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 » Il faut parfois regarder en bas pour réaliser le chemin parcouru « 

La Suisse, l’excentrique Constantin, Anthony Vanden Borre, le challenge courtraisien, l’ex-magicien de Neerpede lève un coin de voile sur ses dernières années dans l’ombre et explique son retour au premier plan.

Début juillet, Pelé Mboyo est revenu sur la pointe des pieds à Courtrai, là où sa carrière a véritablement décollé lors de la saison 2010-2011. Une arrivée discrète et timidement commentée, car depuis son départ pour Sion, il y a trois ans, et malgré un interlude de quelques mois au Cercle Bruges en D2, l’homme avait disparu ou presque des radars belges.

Un retour chez lui qui s’explique par une envie de retrouver sa famille bruxelloise (au sens large) mais aussi du plaisir balle au pied. Et en quelques journées de championnat seulement, l’ex-international a prouvé qu’à 31 ans, il faudra encore bel et bien compter sur lui.

Depuis ton arrivée à Courtrai, on te retrouve à arpenter le flanc gauche. C’est plutôt surprenant comme position.

PELÉ MBOYO : Pas vraiment. Je n’ai jamais été formé comme neuf. C’est à Gand qu’on m’a mis là sous Trond Sollied, je pense. Avec Hein Vanhaezebrouck lors de mon premier passage à Courtrai, je jouais davantage comme un numéro 10. Et ici, davantage qu’à Gand, c’est normal que je défende plus.

Tu étais troisième aux tests physiques de début de saison, ce qui a apparemment surpris les dirigeants de Courtrai sur ton état de forme.

MBOYO : Et encore, ma préparation en Suisse a été perturbée car pendant une semaine, je ne me suis plus entraîné pour négocier mon passage à Courtrai. La Suisse, faut pas croire, c’est un très bon niveau, ils insistent vraiment sur la condition physique, c’est la base pour eux. Après chaque match, on te dit le nombre de kilomètres que tu as fait, on ne va pas te parler de tes deux crochets. Si tu ne cours pas à l’entraînement, on te le fait remarquer, c’est un peu comme en Allemagne, ils sont très structurés. Moi ça m’a fait du bien, je suis heureux d’avoir connu une expérience là-bas.

J’ai l’ambition, avec Anthony Vanden Borre, de monter un petit club de provinciale à Bruxelles.  » Pelé Mboyo

Et pourtant, le championnat suisse reste assez peu médiatisé.

MBOYO : C’est le même constat pour eux par rapport à la D1 belge. Il y a des clubs comme Bale ou Young Boys qui ont des budgets équivalents à Anderlecht. Le championnat suisse est de bonne qualité même si c’est vrai que quand on m’a proposé de rejoindre Sion, je n’étais pas emballé au départ..

 » En mode para-commando  »

Surtout que Sion joue le fond de tableau.

MBOYO : Ce n’était pas le cas à mon arrivée, quand le club jouait l’Europa League. Mais sur les deux dernières saisons, le président ( Christian Constantin, ndlr) est responsable de la situation. C’est vraiment un personnage ! Sion doit être le troisième club suisse en terme de budget. On avait des joueurs de grande qualité : Robert Acquafresca, Alexander Song (ex-Arsenal et Barcelone), Pajtim Kasami (international suisse), etc. Mais le problème, c’est que le président veut décider de tout, tout seul. De la composition de l’équipe au choix des kinés. C’est du jamais vu. Abbas Bayat à côté, c’est rien du tout. Il va décider de la mise au vert, de ce que tu vas manger. Un jour, il est arrivé et m’a dit : Pelé, j’ai rêvé de toi, tu vas jouer en dix comme Johan Cruyff. Je pensais qu’il rigolait. Et je me suis retrouvé numéro dix. Il est tout le temps là. C’est lui qui a décidé de nous emmener dans un stage militaire en janvier dernier. Pendant trois jours, on était en mode paras-commandos, à dormir dehors, à fabriquer nos tentes, à manger des rations de militaire en temps de guerre, etc.

