« Il fallait que je rentre »

L’attaquant sprinter du Standard commente son come-back, la saison en dents de scie des Rouches et les Diables.

Une claque qui fait mal ! Le Standard sorti sans trop de casse de son mois d’octobre de tous les dangers, qui s’incline lamentablement à domicile contre Eupen ! Un seul Rouche a tenu son rang dans ce match : Gohi Bi Cyriac. Mais presque tous les autres, du gardien à l’attaquant de pointe, sont passés à travers. Impeccable depuis son retour à Liège le 31 août (premier but après cinq minutes dans son premier match, deux autres goals contre l’ennemi et ancien employeur anderlechtois, un total de neuf matches et cinq buts jusqu’à présent), Mémé Tchité (26 ans) a connu un soir où rien n’allait. Il a reçu peu de bons ballons et a raté ce qu’il essayait de faire seul. Comme les autres, il est rentré au vestiaire sous les sifflets. Les confessions du transfert le plus surprenant de l’été, du timide de service.

Avoue que tu détestes les interviews, qu’il faut presque t’y amener de force !

Mémé Tchité : C’est tout à fait vrai. A chacun son truc. Quand mon club m’oblige à donner une interview, ok, je le fais parce que ça fait partie du métier. Mais ça ne m’emballe pas. Si on me demande de signer 200 autographes à des enfants, pas de problème. Mais déballer ma carrière, ma vie, ce que je fais, ce que je pense, bof…

Tu comprends quand même que les gens aiment savoir beaucoup de choses sur toi ?

Oui, je le comprends très bien. Et j’aime beaucoup les gens, hein ! (Il rigole).

Dans tes premiers matches, on a directement vu un autre Standard : cela t’a étonné ?

Non. Quand je suis rentré en Belgique, tout le monde se posait plein de questions sur l’équipe. Moi, je savais qu’il y avait beaucoup de qualités dans le noyau et que je pouvais apporter un plus. Je me connais, quand même ! Dieu merci, ça marche.

Tu savais que tu pouvais exploser directement ?

Oui. Je travaille, pour moi et pour l’équipe. Je me donne toujours à fond. Et je crois en Dieu.

Hé bien, Dieu a l’air fameusement important pour toi !

C’est comme ça. Je ne suis pas très pratiquant, je ne vais pas à l’église le dimanche et je ne fais pas cinq prières par jour, mais je me contente de prier une fois de temps en temps, quand je suis tranquille.

Tu as reçu quel style d’éducation religieuse ?

C’était assez limité. On est musulman du côté de mon père, catholique du côté de ma mère. Moi, je ne suis dans aucun des deux camps. Je crois au bon Dieu, voilà tout. Qu’on ne me demande pas de choisir entre le catholicisme et l’islam : pour moi, les mots sont à peu près les mêmes dans la Bible et dans le Coran. Dieu te demande de l’aider et il est toujours là pour te donner un coup de main.

Rapatriement :  » Le Standard a réussi la mission impossible « 

Anderlecht a vraiment essayé de te récupérer au mois d’août ?

Euh… Oui, ils se sont renseignés. Mais ils n’ont pas donné l’impression de vouloir aller au bout pour que le transfert se fasse. Le Standard était beaucoup plus décidé : ce club voulait réussir la mission impossible.

Ce n’est que le 31 août que tu as appris que le Standard voulait te ramener ?

Non, il y avait déjà eu des contacts plus tôt. Et d’autres clubs étaient sur la balle : en Angleterre, en Grèce, en Russie, en Turquie et aussi en Espagne. Puis, les discussions avec le Standard se sont arrêtées. Et on m’a rappelé le dernier jour du marché.

Quand tu es parti en Espagne, quel club te laissait les plus grands souvenirs : le Standard ou Anderlecht ?

La Belgique. On va peut-être me prendre pour un dingue mais je suis amoureux de ce pays. Je ne me sens pas rwandais, burundais ou congolais : je suis belge.

Amoureux de la Belgique pour ses montagnes, son soleil et tout ça ?

Le soleil, je m’en fous. Ce n’est pas ça qui me rend heureux. Pour moi, tant pis s’il neige : je mets ma doudoune et je sors pour faire des batailles de boules…

Ton meilleur souvenir à Anderlecht ?

Toute la saison 2006-2007. Je suis champion, je termine deuxième du classement des buteurs (20 goals), je donne 10 assists, je suis Footballeur pro et Soulier d’Ebène.

Et le meilleur moment de ton premier passage au Standard ?

