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 » IL FAUT ARRÊTER DE PENSER QU’ON A MIS LES MALFRATS EN PRISON « 

L’incompréhension, la colère, la détermination. Laurent Henkinet passe par tous les sentiments depuis son licenciement. Pour la première fois, il se livre. A coeur ouvert.

Matinée glaciale sur la Cité Ardente. Décembre oblige, le désormais ex-keeper de Waasland-Beveren se pointe Place du Marché avec une grosse laine de rigueur. LaurentHenkinet commande un café, histoire de réchauffer des doigts qui n’enfilent plus de gants depuis deux mois. Insuffisant pour abreuver une soif de revanche.  » Je suis un peu stressé à l’idée d’en parler  » confesse-t-il.

Le 28 septembre, le club du Freethiel licencie le portier de 24 ans pour  » faute grave  » à 21 salaires du terme de son contrat. La cause ? Un pari avoisinant les 5 euros sur une victoire des siens. La Commission des jeux cite aussi Olivier Deschacht, Knowledge Musona et Tuur Dierckx. Seul l’Anderlechtois a joué la défaite. Mais seul Henkinet est remercié. Une situation qu’il ne digère toujours pas.

Tu n’as jamais parié sur une défaite de ton équipe ?

LAURENT HENKINET : Jamais. Ce n’est pas dans mes principes. On a fait une polémique d’une petite chose. La Commission des jeux a vu que je pariais parce que j’avais un compte qui était à mon nom (sur Unibet, ndlr). Elle a demandé à l’Union Belge les noms des joueurs évoluant en Belgique et ils ont pu regarder qui avait un compte ouvert. Le mien datait de 2011.

Tu pariais sur quoi ?

HENKINET : Tout. Le tennis, le basket… Je ne me suis jamais fait de l’argent en pariant. J’ai toujours plus perdu que ce que j’ai gagné. Je ne pariais jamais plus de 4 ou 5 euros. Sinon, j’aurais commencé à trop stresser…

Pourquoi parier dans ce cas ?

HENKINET :Simplement pour le fait de se dire que tu es capable de prédire un résultat. J’ai toujours fait ça dans le sens du jeu, pour avoir une petite dose d’adrénaline. Sinon, tu dois mettre des sommes énormes. Sur une mise de 5 euros, je vais en gagner 20 ou 30 alors que la prime de victoire est à 1500. Je ne vais pas risquer ma vie pour de si petites sommes.

 » JE NE SUIS PAS ADDICT  »

Tu n’avais pas conscience des conséquences ?

HENKINET : Pas du tout. Avant l’affaire de Louvain, je ne savais pas qu’on ne pouvait pas parier, même si c’est inscrit dans nos contrats. Depuis, je n’ai plus parié. Je ne suis pas addict. L’Union Belge sanctionne que lorsqu’il y a volonté de s’enrichir. Ce n’était clairement pas mon but. A part un gagnant du Lotto, je n’ai jamais vu quelqu’un s’enrichir en pariant 5 euros.

Tu as toujours parié de manière individuelle ?

HENKINET : Je faisais ça bêtement de mon côté. Si mes coéquipiers pariaient ? Je n’en sais rien. Mais si l’Union Belge pense avoir réglé le problème des paris en pointant quatre joueurs du doigt, ils se trompent totalement. Il ne faut pas être dupe. C’est un problème général. Le fait qu’on avait un compte ouvert à notre nom prouve bien que l’on ne voulait rien truquer. Sinon, on aurait demandé à des potes d’aller à un bureau de tabac et de mettre de l’argent sur des matches.

Deschacht, Dierckx et Musona ont tous été soutenus par leur club, pas toi. Comment tu te sens par rapport à ça ?

HENKINET : J’en veux à mon ancien club. J’ai envie de dire à ses dirigeants qu’ils auraient au moins pu attendre la fin de l’enquête. A ce moment-là, si vraiment j’avais triché, je n’aurais eu aucun problème à accepter mon licenciement. Ils ont dit vouloir m’aider malgré tout, mais je n’ai toujours rien vu venir. J’ai du respect pour les joueurs, le staff, les supporters de ce club. Mais la direction a trouvé une excuse. Je suis libre et je n’ai plus rien à perdre. Je ne me laisserai pas faire. Je pense que Waasland-Beveren s’en foutait même que j’ai pu parier sur eux.

 » JE RECONNAIS MA FAUTE ET LA PAYERAI  »

Selon toi, c’était un prétexte pour te licencier ?

HENKINET : Quand on en a parlé, ils n’étaient pas choqués. Ils m’ont dit qu’ils allaient régler ça. A partir du moment où ils prennent LaszloKöteles le 30 août (arrivé en prêt de Genk, ndlr), à un jour de la fin du mercato, c’était déjà compliqué pour moi de me retourner. A partir du moment où le club a quatre gardiens, une affaire comme celle-ci devient le bon moyen de faire sauter un salaire.

Parier sur son équipe n’est pas éthique, quelle que soit la mise.

HENKINET : Je reconnais ma faute et la payerai. Je suis le premier à être droit dans mes bottes. Tout le monde a trouvé la nouvelle choquante parce qu’elle m’arrivait à moi. Si j’étais un gamin de merde, si je foutais le bordel dans les clubs, si les coaches ne m’aimaient pas, ça pouvait se comprendre. Mais j’ai toujours eu une bonne mentalité.

En gros, tu te sens fautif mais pas coupable…

HENKINET : Je ne me sens pas coupable d’avoir falsifié quelque chose. C’est une simple erreur contractuelle pour laquelle j’étais prêt à payer et à m’excuser. Quand on me licencie pour  » faute grave « , je n’ai même pas le droit au chômage. Tu rentres chez toi avec zéro euro tous les mois. Derrière, j’ai un prêt de maison sur 20 ans et un fils qui arrive dans deux mois…

Tu te sens aussi fautif par rapport à tes proches ?

