi un arrivé de dernière minute…

Je suis content d’autant que je l’ai pas mal côtoyé. Il a galéré et il a su prendre conscience de certaines choses. Tout le monde a droit à une seconde chance et il n’a rien volé du tout. C’est un talent, un des plus jeunes à avoir fait son trou au haut niveau, ça veut tout dire.

Toi qui connais très bien Eden Hazard, comment est-il perçu dans le groupe ?

Tout le monde l’adore. Il arrive même à faire rire les néerlandophones. Et puis, c’est un joueur-clé qui se sent de mieux en mieux en équipe nationale. Marc lui donne beaucoup de responsabilité, beaucoup de confiance. Eden est un joueur qui doit se sentir important, un joueur sur qui reposent pas mal de responsabilités.

Etais-tu surpris de ses déclarations après l’élimination en Ligue des Champions face à l’Atletico ?

Non, c’est du Eden. Il est franc, c’est quelqu’un qui aime jouer au foot et peut-être que ce soir-là, il tenait à dire qu’il n’avait pas apprécié la façon dont Chelsea avait joué.

Ton autre pote en sélection, Marouane Fellaini, est lui davantage critiqué après une saison compliquée. Fait-il encore figure d’indiscutable ?

Bien sûr que c’est un indiscutable. Ce n’est pas parce que tu as vécu une saison difficile que tu ne sais plus jouer au foot. Ou alors ça voudrait dire qu’on doit prendre seulement ceux qui sont bons les dernières semaines. Marouane, c’est un cadre. Il n’y a pas de doute là-dessus.

Marc Wilmots va-t-il changer son style de jeu avec Lukaku en pointe ?

J’aime bien faire jouer les autres alors que Romelu est davantage un joueur de profondeur. Mais l’équipe ne va pas jouer différemment. Romelu va s’adapter au jeu de ses équipiers. Il a peut-être plus de difficultés que moi dos au but mais il a progressé cette saison. A Everton, ça joue, il a Kevin (Mirallas), Pienaar, Barkley, derrière lui. Et puis on a d’autres options, notamment avec Kevin.

Y a-t-il des inquiétudes à avoir sur la vie en groupe pendant plusieurs semaines ?

Non, pas du tout. Il n’y a pas de fouteurs de merde, il n’y aura donc pas de problèmes. Et puis, il y a de vrais leaders comme Vincent (Kompany).

Au top à l’EURO

Tu vois cette sélection à son apogée en 2016 ?

Elle peut déjà faire quelque chose de très grand au Brésil même si elle devrait être au top dans deux ans à l’Euro 2016. Je pense que pour les dix années qui viennent, on est bien armés.

Cette sélection n’est-elle pas encore trop jeune pour pouvoir lutter avec les meilleurs lors d’une grande compétition ?

Pourquoi trop jeune ? Ils sont nombreux à avoir joué des compétitions européennes cette saison. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter. Quand tout le monde joue à l’étranger, tu te sens bien, tu te sens fort. Mais ça sera difficile, car toutes les sélections ont faim. Tu peux jouer contre n’importe qui, le onze en face sera composé de guerriers.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Mais ma logique à moi, c’est qu’il faut prendre les meilleurs. Donc c’est une bonne sélection.  »

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