Le premier match du championnat 2005-2006. Le club voulait me vendre mais j’avais refusé. Donc, je ne devais plus être dans l’équipe. Même durant les matches amicaux, j’étais sur le banc. Mais juste avant le championnat, Dominique D’Onofrio m’a dit qu’il allait prendre ses responsabilités et me faire jouer. C’était contre le Lierse : après quatre minutes, je marquais. C’était ma réponse aux gens du Standard qui avaient voulu se débarrasser de moi.

Tu devais absolument quitter Santander ?

Pour l’argent, j’aurais pu y rester, tranquille. J’avais encore deux ans de bon contrat. J’étais au top, titulaire et tout ça. Je ne jouais pas au Barça mais quand même dans un vrai club de Liga. Mais le salaire n’est sûrement pas ce qui me motive le plus.

 » J’ai marqué l’histoire de Santander « 

Ton bilan espagnol ?

Très bon. La première saison, je qualifie Santander pour l’Europe : la première fois de son histoire. Le meilleur classement du club depuis les années 30 ! Je suis aussi meilleur buteur et meilleur passeur. La deuxième saison, je ne joue pas beaucoup, à cause de blessures notamment. Mais je participe quand même au maintien. Et la troisième année, je mets à nouveau une quinzaine de goals, dont deux dans le dernier match : si on le perd, on chute en D2, mais je marque deux fois. J’ai aussi le reçu le trophée GOL TV : au palmarès, il y a Gonzalo Higuain et Lionel Messi…

Tu as encore joué un match avec Santander cette saison. Contre le Barça, pour finir en beauté…

Oui, et j’ai raté un penalty. Je l’ai peut-être fait exprès parce que je savais que j’allais partir… (Il éclate de rire).

Qu’est-ce qui se passe dans ta tête quand tu marques deux buts contre Anderlecht ? Une sorte de jouissance comme quand Dieumerci Mbokani scorait contre son ancienne équipe ?

Pas du tout. Pour moi, marquer contre le Cercle ou Anderlecht, c’est la même chose, la même joie.

Il y a cinq attaquants pour deux places. Aloys Nong est souvent sur le banc, Luigi Pieroni aussi, Mbaye Leye est obligé de jouer sur un flanc. Tu en vois qui souffrent plus que d’autres ?

Oui, je remarque que Pieroni a du mal. Il donne tout et je suis sûr qu’il se demande pourquoi il n’est pas titulaire le week-end. Je sais ce que c’est, j’ai déjà vécu ça aussi. On peut ressentir une forme d’injustice.

 » Oui, je sors. Comme Messi, Cristiano Ronaldo et Vargas « 

Qu’est-ce que tu réponds quand on dit que tu as une vie agitée, que tu n’as pas toujours vécu pour ton métier ?

J’ai lu plein de trucs dingues mais je m’en fous. Je m’en fous ! C’est bidon. Je sais comment je vis. Je ne peux pas dire que je ne sors jamais. Je suis un homme. Donc, parfois, je m’amuse. Comme tous les joueurs de foot. Comme Lionel Messi. Comme Cristiano Ronaldo. Comme Ronald Vargas. Le tout, c’est de bien choisir ses moments. Je sais le faire, c’est un de mes points forts.

Tu t’en foutais aussi quand la presse espagnole écrivait que tu n’avais jamais justifié le prix de ton transfert à Santander ?

Je n’ai pas réagi. Et quand j’ai quitté le club, il y a quelques semaines, j’ai refusé toutes les demandes d’interviews. Je ne voulais pas jouer le jeu de la presse espagnole. Ils auraient voulu me faire tomber dans le panneau : raté pour eux. Je répète que j’ai mes certitudes par rapport à ma réussite en Liga. Je préfère me souvenir de l’attitude du public plutôt que des articles de journaux : je suis le seul joueur de l’histoire de Santander à avoir eu une chanson à son nom.

En étant le transfert le plus cher de l’histoire du club, tu avais un sacré poids sur les épaules !

Le poids que j’avais à porter, c’était celui de toute l’équipe, à tous les matches. Et ça, oui, c’était parfois très difficile. Mais sur le plan sportif, je ne garde que de bons souvenirs.

Et au niveau extra-sportif ?

A la fin, ça ne s’est pas bien passé avec la direction à cause de plusieurs petits malentendus. Ce n’était pas la rose…

Tu n’as pas eu quelques larmes dans les yeux en quittant l’Espagne. C’est quand même le championnat qui fait rêver plein de footballeurs, et toi, tu fais un pas en arrière en revenant en Belgique.