HENKINET : Non. Mes proches savent qui je suis et sont tout autant révoltés que moi. Je n’ai rien fait de mal. On est plus dans l’injustice qu’autre chose. Je suis encore plus déterminé pour revenir, parce que je veux revenir et je sais que je vais revenir au plus haut niveau. Je ne suis pas abattu, au contraire. Cette épreuve m’a renforcé. Je me promène dans ma ville, les gens me regardent bizarrement… (Il souffle) Mais je marche la tête haute.

 » DU JOUR AU LENDEMAIN, IL N’Y A PLUS RIEN  »

Tu comprends le regard des gens ?

HENKINET : Bien sûr. Le premier jour où l’affaire est sortie, j’ai été dans le vestiaire des coaches pour m’excuser. C’est un problème éthique, certes, mais il ne se résume pas qu’à quatre joueurs. Il faut arrêter de penser qu’on a mis les malfrats en prison.

Financièrement, tu vis avec quoi ?

HENKINET : J’ai pas mal épargné depuis que je suis professionnel. J’ai de l’argent de côté mais ça ne peut pas durer éternellement. Pour l’instant, ça va…

Quand tu apprends ton licenciement, tu le vis comment ?

HENKINET : Je me lève, je me prépare à aller à l’entraînement et on m’appelle… (Il marque une pause). Au début, on ne se rend pas compte. On se dit toujours que ça va s’arranger. J’étais dans l’appartement du club et je me disais que tout ce qu’il y avait autour de moi allait vite devoir partir. Je n’ai revu personne au foot. J’ai presque été interdit d’y retourner. Mais je sais bien que les joueurs étaient contre mon licenciement puisqu’ils ont fait des réunions pour dire au président, Dirk Huyck, qu’ils trouvaient ça inacceptable. Dans la foulée, il faut déménager et se refaire une vie ailleurs. Du jour au lendemain, il n’y a plus rien.

Tu avais une impression de vide ?

HENKINET : Tu te lèves et au final, tu n’as plus de but. Tu ne vas plus au foot, tu n’as plus d’horaires. J’allais voir ma famille pour ne pas rester tout seul. Ensuite, je me suis repris en main. J’ai essayé de revivre. Mentalement, le premier mois était très difficile. Tu as été tout beau, tout gentil toute ta vie et d’un coup, tu as une espèce d’image de criminel, de tricheur, qui te colle à la peau.

 » SI JE RETROUVE UN CLUB, MA VIE REPRENDRA UN SENS  »

De quoi sont faites tes journées désormais ?

HENKINET : J’ai un programme d’entraînement individuel. J’aide aussi bénévolement un pote qui accompagne des jeunes en difficulté scolaire. C’est un peu comme une école de devoirs. Ça me permet de ne pas rester chez moi à me lamenter. Je suis aussi des cours de management à distance et je soutiens ma copine qui ne peut pas travailler non plus parce qu’elle est enceinte. Vu qu’elle a cotisé en France (elle est vétérinaire, ndlr), elle ne peut pas bénéficier du chômage ici.

Tu as pensé à arrêter le foot après ton échec au Standard. Tu as eu la même idée fin septembre ?

HENKINET : La question se pose toujours. Quand tu as été viré pour  » faute grave « , tu te dis que ton image est vachement salie. Elle m’est maintenant attachée et j’ai envie de l’enlever. Je n’ai pas pensé à arrêter mais ça m’a fait mal. Je veux juste qu’on tourne la page.

Vu que tu as été licencié pour  » faute grave « , tu ne peux pas resigner avant juin 2017 en Belgique. Tu as songé à l’étranger ?

HENKINET : Je suis ouvert à tout. Si en Belgique, on estime que je suis un grand délinquant, je partirai. Si jamais il y a des clubs qui sont prêts à m’accepter… (Il sourit) Mais ça serait dommage d’en arriver là. Pour l’instant, je n’ai aucun contact. A partir du moment où je retrouve un club, ma vie reprendra un sens.

Cette affaire t’a fait réfléchir sur le monde du foot ?

HENKINET : Le monde du foot est un monde très spécial. Mais j’adhère au système puisque je suis en plein dedans. Les gens te font de grands sourires, te disent qu’ils ont beaucoup de respect pour toi mais dès qu’il y a une petite affaire, ils ne vont jamais essayer de te défendre. C’est une entreprise vouée à l’argent. Il y a logiquement des intérêts pour les chefs d’entreprise mais il n’y a pas cette humanité. Finalement, mon licenciement ne me choque pas. Ce monde est comme ça.

Ton avenir, tu le vois comment ?

HENKINET : Pour le moment, je ne le vois pas. A court terme, il y a mon fils qui arrive. Ça sera déjà un très beau moment. Après, j’espère que tout reprendra son cours et qu’on oubliera cette histoire. J’ai fait une faute, je le sais, mais je n’ai pas faussé le championnat. Maintenant, c’est aux gens de juger. Moi, je n’oublierai pas et ne pardonnerai jamais.

PAR NICOLAS TAIANA – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

 » Si l’Union Belge pense avoir réglé le problème des paris en ayant pointé quatre joueurs du doigt, elle se trompe totalement.  » LAURENT HENKINET

 » En étant licencié pour faute grave, je n’ai pas droit au chômage. Derrière, j’ai un prêt de maison sur 20 ans et un fils qui arrive dans deux mois…  » LAURENT HENKINET

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