Pelé Mboyo :
Pelé Mboyo :  » Un jour, le président est arrivé et m’a dit : Pelé, j’ai rêvé de toi, tu vas jouer en dix comme Johan Cruyff. Je pensais qu’il rigolait. Et je me suis retrouvé numéro dix. « © BELGAIMAGE – HATIM KAGHAT

Constantin est réputé pour être totalement excentrique.

MBOYO : En tout cas, il a beaucoup d’argent…

Tu gagnais plus qu’à Genk où tu étais arrivé en 2013 pour plus de 4 millions et comme transfert de l’été ?

MBOYO : Oui. J’ai d’abord signé un contrat de trois ans, puis je l’ai prolongé de deux ans à des conditions revues à la baisse.

Pourquoi t’a-t-on prolongé alors que tu jouais très peu ?

MBOYO : Sion avait pu m’avoir gratuitement, ce qui m’avait permis d’obtenir un beau salaire mais la première année, je suis resté sur la touche à cause d’une fracture de fatigue. Quand je suis revenu dans le parcours, je sentais que ça allait être difficile. En janvier, j’ai demandé à être prêté, et je suis arrivé au Cercle. Sion a tout pris en charge. Après ces six mois en D2 belge, j’ai discuté avec Strasbourg qui accédait à la Ligue 1. Quand le président a su que j’étais suivi par Strasbourg, il a voulu me prolonger et tant que je ne signais pas à ses conditions, je n’avais aucune chance de jouer. Au final, j’ai prolongé mon contrat de deux ans. L’an passé, j’ai joué 26 matches, marqué 6 buts mais le club restait compliqué.

 » La Suisse, c’était apaisant  »

C’était comment la vie en Suisse ?

MBOYO : Très chouette. Je vivais dans une très belle région, au calme, c’était apaisant.

Ce n’était pas trop calme ?

MBOYO : Non, j’ai eu une vie assez chargée. Je ne suis pas quelqu’un qui aime le bruit, j’aime la tranquillité, j’étais dans les montagnes, je gagnais bien ma vie. Mais je reste un joueur de foot, et je ne pouvais pas me contenter de cette situation. Par contre, si le club avait été mieux géré, j’aurais pu très bien terminer ma carrière en Suisse.

On te pensait régulièrement blessé.

MBOYO : J’ai connu une blessure qui a duré huit mois lors de ma première saison. J’ai mis un an pour revenir dans le coup mais c’était prévu. À Genk, on m’avait donné un délai de guérison de cinq mois mais j’ai été chez Lieven Maesschalck qui m’a dit que ça prendrait bien plus de temps à guérir. Et depuis mon arrivée au Cercle, où j’ai pu retrouver le rythme petit à petit, je me sens bien. Mais à Sion, ça restait compliqué sportivement. Je me suis retrouvé sur le flanc dans un 3-5-2, j’ai joué en 10 derrière deux attaquants, puis j’étais sur le banc, sans raison. Le président est une super bonne personne, mais il met trop de passion dans le foot. Reste qu’on avait une très bonne relation, c’est pour ça que j’ai été le trouver pour lui dire qu’on perdait du temps, que je n’allais rien lui apporter. J’aurais pu rester encore deux saisons, tranquille, au calme. Je gagnais beaucoup plus que ce que je gagne à Courtrai. Mais je lui ai demandé de me laisser partir libre. Et il m’a dit qu’il ne me mettrait pas des bâtons dans les roues. Et quand Courtrai m’a contacté, c’était pour moi la destination idéale.

 » Créer un club avec Anthony à Bruxelles  »

Tu avais d’autres options ?

MBOYO : Je pouvais aller en Turquie ou en Israël. Mais je voulais revenir en Belgique, notamment pour suivre mes investissements. J’ai créé une ASBL  » MadeinB « , j’ai quelques projets sur Bruxelles qui ne sont pas encore finalisés. J’ai envie de passer mes diplômes d’entraîneur. J’ai aussi l’ambition, avec Anthony Vanden Borre, de monter un petit club de provinciale à Bruxelles. Mais ça prend du temps.