Mais je n’ai jamais dit que je rêvais de l’Espagne. Le seul rêve que j’ai eu depuis que je tape dans un ballon, c’est quitter l’Afrique pour la Belgique. J’aimais bien la Liga, mais pas plus que la Bundesliga ou la Premier League. Essaye de trouver quelqu’un qui m’a vu pleurer depuis mon retour en Belgique… Je souris tout le temps, je suis très, très heureux. Parce que je suis rentré chez moi. Revenir à la maison, je l’ai choisi. Je devais revenir. Il le fallait !

Pourquoi cette obsession ?

Je garde les vraies raisons pour moi, elles sont surtout extra-sportives.

Familiales ?

Tout ce que tu veux… Dans ma vie, il y a le foot, mais aussi d’autres choses.

 » Le raisonnement de la FIFA est complètement bidon « 

Tu seras Diable Rouge un jour ? Le feuilleton dure depuis tellement d’années !

(Il soupire). Je ne comprends pas le jeu de la FIFA. Elle continue à m’accuser de choses que je n’ai jamais faites. Le Rwanda m’a convoqué plusieurs fois depuis que je suis arrivé en Belgique : je n’ai jamais répondu. Le Burundi et le Congo ont aussi essayé de m’avoir dans leur équipe, je n’ai pas bougé non plus. J’ai demandé la nationalité belge, je l’ai reçue, j’ai un passeport tout ce qu’il y a de plus en ordre : pourquoi m’interdit-on de jouer avec les Diables ? C’est une injustice terrible. Le Rwanda continue à dire que j’ai signé une demande d’affiliation. Une expertise graphologique a démontré que c’était un faux, et au moment où j’étais censé signer cette lettre sur place, j’étais au Standard, et ça aussi, c’est prouvé. Le plus pénible est de voir que la FIFA prend cette affaire à la légère alors que pour moi, ce n’est pas léger du tout. Il y a pourtant des gens compréhensifs là-bas. Quand j’étais en Espagne, j’ai rencontré en tête à tête Angel Maria Villar, un des vice-présidents de la FIFA, qui est aussi président de la Fédération espagnole. Il m’a avoué qu’il ne comprenait pas l’obstination de la FIFA. Il m’a promis de m’aider mais rien n’a bougé entre-temps.

Tu restes confiant ?

Oui, mais c’est long et lourd. J’aimerais bien qu’on n’en arrive pas à un procès contre la FIFA, mais c’est fort possible que ça doive se régler devant un tribunal. C’est malheureux car c’est finalement une histoire toute bête.

Mais reconnais que tout cela devient une grande soupe. Rien qu’au Standard, il y a des problèmes d’équipe nationale pour Mehdi Carcela, pour Sinan Bolat, pour toi…

Ma situation est différente : moi, je dis depuis longtemps que je ne jouerai qu’avec la Belgique. Si je ne peux pas aller chez les Diables, je ne serai jamais international.

Et ce n’est pas simple pour la FIFA de connaître ta vraie nationalité.

C’est clair que rien n’est simple au départ… Mon père est un métissé rwandais, il a un peu de sang arabe. Ma mère est congolaise. Et je suis né au Burundi. Mais maintenant, je me considère comme belge à 100 %. La FIFA ne voit que ce qu’elle veut voir. Elle m’empêche de jouer avec la Belgique alors que j’ai une carte d’identité belge. Et elle voudrait que je joue avec le Rwanda alors que je n’ai jamais eu de passeport rwandais. Son raisonnement est bidon. On m’a aussi autorisé à jouer un match avec les -16 du Burundi alors que je n’ai jamais eu de passeport burundais. Simplement un passeport provisoire pour mineurs, un  » passeport de service « . Où est la logique ? En attendant, j’ai déjà raté pas mal de gros matches avec les Diables depuis que la FIFA me bloque. Mais je me battrai jusqu’au bout. Tiens, encore un truc intéressant…

Dis-moi.

La FIFA dit que pour pouvoir changer de fédération quand on a joué avec une équipe de jeunes d’un autre pays, il faut déjà posséder la nationalité du futur pays quand on joue en équipes d’âge. Evidemment, je n’avais pas de passeport belge au moment où j’ai joué en -16 avec le Burundi. Mais je n’avais pas de passeport rwandais non plus. Alors, pourquoi m’autorise-t-on à porter maintenant le maillot du Rwanda, un pays dont je n’ai jamais eu la nationalité ? Complètement bidon.

PAR PIERRE DANVOYE

 » Je suis le seul de l’histoire de Santander à avoir eu une chanson. Et j’ai gagné le même trophée que Messi et Higuain. « 

 » Musulman du côté de mon père et catholique du côté de ma mère. Moi, je ne suis nulle part. « 

 » Si je ne peux pas jouer avec les Diables, je ne serai jamais international. « 

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