» Il faut être FOU pour jouer au STANDARD »
Le terrain du Verger, la rue des hospices, l’internat, l’Angleterre, le Standard, l’avenir : le parcours de Polo retracé de a à z.
« Roumain, viens aussi ! « . Hoodie sur la tête, training, chaussettes de foot remontées, chaussures de futsal, » Roumain « , visiblement prêt à taquiner le cuir en cette fin d’après-midi, s’exécute et rejoint la grappe. L’appel de Paul-José Mpoku a fait effet. Des plus petits au grands du quartier, ils sont une bonne trentaine à être venus prendre la pause au » Verger » (appellation donnée à cause du pommier qui s’y dresse), le terrain de jeu des jeunes du Pré-Javais, un des quartiers en plein coeur de Verviers.
Le » Verger « , c’est là où tout a commencé pour Polo. La relève, elle, semble déjà prête comme nous le prouve le plus jeune de l’assemblée, haut comme trois pommes, maillot du Barça sur le dos, multipliant la fameuse feinte de frappe » special Mpoku « . Le cadet de la famille, Albert arrive un peu plus tard sur les lieux. En cause, les 120 km qui le séparent de son club, Anderlecht, où il évolue chez les U15. Mais que ce soit à l’Aca ou à Neerpede, les Mpoku brothers doivent beaucoup à ce terrain malheureusement totalement délaissé par la Ville et dont les gravats et le délabrement donnent des allures de terrain façon favela, très loin des standards des derniers agoras construits un peu partout en centre urbain.
Verviers connaît des temps difficiles, l’essor économique de la fin du 19e siècle est bien loin. Cette cité de plus de 80.000 âmes a été touchée de plein fouet par la désindustrialisation, et ce depuis l’après-guerre. Le père, Désiré, et la mère, Josée, ont toujours habité Verviers, à quelques centaines de mètres du » Verger « , rue des hospices, où s’accolent les habitations sociales dont les premières furent construites au début du 19e siècle. Malgré la célébrité grandissante du fiston, la famille est restée fidèle à son quartier. Polo, lui, habite dans la proche banlieue liégeoise, au calme. » Mais les familles, les amis, ma ville, sont indispensables à mon équilibre « , assure-t-il. » Je ne sais pas comment expliquer cet attachement… Je dois passer par là, je dois revenir sur Verviers. »
» J’avais toujours le foot en tête »
Que représente Verviers pour toi ?
Enormément de choses. J’y ai grandi, mes parents y vivent depuis leur arrivée en Belgique. J’y ai tout appris. Mon foot, au » Verger « , dans mon quartier. Aujourd’hui encore, j’y retourne au moins une fois par semaine.
Comment décrirais-tu cette ville méconnue par beaucoup ?
C’est vrai que Verviers, ça ne dit pas grand-chose. D’ailleurs quand on me demande d’où je viens, généralement je réponds Liège. Verviers n’est pas réputé pour être la plus belle ville de Belgique mais il y a de la vie et du talent qui commence à faire son trou. Prenez Enès Saglik (Charleroi), Luis Pedro Cavanda (Lazio Rome), Dolly Menga (Lierse), moi et j’espère bientôt mon petit frère, Albert.
Considères-tu Verviers comme une ville de foot ?
Oui, même s’il faut être fort et bien entouré pour s’en sortir car Verviers est assez pauvre. Si je n’avais pas eu mes parents pour m’accompagner à l’internat du Standard, je ne serais peut-être pas là où j’en suis. Ma mère a fait beaucoup de sacrifices pour ses enfants. J’ai eu cette chance- là. A l’inverse, j’ai pas mal d’amis qui ont fini… autre part, en prison notamment. Quand tu n’as pas un suivi derrière, tu peux vite tomber dans la délinquance à Verviers… Plus jeune, j’étais là aussi, mais je ne suis pas tombé dedans…
Cela aurait pu mal tourner pour toi ?
