Il était une fois Brad De Sart

Bernard Jeunejean

Je viens d’apprécier Moneyball, en français Le stratège : film américain de 2011 tiré d’un bouquin et d’une histoire de base-ball véridique, voici dix ans à peine. Nominé aux Oscars en même temps que Brad Pitt qui tient le rôle/titre, le film vient de sortir chez nous. Brad y incarne le manager des A’s d’Oakland, je vous raconte. Ou plutôt, vu que le base-ball est compliqué, que l’Amérique n’est pas l’Europe, que j’ai évidemment regardé avec des yeux footeux, et que la saison qui démarre ne vous laissera pas à tous le temps de voir ce film, je vais vous narrer l’histoire en la travestissant dans notre petit monde belge du ballon rond : une fiction bien de chez nous, mais basée sur une histoire ricaine véridique !

Disons que Brad Pitt, c’est Jeff De Sart : quadra fringant, ancien joueur ayant frôlé le top, manager au Standard de Liège. Disons que l’entraîneur des pros y est Hugo Broos, un vieux de la vieille, et que l’équipe sort d’une chouette saison, championne nationale et parvenue… disons jusqu’en quart de finale de la Ligue des Champions : éliminée seulement par l’Inter Milan, dont le budget est six ou sept fois supérieur ! Oui, je sais et je répète, les héros sont fictionnels mais la trame est authentique : c’est ce qui en fait tout l’intérêt, en cette période où les pronostics de victoire finale se calquent tellement sur les budgets respectifs.

Le Standard ayant brillé, ses trois meilleurs joueurs, en fin de contrat, se font happer par des caïds, c’est toujours le même cirque : Mémé Tchité part au Real, Jelle Van Damme à la Juve, et Laurent Ciman au Bayern (c’est une FICTION !). Va falloir les remplacer, Brad se rend chez Roland Duchâtelet et lui demande une rallonge budgétaire pour éviter la cata : le prési dit Njet (en russe), une grenouille n’est pas un b£uf, un budget est un budget. Brad De Sart flippe : sa flopée de recruteurs, laquelle fonctionne sur base d’un feeling qu’il trouve dépassé, lui suggère des remplaçants auxquels il ne croit pas…

C’est alors que De Sart tombe sur un jeune économiste intello, sans passé de joueur, mais raide dingue de statistiques et de football. Disons que le gamin s’appelle Yannick Ferrera. Et précisons que l’éventail des stats dont on dispose dans cette fiction footeuse est énorme : principalement basé sur les taux de réussite de chaque joueur, dans les divers gestes de foot et en fonction du temps de jeu presté. Brad tombe sous le charme : même au Barça, il le sait, le recours aux stats n’est si pointu, si judicieux ! D’abord, il engage Ferrera et se met à dos son armée de recruteurs. Puis Broos hurle à la mort, vu qu’en vertu des grilles statistico-budgétaires de Ferrera, les trois nouveaux vont s’appeler Patrick Goots (un vétéran en fin de sa carrière), Jordy Croux de Genk et Guy Blaise de Virton. Rapport qualité/prix imbattable selon les stats de Ferrera.

Ça foire au début, les défaites s’accumulent, Duchâtelet est à deux doigts de virer Jeff Pitt qui tient bon. Faut savoir aussi que Broos, qui l’a mauvaise mais reste seul décideur quant au choix du onze, aligne peu les nouveaux, préférant geindre sur les départs de Tchité et Cie. Arrive le mercato d’hiver, Brad prend Broos par les cornes et lui fait trois enfants dans le dos : il vire trois titulaires pour obliger Hugo à aligner Goots, Croux et Blaise ! Et voilà t’y pas que les victoires s’accumulent enfin : le Standard résorbe son retard, renouvelle son titre national et atteint cette fois la demi-finale de l’Europa League, échouant face à Man U.

Brad De Sart et Yann Ferrera savourent d’abord l’agréable sensation d’avoir révolutionné l’approche de leur sport, été presque l’égal des puissants avec un budget bien inférieur. Mais tout est dans le  » presque « . Car d’une part, Jeff Pitt le passionné sent que cette utilisation sophistiquée des données statistiques n’a quand même pas débouché, et ne débouchera jamais, sur un titre suprême. Car d’autre part, et c’est bien pire, dès l’année suivante, les caïds européens adopteront évidemment les outils statistiques de Jeff et Yann… en conservant leurs budgets supérieurs : et l’écart qualitatif se reconstituera en bossant autrement, le Standard n’aura pu qu’un temps rêver d’être grand. Snif et moralité : rien n’échappe au cirque, l’argent sera toujours le nerf de la guerre. Sauf pour Jeff alias Brad (de son vrai vrai nom à Oakland : Billy Beane), c£ur pur qui restera fidèle aux Rouches, déclinant les offres managériales des plus grands clubs européens. Chouette film.

Jeff De Sart, le Brad Pitt du Standard !

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