Quel est le but de créer un nouveau club en région bruxelloise ?

MBOYO : Aider la jeunesse. On en en connaît plein de petits à Bruxelles qui ont de la qualité mais qui n’ont pas de club. C’est un but social avant tout. J’ai pas mal de projets en tête.

Tu as l’impression d’en être où dans ta carrière ?

MBOYO : À 31 ans, je suis plus proche de la fin que du début mais je garde des ambitions. Mais même à Gand, je ne me suis jamais dit : je vais marquer autant de buts pour partir dans tel championnat, je ne fonctionne pas comme ça. Ici, je veux faire le maximum pour Courtrai en étant le plus performant possible. Mes ambitions dépendent de ce que je produis. Dans le foot, on se fait souvent des films sans avoir d’informations sur la personne. Voilà pourquoi je ne clame pas mes ambitions non plus, ça ne peut que me faire du tort. Je me tais, je bosse, et on verra. Moi, quand je suis en congé, je bosse. Je ne m’amuse pas à faire des snaps ou des vidéos, mais je bosse. La veille de Noël, j’étais chez Lieven ( Maesschalck, ndlr) pour m’entraîner. Mais le monde extérieur ne sait pas tout ça.

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 » L’argent n’est plus ma principale motivation  »

Tu joues encore pour l’argent ?

MBOYO : Ce serait mentir de dire que je ne joue pas pour l’argent. Le foot, c’est notre métier. Mais ce n’est plus la principale motivation. Aujourd’hui, je joue plus pour un projet, dans un endroit où je peux m’épanouir. À Courtrai, le projet est de qualité, il y a de bons joueurs, quand je me lève le matin, je suis motivé à l’idée de venir m’entraîner. Je voulais me retrouver dans un club où je ne pourrais penser qu’au football. À Sion, c’était l’inverse. Ici, je savais que je n’allais pas regretter mon choix. Et il y a un challenge : décrocher la qualification en play-offs 1.

C’est réalisable avec un club comme Courtrai ?

MBOYO : Oui. Il y a les cinq gros puis il y a la surprise. Et ça pourrait très bien être nous. Chez nous, il y a vraiment de la qualité avec un mix de joueurs qui ont envie de montrer leur véritable potentiel et des jeunes gars. L’année passée, Courtrai a déjà réalisé une super saison en terminant septième et en se faisant un peu voler sa place en play-offs 1.

Tu as été surpris que Courtrai fasse appel à toi ?

MBOYO : Je pense qu’en Belgique, on avait des doutes. Mais je n’étais pas inquiet, le monde du foot est assez grand comme ça. Je n’ai jamais appelé un de mes ex-clubs, comme d’autres joueurs le font, pour revenir. Si tu veux de moi, appelle-moi. Je n’ai pas envie d’aller dans un club où je me sens redevable.

Tu comprends qu’on attendait quand même davantage de joueurs comme toi, Geoffrey Mujangi Bia, Anthony Vanden Borre ?

MBOYO : Je comprends tout à fait ça. Surtout si on se rappelle qu’Anthony était déjà en sélection à seulement 16 ans. On peut tout nous reprocher mais on a réussi à être des professionnels. Je connais plusieurs joueurs qui étaient plus forts que nous et qui n’y sont pas arrivés. À l’inverse, chez les jeunes d’Anderlecht, on ne s’attendait pas à ce que Dries ( Mertens, ndlr) réalise une telle carrière. L’être humain, il a toujours tendance à regarder au-dessus de lui. Mais il faut parfois regarder en dessous pour réaliser le chemin que t’as parcouru. Je suis quelqu’un qui croit en Dieu, qui croit au destin. Et on n’a pas tous le même vécu, la même histoire. Moi je suis fier d’eux, je suis fier d’Anthony, de Geoffrey ou d’Hervé ( Kage, ndlr). On devrait se plaindre de quoi ? On doit être heureux de ce qu’on a réalisé. Et de voir tous les joueurs avec qui j’ai joué évoluer dans des grands clubs, c’est une fierté. Quand je vois Michy ( Batshuayi, ndlr) à la télé, c’est comme si je jouais. Peut-être qu’il a été mieux encadré à certains moments, qu’il a été plus fort, plus pro. Mais malgré tout, on a fait ce qu’il fallait faire.

