» Il était fou de bowling « 

 » Où va-t-il s’arrêter ?  » Moses Simon n’a joué qu’un an à Trencín mais les Slovaques sont sous le charme de l’ailier nigérian.

Trencín, une bourgade de 60.000 âmes à l’ouest de la Slovaquie, à la frontière tchèque, est à 7.000 kilomètres de Kaduna State, où a grandi Moses Simon avant de quitter la chaleur de l’Afrique. Il a découvert une ville grise de l’ancien bloc de l’Est, aux habitants distants, une ville qui a constitué un tremplin idéal pour la Belgique et la suite.

Le Futbalovy Klub AS Trencín, en D2 de 2008 à 2011, lutte pour la deuxième saison de suite pour un billet en Ligue des Champions. Il le doit à Tscheu La Ling, le légendaire ailier de l’Ajax. Au terme de sa carrière de footballeur, en 2007, il a acheté le club et son stade pour un bon million d’euros.

Martin Skrtel, le défenseur de Liverpool, y a joué de 2001 à 2004 avant de rejoindre le Zenit. Quelques internationaux ont fait de même mais que représentait l’équipe nationale de Slovaquie avant le Mondial 2010 et sa victoire contre l’Italie ?

Ling :  » Le football européen change. Les Pays-Bas ont perdu en talent, la Belgique progresse mais que dire de la Slovaquie ! Elle était 50e au classement FIFA en 2007, la voici 22e. Les U19 de Trencín viennent de battre la Russie 3-2…  »

Martin Galajda, l’attaché de presse, arrive au club à vélo. Il montre une photo de Moses Simon, au mur du bureau, parmi d’autres. Elle a été prise après son hat-trick en Europa League contre les Serbes de Vojvodina.  » Moses est récemment revenu prendre congé de tout le monde. Il nous considère comme une seconde famille.  »

Messe africaine sur YouTube

Nous arrivons dans le quartier où il a vécu un an avec son compatriote Kingsley Madu, Ulica Generala Viesta : ce ne sont que vieux buildings jaunis, tous identiques.  » Le club nous a aidés à nous acclimater à la vie ici. Moses a l’air timide mais au sein de l’équipe et avec ses amis, il ne cesse de rigoler « , explique Madu, arrière gauche.

 » Après l’entraînement, vers 18 heures, nous étions à l’appartement en dix minutes et nous nous mettions aux fourneaux, en alternance. C’était de la cuisine africaine, plus épicée que l’européenne.  »

Son ami lui manque.  » En le revoyant, il y a peu, j’ai failli oublier l’entraînement. Tous les soirs, nous jouions à la PlayStation, Moses avec le Real, moi avec Barcelone. C’était chouette. J’espère que Dieu m’accordera la même chose qu’à Moses.  »

Il indique la grosse croix qui pend à son cou.  » Nous priions ensemble, avant les entraînements, avant les matches, pour être épargnés par les blessures. Trencín ne manque pas d’églises mais sans messe en anglais, alors nous regardions un service religieux africain sur YouTube.  »

Ils sont devenus amis pour la vie depuis qu’ils ont passé un an à la Golden Boot Soccer Academy de Jos.  » Les premiers mois avaient été très durs pour moi. Moses s’était déjà entraîné avec Kaduna United, un club de Premier League nigériane, et ça se voyait. Il jouait plus vite et digérait mieux les efforts. Il a passé un test à l’Ajax, sans succès.

Il a surmonté sa déception. Il m’a dit : – Je dois travailler et j’aurai ma chance. Toi aussi. Nous nous parlons beaucoup, au téléphone. C’est cher, oui, mais nous sommes africains. Nous gagnons peu mais nous essayons d’envoyer de l’argent à la famille. Le bonheur est plus important que l’argent. Quand je n’ai pas le moral, j’appelle mon pote et je retrouve le sourire.  »

Un rival néerlandais charrieur

Au stade, GinoVanKessel interpelle Madu en néerlandais.  » Eh salut, mocheté !  » L’ailier d’Alkmaar était le concurrent de Simon l’année dernière.  » Je blague en néerlandais puisque de toute façon, personne ne comprend l’anglais. Je le revois débarquer. Il faisait froid et il a regardé la neige, ébahi. Il n’a pas été titularisé lors des deux premiers matches mais il a délivré un assist dès son entrée au jeu, pourtant brève « , explique Van Kessel, revenu en février d’un bref passage à l’AC Arles-Avignon, en Ligue 2.