Non parce que j’avais toujours le foot en tête, le Standard, mais voilà, tu traînes avec tes amis et il arrive que tu fasses de petites conneries…
Tu parlais de Verviers comme une ville pauvre…
Oui. Il y a pas mal d’étrangers et de nombreux jeunes rencontrent des difficultés à trouver un travail. Beaucoup partent battus d’avance dans leur recherche d’emploi. Quand je discute avec eux, ils me répondent » on veut se faire de l’argent, l’argent, l’argent « . Et ils empruntent alors certaines voies. J’essaie de leur dire qu’il y a moyen de sortir de Verviers, j’en suis le meilleur exemple, mais pas seulement par le foot, par plein de domaines. Mais bon, quand t’arrives à un certain âge et que tu vois que tu n’as toujours rien, tu tombes de l’autre côté….
» Ma réussite est une fierté pour beaucoup »
Tes amis t’envient ?
Il y en a sûrement. Mais beaucoup sont derrière moi, pour eux ma réussite est une fierté. Ils se disent que c’est à Verviers, au verger, qu’il a appris à jouer et non au Standard.
Pourrais-tu investir de ta personne pour Verviers ?
J’ai essayé à travers la rénovation de notre terrain, le » Verger « . Mais le projet est tombé à l’eau suite au changement de conseil communal. Je vais relancer le projet après les prochaines élections car le terrain n’est vraiment plus praticable, les jeunes sont obligés de jouer sur un terrain de basket avec les poteaux comme goal. Et s’il faut que j’investisse, je suis prêt à le faire. Ma mère m’a toujours dit : tu as tout connu à Verviers, il faut que tu laisses une empreinte.
Qu’est-ce que tu appris au » Verger » ?
Ma technique : le petit coup de rein, la feinte de frappe, ça vient de la rue, ça ne s’apprend pas dans un club. Quand tu joues dans la rue, tu penses plus vite. Mon petit frère, Albert, en est le meilleur exemple. Quand il joue avec les jeunes d’Anderlecht, on voit qu’il est en avance sur un terrain grâce à la rue. Mais j’ai surtout appris la gagne là-bas. Si je râle autant aujourd’hui après une défaite, ça vient de là.
Tu étais quelqu’un de difficile plus jeune ?
Oui, je vais pas le cacher. Comme les Africains ont coutume de dire : j’étais » turbulent « . Je suis quelqu’un qui fait ce que sa conscience lui dit de faire. Et ça n’a pas toujours été facile ou accepté par mes parents. Je peux être très têtu. J’essaie de faire un travail sur moi-même mais ce n’est pas gagné.
Turbulent au point d’aller dormir chez la maman de Mehdi Carcela après avoir été viré de l’internat…
Je ne me rappelle même plus pourquoi j’avais été viré de l’internat du lycée Saint-Jacques. Mais pour éviter les trajets, j’avais dormi un mois chez la maman de Mehdi, que j’ai connu au Standard mais aussi lors de tournois de futsal ou des matches à l’agora. J’ai encore en mémoire un tournoi à Verviers où il avait amené son équipe quasiment à lui tout seul en finale. L’année d’après, il pétait tout au Standard. Pour les jeunes de Verviers, c’était aussi une fierté.
» Les D’Onofrio m’avaient à la bonne »
Tu avais aussi la réputation d’être le chouchou des D’Onofrio, ce qui t’a valu de ne pas être viré du Standard à quelques reprises…
C’est vrai. Un jour, j’étais sorti des toilettes et Dominique m’a mis deux claques, deux grosses claques, et m’a dit » n’écoute pas les gens ! « . A l’époque, de nombreux clubs me voulaient et les D’Onofrio avaient peur que je quitte le Standard, ce qui est quand même arrivé. Ils m’avaient vraiment à la bonne : un jeune du Standard ne pouvait, par exemple, pas faire le tournoi Sljivo, on recevait même une lettre qui nous mettait en garde en stipulant que celui qui y participait était viré. J’ai quand même joué le Sljivo et comme sanction, je n’ai eu que trois matches de suspension (il rit).
