« Il faudrait 6 Schumi »

Il ne possède plus que 25% de la F1, mais il continuera à la gérer jusqu’en 2006 avec des idées bien arrêtées.

On assiste à une véritable foire d’empoigne dans les coulisses de la F1. Leo Kirch détient aujourd’hui 75% des actions de SLEC, le holding via lequel Bernie Ecclestone contrôle tous les axes financiers de la F1. Le milliardaire britannique restera le patron de la discipline jusqu’au terme de l’année 2006, à l’expiration des Accords de la Concorde -le contrat de mariage entre Ecclestone, les teams et les sponsors. Mais les constructeurs, qui ont investi des milliards dans les meilleures écuries, menacent de quitter la F1 parce que le départ d’Ecclestone les effraye. Il faut dire que Kirch est le magnat de la télévision à péage en Allemagne. Or, les constructeurs craignent ce type de télévision comme la peste. Leur ambition reste de voir les GP retransmis dans le plus grand nombre possible de foyers à travers le monde.

« A l’heure actuelle, je peux seulement garantir que la F1 ne se limitera jamais à la télévision à péage », rassure Ecclestone. « De même, nous n’accepterons jamais que Kirch jongle avec les heures de départ des GP, comme il l’a fait dans ses négociations pour les droits de retransmission de la prochaine Coupe du Monde de football ».

Pas besoin d’Internet

A part la F1, quels sont les autres sports qui vous passionnent encore?

Le tennis. Mais si je m’impliquais dans ce sport, j’y apporterais des modifications radicales. Le tennis doit être plus transparent, plus dynamique. Quand j’ai essayé de racheter ce business, il y a deux ans, mes projets étaient sans doute encore trop révolutionnaires. Je voulais supprimer ces matches dont on ne voit pas la fin. C’est une catastrophe pour les télévisions. J’avais imaginé des matches de durée limitée: le vainqueur serait le joueur qui a marqué le plus de points après une heure et demie de jeu. Je voulais aussi rayer le deuxième service. Et évidemment modifier ce système de ranking mondial auquel personne ne comprend rien. Je pensais à un championnat comprenant un certain nombre de tournois: dix points pour le vainqueur, six pour le finaliste battu, etc. Comme en F1.

Il y a deux ans, vous avez essayé d’interdire l’utilisation du terme F1 sur Internet. Mais le juge vous a débouté. Avez-vous des projets au niveau d’Internet?

Pourquoi aurions-nous besoin d’Internet? Si je dois en croire certains décomptes, il y a des millions ou des milliards de personnes qui se connectent. Des chiffres à donner le vertige. Mais je me demande comment tous ces gens-là trouvent du temps pour s’amuser sur Internet. Franchement, je préfère me désintéresser de ce média parce que je ne vois pas son utilité. J’étais déjà très sceptique il y a trois ans, quand tout le monde disait qu’Internet allait sauver l’Humanité. On a dépensé des milliards, mais quelles sont les retombées pour les investisseurs? Aujourd’hui, ils ont tous la corde au cou.

Puisqu’on parle de gros sous: la F1 n’est-elle pas devenue trop chère?

Le prix de la technologie est effectivement notre plus grand problème. Vous comme moi, nous ignorons totalement l’incroyable valeur technologique d’une F1. Et pourtant, nous sommes tous les quinze jours sur les GP. Si nous n’y connaissons rien, comment le grand public pourrait-il s’y retrouver? Les gens se moquent complètement des exploits technologiques des ingénieurs. Les teams investissent donc des montants complètement fous dans des développements qui ne sont même pas un ingrédient essentiel pour un show réussi. Les patrons d’écuries ne s’en rendent malheureusement pas compte: ils veulent tous être les meilleurs. Le problème, c’est que les sponsors s’en iront s’ils apprennent que les audiences télévisées baissent un jour. Parce qu’ils analysent évidemment ces chiffres.

Les patrons d’écuries devraient se rendre compte que la F1 doit véhiculer des émotions avant d’être un sport!

Quand Senna était le meilleur, tout le monde souhaitait le voir perdre. Et aujourd’hui, tout le monde souhaite que Schumacher ne gagne pas. C’est pareil dans tous les sports: les gens voulaient autrefois voir Muhammad Ali au tapis. On aime les héros, mais on aime aussi les héros qui perdent. Regardez Tiger Woods: aujourd’hui qu’il ne gagne plus tous les tournois, on le trouve subitement beaucoup plus intéressant.

La F1, c’est de l’émotion, mais aussi un business où personne ne se fait de cadeaux!

Aujourd’hui, n’importe quel sport est un business. J’irais même plus loin: c’est aux Jeux Olympiques que la commercialisation est la plus poussée. Les JO, symboles de la noblesse… Ce que j’ai créé en F1, on le retrouve à présent en Ligue des Champions et dans le cyclisme.

« Piquet dormait dans le paddock sous un camion »

Vous avez longtemps été en pétard avec la Commission Européenne. La commissaire Viviane Reding avait même déclaré que ce ne serait pas une mauvaise idée d’investir les recettes commerciales de la F1 dans la formation de jeunes pilotes, comme cela se fait dans d’autres sports.

Le problème, c’est qu’on ne peut rien faire pour les jeunes en sport automobile.

Vous pourriez quand même faire rouler des jeunes en F3? Ou créer des écoles de pilotage?