 » Il est timide. Les premières semaines, je ne l’ai pas charrié. Il s’est épanoui dès qu’il est devenu titulaire et décisif. Il a commencé à blaguer, même avec le capitaine, un Slovaque. Il était fou de bowling. Même après deux entraînements, je ne devais pas beaucoup insister pour qu’il me suive. Kingsley préférait rester dans son fauteuil mais pas Simon. Maintenant, il n’y a plus grand-chose à faire le soir, à part manger un bout ou aller à la piscine.  »

Pendant l’entraînement, on nous montre le stade. Non qu’il y ait beaucoup à voir. Il reste une vieille tribune, c’est tout.  » On construit un complexe d’entraînement, un hôtel pour les joueurs et des bureaux à quelques kilomètres d’ici. Après le championnat, on va installer trois tribunes et démolir celle qui reste. Le stade pourra accueillir 12.000 personnes.  »

Galajda est fier du travail accompli par Mister Ling, un homme spécial, un des rares à avoir osé s’en prendre à Johan Cruijff à l’Ajax. Grâce à lui ; l’AS est en plein boom. Le budget, 1,7 million, reste modeste, au point que le propriétaire égyptien de Hull City, Assem Allam, s’est demandé s’il s’agissait d’un montant mensuel, après le nul blanc concédé en Slovaquie.

Le 4-3-3 ajacide en héritage

Nul ne déroge à la vision de Ling. Le club applique le 4-3-3 ajacide, en toutes circonstances.  » Nous essayons toujours de marquer alors que les autres équipes slovaques pensent en termes défensifs « , explique le T1, Martin Sevela.  » Ici, on ne remplace pas un avant par un défenseur « , souligne Gideon van der Wee, l’adjoint de Sevela depuis deux ans.  » Notre entraîneur précédent, Lubos Nosicky, l’a appris à ses dépens. Il a été remercié au bout de deux mois…  »

La formation des jeunes coûte 200.000 euros mais les transferts ont rapporté huit millions. Celui de Moses Simon a été rentable aussi. Ling :  » Je l’ai vu durant un match amical quand il était en stage à l’Ajax. Je pense que l’arrière latéral doit encore avoir un torticolis. Il est explosif, rapide, il joue des deux pieds, a un bon dribble, de la vista, le sens du but, un bon passing… En fait, que lui manque-t-il ?  »

Pourtant, l’Ajax n’a pas voulu de lui.  » L’école de l’Ajax est excellente mais la politique de transferts l’est beaucoup moins. Jan Vertonghen, Thomas Vermaelen ou Zlatan Ibrahimovic étaient des réussites mais regardez ceux qui ont échoué. Le bilan est négatif. L’Ajax ne trouvait pas Moses mauvais mais il estimait receler des joueurs dotés de ses qualités. Pourtant, il avait marqué deux buts en trois matches. Je lui ai donc proposé de venir jouer chez nous.  »

Ling est grand (1m88) et fin, Moses petit (1m68) et costaud mais ils ont un objectif commun : plaire au public. Ce sont des aventuriers de la ligne, des artistes du rectangle. Ling :  » Je savais qu’il s’épanouirait en Slovaquie, dans notre système de jeu. Heerenveen était prêt à débourser 800.000 euros pour lui mais nous en voulions plus. L’Ajax était venu quelques fois, sans le considérer comme une priorité, puis Gand est arrivé.  »

Ling est un connaisseur. Il a renseigné aux clubs néerlandais un Argentin de 18 ans qu’il avait vu jouer vingt minutes au stade de Rosario Central et qui pouvait émigrer en Europe pour 700.000 euros.  » Je l’ai signalé à Ado La Haye, à Martin van Geel (Ajax) et à Guus Hiddink (PSV) mais ils n’étaient pas intéressés.  » Son nom ? Angel di Maria, parti trois mois plus tard au Benfica, pour 7,5 millions « .