On imagine que ça dut être une gifle, cette fois pour eux, quand tu files à Tottenham….
Luciano devenait fou. Il m’avait pris dans son bureau, je pense même que Michel Preud’homme, était là aussi et m’a dit : » Dis-moi ce que tu veux pour rester au Standard. » Mais ma décision était déjà prise.
Pourquoi quittes -tu le Standard ?
Je trouvais que le Standard n’avait pas fait d’effort pour me garder ou plutôt le club s’est seulement mobilisé quand ils ont senti que j’allais leur échapper. Aujourd’hui, je ne regrette rien même si j’aurais pu rester, faire comme Axel (Witsel) avec qui je traînais souvent. En Angleterre, j’ai fait la rencontre de celui qui est encore aujourd’hui mon meilleur ami, John Bostock. C’était alors le wonder kid du foot anglais, il était demandé par le Barça notamment. Aujourd’hui, il est à l’Antwerp… C’est la preuve que le foot, c’est compliqué.
Que retiens-tu de ton passage à Tottenham ?
Ce fut une très belle expérience. J’ai beaucoup appris, surtout au niveau de la mentalité.
Pourquoi retournes-tu au Standard ?
Tim Sherwood et Harry Redknapp m’ont dit à 17 ans que j’étais prêt pour évoluer en première, que je devais enfin jouer contre des hommes, et il fallait pour ça que je sois prêté. Je suis parti à Leyton Orient où j’ai joué pas mal de matches. Un an après, je suis revenu à Tottenham qui voulait à nouveau me céder. C’est là que je me suis dit qu’un retour en Belgique serait peut-être une bonne chose. Bruges me voulait et dans un premier temps, je voulais signer là-bas, je ne voulais pas retourner au Standard. Ça me semblait un peu bizarre.
» J’étais la cible préférée de Rednic »
Après avoir été coaché par Riga puis Jans, c’est sous Rednic que ta carrière démarre véritablement. Pourquoi cela fonctionne-t-il si bien avec le coach roumain ?
Parce qu’il s’en foutait des noms. Il faisait jouer ceux qui étaient d’après lui les meilleurs, ce qui a permis à pas mal de jeunes de s’illustrer et de se libérer.
Comment expliques-tu que Rednic était aussi élogieux à ton égard ?
J’en sais rien. A l’entraînement, il était très dur avec nous, il nous tuait, il nous rendait fou. J’étais même sa cible préférée. J’entendais tout le temps à l’entraînement : » –Polo, Polo, pas philosopher ! Jouer simple ! » Je lui serai éternellement reconnaissant. D’ailleurs, quand on s’est croisé à Gand, je l’ai appelé » papa » ; les autres joueurs avaient l’habitude de me charrier en disant que c’était mon père.
Comment as-tu perçu l’arrivée de Luzon ?
Personne ne le connaissait et je n’avais donc rien contre lui personnellement, même si j’étais déçu du départ de Rednic. Luzon a rapidement impressionné pas mal de joueurs et il continue à le faire. Tactiquement, franchement, il est très très fort. La mise en place, comment se mettre sur un terrain, il maîtrise tous ces aspects. Avec lui, ce sont les détails qui font la différence. Et quand on ne met pas en pratique ce qu’il nous dit, on le paie cash.
Comme contre Gand et à Bruges ?
Ce n’est pas tactiquement que l’on perd ces rencontres, je pense plutôt qu’on n’avait plus la hargne suffisante.
Luzon n’est-il pas un peu épuisant quand il gesticule sans arrêt en bord de terrain ?