C’est facile de soutenir un nageur ou un athlète: vous le payez pour qu’il pratique son sport, vous lui donnez ce qu’il gagnerait en pratiquant un métier normal. Mais faire rouler une F3, c’est beaucoup plus compliqué. Vous n’imaginez pas combien ça coûte pour qu’une voiture comme ça fasse cent mètres. Et il faudrait aussi tenir compte de toutes ces fédérations automobiles, où il y a toujours l’un ou l’autre type qui chercherait à donner une chance à son fils. Moi, je pars du principe qu’un pilote doué finit toujours par se faire remarquer. C’est la même chose en athlétisme: il y a des jeunes défavorisés qui trouvent leur voie à force de talent et de travail. Quand on veut vraiment, on peut. Je pense encore souvent à Nelson Piquet, qui a roulé pour moi quand j’étais patron de l’écurie Brabham. Il était venu me demander si je n’avais pas un volant pour lui. Je lui avais répondu que j’étais prêt à lui donner une chance, mais aucun salaire. J’étais disposé à lui chercher des sponsors, mais je ne voulais rien dépenser pour lui. Il m’a dit que ce n’était pas un problème, qu’il n’avait pas besoin d’argent. Il était prêt à dormir dans le paddock, en dessous d’un camion. D’ailleurs, il l’a fait, alors que ses parents étaient incroyablement riches. Piquet a finalement conquis trois titres mondiaux. A l’opposé, j’ai connu un certain Hector Rebaque. Lui aussi, il provenait d’une famille très fortunée. Il avait du talent, mais il n’affichait aucune détermination. Monsieur prenait le Concorde au Mexique le jeudi avant chaque GP, et à peine la ligne d’arrivée franchie, il reprenait un vol supersonique pour rentrer à la maison. Rebaque n’a jamais fait mieux qu’une quatrième place, et il a mis fin à sa carrière après une quarantaine de courses.

La génération des Piquet et Hunt est bien loin. Aujourd’hui, seuls Villeneuve et Irvine mettent encore un peu de couleur dans le paddock. Aujourd’hui, les pilotes sont tous coulés dans le même moule.

Cela n’a rien à voir avec l’argent. Piquet avait une personnalité forte et spéciale, mais cela ne s’achète pas. On l’a ou on ne l’a pas. Même s’il est clair qu’une personnalité peut aussi être forgée par les circonstances. S’il n’y avait pas Schumacher et si Villeneuve roulait pour Ferrari, il deviendrait la plus grande star de tous les temps.

« Plus personne ne se souvient de Hakkinen »

D’accord, mais c’est surtout dû à son image. Il se teint les cheveux, c’est un rebelle, alors que la plupart des pilotes essayent d’être des gendres parfaits.

Vous n’avez pas tort. Prenez cet ex-champion du monde. Comment s’appelle-t-il déjà? Oui, c’est ça: Hakkinen. Il a gagné deux titres, mais plus personne ne s’en souvient. Parce qu’il ne se comporte pas comme un champion du monde. Tout l’inverse de Piquet ou Mansell. Ou de Lauda, qui continue à attirer tous les regards quand il traverse le paddock. Mais bon, on ne peut pas changer aussi facilement la personnalité d’un pilote.

Vous risquez de perdre prochainement Alain Prost, qui n’a plus d’argent à investir dans son écurie. Comment expliquez-vous ses problèmes?

Il découvre aujourd’hui des choses nouvelles pour lui. Quand il pilotait, on lui offrait tout ce qu’il réclamait. Mais maintenant, il y a beaucoup moins de gens qui ont besoin de lui. Alors que lui, il a plus que jamais besoin des autres. Sa carrière de pilote ne l’a pas préparé à cette situation.

Une autre personnalité: Michael Schumacher! Un bandit au volant, et donc intéressant pour la F1.

Bandit? On lui a collé une réputation qu’il ne mérite pas. En fait, c’est un gars très sympa. Mais il ne le montre pas quand il débarque sur un circuit. Alors, tout le monde le prend pour un type arrogant.

Il y a quelques mois, il a quand même plaqué son frère contre le mur au Nürburgring.

Tout à fait d’accord. Michael Schumacher est un pilote fantastique. Il nous en faudrait six comme lui dans le peloton!

Pour vous, sa manoeuvre n’était pas exagérément agressive?

Non. Il faut savoir prendre du recul et voir les choses autrement. Si Michael s’était laissé faire au départ et si Ralf avait gagné, comment auraient-ils réagi chez Ferrari? Ils lui auraient reproché d’avoir laissé gagner son frère alors qu’ils lui offrent un salaire incroyable. On ne pouvait pas demander à Michael d’ouvrir la porte. Il a agi avec Ralf comme il le fait avec n’importe quel autre pilote: il roule pour gagner. Et Ralf a levé le pied. Entre nous, je n’ose pas imaginer ce qui se serait passé si Montoya avait été à la place de Ralf à ce moment-là.

Vous innocentez Schumacher, mais trois personnes sur quatre dans le paddock l’auraient pendu ce jour-là!

C’est vrai. Et c’est une bonne chose. J’adore ces situations. Schumacher est toujours à la limite du hors-jeu.

Que pensez-vous de Kimi Raikkonen?

Super! A l’époque, j’étais le seul à souhaiter qu’il reçoive la superlicence. Comme tout le monde était contre, j’ai suggéré qu’on la lui accorde pour quatre courses, et j’ai dit qu’on ferait le point à ce moment-là. Les autres pilotes pensaient qu’il était trop jeune et qu’il manquait d’expérience. Je me suis engagé à lui retirer sa superlicence s’il prouvait que ses adversaires avaient raison. Mais on n’a pas dû en arriver là.

Jo Bossuyt

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