 » La Belgique, c’est comme le Brésil désormais  »

Tu n’es pas surpris par ce que les Diables Rouges ont réalisé cet été ?

PELÉ MBOYO : Depuis mon passage chez les jeunes d’Anderlecht, je savais que le football belge allait connaître de grandes générations. Notre génération 85 ( Vincent Kompany, Dries Mertens, Onur Kaya, Anthony Vanden Borre, etc.) gagnait contre Lyon, le Real Madrid ou d’autres grands clubs. On se demandait même s’ils avaient vraiment envoyé leur meilleure équipe, tellement on était au-dessus. La Belgique a un vivier extraordinaire depuis pas mal d’années.

Quand tu as été convoqué chez les Diables en 2012, tu te rendais compte de ce qui se préparait ?

MBOYO : Je me rappelle qu’avec Chrisitian Benteke, on se disait déjà qu’il n’y avait que des patrons : Thomas Vermaelen était capitaine à Arsenal, Vincent Kompany à City, Jan Vertonghen à l’Ajax, alors que Thibaut Courtois était déjà dans les cages de l’Atlético Madrid. Aujourd’hui, il faut arrêter avec les complexes : la Belgique, c’est comme Brésil.

Tu penses que ça va s’éteindre ?

MBOYO : Ce sera difficile d’égaler cette génération mais la Belgique a encore du potentiel pour atteindre un bon niveau pendant plusieurs années. Je nous vois mal retomber dans le chaos d’il y a dix ans. La Belgique, aujourd’hui, elle est respectée. En Suisse, par exemple, le simple fait d’être belge est une marque de qualité.

La trajectoire de quelqu’un comme Romelu Lukaku t’étonne-t-elle ?

MBOYO : Non. C’est un exemple pour les jeunes joueurs. Et il ne faut pas croire, il a toujours eu de grosses qualités. Je l’avais vu à un entraînement des U21 belges, il m’avait choqué. Je me rappelle aussi de ce match avec Anderlecht à l’Ajax où il avait porté Grégory van der Wiel sur son dos. Voir qu’il n’a que 25 ans alors qu’il a déjà autant marqué, c’est incroyable. Lukaku, c’est un truc de malade.

 » Anthony a encore faim de football « 

Ton grand ami, Anthony Vanden Borre, semble totalement sur une voie de garage aujourd’hui.

PELÉ MBOYO : ( il coupe) Quand on me demande si Anthony peut encore jouer, je rigole. On n’est pas non plus en Bundesliga ou en Liga ici.

Sa condition ne doit pas être optimale pourtant…

MBOYO : Bien sûr mais tout ça, ça se travaille. Un an et demi avant la Coupe du monde au Brésil, il était chez moi, tout gros, et il s’est remis à bosser, a signé à Anderlecht, où il a été champion et s’est retrouvé au Mondial. Aujourd’hui, Anthony a 31 ans, pas 36. Il est encore très bien dans sa tête.

C’est aussi un risque pour un club de reprendre un joueur hors-jeu comme c’est le cas pour lui actuellement.

MBOYO : Le risque est toujours proportionnel à l’investissement. Il ne va pas prendre un salaire de malade. Mais je peux te dire qu’il a encore faim, qu’il a envie de rejouer au foot. S’il trouve quelque chose, il va bosser dur.

Tu arrives à faire confiance aux gens du foot ?

MBOYO : Oui à certains équipiers, dirigeants. Mais je sais que le foot est un monde faux, d’hypocrites, d’intéressés. Moi, mes amis, ce sont les mêmes depuis des années. Anthony, je le vois de la même façon aujourd’hui que quand il était à la Coupe du monde.

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