Il est comme ça. A l’entraînement, quand tu fais pas ce qu’il dit, il devient fou, il peut prendre la balle et te tirer dessus. Il est fou, et donc colle parfaitement à la mentalité Standard. Des Rednic et des Luzon collent à l’esprit de ce club. Je pense même que pour jouer ou coacher au Standard, il faut être un peu fou. Si t’es pas un barjot, c’est difficile de réussir dans ce club.
Le Standard représente quoi pour toi ?
C’est le plus grand club de la région et rien que pour ça, ça doit être une fierté pour chaque joueur d’évoluer ici. Moi, en tout cas, je suis fier de jouer pour le Standard.
» Je suis à une phase-clef de ma carrière »
Comment expliques-tu ta popularité grandissante auprès des supporters ?
Parce que je me donne à fond sur le terrain, parce que j’aime aussi faire un peu le spectacle. Si t’arrives au Standard et que tu sais pas trop jouer (sic) mais que tu te donnes à 200 %, les supporters t’acceptent. Ils veulent, en priorité, des gens qui donnent tout.
On a longtemps évoqué ton départ au mercato d’été, puis en hiver. Tu déclarais même être partant certain à 95% . Pourquoi avoir décidé de prolonger ton contrat samedi dernier jusqu’en 2018 ?
Le club m’a déjà formulé plusieurs propositions. Mais si je devais prolonger, il fallait que je m’y retrouve pleinement, que ma famille s’y retrouve également. Je n’allais pas resigner pour le plaisir de resigner. Je sais qu’en Allemagne, en Angleterre, il y avait pas mal de clubs intéressés. Mais j’ai senti cette fois que le président était déterminé à me faire prolonger. Les négociations ont été compliquées mais l’effort était conséquent et on est parvenu à trouver un accord.
T’as le sentiment qu’il faut partir à l’étranger pour progresser ?
Difficile de répondre. La seule chose dont je suis sûr, c’est que le choix que je vais prendre va être très important pour mon développement. Je suis à une phase-clef de ma carrière…
Que te conseillait ton entourage?
Mon père voulait que je reste. En même temps, c’est un Standardman, un vrai supporter, donc c’est logique (il rit). Même quand je n’étais pas au club, il allait déjà voir les matches au stade. Mais il savait très bien que c’est moi seul qui prendrait la décision. Et elle a été compliquée, d’autant qu’il y avait une inconnue concernant le futur du président.
Il ne va donc pas partir…
Ce que je peux dire, c’est qu’il met en tout cas une très grosse structure en place, qu’il a de grosses ambitions.
Chez les Espoirs, vous êtes nombreux à avoir le statut de joueurs-clefs dans les meilleurs clubs de D1. L’envie de titiller le noyau des Diables doit être grande ?
Le fait qu’il ne touche pas beaucoup à sa sélection, c’est compréhensible. J’ai l’avantage de pouvoir évoluer à plusieurs postions : en 10, en 8, en 7. Mais à tous ces postes, ils sont blindés.
Faut-il évoluer à l’étranger pour jouer chez les Diables ?
Je pense que si on veut réellement revendiquer une place dans cette sélection, il faut faire le pas vers l’étranger. Mais ça ne m’obsède pas, je ne sais d’ailleurs pas ce que le coach pense de moi. D’ailleurs, faut que je lui parle (il rit).
As-tu besoin de te sentir important dans une équipe, d’être un leader ?
Oui. Je dois me sentir impliqué, j’aime quand le coach me pousse à bout, vers la gagne. J’ai ça en moi. Je n’ai pas spécialement besoin de parler mais j’ai envie de montrer l’exemple. Je dis tout le temps : je conseille, je préviens, mais jamais je ne choisis pour les autres.
PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: BELGAIMAGE/ LAMBERT
» Ma mère m’a toujours dit : tu as tout connu à Verviers, il faut que tu y laisses une empreinte. »
» Avant mon départ en Angleterre, Dominique m’a mis deux grosses claques, et m’a dit » n’écoute pas les gens ! « .
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