Un groupe hétéroclite

Moses Simon entre-t-il dans la même catégorie ? Vaut-il vingt millions comme l’a déclaré récemment Michael Louwagie ? Ling :  » Il est encore très jeune. Sa marge de progression est large.  »

Et d’ajouter :  » Je ne suis pas surpris par sa réussite en Belgique. Gand constitue une bonne étape. L’ambiance est relax, la direction compétente et Hein Vanhaezebrouck développe un football offensif. Moses aime réaliser des actions, c’est important pour son développement. Je dirais : que n’a-t-il pas, où va-t-il s’arrêter ? Tant mieux pour Gand s’il peut gagner des millions grâce à lui.  »

Ryan Koolwijk introduit 40 centimes dans la machine à café.  » Oui, on doit payer mais ce n’est pas un problème.  » Les joueurs montent sur le terrain synthétique. Ils ont reçu les nouveaux ballons Select et leurs vareuses bleues Nike sont ornées du logo du nouveau sponsor principal, Aegon.

En dessous, quelques mots : My sme Trencania, nous sommes de Trencín. Ce ne sont pas des paroles en l’air : ici, on a l’esprit d’équipe. Un gamin de neuf ans, élu Joueur du Mois, peut s’entraîner avec les grands. Il rayonne. My sme Trencania :pour toujours.

Le noyau est un mélange de Néerlandais et de Slovaques – les plus nombreux. On recense un Serbe, un Anglais, des Nigérians et des Brésiliens, un Grec.  » Pourtant, ils forment un vrai groupe « , explique le directeur technique, Leo van Veen, chargé de veiller au respect de la vision de Ling. Jour après jour, il initie les entraîneurs des jeunes au football néerlandais.

 » Vivre ici n’est pas facile mais au moins les jeunes jouent-ils encore au football en rue et à l’école, ce qui développe leur motricité. En plus, ils ont une mentalité fantastique, même s’ils ne gagnent que 2.000 euros par mois.  »

Van Veen vient d’Utrecht. Il a été champion avec l’Ajax en 1983, aux côtés de Johan Cruijff, Marco van Basten et Frank Rijkaard, mais il restera Monsieur FC Utrecht, un club pour lequel il s’est produit plus de onze ans. Il jauge Moses Simon.

 » Petit, costaud et puissant. Nous n’avons pas dû le changer beaucoup. Il possédait des dons dont l’équipe pouvait profiter. Il a un bagage technique étoffé, est très explosif et, surtout, possède une qualité hors-norme : cette faculté de conserver sa vista dans la dernière phase de ses actions. Ce genre de joueur est souvent égoïste mais pas Simon. Il sait quand il peut tenter sa chance et quand il vaut mieux qu’il cède le ballon à un coéquipier. Il opère le plus souvent le bon choix.  »

Plus d’espaces en Belgique

Martin Sevela ajoute :  » Il sait qu’il peut être utile quand l’adversaire place deux ou trois hommes sur lui : il libère ainsi des coéquipiers de leur marquage. Il m’a avoué être étonné de disposer de plus d’espaces en Belgique qu’ici. Il abat aussi sa part de travail défensif. La défense n’est pas une science exacte. Il faut deviner ce qu’un adversaire veut faire. Dans les grands championnats, les joueurs doivent participer à la défense. Il le fait.  »

L’entraîneur ne comprend pas que l’Ajax n’ait pas voulu de lui.  » Aux Pays-Bas, les footballeurs non européens doivent recevoir un salaire minimum de 275.000 euros par an. Peut-être était-ce le problème « , avance Van Veen, qui travaille à Trencín depuis 2010.

 » Certains membres de la cellule de scouting l’appréciaient, d’autres moins.  » Ling :  » C’est Marc Overmars, le directeur du football, qui l’a renvoyé au Nigeria.  »

En quoi Simon peut-il s’améliorer ? Van Veen :  » Il est très introverti et il s’exprime peu durant les discussions de groupe. Il faut insister pour qu’il parle. Mais on peut lui montrer des images vidéo et lui expliquer ce qui est bien et moins bien.  »

Le T1 :  » Dès qu’il montait sur le terrain, il avait l’air heureux. Ces dents si blanches… La façon dont il s’épanouissait ici faisait plaisir à voir. Il adore le football et ça reste l’essentiel, n’est-ce pas ? « 

PAR CHRIS TETAERT À TRENCÍN

 » Il adore le foot. C’est l’essentiel !  » – Martin Sevela, T1

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